Marché de maîtrise d'œuvre : précisions sur l’application du droit à l'actualisation des prix

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 23LY02141 – 30 avril 2025 – C+

Pourvoi en cassation n° 506452

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 23LY02141

Numéro Légifrance : CETATEXT000051570602

Date de la décision : 30 avril 2025

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Marchés publics, Marchés de maîtrise d’œuvre, Exécution financière des contrats, Rémunération du co-contractant, Actualisation des prix, Prix

Rubriques

Marchés et contrats

Résumé

Il résulte de la combinaison de l’article 11 du CCAG applicables aux marchés de prestations intellectuelles et des documents particuliers annexés aux marchés de maîtrise d’œuvre en litige que l’actualisation des prix fermes a pour but de compenser l’érosion des marges du titulaire en raison de l’évolution des conditions économiques lorsqu’un délai anormalement long, supérieur à trois mois, imputable au pouvoir adjudicateur sépare l’établissement des prix du marché et la date de commencement d’exécution des prestations. En revanche, le titulaire du marché est sensé avoir intégré dans sa proposition de prix ferme l’ensemble des aléas pesant sur l’exécution du marché dont la durée prévisible est portée à sa connaissance à l’occasion de la mise en concurrence.

Il suit de là, d’une part, que l’actualisation ne trouve pas à s’appliquer lorsque le délai de commencement d’exécution n’ayant pas excédé trois mois, l’allongement de l’opération est dû à d’autres causes exposant les responsables à en réparer les conséquences, d’autre part, que l’actualisation s’appliquant à l’offre de prix ferme, elle doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché, même si des contrats successifs signés par les mêmes parties ont concouru à la réalisation d’une seule opération, dès lors que chacun d’eux a donné lieu à la formation d’un prix ferme, enfin, qu’en cas de dépassement du délai de trois mois, elle ne s’applique qu’au prix global selon le différentiel entre l’index en vigueur au cours du mois de début d’exécution du marché et l’index d’origine de ce marché, et non pas de manière échelonnée, par élément de mission et selon un différentiel qui intégrerait l’index en vigueur à la période d’exécution de l’élément de mission considéré.

39-05-01-01, Marchés et contrats administratifs, Exécution financière des contrats, Rémunération du co-contractant, Prix

Conclusions du rapporteur public

Christine Psilakis

Rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Lyon

DOI : 10.35562/alyoda.9974

M. X. est architecte en charge d’une mission de maîtrise d’œuvre portant sur l’aménagement de la traversée de la commune de Nolay aux abords de l’ancienne Poste confiée par la commune par acte d’engagement du 9 décembre 2002,

Le litige porte sur l’exécution du marché et, plus précisément, sur une facture d’honoraires n°11, émise le 16 août 2016 et reçue le 19 août suivant par la mairie pour un montant de 17 157,63 euros TTC.

Ce montant recouvrirait des prestations du marché de maîtrise d’œuvre et la réparation de préjudices nés de la résiliation d’un autre marché, celui passé le 15 novembre 2012.

Devant le refus de la commune de l’honorer, M. X. a saisi le tribunal administratif de Dijon d’un litige d’exécution tendant à condamner la commune à lui verser cette somme. Le tribunal a rejeté cette demande par un jugement dont M. X. interjette appel.

Devant vous, M. X. a actualisé à la hausse les montants demandés à une somme de plus de 19 000 € qui se décompose en deux postes distincts :

- une large part de ces sommes recouvre l’actualisation des prix du marché initial pour un peu plus de 14 000 € ;

- le reste consiste au paiement de l’exécution de la prestation « assistance aux opérations de réception » sur le marché du 15 novembre 2012.

En premier lieu, vous écarterez la fin de non-recevoir soulevée par la commune en appel contre les conclusions indemnitaires de M. X., tirée de la tardiveté de la demande contentieuse, laquelle serait intervenue plus d’un an après la notification de son refus de payer, notifié pour la première fois à M. X. par lettre recommandée avec AR du 12 septembre 2016, soit au-delà du délai raisonnable prévu par la jurisprudence Czabaj (CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n°  387763, p. 340 au recueil Lebon).

