Parmi les nombreux partenaires de l’opération, le département de l’Isère s’est chargé de la maîtrise d’ouvrage (MOA) de MINATEC, ce pôle réputé de Grenoble, dédié à l’innovation en micro et nanotechnologies.
Il s’est fait assister par un (MOAD) maître d’ouvrage délégué, la SAEM Territoires 38 ; la maitrise d’oeuvre (MOE) a été confiée à un groupement composé notamment la société Groupe 6, architecte et mandataire et de la société SETEC ; l’OPC a été dévolue à la société IM Projet ; les lots « menuiseries extérieures aluminium du bâtiment d’enseignement », « Charpente métallique » et « Etanchéité, vêtures métalliques, menuiseries extérieures aluminium » ont été attribués à la société Castel et Fromaget, avec un autre lot qui n’est pas en cause.
Invoquant des difficultés rencontrées en cours de chantier, la société Castel et Fromaget avait en effet préalablement formé en vain des réclamations contre ses trois DGD notifiés respectivement en juin, septembre et octobre 2007, puis saisi le comité consultatif amiable de règlement des marchés.
Elle a ensuite saisi le Tribunal administratif de Grenoble de demandes s’inscrivant pour certaines dans le cadre du règlement de ses marchés et pour d’autres visant à faire condamner les MOE et le bureau de contrôle.
Le Tribunal a rejeté l’essentiel de ses demandes pour ne condamner que le MOA et le MOAD à lui payer une somme de seulement 1 350 €, alors qu’elle avait demandé au total 471 721, 83 € TTC, tous défendeurs compris.
Elle relève appel du jugement en réduisant un peu certaines de ses demandes.
Le département et Territoire 38 présentent des conclusions d’appel incident et provoqué.
Nous disposons au dossier d’une expertise effectuée en 2007 devant le tribunal de commerce de Grenoble, éclairante sur les faiblesses des différents intervenants.
Les conclusions de la requérante sont dirigées tantôt contre les maitres d’ouvrage au titre du décompte des marchés, tantôt contre la maîtrise d’œuvre, tantôt contre les deux, ou encore contre l’OPC ; il y a ainsi dans la demande principale à la fois un fondement contractuel contre la MOA et quasi délictuel contre d’autres participants.
A cet égard le tribunal a rejeté les conclusions de la société Castel et Fromaget dirigées contre le maître d’œuvre et l’OPC au motif que la contestation du décompte général a pour objet de statuer sur les droits respectifs du maître d'ouvrage et de 1'entrepreneur et que dès lors le maître d'œuvre et l’OPC ne sont pas parties à ce litige, hormis le cas où ils sont appelés en garantie par le maître d'ouvrage. Il s’agit manifestement d’un rejet au fond de conclusions en tant qu’elles seraient mal dirigées contre des personnes extérieures au litige contractuel initial de décompte. Le tribunal n’a pas privilégié le terrain du litige distinct susceptible quant à lui de mettre en cause la recevabilité de ces conclusions. Mais l’appréciation à porter nous paraît être finalement la même.
Cette appréciation du Tribunal est contestée par la requérante qui invoque les conclusions de M. Dacosta sous la décision du CE Région Hte Normandie du 5 juin 2013, que vous connaissez. S’il est exact que M. Dacosta y indique que le participant victime d’un dommage peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle d’un autre participant auquel il n’est pas lié par contrat, il n’a toutefois pas dit que cela pouvait se faire à l’occasion de l’instance fondée sur le marché et en dehors de la voie de l’appel en garantie.
Néanmoins la question qui vous est soumise ainsi par la requérante et qui semble inédite en jurisprudence, ne manquera pas de retenir votre attention.
L’entrepreneur contestant à titre principal son décompte général, peut-il à cette occasion rechercher aussi la responsabilité quasi délictuelle des autres participants dont les agissements lui auraient causé des préjudices ?
Vous avez bien noté que le contentieux du décompte n’a pas vocation à être forcément binaire puisqu’il sort couramment de la sphère contractuelle dans le cadre des appels en garantie que, notamment, le maître d’ouvrage peut former : CE 17 mars 2010 Commune de Saint-Rémy-sur-Durolle n° 319563 au recueil Lebon, écartant à ce titre le principe de l’unicité du décompte.
Voyez aussi comment, en la matière, le litige distinct n’a de portée que relative, dans cette affaire où l'Etat, attrait par une entreprise au titre de son décompte et ayant formé une action en garantie contre les entreprises fautives, l'une d'elle a présenté des conclusions reconventionnelles jugées recevables tendant au paiement par l'Etat du solde de son propre marché : CE 28 janvier 1976 Société des ateliers Delestrade n° 8884 au recueil. Si cette solution repose sur la circonstance que l’appel en garantie de l’Etat et la demande reconventionnelle sont fondées sur un même marché, il n’en demeure pas moins qu’on n’est plus sur le litige initial engagé par la 1ère entreprise sur son propre marché, et qu’on juge ainsi finalement deux marchés distincts dans la même instance.
