Décision de reconduite à la frontière et décision d'interdiction de retour sur le territoire français

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 13LY03047 – Préfet de l’Isère c/ M. E – 30 juin 2015 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 13LY03047

Numéro Légifrance : CETATEXT000030831827

Date de la décision : 30 juin 2015

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Reconduite à la frontière, L.533-1 du CESEDA, Menace à l’ordre public, Interdiction de retour, Directive n°2008/115 du 16 décembre 2008 retour

Rubriques

Etrangers

Résumé

Les décisions de reconduite à la frontière prises sur le fondement de l’article L533-1 du CESEDA ne relèvent pas de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008 (1), A défaut de dispositions expresses il n’est pas possible d’assortir une telle mesure d’une interdiction de retour (2), Les dispositions du III de l’article L511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne prévoient la possibilité de prononcer une interdiction de retour pour la seule obligation de quitter le territoire français. La décision d’interdiction de retour est dépourvue de base légale (3).

L’autorité administrative qui prend une décision de reconduite à la frontière à l’encontre d’un étranger ne peut toutefois pas assortir cette décision d’une interdiction de retour sur le territoire français.

En l’espèce, M. E a été interpelé dans le cadre d’un délit et condamné par le tribunal correctionnel de Valence. Le préfet de l’Isère, ayant considéré que son comportement constituait une menace pour l’ordre public, a notamment décidé de prendre un arrêté de reconduite à la frontière à son encontre sur le fondement du 1° de l’article L533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi qu’une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Par jugement n° 1307229, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions du préfet de l’Isère. En appel, les juges ont considéré que ni les dispositions de l’article L533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni aucune autre disposition de ce même code ne prévoient la possibilité pour l’autorité administrative de décider d’une interdiction de retour sur le territoire français, prévue au III de l’article L511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, suite à une décision de reconduite à la frontière.

(1) Cf. CE Avis du 10 octobre 2012, Préfet du Val d’Oise c/ M. R., n° 0360316

(2) Comp. CE Avis du 29 octobre 2012, M. A., n° 360584

(3) Cf. TA de Strasbourg Plénière, 8 juillet 2014, Mme T., n° 1401370.

Conclusions du rapporteur public

Thierry Besse

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6213

M. X., de nationalité albanaise, est entré en France en avril 2013. Il a fait l’objet d’une condamnation le 12 juillet suivant à six mois d’emprisonnement. A sa sortie de prison, le 17 octobre 2013, le préfet de l’Isère a pris à son encontre une mesure de reconduite à la frontière, prise sur le fondement de l’article L533-1 du CESEDA, mesure assortie d’une interdiction de retour pour une durée de trois années.

Par jugement du 21 octobre 2013, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions, estimant que le préfet de l’Isère avait entaché l’arrêté de reconduite à la frontière d’une erreur de droit, n’ayant pas apprécié si le comportement de M. X. pouvait être regardé comme constituant une menace pour l’ordre public.

Il nous semble que vous pourrez censurer le motif ainsi retenu.

Le préfet de l’Isère, pour prendre sa décision, a visé le 1° de l’article L533-1 du CESEDA, qui autorise l’autorité administrative à prendre une reconduite à la frontière si le comportement de l’étranger représente une menace pour l’ordre public, cette menace pouvant s’apprécier au regard de la commission des faits passibles de poursuites pénales sur le fondement des articles du code pénal cités au premier alinéa de l’article L313-5 du code.

Il a rappelé que M. X. a été interpellé dans le cadre d’un délit de détention et transport de marchandise réputée importée en contrebande et condamné par le Tribunal de Grande Instance de Valence le 12 juillet 2013 à une peine de six mois de détention. Le préfet conclut « qu’au vu de l’article L533-1 premier alinéa le comportement de l’intéressé représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave ».

Le préfet de l’Isère, qui ne s’est pas senti lié par cette condamnation, nous paraît ainsi avoir apprécié le comportement de M. X. et la menace qu’il faisait peser sur l’ordre public, au regard des faits pour lesquels il a été condamné, sans avoir commis d’erreur de droit.

Après avoir censuré le motif ainsi retenu, vous devrez examiner, si vous nous suivez, les autres moyens soulevés par M. X. dans sa demande de première instance, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.

Au regard des termes de la décision, que nous avons énoncés, l’arrêté de reconduite à la frontière était suffisamment motivé.