Toutefois, comme vous le savez, le refus de l’administration de payer une facture adressée par son co-contractant ne saurait être qualifié de « décision ayant un objet purement pécuniaire » dont la légalité ne peut être discutée que dans le délai de recours de deux mois comme le prescrit l’article R. 421-1 du code de justice administrative (voyez CE, 21 octobre 2024, Département de la Seine-Maritime c\ SNCF Réseau, n° 474443, C).

Ensuite, vous pourrez écarter comme non fondé toute demande de paiement afférente au marché de maîtrise d’œuvre du 15 novembre 2012.

En effet, ainsi qu’il en a été longuement exposé dans deux autres affaires inscrites au rôle, il résulte du procès-verbal des opérations préalables à la réception du lot n°3 du marché de travaux « revêtement de sols scellés », que des réserves ont été émises, le 18 décembre 2014, par M. X. et que ces réserves n’ont pas été levées, si bien que l’ouvrage n’a pas été réceptionné. M. X. n’est donc pas fondé à soutenir qu’il a réalisé la mission « assistance aux opérations de réception », laquelle implique d'assurer le suivi des réserves formulées lors de la réception des travaux jusqu'à leur levée, comme le prévoit l’article 11 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé et applicable au contrat en cause.

Enfin, contrairement à ce que soutient M. X., cette mission ne peut être considérée comme pleinement réalisée à la suite du jugement rendu par le tribunal administratif de Dijon le 26 avril 2023 qui le condamne à indemniser la commune de ses préjudices relatifs au montant des travaux de remédiation sur la place Joseph Cattin. Le requérant ne peut donc pas prétendre à un paiement en vertu de l’article 3 de l’acte d’engagement du 20 décembre 2002.

Il restera à statuer sur la demande d’actualisation ou de révision, selon la portée que vous donnerez aux écritures de M. X..

En effet, les deux notions ne se recouvrent pas et remplissent des objectifs différents : l’actualisation n’a lieu qu’une fois dans la vie du marché et permet de tenir compte de l’évolution des conditions économiques s’il s’est écoulé plus de trois mois entre la remise de l’offre et le début d’exécution des prestations ; tandis que la révision peut être opérée plusieurs fois durant la vie du marché et permet de tenir compte de l’évolution des conditions économiques selon une périodicité à fixer par le contrat.

Or, le requérant n’a pas toujours fait preuve d’une grande clarté quant au fondement juridique précis de sa demande puisqu’il invoquait tant dans ses écritures de 1e instance que dans la facture en cause le bénéfice d’une révision des prix tout en faisant référence à l’article V du CCAP marché du 20 décembre 2002, lequel stipule au point 5.1 que les prix sont fermes mais actualisables.

Le tribunal administratif lui a répondu qu’étant titulaire d’un marché à prix ferme, il ne pouvait pas bénéficier d’une révision de prix, qui n’était pas prévue contractuellement. Le tribunal a ensuite exclu tout indemnisation au titre d’une actualisation des prix, faute pour l’intéressé d’en remplir les conditions prévues au marché : par un calcul, le tribunal arrivait à un coefficient d’actualisation égal à 1. Autrement dit, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas matière à actualiser faute d’évolution des indices entre le mois d’établissement des prix et le commencement de la prestation.

Devant vous M. X. détaille et motive mieux sa requête. Il ne se positionne plus sur le terrain de la révision mais demande uniquement l’application de l’actualisation des prix en application des stipulations contractuelles du point V du CCTP, applicable à deux contrats, celui du marché initial conclu en décembre 2002 et celui du marché complémentaire conclu nous l’avons vu en novembre 2012. A l’appui de sa demande, il joint deux tableaux détaillant ses prétentions indemnitaires.

Tout d’abord, il est recevable à le faire étant entendu que le litige demeure sur le terrain de l’exécution contractuelle et qu’il peut invoquer tout préjudice nouveau sur cette cause juridique dans la limite du quantum de 1e instance.

Il vous faut donc examiner si l’article V du CCAP s’appliquait aux deux contrats de maîtrise d’œuvre sachant que les deux contrats ont été exécutés successivement, le sinistre à laquelle fait allusion la commune ne portant pas sur l’exécution de ces prestations mais sur l’effondrement du bâtiment implanté place Joseph Cattin.

