M. X., de nationalité albanaise, est entré en France en avril 2013. Il a fait l’objet d’une condamnation le 12 juillet suivant à six mois d’emprisonnement. A sa sortie de prison, le 17 octobre 2013, le préfet de l’Isère a pris à son encontre une mesure de reconduite à la frontière, prise sur le fondement de l’article L533-1 du CESEDA, mesure assortie d’une interdiction de retour pour une durée de trois années.
Par jugement du 21 octobre 2013, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions, estimant que le préfet de l’Isère avait entaché l’arrêté de reconduite à la frontière d’une erreur de droit, n’ayant pas apprécié si le comportement de M. X. pouvait être regardé comme constituant une menace pour l’ordre public.
Il nous semble que vous pourrez censurer le motif ainsi retenu.
Le préfet de l’Isère, pour prendre sa décision, a visé le 1° de l’article L533-1 du CESEDA, qui autorise l’autorité administrative à prendre une reconduite à la frontière si le comportement de l’étranger représente une menace pour l’ordre public, cette menace pouvant s’apprécier au regard de la commission des faits passibles de poursuites pénales sur le fondement des articles du code pénal cités au premier alinéa de l’article L313-5 du code.
Il a rappelé que M. X. a été interpellé dans le cadre d’un délit de détention et transport de marchandise réputée importée en contrebande et condamné par le Tribunal de Grande Instance de Valence le 12 juillet 2013 à une peine de six mois de détention. Le préfet conclut « qu’au vu de l’article L533-1 premier alinéa le comportement de l’intéressé représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave ».
Le préfet de l’Isère, qui ne s’est pas senti lié par cette condamnation, nous paraît ainsi avoir apprécié le comportement de M. X. et la menace qu’il faisait peser sur l’ordre public, au regard des faits pour lesquels il a été condamné, sans avoir commis d’erreur de droit.
Après avoir censuré le motif ainsi retenu, vous devrez examiner, si vous nous suivez, les autres moyens soulevés par M. X. dans sa demande de première instance, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.
Au regard des termes de la décision, que nous avons énoncés, l’arrêté de reconduite à la frontière était suffisamment motivé.
M. C., secrétaire général adjoint, disposait d’une délégation de signature à l’effet de signer l’arrêté litigieux par arrêté du 5 juin 2013 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l’Isère.
L’arrêté de reconduite à la frontière n’étant pas fondé, ainsi qu’il a été dit, sur l’existence d’un signalement de non-admission Schengen émanant de la Suisse, l’absence de remise d’une telle fiche est sans incidence, en tout état de cause, sur la légalité de l’arrêté.
M. X. conteste ensuite le bien-fondé de la décision. Vous exercez un contrôle normal sur le fait de savoir si une menace pour l’ordre public justifie une mesure de reconduite à la frontière (voyez dans l’ancienne rédaction du texte, CE, 7 octobre 1996, Préfet de police, n° 177082 et pour l’application des nouvelles dispositions CAA Paris, 10 avril 2015, Préfet de police N° 14PA02099 ; CAA Douai, 30 septembre 2014, Préfet de la Somme N° 13DA01578) .
Le dossier, sur ce point, est extrêmement peu fourni, le préfet se bornant à renvoyer au jugement condamnant M. X. pour le délit de détention et transport de marchandise réputée importée en contrebande, sans que vous ne disposiez de précision sur la nature précise des faits reprochés à ce dernier. Mais, vous pourrez noter que le délit a été commis très peu de temps après l’arrivée en France de M. X. et que ce dernier, qui résidait irrégulièrement en France, a fait l’objet d’une condamnation lourde.
La situation des personnes entrant dans le champ des dispositions de l’article L533-1 du CESEDA ne peut être comparée à celle de ceux des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’expulsion dès lors d’une part que cette dernière mesure vise des étrangers en situation régulière, et que le recours à une telle mesure est subordonné, en vertu des dispositions de l’article L521-1 du CESEDA, à l’existence d’une menace grave pour l’ordre public.
