Les deux affaires n° 24LY01480 et n° 24LY02692 présentent à juger des questions similaires impliquant des conclusions communes.
M.V. et M.W. sont des salariés protégés, respectivement au sein de la société Galien LPS en qualité de directeur général, étant aussi directeur général de la société Laboratoire Macors faisant partie du groupe Galien, et de titulaire d’un mandat de conseiller prud’hommal au conseil des prud’hommes de Nevers (collège employeur de la section industrie) et au sein de la société Naver France en qualité de contrôleur de gestion et de responsable des services généraux du centre de recherche « Naver Labs Europe » situé à Meylan et de délégué syndical et membre titulaire du comité social et économique.
Par courrier du 8 juillet 2021, la société Naver France a, après avoir demandé une autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle et s’être heurtée à un refus non contesté de l’inspectrice du travail le 12 février 2021, a, par courrier du 8 juillet 2021, demandé à l’inspection du travail l’autorisation de licencier M.W. pour motif disciplinaire.
Par un courrier du 17 février 2022, reçu le 21 février 2022, la société Galien LPS a sollicité l’autorisation de procéder au licenciement de M.V. pour motif disciplinaire.
Par une décision du 17 septembre 2021, l’inspectrice du travail a refusé l’autorisation demandée concernant M.W. au motif que les faits ne sont pas matériellement établis (page 975 du DPI). Saisie sur recours hiérarchique du 29 octobre 2021, formé par la société Naver France, notifié le 2 novembre 2021, la ministre chargée du travail a, par une décision du 8 avril 2022, retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 3 mars 2022, annulé la décision de l’inspectrice du travail et autorisé le licenciement de M.W..
Par une décision du 15 avril 2022, l’inspectrice du travail de la 4ème section de l’unité de contrôle n°1 de la direction départementale de la Nièvre a autorisé le licenciement de M.V..
M.W. et M.V. ont respectivement demandé au tribunal administratif de Grenoble et de Dijon l’annulation des décisions précitées du 8 avril 2022 et du 15 avril 2022 autorisant leur licenciement (et, pour la première, retirant la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Naver France et annulant la décision de l’inspectrice du travail du 17 septembre 2021 ayant refusé l’autorisation).
Par des jugements du 21 mars 2024 concernant M.V. et du 22 juillet 2024 concernant M.W., les tribunaux administratifs de Dijon et Grenoble ont fait droit à leur demande.
Les sociétés Galien LPS et Naver France relèvent appel de ces jugements dans respectivement les affaires 24LY01480 et 24LY02692.
S’agissant de la régularité du jugement du 22 juillet 2024 concernant M.W. (dossier n° 24LY02692)
Contrairement à ce que soutient la société Naver France, le jugement attaqué, qui n’était pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments des parties, est suffisamment motivé concernant le moyen accueilli et sa minute est signée conformément aux exigences de l’article R. 741-7 du code de justice administrative.
S’agissant du bien-fondé des jugements attaqués
Les sociétés Galien LPS et Naver France soutiennent que c’est à tort que les premiers juges ont annulé les décisions contestées au motif que l’administration du travail ne pouvait, postérieurement à l’avis du médecin du travail ayant déclaré M.V. et M.W. inapte à leur poste, autoriser leur licenciement pour un motif disciplinaire.
Lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail, l’inspecteur du travail ne peut, en principe, postérieurement à cet avis, autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude.
Voyez CE, 12 avril 2023, Société L'Anneau, n° 458974, aux tables du recueil Lebon, rappelant que dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l’entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elle, d’y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
Le Conseil d’Etat a ensuite indiqué que lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail, l’inspecteur du travail ne peut, en principe, postérieurement à cet avis, autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude.