Dans ses conclusions sur l’arrêt CE, 31 octobre 2024, Société Routière de Haute-Corse et Société Corse Travaux, n° 491280 en B, M. Pichon de Vendeuil précisait que :

« La raison d’être de l’actualisation est en effet de circonscrire autant que possible le risque – qui n’est pas purement théorique auquel s’expose le titulaire d’un marché dans l’hypothèse où ses coûts de revient viendraient à augmenter sensiblement après qu’il s’est lui-même engagé sur des prix fermes. Cette logique protectrice se comprend dès lors qu’en pratique, le début de l’exécution des prestations dépend en général de l’envoi d’un ordre de service par le maître d’ouvrage, donc de sa décision unilatérale, et qu’un délai supérieur à trois mois pour lancer l’exécution d’un marché signé apparaît excessif, de sorte que ses éventuelles conséquences négatives pour le titulaire ne doivent pas rester à sa charge. ».

La stipulation de l’article V du CCTP s’inscrit dans cette logique mais n’est pas des plus précises : elle prévoit l’actualisation du prix ferme dès lors qu’un délai supérieur à 3 mois s’écoule entre le mois d’établissement des prix du marché et la date de commencement des prestations.

Le contrat précise que le mois m à prendre en compte au-delà de ce délai de trois mois est soit celui de l’AR par le titulaire de la notification de son marché, soit celui de la décision prescrivant le commencement de la tranche du marché, soit de la date de commencement portée sur la décision d’attribution.

Par ailleurs, la jurisprudence est venue confirmer que, lorsqu’il y a négociation avec le maître de l’ouvrage et prix fermes, c’est la date de dépôt de l’offre dont il faut tenir compte comme date de fixation du prix (voyez, l’arrêt précité du 31 octobre 2024, Société Routière de Haute-Corse et Société Corse Travaux).

Il faut comprendre que l’indice « m » à retenir est celui en vigueur le mois au cours duquel est notifié le marché ou est ordonné le début de la prestation si l’un de ces évènements est postérieur de plus de 3 mois au mois de la fixation des prix, ce dernier correspondant au mois de la dernière offre ferme.

Qu’en est-il en l’espèce ?

S’agissant du 1er contrat de 2002 nommé contrat initial

L’acte d’engagement est intervenu le 20 décembre 2002 mais l’offre a été finalisée le 9 décembre 2002 (cf. p. 17 DPI). L’acte d’engagement a été reçu par M. X. le 7 février 2003, soit deux mois après. M. X. soutient en avoir commencé l’exécution dans sa requête en mai 2002 puis dans son mémoire en réplique en mai 2003.

Tout d’abord, entre la fixation des prix et la fin de l’exécution du marché, M. X. demande une actualisation à chaque commencement de mission de maîtrise d’œuvre. Ce raisonnement devra être écarté et la possibilité d’actualisation appréhendée à l’échelle de la totalité des prestations du marché puisque l’article V qui prévoit l’actualisation ne stipule pas qu’elle porte sur chaque élément de mission contractuellement confié par ce même contrat. Les retards dus au séquençage des phases suivantes sera indemnisé par le biais des intérêts moratoires et, le cas échéant, par une demande indemnitaire.

Ensuite, moins de trois mois se sont écoulés entre l’offre finale et la notification du marché seule date à retenir à notre sens car, s’agissant du début des prestations, rien au dossier ne vient conforter les dates au demeurant contradictoires figurant dans les écritures du requérant : le requérant ne peut avoir commencé l’exécution de ses missions avant l’acte d’engagement et s’agissant du début de ses prestations, M. X. mentionne la date de sa première facture en mai 2003 alors qu’à cette date il avait déjà réalisé les missions « études préliminaires et AP », le début de ces missions étant intervenu nécessairement après un ordre de service antérieur….

Quant au second marché dit complémentaire

M. X. n’est pas fondé à demander une actualisation à compter de décembre 2002 dès lors que le délai séparant la notification de ce marché complémentaire, fut-il un avenant ou un nouveau marché passé par le biais d’une nouvelle mise en concurrence, a nécessité dans l’acte d’engagement signé en novembre 2012, une autre « offre finale », différente de celle de 2002. Le raisonnement tendant à faire partir le délai d’actualisation du mois de décembre 2002 est donc erroné, il faut retenir le mois d’octobre 2012, date de l’offre finale de ce nouveau marché.

De même, le raisonnement de M. X. consistant à actualiser les prix lors du début de l’exécution de chacune des composantes missions du marché est tout autant erroné, pour les mêmes motifs que ceux que nous avons déjà relevés.