Ont été regardés comme représentant une menace pour l’ordre public justifiant la mesure de reconduite à la frontière une personne condamnée pour des vols en réunion (CAA Douai, 30 septembre 2014 précité ; CAA Paris, 31 décembre 2013, N° 13PA02301), ainsi qu’une personne condamnée pour cession, détention et acquisition non autorisées de stupéfiants, usage illicite de stupéfiants et outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (CAA Paris, 22 avril 2013, Préfet de police, N° 12PA04334) .
Dans ces conditions, le préfet du Rhône ne nous semble avoir entaché sa décision d’aucune erreur d’appréciation.
M. X. ne soulève qu’un moyen à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, tiré du défaut de motivation de ladite décision, que vous pourrez écarter comme manquant en fait.
La décision de placement en rétention administrative nous paraît également suffisamment motivée en droit par le visa des dispositions applicables et en fait.
M. X. étant dépourvu de domicile en France à sa sortie de prison ne présentait pas de garantie de représentations suffisantes propres à prévenir un risque de fuite, ce qui justifiait qu’il ait été placé en rétention administrative.
Le préfet de l’Isère a enfin assorti sa décision de reconduite à la frontière d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trois années.
Vous avez informé les parties, par lettre en date du 27 avril dernier, de ce que vous étiez susceptible de fonder votre décision sur un moyen relevé d’office, tiré de la méconnaissance par cette décision du champ d’application du III de l’article L511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Aux termes de ces dispositions « L’autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l’obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. ».
Ces dispositions ne prévoient pas que les arrêtés de reconduite à la frontière puissent être assortis d’une telle interdiction. Cette absence semble commandée par l’origine des dispositions prévoyant pour l’administration la possibilité de prendre une interdiction de retour, qui résultent de la transposition, par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, dont l’article 11 est consacré aux « interdictions d’entrée ».
Or, dans son avis n° 360317 du 10 octobre 2012, Préfet du Val d’Oise, le CE a précisé que les décisions de reconduite à la frontière prises sur le fondement de l’article L533-1 du CESEDA ne relèvent pas de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, alors même qu’elles peuvent légalement intervenir à l’encontre d’étrangers en situation irrégulière, dès lors que le motif qui fonde ces décisions n’est pas l’irrégularité du séjour des intéressés (et d’ailleurs les mesures de reconduite à la frontière peuvent aussi être prises à l’encontre d’étrangers résidant régulièrement en France depuis moins de trois mois) .
Le dernier alinéa de l’article L533-1 du CESEDA précise les articles du code applicables aux mesures prises en application de l’article, sans renvoyer aux dispositions sur les interdictions de retour.
Il ne paraît par ailleurs pas possible, dans ces conditions, de solliciter l’intention du législateur comme le CE l’a fait en matière de procédure applicable lorsqu’un étranger qui a fait l’objet d’une reconduite à la frontière est placé en rétention ou assigné à résidence, alors que le texte ne prévoit pas expressément que la procédure spécifique prévue par les dispositions du III de l’article L512-1 du CESEDA s’applique dans ce cas de figure (CE, Avis du 29 octobre 2012, N° 360584) .
Ainsi, aucune interdiction de retour ne peut assortir une mesure de reconduite à la frontière. Si une telle situation peut paraître paradoxale dès lors que la mesure de reconduite à la frontière est justifiée par une menace à l’ordre public, critère précisément pris en compte pour décider du principe et de la durée des interdictions de retour, elle est commandée, nous l’avons dit, par la lettre même des textes. Il appartenait au préfet de l’Isère, s’il souhaitait assortir sa mesure d’éloignement d’une telle interdiction, de prendre à l’encontre de M. X. une obligation de quitter le territoire français.
Vous annulerez donc si vous nous suivez la décision d’interdiction de retour, laquelle est dépourvue de base légale. Ainsi l’a déjà jugé le TA Strasbourg, après qu’il eut procédé à une substitution de base légale qui était en fait une substitution de décision, dans un jugement de plénière classé en R du 18 juillet 2014, Mme T. N° 1401370.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon, en tant qu’il a annulé les décisions du 16 octobre 2013 par lesquelles le préfet de l’Isère a ordonné sa reconduite à la frontière, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en rétention administrative, au rejet des conclusions de M. X. tendant à l’annulation de ces décisions ainsi qu’au rejet du surplus des conclusions de la requête.