Dans cette affaire, l’employeur avait sollicité le licenciement pour faute grave d’un salarié protégé déclaré inapte. La cour administrative d’appel avait jugé que l’intéressé ne pouvait faire l’objet d’un licenciement pour faute postérieurement à l’avis d’inaptitude. Le salarié avait toutefois refusé de se rendre aux convocations que son employeur lui avait adressées en vue de son reclassement. Le Conseil d’Etat juge qu’en omettant de rechercher si, par un tel comportement, la salariée n’avait pas mis son employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement, de sorte que, dans de ces circonstances particulières, il avait pu légalement envisager de licencier la salariée pour un autre motif que l’inaptitude tel un motif disciplinaire, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit.
Le Conseil d’Etat dégage ainsi une exception au principe qui veut que le licenciement d’un salarié déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail ne peut intervenir pour un motif autre que l’inaptitude, celui spécifique du comportement du salarié mettant l’employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement.
Dans ses conclusions sur cette affaire, Jean-François de Montgolfier, rapporteur public, rappelle que la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, jugé que lorsque le salarié a été déclaré inapte, l’employeur ne peut licencier le salarié pour un autre motif que l’inaptitude (notamment Cour de cassation, civile, Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-14.983, Bull. 2017, V, n° 223, interdisant un licenciement pour faute). Elle a jugé plus récemment qu’il « résulte des dispositions d’ordre public des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur ne peut prononcer un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu important qu’il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause » (Cour de cassation, civile, Soc., 8 février 2023, pourvoi n° 21-16.258, Bull.).
Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Jean-François de Montgolfier souligne que « l’obligation faite à l’employeur de licencier pour un motif d’inaptitude le salarié reconnu inapte nous paraît la seule façon de contraindre l’employeur à s’acquitter de son obligation de recherche le reclassement » et que « L’obligation de licencier pour inaptitude le salarié déclaré inapte est ainsi la conséquence nécessaire de l’obligation de recherche de reclassement qui pèse sur l’employeur. Toutefois la justification de la règle (garantir la recherche de reclassement) explique les exceptions que la Cour de cassation a reconnues au principe d’interdiction de licencier le salarié déclaré inapte pour une un autre motif que l’inaptitude ».
Ces exceptions sont prévues lorsque la recherche de reclassement n’aurait pas de sens.
Il en va ainsi, pour le licenciement économique lorsque l’entreprise, qui n’appartient à aucun groupe, a cessé toute activité, ce dont il se déduisait, juge la Cour de cassation, l’impossibilité de reclassement du salarié déclaré inapte (Cour de cassation, civile, Soc., 9 décembre 2014, 13-12.535, Bull. 2014, V, n° 280 ; Soc., 4 octobre 2017, 16-16.441, Bull. 2017, V, n° 168 ; Soc., 15 septembre 2021, 19-25.613).
La Cour de cassation l’a aussi jugé en matière de licenciement pour faute même si sa jurisprudence n’est pas publiée sur ce point. Elle a jugé que lorsque l’employeur se heurte, dans le cadre de la recherche de reclassement du salarié déclaré inapte, à une attitude de ce dernier qui fait obstacle à la recherche de reclassement, le licenciement pour faute est possible. Elle l’a jugé par exemple pour un salarié parti pour un long séjour à l’étranger et qui se soustrayait ainsi aux convocation destinées à examiner les possibilités de reclassement (Cour de cassation, civile, Soc., 22 juin 2011, Polyclinique de Grande Synthe, 10-30.415) ou pour un salarié qui, par son refus de déférer aux convocations « avait mis l’employeur dans l’impossibilité d’appliquer les règles relatives au licenciement pour inaptitude » (Cour de cassation, civile, Soc., 16 mars 2016, OPH Montreuillois, 14-21.304). Il s’agit là en réalité à la fois de l’application de l’exception de formalité impossible et du rappel de l’obligation, dont le salarié déclaré inapte n’est pas libéré, d’exécuter le contrat de travail de bonne foi.