M. C., secrétaire général adjoint, disposait d’une délégation de signature à l’effet de signer l’arrêté litigieux par arrêté du 5 juin 2013 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l’Isère.

L’arrêté de reconduite à la frontière n’étant pas fondé, ainsi qu’il a été dit, sur l’existence d’un signalement de non-admission Schengen émanant de la Suisse, l’absence de remise d’une telle fiche est sans incidence, en tout état de cause, sur la légalité de l’arrêté.

M. X. conteste ensuite le bien-fondé de la décision. Vous exercez un contrôle normal sur le fait de savoir si une menace pour l’ordre public justifie une mesure de reconduite à la frontière (voyez dans l’ancienne rédaction du texte, CE, 7 octobre 1996, Préfet de police, n° 177082 et pour l’application des nouvelles dispositions CAA Paris, 10 avril 2015, Préfet de police N° 14PA02099 ; CAA Douai, 30 septembre 2014, Préfet de la Somme N° 13DA01578) .

Le dossier, sur ce point, est extrêmement peu fourni, le préfet se bornant à renvoyer au jugement condamnant M. X. pour le délit de détention et transport de marchandise réputée importée en contrebande, sans que vous ne disposiez de précision sur la nature précise des faits reprochés à ce dernier. Mais, vous pourrez noter que le délit a été commis très peu de temps après l’arrivée en France de M. X. et que ce dernier, qui résidait irrégulièrement en France, a fait l’objet d’une condamnation lourde.

La situation des personnes entrant dans le champ des dispositions de l’article L533-1 du CESEDA ne peut être comparée à celle de ceux des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’expulsion dès lors d’une part que cette dernière mesure vise des étrangers en situation régulière, et que le recours à une telle mesure est subordonné, en vertu des dispositions de l’article L521-1 du CESEDA, à l’existence d’une menace grave pour l’ordre public.

Ont été regardés comme représentant une menace pour l’ordre public justifiant la mesure de reconduite à la frontière une personne condamnée pour des vols en réunion (CAA Douai, 30 septembre 2014 précité ; CAA Paris, 31 décembre 2013, N° 13PA02301), ainsi qu’une personne condamnée pour cession, détention et acquisition non autorisées de stupéfiants, usage illicite de stupéfiants et outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (CAA Paris, 22 avril 2013, Préfet de police, N° 12PA04334) .

Dans ces conditions, le préfet du Rhône ne nous semble avoir entaché sa décision d’aucune erreur d’appréciation.

M. X. ne soulève qu’un moyen à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, tiré du défaut de motivation de ladite décision, que vous pourrez écarter comme manquant en fait.

La décision de placement en rétention administrative nous paraît également suffisamment motivée en droit par le visa des dispositions applicables et en fait.

M. X. étant dépourvu de domicile en France à sa sortie de prison ne présentait pas de garantie de représentations suffisantes propres à prévenir un risque de fuite, ce qui justifiait qu’il ait été placé en rétention administrative.

Le préfet de l’Isère a enfin assorti sa décision de reconduite à la frontière d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trois années.

Vous avez informé les parties, par lettre en date du 27 avril dernier, de ce que vous étiez susceptible de fonder votre décision sur un moyen relevé d’office, tiré de la méconnaissance par cette décision du champ d’application du III de l’article L511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Aux termes de ces dispositions « L’autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l’obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. ».

Ces dispositions ne prévoient pas que les arrêtés de reconduite à la frontière puissent être assortis d’une telle interdiction. Cette absence semble commandée par l’origine des dispositions prévoyant pour l’administration la possibilité de prendre une interdiction de retour, qui résultent de la transposition, par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, dont l’article 11 est consacré aux « interdictions d’entrée ».

Or, dans son avis n° 360317 du 10 octobre 2012, Préfet du Val d’Oise, le CE a précisé que les décisions de reconduite à la frontière prises sur le fondement de l’article L533-1 du CESEDA ne relèvent pas de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, alors même qu’elles peuvent légalement intervenir à l’encontre d’étrangers en situation irrégulière, dès lors que le motif qui fonde ces décisions n’est pas l’irrégularité du séjour des intéressés (et d’ailleurs les mesures de reconduite à la frontière peuvent aussi être prises à l’encontre d’étrangers résidant régulièrement en France depuis moins de trois mois) .

Le dernier alinéa de l’article L533-1 du CESEDA précise les articles du code applicables aux mesures prises en application de l’article, sans renvoyer aux dispositions sur les interdictions de retour.