Dans l’espèce d’aujourd’hui où l’entreprise se plaint de responsabilités concurrentes pour certains des dommages subis, il nous semble difficile, pour ne pas dire impossible, de lui reprocher le caractère unique de sa demande contentieuse ; comment en effet pourriez-vous dégager la part de responsabilité du maître d’ouvrage devant entrer au DGD, de celles du maître d’œuvre et du pilote si vous ne les examinez pas ensemble ; et comment donner quelque sécurité à la solution dégagée si vous laissez réapprécier les autres responsabilité concurrentes par un autre juge qui ne sera par définition pas tenu par ce que vous aurez jugé.
Il serait donc ainsi tout de même logique de tirer toutes les conséquences de la décision Région Hte Normandie en ce qu’elle ne fait pas -ou plus - répondre le seul maître d’ouvrage comme guichet unique des dommages causés à un intervenant par les autres intervenants, surtout dans l’hypothèse présente où les dommages résulteraient concurremment de responsabilités contractuelles et quasi délictuelles.
Nous vous invitons en conséquence à censurer déjà la position du tribunal en ce qu’il a rejeté comme mal dirigées dans l’instance, les conclusions de la société Castel et Fromaget formées à l’encontre du maître d’œuvre et du pilote.
Nous en tirerons les conséquences au stade de certains chefs de demande.
1) En premier lieu, la requérante invoque un surcoût résultant de l’ordre d’interruption de la pose de la résille prévue sur certains bâtiments, ordre qui a été annulé 17 jours plus tard par un autre demandant la reprise de la prestation.
Elle demande 145 345 € de la part du MOA et du MOAD au titre de leurs tergiversations.
Mais comme l’a bien relevé le tribunal ces 17 jours de contre-ordre ont couru du 21 décembre 2004 au 12 janvier 2005, c'est-à-dire essentiellement pendant la période des fêtes ; et de toute façon ça n’a rien changé par rapport à la date de démarrage prévue au calendrier prévisionnel.
La requérante fait aussi valoir qu’en conséquence de cet atermoiement elle est intervenue après la pose de l’étanchéité et du bardage alors qu’il était moins compliqué pour elle d’intervenir avant sur le béton brut.
Certes, toutefois il ne résulte pas des calendriers et plannings détaillés que cette chronologie favorable ait été prévue, mais qu’en réalité il y avait des chevauchements de tâches.
Elle ajoute encore que sans cet ordre d’interruption, elle aurait pu intervenir en continu alors qu’elle n’a pu le faire en raison de la présence d’autres corps de métier notamment VRD ; mais ce chevauchement-là résultait aussi du calendrier d’exécution ; peut-être aurait-elle anticipé la pose de la résille par rapport aux interventions d’autres entreprises mais elle ne tirait à cet égard aucun droit de son marché.
En somme, d’une part elle n’établit pas que la contrariété des ordres de service serait effectivement fautive dès lors qu’elle n’a pas eu d’influence sur le calendrier d’exécution, ni de lien de causalité dans la mesure où elle ne démontre pas non plus de perturbation de sa période de préparation de cette prestation.
Vous confirmerez le rejet du Tribunal.
2) En deuxième lieu, la requérante recherche une condamnation solidaire du maître d’ouvrage, du maître d’ouvrage délégué et de la société Groupe 6, membre du groupement de maîtrise d’œuvre sur le non-respect des zones de stockage définies ; elle a manifestement bien subi un préjudice résultant de réelles difficultés de stockage.
Si vous nous suivez sur notre proposition liminaire vous n’écarterez donc pas par a priori ces conclusions en tant qu’elles sont dirigées contre la société Groupe 6 au titre d’une responsabilité quasi délictuelle.
Et il nous semble précisément que cette responsabilité pourra en l’espèce être retenue en ce que ce maître d’œuvre a manifestement manqué aux exigences de sa fonction de direction du chantier en s’abstenant d’apporter des réponses adéquates et suffisamment rapides à la requérante afin de l’aider à gérer ses difficultés de stockage.
En revanche, il ne résulte pas des stipulations contractuelles la liant au maître d’ouvrage, que l’entreprise avait droit à un espace de stockage précisément défini et quantifié ; et on ne trouve pas de lien évident entre la question d’une dépollution insuffisante du terrain et les prétentions de l’entreprise ; on ne peut dès lors pas imputer de faute ou de conséquence à la maitrise d’ouvrage.
Mais s’il n’en va pas de même pour le maître d’œuvre, il n’en va pas non plus de même pour l’entreprise dont l’instruction montre aussi une certaine difficulté d’organisation et d’adaptation.
Vous pouvez envisager entre eux le partage de responsabilité et en conséquence une indemnité à la charge de la société Groupe 6 de l’ordre de 10 000 €, soit 11 960 TTC.
3) En 3e lieu, la société Castel & Fromaget demande encore une condamnation solidaire des MOA et de la société Groupe 6 au titre d’un encombrement des abords et d’interfaces avec les travaux de VRD, qui l’auraient pénalisée.