Dans cette affaire du 22 juin 2011, le refus réitéré du salarié déclaré inapte à son poste de travail de se rendre aux convocations de l’employeur à des visites médicales destinées à rechercher un poste de reclassement est constitutif d’une faute grave. Comme le souligne la chambre sociale comme le commentaire sous cet arrêt, le salarié pendant cette période de recherche de reclassement était soumis au pouvoir de direction de l’employeur, devait se tenir à sa disposition et déférer à toute convocation. Or il s’était délibérément soustrait aux convocations faisant sciemment obstacle à la recherche d’un poste approprié à ses capacités. Ce manquement réitéré à ses obligations contractuelles rendait impossible son maintien dans l’entreprise et constitue une faute grave.” Dans l’affaire du 16 mars 2016, la cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir considéré que le salarié qui refusait de se soumettre à la seconde visite médicale, à l’issue de laquelle seulement l’inaptitude peut être considérée comme définitive sauf danger immédiat du maintien du salarié à son poste de travail ou visite de pré-reprise dans les 30 jours précédant l’examen par le médecin du travail “avait mis l'employeur dans l'impossibilité d'appliquer les règles relatives au licenciement pour inaptitude médicale et volontairement fait obstacle à la recherche d'un poste de reclassement, elle a, sans modifier l'objet du litige, pu en déduire l'existence d'une faute grave”.
Suite à cette décision du Conseil d’Etat qui lui a renvoyé l’affaire, la CAA de Paris, après avoir rappelé le principe que lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail, l’inspecteur du travail ne peut postérieurement à cet avis, autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, a ajouter que toutefois lorsque le salarié met l’employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement, il incombe à l’administration, sous le contrôle de juge, de rechercher si l’employeur a pu légalement envisager de licencier le salarié pour un autre motif que l’inaptitude, tel un motif disciplinaire.
La cour a jugé que si les refus de la salariée concernée de se rendre aux convocations de son employeur n’étaient pas, en eux-mêmes, de nature à faire obstacle à la poursuite des recherches de postes disponibles à la date de sa réintégration et compatibles avec l’avis d’inaptitude médicale, en revanche, en s’abstenant de répondre à la demande de ce dernier de choisir l’un ou l’autre de ses employeurs et même de répondre à toute demande de clarification sur sa situation au regard de l’article L. 8261-1 du code du travail, ladite salariée, qui n’a pas indiqué à son employeur sa décision de poursuivre l’exécution de son contrat de travail au sein de la société, a mis son employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement. Par suite, ce dernier était fondé à demander à l’inspecteur du travail le licenciement de la salariée pour un autre motif que son inaptitude. Voyez CAA Paris, 20 octobre 2023, Société L’anneau, n° 23PA01581.
Il s’agissait dans cette affaire d’une attitude d’une salariée, déclarée définitivement inapte à son poste de travail par le médecin du travail, mettant l’employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement, lequel avait alors sollicité de l’inspection du travail l’autorisation de la licencier pour faute. Autrement dit, l’employeur avait, postérieurement à un avis d’inaptitude définitive à son poste de travail émis par le médecin du travail concernant cette salariée et antérieurement l’engagement de la procédure de licenciement et à sa demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, engagé des démarches pour mettre en œuvre l’obligation de reclassement, suite à un précédent licenciement pour inaptitude annulé par le conseil de prud’hommes faute pour l’employeur d’avoir sollicité une autorisation administrative de licenciement, mais s’était heurté à une attitude de ladite salariée le mettant dans l’impossibilité de s’acquitter de cette obligation.
En l’espèce, les autorisations de licenciement pour motif disciplinaire litigieuses font suite :
- pour M.W., à un avis d’inaptitude du médecin du travail du 6 décembre 2021 ayant conclu à son inaptitude à son poste au sein du centre de recherche Naver Labs Europe en précisant qu’il serait apte au même type de poste dans un autre environnement professionnel.
- pour M.V., à un avis d’inaptitude du médecin du travail du 28 février 2022 ayant conclu à son inaptitude définitive à son poste de directeur général et indiqué que tout maintien de l’intéressé dans un emploi au sein du groupe serait gravement préjudiciable à sa santé et que « son état de santé ne permet pas de proposer un reclassement au sein de l’entreprise Galien LPS ni un autre établissement du groupe ».