Il ne paraît par ailleurs pas possible, dans ces conditions, de solliciter l’intention du législateur comme le CE l’a fait en matière de procédure applicable lorsqu’un étranger qui a fait l’objet d’une reconduite à la frontière est placé en rétention ou assigné à résidence, alors que le texte ne prévoit pas expressément que la procédure spécifique prévue par les dispositions du III de l’article L512-1 du CESEDA s’applique dans ce cas de figure (CE, Avis du 29 octobre 2012, N° 360584) .

Ainsi, aucune interdiction de retour ne peut assortir une mesure de reconduite à la frontière. Si une telle situation peut paraître paradoxale dès lors que la mesure de reconduite à la frontière est justifiée par une menace à l’ordre public, critère précisément pris en compte pour décider du principe et de la durée des interdictions de retour, elle est commandée, nous l’avons dit, par la lettre même des textes. Il appartenait au préfet de l’Isère, s’il souhaitait assortir sa mesure d’éloignement d’une telle interdiction, de prendre à l’encontre de M. X. une obligation de quitter le territoire français.

Vous annulerez donc si vous nous suivez la décision d’interdiction de retour, laquelle est dépourvue de base légale. Ainsi l’a déjà jugé le TA Strasbourg, après qu’il eut procédé à une substitution de base légale qui était en fait une substitution de décision, dans un jugement de plénière classé en R du 18 juillet 2014, Mme T. N° 1401370.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon, en tant qu’il a annulé les décisions du 16 octobre 2013 par lesquelles le préfet de l’Isère a ordonné sa reconduite à la frontière, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en rétention administrative, au rejet des conclusions de M. X. tendant à l’annulation de ces décisions ainsi qu’au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Droits d'auteur

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La décision de reconduite à la frontière ne peut être assortie d’une interdiction de retour

Christelle Palluel

Docteure en droit public à l’Université Lumière Lyon 2

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DOI : 10.35562/alyoda.6214

En matière de droit des étrangers, le législateur s’est vu dans l’obligation ces dernières années de mettre les textes et procédures en conformité avec plusieurs directives européennes, notamment la directive « retour ». N’étant pas destinée à éloigner des personnes étrangères en séjour irrégulier, la décision de reconduite à la frontière échappe au champ d’application de cette directive. Dès lors, cette mesure ne peut être assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français.

La Cour administrative d’appel de Lyon a été saisie par la préfecture de l’Isère suite à une décision du Tribunal administratif de Lyon annulant la mesure de reconduite à la frontière prononcée à l’encontre de M. B., ressortissant albanais, entré sur le territoire français en avril 2013. Interpellé pour détention et transport de marchandise réputée importée en contrebande, il est condamné par le tribunal correctionnel de Valence à six mois de prison. A sa levée d’écrou, le 17 octobre 2013, le préfet de l’Isère lui notifie une décision de reconduite à la frontière sur le fondement de l’article L.533-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA), fixe l’Albanie comme pays de destination et assortit sa décision d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trois ans. Un arrêté préfectoral de placement en rétention lui est également notifié. Depuis le centre de rétention administrative (CRA), M. B conteste ces décisions devant le Tribunal administratif de Lyon. Le 21 octobre 2013, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif annule ces décisions considérant que le préfet de l’Isère a entaché sa décision d’une erreur de droit en n’ayant pas apprécié si le comportement de M. B représentait une menace pour l’ordre public. L’interdiction de retour et la décision de placement en rétention sont en conséquence annulées.

Les juges de la Cour administrative d’appel de Lyon ont estimé que l’arrêté de reconduite du préfet de l’Isère était régulièrement motivé en droit et en fait et que c’est donc à tort que le premier juge avait annulé la mesure d’éloignement. Au vu de la jurisprudence sur la question, cette position peut sembler discutable (1). Toutefois, l’intérêt principal de cet arrêt tient surtout au moyen relevé d’office par la Cour, tiré de la méconnaissance par le préfet du champ d’application du III de l’article L.511-1 du CESEDA. Alors même que la décision de reconduite à la frontière de l’article L.533-1 est fondée sur la menace à l’ordre public, celle-ci ne pourrait être assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français. La situation semble d’autant plus paradoxale que la menace à l’ordre public figure au nombre des quatre critères à prendre en compte pour le prononcé d’une interdiction de retour. Il convient dès lors de s’arrêter précisément sur les dispositions relatives à la reconduite à la frontière et à l’interdiction de retour pour appréhender la solution des juges d’appel (2).

