Sens des conclusions
Dossier 15LY01938 :
Annulation de l’article 3 du jugement attaqué. Recevabilité de la requête d’appel après régularisation. Mise à la charge de l’Etat d’une somme de 600 euros au bénéfice de Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du CJA et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Méconnaissance de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique la somme attribuée par le Tribunal étant inférieure à la part contributive de l’Etat.
Dossier 15LY02419 :
Annulation de l’article 3 du jugement attaqué. Recevabilité de la requête d’appel après régularisation. Mise à la charge de l’Etat d’une somme de 1200 euros au bénéfice de Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du CJA et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Méconnaissance de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique la somme attribuée par le Tribunal étant inférieure à la part contributive de l’Etat.
Dossier 15LY02743 :
Annulation de l’article 3 du jugement attaqué. Recevabilité de la requête d’appel après régularisation. Mise à la charge de l’Etat d’une somme de 1200 euros au bénéfice de Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du CJA et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Méconnaissance de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique la somme attribuée par le Tribunal étant inférieure à la part contributive de l’Etat.
Dans les trois affaires qui vous sont soumises sont contestés trois jugements du Tribunal Administratif de Grenoble, un jugement du 8 juin 2015 et deux du 25 juin 2015, en tant qu’ils fixent dans leurs articles 3, à 400 euros pour celui du 8 juin 2015 et à 800 euros pour ceux du 25 juin 2015, les sommes que l’Etat devra verser à Maître Yannis Lantheaume, du barreau de Grenoble, conseil de Mme S., ressortissante kosovare, et de M. et Mme B.et Vere Garupi épouse B., ressortissants albanais, au titre de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Les requêtes d’appel initiales étaient présentées au nom de Mme S. et de M. et Mme B., ces derniers soutenant que le montant des sommes de 400 et 800 euros allouées méconnaissait les dispositions de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, dispositions aux termes desquelles :
« Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. (…) ».
Dans la première affaire, concernant Mme S., il est soutenu qu’il fallait indemniser une procédure correspondant à 16 UV, soit 376, 32 euros HT (451, 58 euros TTC après ajout de la TVA à 20%), alors que la somme allouée par le Tribunal est de 400 euros, soit en réalité 320 euros, une fois retirée la TVA de 20% applicable, c'est-à-dire une somme inférieure de 56, 32 euros (376, 32 – 320) à la part contributive de l’Etat.
Dans la deuxième affaire, concernant le premier appel de M. et Mme B., il est soutenu qu’il fallait indemniser une procédure correspondant à 32 UV, M. et Mme B. ayant, chacun, obtenus l’aide juridictionnelle totale, soit 752, 64 euros HT (903, 17 € TTC après ajout de la TVA à 20%), alors que la somme allouée par le Tribunal est de 800 euros, soit en réalité 640 euros, une fois retirée la TVA de 20% applicable, c'est-à-dire une somme inférieure de 112, 64 euros (752, 64 – 640) à la part contributive de l’Etat.
Dans la troisième affaire, concernant le second appel de M. et Mme B., il est soutenu qu’il fallait indemniser une procédure correspondant à 40 UV (20 + 20), soit 940, 80 euros HT (1128, 96 euros TTC après ajout de la TVA), alors que la somme allouée par le Tribunal est de 800 euros TTC (640 euros après retrait de la TVA), soit une somme inférieure à la part contributive de l’Etat.
Avant d’en venir à la question de l’éventuelle méconnaissance de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, la Cour s’est posée celle de l’intérêt à agir en appel de Mme S. et de M. et Mme B., les dispositions des articles 3 des jugements contestés précisant clairement que les sommes en cause étaient versées à leur avocat, sous réserve que celui-ci renonce aux aides juridictionnelles accordées.
Car en effet, dès qu’un avocat entend renoncer à percevoir la somme versée par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, il agit en son nom personnel et plus au nom de ses clients. Ainsi, dans une instance où la partie requérante a obtenu l’aide juridictionnelle, quand le juge omet de statuer sur les conclusions présentées au titre des frais irrépétibles alors que l’avocat entendait percevoir le bénéfice de ces frais et renoncer à l’aide juridictionnelle, le recours en rectification d’erreur matériel qui lui est ouvert doit être introduit au nom de l’avocat : voyez sur ce point la décision du Conseil d’Etat n° 279878 du 11 janvier 2005 Mme D., dont il ressort que les conclusions présentées dans ce type d’instance au titre de l’article L.761-1 du Code de Justice Administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont des conclusions propres à l’avocat et non à la partie qu’il représente.