Or, suite à ces avis, l’administration du travail ne pouvait, en principe, autoriser le licenciement de M.W. et M.V. pour un motif autre que l’inaptitude, ce qui implique qu’elle devait en principe refuser d’autoriser leur licenciement pour un motif disciplinaire, étant rappelé qu’elle ne peut autoriser le licenciement d’un salarié protégé pour un motif distinct de celui invoqué par l’employeur à l’appui de sa demande (CAA Paris, 24 octobre 2019, n° 18PA02375, point 8).
Comme l’ont relevé les premiers juges, la circonstance que la procédure disciplinaire ait été engagée préalablement à l’avis d’inaptitude ou même à la procédure d’inaptitude mise en œuvre par le salarié auprès de la médecine du travail, que l’entretien préalable ait été fixé à une date également antérieure à cet avis et que la demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire soit elle-même antérieure sont, à cet égard, sans incidence.
En effet, le principe retenu par la jurisprudence société l’Anneau du Conseil d’Etat n’est pas conditionnée à ce que l’avis d’inaptitude soit antérieur à l’engagement de la procédure de licenciement. Rappelons que cette jurisprudence vise à transposer au contentieux administratif du travail une solution dégagée par la Cour de cassation pour le contentieux privé du travail, (Cour de cassation, civile, Soc., 8 février 2023, pourvoi 21-16.258, publié au Bulletin, relevant qu’il est peu important qu’il ait engagé antérieurement à l’avis d’inaptitude une procédure de licenciement pour une autre cause ; voyez aussi Cour de cassation, civile, Soc., 13 avril 2023, 21-10.897, inédit).
La circonstance que les salariés protégés sont soumis à une autorisation administrative de licenciement permettant à l’administration du travail de vérifier qu’il n’y a pas eu un contournement de l’obligation de reclassement n’est pas de nature à remettre en cause cette impossibilité de principe d’autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude un salarié déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail.
Rappelons que saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, lequel n’est pas soumis à une telle obligation, il appartient à l’inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi (voyez dernièrement : CE, 7 octobre 2022, Société Club Med, 450492, aux tables du recueil Lebon).
Si la société Naver France fait valoir que dès lors que la procédure de licenciement a été engagée avant le constat de l’inaptitude du salarié et que le licenciement est soumis à l’autorisation de l’inspection du travail, le risque de contournement par l’employeur de ses obligations de reclassement des salariés inaptes n’existe pas, l’avis d’inaptitude a pour effet d’imposer en principe à l’employeur d’engager une procédure de licenciement pour ce motif et de mettre en œuvre une démarche de reclassement, sauf si la mise en œuvre de l’obligation de reclassement s’avère impossible ou est dépourvue d’objet ou dénuée de sens pour reprendre l’expression de Jean-François de Montgolfier ou a déjà été mise en œuvre.
Le risque qu’un salarié protégé, qui fait l’objet d’une procédure de licenciement pour motif disciplinaire, décide d’engager une procédure d’inaptitude pour faire obstacle à son licenciement pour motif disciplinaire, s’il peut exister, ne saurait faire obstacle par principe à la prédominance du licenciement pour inaptitude en cas d’avis d’inaptitude du médecin du travail afin que l’obligation de recherche de reclassement soit mise en œuvre par l’employeur, même si cette situation peut conduire à maintenir en activité un salarié fautif ou, en cas d’impossibilité de reclassement, à ce qu’il bénéficie des indemnités compensatrices de préavis et de licenciement qu’il n’aurait pas perçu en cas de licenciement pour faute, et ce d’autant que l’avis d’inaptitude est, en vertu des articles L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail, précédé d’une étude de poste et d’un échange avec le salarié et l'employeur, qui peut ainsi porté à sa connaissance la procédure de licenciement pour un autre motif en cours, et peut être contesté par ce dernier en application des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 de ce code. Si la société Naver France fait valoir qu’un tel détournement peut compromettre l’efficacité d’obligations d’ordre public telles que l’obligation de sécurité des salariés en cas de comportement gravement fautif, l’employeur peut néanmoins remplir cette obligation en prenant des mesures autres que le licenciement.