1.Appréciation du comportement constituant une menace pour l’ordre public : une solution discutable

« Survivance » de la procédure de reconduite à la frontière telle qu’elle existait avant la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (JORF 17 juin), l’administration dispose de la possibilité de prendre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sur le fondement de l’article L.533-1 du CESEDA selon lequel un étranger peut être reconduit à la frontière « si son comportement constitue une menace pour l’ordre public ». Cette menace s’apprécie au regard de la commission de faits passibles de poursuites pénales sur le fondement de plusieurs dispositions du code pénal. L’article L.533-1 renvoie ainsi à l’article L.313-5 du CESEDA qui prévoit les hypothèses de retrait de la carte de séjour temporaire à l'étranger passible de poursuites pénales : stupéfiants, traite des êtres humains, proxénétisme… L’article L.533-1 mentionne spécifiquement une série d’autres infractions : vol en réunion avec violence, enlèvement, séquestration… cette liste n’étant pas exhaustive (CAA Nancy, 1re chambre, 19 févr. 2015, n° 14NC01481) . La reconduite à la frontière de l’article L.533-1, qui vise également l’étranger ayant « méconnu l’article L.5221-5 du code du travail » (exercice d’une activité professionnelle sans autorisation) ne concerne que les étrangers présents en France depuis moins de trois mois qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière (CAA Paris, 10e ch., 12 novembre 2013, n° 11PA04499) .

Le recours à la notion de menace pour l’ordre public est strictement encadré. La menace doit ainsi s’apprécier indépendamment de l’existence de condamnations pénales, tant pour le Conseil d’Etat (CE, 24 janvier 1994, n° 127546) que pour la Cour de Justice de l’Union européenne : « le recours par une autorité nationale à la notion d’ordre public suppose, en tout cas, l’existence, en dehors de tout trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société » (CJUE, 27 octobre 1977, Régina c/ Pierre Bouchereau, Aff. 30/77, point 35) . Ainsi, même si la personne étrangère a fait l’objet de condamnations pénales, il n’en demeure pas moins que l’administration doit motiver sa décision en appréciant la réalité et l’actualité de la menace à l’ordre public. Une condamnation pénale n’emporte donc pas, à tout le moins en théorie, le prononcé automatique d’une mesure de reconduite à la frontière (CE, 21 janvier 1977, n° 01333, et pour une application récente, voir CAA Nantes, 4ème chambre, 14 mai 2012, n° 11NT00606) . A contrario, l’administration peut prendre un arrêté de reconduite à la frontière pour une personne n’ayant pas fait l’objet de condamnations pénales si la menace à l’ordre public est néanmoins avérée (CAA Lyon, 1ère chambre, 8 juillet 2008, n° 07LY01551 ou encore CAA Douai, 3e chambre, 28 juin 2012, n° 11DA01838) .

Dans son arrêté, le préfet de l’Isère se réfère à la condamnation de M. B. à six mois d’emprisonnement pour un délit de détention et de transport de marchandise réputée importée en contrebande. Après audition de l’intéressé en maison d’arrêt par les services de police pour aborder sa situation familiale, ses conditions de séjour en France et ses intentions, le préfet en a déduit que le comportement de l’intéressé représentait une menace pour l’ordre public. Si le magistrat du Tribunal administratif a estimé qu’en se bornant à relever les faits pour lesquels l’intéressé avait été pénalement condamné sans apprécier si son comportement pouvait être regardé comme constituant une menace pour l’ordre public, le préfet avait entaché sa mesure d’une erreur de droit, les juges de la Cour administrative d’appel considèrent qu’en citant « les faits à l’origine de cette condamnation, [le préfet] ne peut pas être regardé comme ayant commis une erreur de droit ». Il en est donc conclu que c’est à tort que le premier juge a annulé la décision de reconduite. Cette solution apparaît cependant discutable. En effet, si le préfet n’a pas « uniquement visé dans son arrêté la condamnation pénale prononcée à l'encontre de M. B...mais a également cité les faits à l'origine de cette condamnation », le simple fait de citer les faits à l’origine de la condamnation, sans plus apprécier si ceux-ci sont constitutifs d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt de la société, ne semble pas répondre aux exigences de motivation établies tant par le CE que par la CJUE.