Enfin, vous constaterez que vous n’avez pas l’accusé de réception de la notification du marché mais pour ce marché, le requérant admet lui-même qu’il a commencé l’exécution dès décembre 2012. Par conséquent, moins de trois mois se sont écoulés entre le début de l’exécution et le dépôt de l’offre finale, aucune actualisation des prix n’a lieu d’être sur ce second marché.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

Droits d'auteur

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L’actualisation des prix : quand actualiser ne rime pas avec déresponsabiliser

Grégoire Talpin

Chargé des affaires juridiques et générales de l’Ecole nationale des travaux publics de l’État

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.10024

La cour administrative d’appel de Lyon a précisé les critères de mise en œuvre du mécanisme de l’actualisation des prix dans le cadre des contrats de la commande publique. Elle a effectivement jugé que, lorsque plusieurs marchés de maitrise d’œuvre successifs ont été conclus par les mêmes parties afin de réaliser une même opération, l’actualisation doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché. Le juge lyonnais justifie cette restriction du champ d’application de l’actualisation par une interprétation finaliste de cette dernière. Ce faisant, il rappelle que l’actualisation n’a pas vocation à protéger l’opérateur économique, mais le contrat lui-même et, in fine, le service public dont celui-ci assure la mise en œuvre.

Dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’État Sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux1, le rapporteur public M. Pichon de Vendeuil considérait que la « raison d’être » des règles d’actualisation des prix dans les marchés publics est « de circonscrire autant que possible le risque […] auquel s’expose le titulaire d’un marché dans l’hypothèse où ses coûts de revient viendraient à augmenter sensiblement après qu’il s’est lui-même engagé sur des prix fermes »2. Présentée comme résolument protectrice des titulaires de marchés publics, l’actualisation des prix n’a toutefois pas pour finalité de les exonérer de leur devoir de prévoyance dans l’élaboration de leur proposition de prix. C’est justement ce que rappelle la cour administrative d’appel de Lyon en se prononçant, le 30 avril 2025, sur les critères de mise en œuvre de l’actualisation des prix dans le cadre de la conclusion de plusieurs marchés de maitrise d’œuvre successifs. Ce faisant, elle révèle, en toile de fond, la finalité guidant l’institution contractuelle en matière de contrats de la commande publique.

Le 20 décembre 2002, une commune a confié la mission de maitrise d’œuvre d’aménagement d’une de ses places publiques à un groupement solidaire, notamment composé du requérant. Pour faire face à un sinistre en date du 3 mars 2008, elle a conclu un nouveau contrat avec ce dernier après mise en concurrence le 15 novembre 2012. Le 16 août 2016, le titulaire des marchés publics a établi une facture au titre du solde des prestations du second marché et d'une actualisation des prix appliqués aux éléments de mission des deux marchés, liquidée en fonction de l'index en vigueur au cours des mois d'exécution de chaque prestation. Devant le refus de la commune de lui verser cette somme, il a saisi le tribunal administratif de Dijon. Ce dernier ayant toutefois rejeté sa demande, il a saisi la cour administrative d’appel de Lyon.

Désormais prévue par le code de la commande publique3, l’actualisation des prix est un mécanisme qui autorise, sous certaines conditions, la variation des prix au sein des marchés publics, c’est-à-dire la transformation du prix ferme initial en un nouveau prix ferme actualisé4. Le juge administratif a déjà été amené à préciser ses critères d’application. Il s’est notamment prononcé, dans le cadre de l’ancien code des marchés publics, sur la date à laquelle le prix du marché est fixé en cas de négociation5 et sur la date de début d’exécution du marché6. De fait, ces dates constituaient, et constituent toujours conformément à l’article R. 2112-11 du code de la commande publique, des conditions de mise en œuvre l’actualisation des prix7.

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans ce mouvement jurisprudentiel puisqu’il clarifie l’utilisation du mécanisme de l’actualisation des prix dans le cadre de la conclusion de plusieurs marchés de maitrise d’œuvre successifs. Le juge lyonnais a effectivement considéré que « l'actualisation s'appliquant à l'offre de prix ferme, elle doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché, même si des contrats successifs signés par les mêmes parties ont concouru à la réalisation d'une seule opération, dès lors que chacun d'eux a donné lieu à la formation d'un prix ferme » 8.