Est également sans incidence, la circonstance que l’administration du travail ait été saisie de la demande d’autorisation de licenciement avant que l’avis d’inaptitude ne soit rendu. L’inspecteur du travail statuant en fonction des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision. Il en va de même du ministre chargé du travail, saisi d’un recours hiérarchique contre une décision d’un inspecteur du travail statuant sur une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, lorsqu’il annule pour illégalité cette décision, il se prononce alors de nouveau sur la demande d’autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision (CE, 8 décembre 2021, n° 428118, aux tables du recueil Lebon - CE, 5 septembre 2008, Société Sorelait, n° 303992, au recueil).
De même, la circonstance que la société Galien LPS ait, sur le fondement de l’article L. 4624-7 du code du travail (procédure accélérée au fond) et au vu d’éléments médicaux non conformes puis rectifiés ultérieurement émanant du médecin généraliste traitant de M.V., contesté l’avis d’inaptitude en saisissant le 11 mars 2022 le conseil de prud’hommes d’Auxerre (formation de référé), action qui avait fait l’objet d’une ordonnance en radiation du 19 mai 2022 mais d’une demande de rétablissement de l’instance, par courrier du 7 mai 2024 du conseil de ladite société, reçue le 10 mai 2024 par le tribunal judiciaire d’Auxerre, affaire qui devait être évoquée lors de l’audience de référé du 20 juin 2024 du conseil de prud’hommes, est également sans incidence puisque à la date de l’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. V. du 15 avril 2022, cet avis d’inaptitude n’était pas remis en cause et était donc toujours en vigueur, le recours contre ledit avis n’étant pas suspensif. Si le médecin du travail disposait des éléments médicaux non conformes émanant du médecin généraliste traitant de M.V. pour émettre son avis d’inaptitude, la fraude alléguée par la société Galien LPS, qui soutient que rien ne justifiait le constat d’inaptitude de M.V. si ce n’est la volonté de l’intéressé de contourner frauduleusement la procédure de licenciement engagée préalablement et de faire obstacle au pouvoir disciplinaire de son employeur, n’est pas caractérisée.
Toutefois, concernant M.V., la société Galien LPS fait valoir qu’il n’y avait aucune obligation de reclassement à éluder dès lors que, dans son avis du 28 février 2022, le médecin du travail a dispensé l’employeur de tout reclassement et qu’ainsi on ne saurait lui reprocher d’avoir voulu détourner cette obligation qui pesait sur elle dans le cadre de la reconnaissance d’inaptitude puisque le reclassement était impossible.
En effet, comme nous l’avons indiqué précédemment, dans son avis d’inaptitude du 28 février 2022 le médecin du travail a relevé que tout maintien de l’intéressé dans un emploi au sein du groupe serait gravement préjudiciable à sa santé et que « son état de santé ne permet pas de proposer un reclassement au sein de l’entreprise Galien LPS ni un autre établissement du groupe ».
Or, il résulte des dispositions des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que l’employeur est dispensé de procéder à une recherche de reclassement du salarié déclaré inapte dans le cas où l’avis du médecin du travail, auquel il incombe de se prononcer sur l’aptitude du salarié à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment ou à exercer d’autres tâches existantes, fait expressément état de ce que le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (CAA Lyon, 4 avril 2024, n° 23LY01606, point 9).
Ainsi, compte tenu de cet avis d’inaptitude dispensant d’une obligation de recherche de reclassement et rendant donc cette obligation sans objet, il pourrait être considéré que le licenciement pour motif disciplinaire de M.V. était possible, nonobstant la circonstance que l’avis d’inaptitude était postérieur à l’engagement de la procédure de licenciement pour un tel motif.
Si, selon la cour de cassation, est sans incidence sur l’impossibilité de principe de prononcer un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail la circonstance qu’il ait été engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause, la portée de l’avis d’inaptitude rendait sans objet l’obligation de reclassement et donc en conséquence l’obligation de licencier pour inaptitude le salarié déclaré inapte.