Le raisonnement devrait à notre avis être proche du précédent : on ne voit pas de responsabilité contractuelle des MOA dès lors que si le plan de coordination prévoyait effectivement que les abords seraient dégagés il renvoyait néanmoins à une coordination avec le lot VRD ; et cette coordination concrète sur le terrain relevait manifestement du maître d’œuvre qui, ici aussi, comme du reste l’entreprise elle-même, n’a pas été très efficient ; leurs turpitudes respectives pourrait vous conduire à retenir une indemnisation par le Société Groupe 6 de l’ordre de 20 000 € HT soit 23 920 TTC.
4) En 4e lieu, la requérante recherche la seule responsabilité des MOA pour les conséquences sur sa prestation de la modification du classement sismique des façades.
Le tribunal a écarté cette demande au motif, en lui-même sévère, que l’ordre de service du maître d’œuvre était irrégulier au regard du CCAP en ce qu’il n’avait pas été soumis au MOAD ; mais le CCAP prévoyant cela était celui du MOE et non celui de l’entreprise à laquelle l’exigence de transmission méconnue ne saurait dès lors être opposée.
De son point de vue cet ordre de service est réputé régulier de sorte qu’elle est fondée à demander le paiement intégral de sa prestation, bénéfice compris ; vous pourrez retenir ici une somme de 15 000 € HT, soit 17 940 TTC, à la charge solidaire du département et de territoires 38.
5) En 5e lieu, la société Castel et Fromaget forme une demande à l’encontre du maître d’œuvre et de l’OPC au titre de dégradations de son flocage avant réception, et d’autres sinistres
- S’agissant des dégradations du flocage, leurs auteurs ne sont évidemment pas mis en cause ; dès lors, ici, elles ne peuvent qu’être imputées nous semble-t-il aux insuffisances conjuguées dans les missions de coordination et de direction de travaux, donc des sociétés IM projet et Groupe 6.
- En revanche s’agissant des autres sinistres la transaction déjà intervenue et exécutée entre l’entreprise et l’OPC fera bien obstacle à ce que ce dernier les indemnise une seconde fois : CE 28 novembre 1990 Office public d'H.L.M. de la Meuse n° 30875 aux tables.
- Le montant de ces préjudices est très difficile à arrêter d’autant que pour le flocage il y a déjà eu aussi des indemnisations mais manifestement incomplètes : vous pourriez mettre à la charge d’IM projet une somme de 3000 € HT soit 3588 TTC pour le flocage, et à la charge de Groupe 6 une somme de 5 000 € HT soit 5 980 TTC pour à la fois le flocage et les autres sinistres.
6) Voyons maintenant l’appel incident du département et de Territoires 38.
Il concerne les travaux modificatifs que le Tribunal a mis à leur charge par la seule condamnation prononcée pour un montant de 1 350 €.
Mais en appel les MOA produisent une feuille de calcul montrant que ce montant été déjà inclus dans une somme de 4 472 € figurant au DGD et acquittée au titre de la réclamation formée.
Vous devrez donc annuler cette condamnation de 1 350 €.
7) Venons-en aux appels en garantie du département et de territoire 38.
- Celui visant la société IM Projet sont nouveaux en appel et donc irrecevables comme l’oppose la FNR soulevée.
- Ce qui n’est pas le cas de l’appel en garantie visant le maître d’œuvre, la société Groupe 6, au sujet de la modification du classement sismique.
Mais nous pensons que vous devrez le rejeter au fond car si le maître d’œuvre a bien commis une faute en ne soumettant au MOAD pas l’ordre écrit par lequel il a ordonné la modification opératoire, il résulte de l’instruction que ce MOAD a néanmoins été informé en temps utile et aurait pu encore s’y opposer. Il manque en fait un lien de causalité, à supposer que le sur-classement sismique ait déjà été erroné.
Voilà comment nous espérons avoir pu vous synthétiser à l’extrême cette affaire.
Nous concluons donc :
- à la condamnation solidaire du département et de Territoires 38 à payer à la société Castel et Fromager une somme 17 940 € TTC correspondant à la modification commandée par MOE suite au changement de classement sismique, avec intérêts au 5 novembre 2007, date de réception de la réclamation ;
- en sens inverse à l’annulation de la condamnation de 1 350 € prononcée par le tribunal ;
- à la condamnation de la société IM Projet à verser à la sé Castel et Fromaget 3 588 € TTC avec intérêts au 28 janvier 2010, date de la demande au tribunal ;
- à la condamnation de la société Groupe 6 à verser à la société Castel et Fromaget 41 860 € TTC avec intérêts également au 28 janvier 2010 ;
- à la réformation consécutive du jugement et au rejet des surplus, dont les appels en garantie.
Le jugement étant réformé dans les 2 sens, il n’y aura pas lieu à frais irrépétibles.
Telles sont nos conclusions.