Mme S. et M. et Mme B. étaient donc initialement irrecevables dans leurs appels.
Par ailleurs, en raison des règles régissant le mandat définies par l’article 1984 Code Civil et du principe d’indépendance de l’avocat, ce dernier doit être une personne distincte du requérant. Ainsi, un requérant exerçant la profession d’avocat, ne peut, dans une instance à laquelle il est personnellement partie, assurer sa propre représentation au titre de l’article R.431-2 du Code de Justice Administrative auquel renvoie l’article R.811-7 du même Code : voyez sur ce point l’arrêt de la CAA de Versailles n° 10VE04018 du 24 mai 2012 Association Pour Notre Ville, ainsi que les décisions du Conseil d’Etat n° 301186 du 22 mai 2009 et CE n° 339822 du 16 octobre 2013, avec les conclusions de M. Edouard Crepey Rapporteur Public sous cette dernière affaire.
Les deux requêtes d’appel initiales devaient en conséquence être regardées comme présentées à titre personnel par Maître Yannis Lantheaume et n’étaient en conséquence pas recevables faute d’être introduites par un avocat distinct de la personne de Me Lantheaume.
Pour l’ensemble de ces raisons, vous avez, M. le Président, communiqué à Me Yannis Lantheaume, par lettres du 3 décembre 2015, un Moyen d’Ordre Public (MOP), susceptible d’être soulevé d’office, tenant à l’irrecevabilité des requêtes de Mme S. et de M. et Mme B. et tenant à l’irrecevabilité de ces mêmes requêtes regardées comme présentées par Me Lantheaume, ce dernier ayant la possibilité, dans cette hypothèse, de régulariser les choses dans un délai de 15 jours.
Par lettres du 15 décembre 2015, Me Lantheaume a répondu à la communication de ce MOP qu’en effet ces requêtes devaient être regardées comme présentées par lui et que Maître Jean-Philippe Petit, avocat au barreau de Lyon, s’était constitué dans les trois instances soumises à la Cour afin de régulariser les choses.
Les trois dossiers dont il s’agit ont donc été rebaptisés et les requêtes ainsi présentées sont désormais recevables.
Sur le fond des demandes qu’en est-il ?
Dans la première affaire, Mme S. s’est vue opposer par le Préfet de la Drôme, le 30 janvier 2015, un refus de titre de séjour, une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) et une décision fixant le pays de destination.
Le 5 mai 2015 elle a été admise à l’aide juridictionnelle totale et Me Yannis Lantheaume a été désigné comme son conseil.
Par jugement du 8 juin 2015 l’arrêté du 30 janvier 2015 du Préfet de la Drôme a été annulé, il a été enjoint au Préfet de réexaminer la situation et mis à la charge de l’Etat une somme de 400 euros au bénéfice de Me Lantheaume, lequel demande donc que cette somme soit portée à 900 euros.
Au titre de l’aide juridictionnelle, les recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1 du code de justice administrative, lorsque l'étranger n'est pas placé en rétention ou assigné à résidence, ce qui était le cas de Mme S., ces recours sont, selon l’article 90 du décret n° 091-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991, indemnisés à hauteur de 16 Unités de Valeur (UV) par recours.
Cette UV était fixée à compter du 1er janvier 2015 à 22, 84 euros HT par le III de l’article 128 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 et une majoration de 1, 02 par UV pouvait être retenue, en application de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’arrêté du 28 décembre 2006 fixant la majoration des UV pour les missions d’aide juridictionnelle totale, pour le Barreau de Grenoble relevant du groupe 3, soit une UV s’établissant à 23, 86 euros HT.
Ainsi, 16 UV à 23, 86 euros l’UV donnent 381, 76 HT (ou 458, 11 euros TTC) soit une somme supérieure à celle qui a été effectivement attribuée par le Tribunal (320 euros HT ou 400 euros TTC).
Il y a bien eu ici méconnaissance des dispositions de l’article 37 de la loi n° 091-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, la somme attribuée étant, contrairement à ce que prescrit ce texte, inférieure à la part contributive de l’Etat.
Vous pourrez nous semble-t-il, dans cette première affaire, porter cette somme à 600 euros.
Dans la deuxième affaire, M. et Mme B. ont contesté les décisions des 13 février et 18 mars 2015 par lesquelles le Préfet de la Drôme a, d’une part, refusé de leur délivrer des titres de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire et a fixé leur pays de destination, d’autre part, les a assignés à résidence.