Relevons que si l’employeur était informé, dès un courrier du 8 février 2022 du médecin du travail qu’une inaptitude à son poste est à prévoir à la reprise de l’intéressé, en tout état de cause l’engagement de la procédure de licenciement est intervenu antérieurement par la convocation à l’entretien préalable par lettre du 1er février 2022, reçue le 5 février 2022.
Il est donc tentant d’accueillir le moyen dans l’affaire n° 24LY01480 dès lors que le principe qui veut que l’administration ne peut, postérieurement à l’avis d’inaptitude d’un salarié à son poste de travail, autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude a pour fondement l’obligation de recherche de reclassement comme l’a indiqué Jean-François de Montgolfier dans ses conclusions sur l’affaire société L’Anneau et comme semble l’avoir retenu le Conseil d’Etat dans cette décision compte tenu de ses points 3 et 4.
Dans ses conclusions sur CE, 4 avril 2025, n° 471490, aux tables, Jean-François de Montgolfier a rappelé qu’en cas d’inaptitude, la protection du salarié, notamment l’obligation à laquelle l’employeur est tenu de rechercher les adaptations du poste du travail et les possibilités de reclassement, prévaut sur les autres motifs de licenciement et que la Cour de cassation l’a jugé pour tous les autres motifs de licenciement : économique (Cour de cassation, Soc., 14 mars 2000, 98-41.556, Bull.), absence prolongée entrainant la désorganisation du service (Cour de cassation, civile, Soc., 5 décembre 2012, 11-17.913, Bull.) insuffisance professionnelle (Cour de cassation, civile, Soc. 13 juin 2019, 17-23.892) et même disciplinaire (Cour de cassation, civile, Soc., 20 décembre 2017, 16-14.983, Bull. ; Cour de cassation, civile, Soc., 28 février 2024, 22-23.568).
Or, dans cette dernière décision, il s’agissait d’un salarié dont le médecin du travail avait prononcé son inaptitude à son poste de travail en précisant que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et que l'état de santé de celui-ci faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi et l’employeur invoquait en cassation l'impossibilité de reclassement du salarié et, partant, le droit pour l'employeur, de procéder à un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude.
Or, malgré ces éléments, la cour de cassation a jugé que le salarié, déclaré inapte, ne pouvait être licencié pour un motif autre que l'inaptitude en se fondant sur les dispositions d’ordre public des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail qui « font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude ». Or, selon cet article L. 1226-2-1, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Autrement dit, selon la cour de cassation, l’impossibilité de reclasser le salarié ou une obligation de recherche de reclassement dépourvue d’objet en raison des mentions de l’avis d’inaptitude ne remet pas en cause l’obligation de prononcer le licenciement pour inaptitude.
La déclaration d’inaptitude oblige l’employeur à proposer un poste de reclassement, quelle que soit l’origine de l’inaptitude, professionnelle (L. 1226-10) ou non professionnelle (L. 1226-2). Cette rigueur est mise au service de deux objectifs : maintenir l’emploi dans les meilleures conditions de sécurité physique et mentale ou permettre au salarié inapte pour lequel un reclassement est impossible de bénéficier des procédures prévues en cas de licenciement aux articles L. 1226-12 (maladie ou accident professionnel) et L. 1226-4 (maladie ou accident non professionnel).
Ces dispositions sont d’ordre public (Cour de cassation, civile, Soc. 14 mars 2000, 98-41556, B. V n° 103 ; Soc. 5 décembre 2012, 11-17913, B.V n° 320)
En cas d’avis d’inaptitude, un régime très protecteur est mis en place en faveur du salarié. La cour de cassation rattachant l'obligation de suivre les propositions du médecin du travail à l'obligation de sécurité de l'employeur (Cour de cassation, civile, Soc., 23 septembre 2009, n° 08-42.629).