Au-delà de la question de l’appréciation de la menace à l’ordre public, le principal intérêt de cet arrêt tient à l’annulation de l’interdiction de retour sur le territoire français pour défaut de base légale.

2.« Survivance » d’un arrêté de reconduite hors du champ de la directive « retour »

Alors même que la décision de reconduite à la frontière de l’article L.533-1 est fondée sur la menace à l’ordre public, menace établie, en l’espèce, selon les juges d’appel, la mesure d’interdiction de retour sur le territoire français se voit, quant à elle, censurée. La situation semble d’autant plus paradoxale que l’ordre public fait partie des quatre critères cumulatifs énoncés à l’article L.511-1 III dont l’administration doit tenir compte lors du prononcé d’une interdiction de retour : durée de présence de l'étranger sur le territoire français, nature et ancienneté de ses liens avec la France, circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et, enfin, menace pour l'ordre public que représente sa présence (CE, avis, 12 mars 2012, n° 354165) .

Le dernier alinéa de l’article L.533-1 opère des renvois vers plusieurs dispositions du CESEDA. Premièrement, l’article L.511-4 qui prévoit la liste des personnes protégées d’un éloignement, trouve à s’appliquer. Deuxièmement, les articles L.512-1 à L.512-3 ainsi que le 1er alinéa du L512-4 sont visés, ils concernent la procédure contentieuse spécifique aux mesures d’éloignement : délai de recours, garanties procédurales... Le pays de destination est fixé selon les règles des articles L.513-2 et L.513-3. Un renvoi est également fait au 1er alinéa de l’article L.513-1 qui prévoit que la mesure d’éloignement « qui n'a pas été contestée devant le président du tribunal administratif dans le délai prévu (…) ou qui n'a pas fait l'objet d'une annulation, peut être exécutée d'office ». Les articles L.514-1 et 2 relatifs aux spécificités propres à l’Outre-mer sont également applicables. Enfin, la personne faisant l’objet d’une mesure prise sur le fondement de l’article L.533-1 peut faire l’objet de la mesure d’assignation à résidence prévue à l’article L.561-1. Le placement en rétention administrative (CRA), dont M. B. fait l’objet en l’espèce, n’est pas visé ici mais l’article L.551-1 qui énumère les cas dans lesquels une personne peut se voir placée en CRA prévoit dans son 5ème alinéa que l’étranger faisant « l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant en application de l'article L. 533-1 » peut être placé en rétention.

On constate donc que l’article L.533-1 ne fait aucun renvoi au III de l’article L.511-1 du CESEDA qui régit l’interdiction de retour sur le territoire français : « L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ». Cette disposition, issue de la loi du 16 juin 2011, est venue transposer l’article 11 de la directive Dir. 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour ». Or, il résulte clairement des dispositions de cette directive, que celle-ci n'est applicable qu'aux décisions de retour qui sont prises par les États membres au motif que la personne étrangère est en situation de séjour irrégulier. En revanche, la directive n'a pas vocation à s’appliquer aux procédures d'éloignement fondées sur d’autres motifs que le séjour irrégulier, à l’instar de la menace à l'ordre public ou le travail sans autorisation. La reconduite à la frontière de l’article L533-1, peut intervenir à l’encontre de personnes étrangères en séjour irrégulier, mais le motif qui fonde la décision commentée n’est pas le séjour irrégulier de l’intéressé. Dès lors, l’arrêté de reconduite à la frontière se situe donc hors du champ de la directive « retour » (CE, avis, 10 octobre 2012, Préfet du Val-d'Oise, no 360317: Lebon T. 630, 631, 638, 792; AJDA 2012. 1926). Ainsi, l’administration ne peut assortir cette mesure ni d’un délai de départ volontaire (CAA Paris, 10e chambre, 12 novembre 2013, n° 11PA04499), ni d’une interdiction de retour. L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit donc dans la continuité de la jurisprudence relative à la question en respectant la lettre des textes.

Pour conclure, il convient de noter que la peine de 6 mois d’emprisonnement prononcée à l’encontre de M. B. aurait pu être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction judiciaire du territoire français, l’infraction poursuivie étant au nombre de celles pour lesquelles une telle peine peut être prononcée. Cela n’ayant pas été le cas, le préfet de l’Isère aurait pu prendre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire sur le fondement de l’article L.511-1 II 1° du CESEDA (« l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ») lequel aurait alors pu être assorti d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée pouvant aller jusqu’à trois ans.

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