Ils ont, chacun, bénéficié, par décisions du 9 avril 2015, de l’aide juridictionnelle totale.
Par jugement du 25 juin 2015 les décisions des 13 février 2015 ont été annulées en tant seulement qu’elles refusaient des titres de séjour à M. et Mme B., car par un jugement antérieur, du 25 mars 2015, il avait été statué sur les OQTF, les décisions fixant le pays de destination et les assignations à résidence. Le jugement du 25 juin 2015, dont il est partiellement relevé appel, enjoint en outre au Préfet de réexaminer la situation de M. et Mme B., et met à la charge de l’Etat, au titre des frais irrépétibles, une somme 800 euros au bénéfice de Me Lantheaume, ce dernier demandant à la Cour que cette somme soit portée à 1500 euros.
Comme nous l’avons déjà dit, au titre de l’aide juridictionnelle, les recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1 du code de justice administrative, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence, ces recours sont, selon l’article 90 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991, indemnisés à hauteur de 8 Unités de Valeur (UV) par recours. Toutefois, ici, les OQTF, les décisions fixant le pays de destination et les assignations à résidence ayant fait l’objet d’un jugement distinct antérieur, seules doivent être considérées les refus au séjour, soit, pour chacun des dossiers, 16 UV.
Cette UV était fixée à compter du 1er janvier 2015 à 22, 84 euros HT par le III de l’article 128 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 et une majoration de 1, 02 par UV pouvait être retenue, en application de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’arrêté du 28 décembre 2006 fixant la majoration des UV pour les missions d’aide juridictionnelle totale, pour le Barreau de Grenoble relevant du groupe 3, soit une UV s’établissant à 23, 86 euros HT.
Ainsi, pour les deux recours introduits par M. et Mme B., 32 UV (16+16) à 23, 86 euros l’UV, donnent 763, 52 euros HT (ou 916, 22 euros TTC) soit une somme supérieure à celle qui a été effectivement attribuée par le Tribunal (640 euros HT ou 800 euros TTC).
Dans cette seconde affaire il peut également être soutenu que l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 a été méconnu, la somme attribuée par les premiers juges étant inférieure à la part contributive de l’Etat.
Vous pourrez nous semble-t-il, dans cette seconde affaire, porter cette somme à 1200 euros.
Dans la troisième affaire, M. et Mme B. ont contesté les décisions des 12 et 26 février 2015 par lesquelles le Préfet de la Drôme a refusé l’enregistrement et l’instruction de leurs demandes de titres de séjour.
Ils ont bénéficié de l’aide juridictionnelle totale par décisions du 11 juin 2015.
Par jugement du 26 juin 2015 les décisions de refus d’enregistrement en cause ont été annulées, il a été enjoint au Préfet d’enregistrer ces demandes dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement et il a été mis à la charge de l’Etat une somme de 800 euros au bénéfice de Me Lantheaume.
Selon l’article 90 du décret n° 091-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991, les recours au fond sont, au titre de l’aide juridictionnelle, indemnisés à hauteur de 20 Unités de Valeur (UV) par recours.
Cette UV était fixée à compter du 1er janvier 2015 à 22, 84 euros HT par le III de l’article 128 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 et une majoration de 1, 02 par UV pouvait être retenue, en application de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’arrêté du 28 décembre 2006 fixant la majoration des UV pour les missions d’aide juridictionnelle totale, pour le Barreau de Grenoble relevant du groupe 3, soit une UV s’établissant à 23, 86 euros HT.
Ainsi, pour les deux recours introduits par M. et Mme B. dans cette troisième affaire, 40 UV (20+20) à 23, 86 euros l’UV, donnent 954, 4 euros HT (ou 1145, 28 euros TTC) soit une somme supérieure à celle qui a été effectivement attribuée par le Tribunal (640 euros HT ou 800 euros TTC).
Dans cette troisième affaire il peut également être soutenu que l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 a été méconnu, la somme attribuée par les premiers juges étant inférieure à la part contributive de l’Etat.
Vous pourrez, nous semble-t-il, dans cette troisième affaire, porter cette somme à 1200 euros.
Par ces motifs nous concluons :
- dans le dossier 15LY01938, à l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué, à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 600 euros qui sera versée à Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du Code de Justice Administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
- dans le dossier 15LY02419, à l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué, à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 1200 euros qui sera versée à Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du Code de Justice Administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
- et dans le dossier 15LY02743, à l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué, à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 1200 euros qui sera versée à Me Yannis Lantheaume au titre de l’article L.761-1 du Code de Justice Administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.