Ce régime de protection accordé au salarié qui bénéficie d’une décision d’inaptitude tend à exclure tout autre licenciement basé sur un autre motif que l’inaptitude. Il impose à l’employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré inapte. Les seules exceptions à cette obligation de reclassement résultent des dispositions de prévues aux articles L. 1226-2-1 du code du travail (pour l’inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel) et L. 1226-12 du code du travail en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle.
Ce régime protecteur ne comporte pas uniquement l’obligation de recherche de reclassement mais permet donc au salarié de bénéficier des procédures prévues en cas de licenciement aux articles L. 1226-12 (maladie ou accident professionnel) et L. 1226-4 (maladie ou accident non professionnel) et également de bénéficier d’une indemnité de licenciement, qui n’est pas due en cas de faute grave (voyez l’article L. 1234-9 du code du travail).
En dehors d’un comportement fautif du salarié empêchant l’employeur de mettre en œuvre les règles relatives au licenciement pour inaptitude médicale et l’obligation de reclassement, tel que visé par les jurisprudences précitées de 2011 et 2016 de la Cour de cassation, dans la lignée desquelles se situe la jurisprudence société L’Anneau du Conseil d’Etat, il n’y a pas de place, selon la cour de cassation, pour un licenciement pour un autre motif que l’inaptitude et donc pour une licenciement disciplinaire, et ce alors même que son reclassement devient sans objet ou qu’une recherche a été mise en œuvre avant son licenciement, ce qui avouons-le nous semblait initialement de nature à remettre en cause la rigueur du principe en partant du postulat que celui-ci est la conséquence nécessaire de l’obligation de reclassement, principe qui a pour conséquence de provoquer une paralysie du pouvoir disciplinaire de l’employeur face à une faute du salarié inapte autre que celle relevant d’un tel comportement, et donc d’un comportement gravement fautif du salarié s’étant manifesté alors que la procédure de recherche de reclassement avait été engagée par l’employeur.
D’autant que la situation du salarié déclaré inapte ne fait pas l'objet d'un régime légal restreignant les causes possibles de licenciement et qu’aucun texte n'exclut le licenciement pour faute d'un salarié inapte.
Mais a contrario, la possibilité pour l’employeur de rompre le contrat de travail pour faute grave n’est pas prévue par les dispositions d’ordre public des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 qui enserrent les possibilités de licenciement du salarié déclaré inapte dans les strictes limites et selon les modalités précises qu’ils déterminent, alors qu’une telle possibilité est prévue durant les périodes de suspension pour accident du travail ou maladie professionnelle (voyez l’article L. 1226-9 du code du travail), ou pour une salariée en état de grossesse pour faute grave non liée à cet état (voyez l’article L. 1225-4 du code du travail). Il ne peut, dès lors, y avoir de place à d’autres modes de rupture, en particulier disciplinaires, que ceux limitativement énumérés par ces textes.
Voyez sur ces points les avis de l’avocat général, Françoise Rémery, sur Cour de cassation, civile, Soc., 20 février 2017, pourvoi n° 16-14.983 et les rapports de Mme Françoise Salomon, rapporteur, et l’avis de l’avocat général, James Juan, sur Soc., 8 février 2023, pourvoi n° 21-16.258 (source : Jurinet).
Au final, nous vous proposons donc d’écarter le moyen.
Concernant M.W., la société Naver France fait valoir que les circonstances de l’espèce permettaient d’autoriser le licenciement pour faute de l’intéressé postérieurement à la délivrance d’un avis d'inaptitude.
Toutefois, tel n’est pas le cas de la circonstance que l’avis d’inaptitude ait été délivré postérieurement à l’introduction du recours hiérarchique contre la décision de l’inspectrice du travail, qui a ensuite été retirée par la ministre parce qu’elle était illégale, dès lors que, comme nous l’avons indiqué précédemment, dans cette hypothèse, le ministre se prononce sur la demande d’autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision et ce même si l’inspectrice du travail aurait pu, le 17 septembre 2021, autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de M.W. dès lors que l’avis d’inaptitude est postérieur, alors qu’en tout état de cause le refus d’autorisation était motivé par le caractère non matériellement établi des faits. La société Naver France n’étant pas fondée à soutenir que cela ne fait pas obstacle à ce que le ministre puisse ne pas tenir compte d’un avis d’inaptitude postérieur à une décision illégale de l’inspectrice du travail et qu’il puisse autoriser le licenciement.
Tel n’est pas davantage le cas de la circonstance que l’avis d’inaptitude est postérieur au recours hiérarchique qu’elle a formé contre la décision du 17 septembre 2021 par laquelle l’inspectrice du travail a refusé l’autorisation de licencier M.W. et que ce dernier ne pouvait ignorer qu’il existait une probabilité d’annulation de cette décision compte tenu de ses motifs, et de la circonstance que le mandat de membre titulaire du CSE en novembre 2018 et de délégué syndical en février 2019 de l’intéressé font suite à un rapport d’audit externe en février 2018 ayant mis en évidence ses insuffisances professionnelles, que son investissement syndical est modeste selon un membre du CSE et qu’un membre du CSE ait estimé qu’il a rejoint le CSE principalement dans le but d'obtenir le statut de salarié protégé. Ces éléments ne sauraient suffire pour démontrer une volonté manifeste de M.W. d’instrumentaliser et de détourner l’avis d’inaptitude afin d’échapper à son licenciement.
La société Naver France fait toutefois valoir que, dès l’avis d’inaptitude et sans attendre la décision de la ministre, elle a mis en œuvre les obligations de reclassement qui lui incombaient au titre des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, en informant l’intéressé, par courrier du 22 décembre 2021, de l’engagement d’une démarche de reclassement au sein de l’entreprise, du groupe et à l’extérieur en sollicitant différents acteurs économiques et en lui demandant s’il envisagerait d’occuper un poste en dehors de la France, en sollicitant l’avis du CSE sur la recherche de reclassement de M.W., lequel CSE a, alors de sa réunion extraordinaire du 23 mars 2022, a émis un avis favorable sur cette recherche (sollicitation d’acteurs économiques locaux et internationaux en lien avec le parcours professionnel de M.W.) et en informant ce dernier, par courrier du 25 mars 2022, après avoir interrogé le médecin du travail sur les possibilités de reclassement compatibles avec son état de santé, de l’impossibilité de le reclasser en l’absence de poste correspondant à ses compétences ou proche de ses compétences dans l’entreprise ou dans le groupe et de réponses positives à l’ensemble des sollicitions effectuées (Naver France, établissements située sur le territoire national, maison mère en Corée du Sud, acteurs économiques locaux, en lien avec le parcours professionnel de l’intéressé, syndicat d’appartenance, pouvoirs publics et employeur précédent).
Ces éléments attestent de l’engagement d’une démarche de reclassement avant la décision contestée du 8 avril 2022 et de la bonne foi de la société Naver France.
M.W. soutient néanmoins que la société Naver France ne justifie pas l’avoir régulièrement informé de la recherche de reclassement ni de l’impossibilité de le reclasser en l’absence de tout justificatif d’envoi et de réception des courriers qu’elle produit et surtout ne justifie à aucun moment avoir effectivement recherché un reclassement, en soulignant qu’aucun poste ne lui a été proposée et que la société ne justifie pas des démarches effectuées auprès du médecin du travail, de Naver France, de l’ensemble de ses établissements sur le territoire national, de la maison mère en Corée du Sud, et de plusieurs acteurs économiques locaux, et de l’absence de poste disponible.
Mais quoi qu’il en soit, à supposer effective l’engagement préalable d’une telle démarche de reclassement, elle n’était pas de nature, pour les raisons que nous avons précédemment évoquées concernant la situation de M.V. et de son employeur, la société Galien LPS, à remettre en cause le principe qui veut qu’en cas d’inaptitude du salarié, le licenciement ne peut être autorisé pour un autre motif que cette inaptitude, le salarié bénéficiant alors d’un régime très protecteur.
Nous vous proposons donc également d’écarter le moyen dans l’affaire n° 24LY02692.
Par ces motifs, nous concluons au rejet au fond des deux requêtes dans toutes leurs composantes.