La solution retenue par la cour administrative de Lyon participe à restreindre le champ d’application du mécanisme de l’actualisation des prix dans les marchés publics conclus à prix ferme (II). Pour ce faire, le juge procède à une interprétation finaliste du mécanisme de l’actualisation (I).

I. L’identification de la finalité de l’actualisation des prix

La cour administrative d’appel de Lyon a rapidement résolu la question de l’existence, en l’espèce, d’une clause d’actualisation des prix. En premier lieu, elle a relevé que le premier marché public se référait à l’article 11 du CCAG-PI issu du décret du 26 décembre 1978 qui conditionne la possibilité d’actualiser les prix fermes du marché à l’existence, au sein du contrat, d’une « formule d’actualisation ». Or, l’article V du cahier des clauses particulières (CCP), auquel renvoie l’article I de l’acte d’engagement du marché de maitrise d’œuvre, dispose expressément que « les prix sont fermes et actualisables ». En second lieu, le juge relève qu’il en va de même pour le second marché dès lors que l’article 5 de celui-ci prévoit que « toutes les clauses du marché initial demeurent applicables tant qu'elles ne sont pas contraires aux nouvelles dispositions ». Il en résulte donc que les prix des deux marchés sont fermes et actualisables.

La cour s’est ensuite prononcée sur les conditions de mise en œuvre de l’actualisation des prix. Pour ce faire, elle a interprété les dispositions et stipulations précitées afin d’en faire émerger la finalité même de l’actualisation. Cette étape du raisonnement interroge quant à la directive d’interprétation maniée par la cour. En effet, celle-ci considère laconiquement qu’il « résulte de ces dispositions et stipulations » le « but » de l’actualisation des prix – qui sera détaillé par la suite –, c’est-à-dire l’esprit même du mécanisme. Cet énoncé ne révèle pas la directive d’interprétation maniée par la cour afin de conférer à l’actualisation son sens juridique. Elle n’autorise, en conséquence, que des suppositions. A titre d’exemple, il pourrait indiquer que le juge recourt à une interprétation littérale lui permettant de dissimuler son propre point de vue9 en faisant prévaloir la volonté des auteurs des textes.

Quelle que soit la directive qu’il utilise, le juge réalise ici une interprétation finaliste de l’actualisation des prix. Il considère effectivement que cette dernière « a pour but de compenser l'érosion des marges du titulaire en raison de l'évolution des conditions économiques lorsqu'un délai anormalement long, supérieur à trois mois, imputable au pouvoir adjudicateur sépare l'établissement des prix du marché et la date de commencement d'exécution des prestations ». Cette proposition n’est, a priori, pas originale puisqu’il est admis que l’actualisation des prix tend à protéger le cocontractant de l’Administration des aléas économiques liés au passage du temps10. Deux précisions méritent toutefois d’être relevées. Primo, dans le silence des textes, le juge recourt au standard de la normalité pour expliciter le délai de trois mois, auquel se réfère le CCP, dont l’écoulement justifie l’actualisation des prix. Cette référence à la normalité est superfétatoire du point de vue juridique puisqu’elle ne modifie ni ne précise le délai. Elle révèle toutefois un souhait de légitimation de ce dernier. Par le recours à la normalité, la norme juridique apparaît alors comme la simple formalisation d’une norme trouvant son origine en dehors de la volonté de l’auteur du CCP11. Cet ajout évoque également l’idée d’une pratique fautive de l’administration résultant d’une défaillance ou d’un manquement de celle-ci. Secundo, la cour conditionne le déclenchement du mécanisme de l’actualisation des prix à un délai anormalement long « imputable au pouvoir adjudicateur ». Or, les textes ne mentionnent pas, expressément, cette imputation. Le champ de l’actualisation des prix se trouve alors réduit : le mécanisme ne peut être mis en œuvre du seul fait des conséquences économiques liées au passage du temps. Encore faut-il que ce dernier, lorsqu’il est anormalement long, soit le fait du pouvoir adjudicateur lui-même. Cette condition semble peu compatible avec l’objectif de protection des marges de l’opérateur économique. Si celle-ci était recherchée, il serait inutile d’exiger l’imputation de l’anormalité du délai à l’Administration.

C’est qu’en réalité, la cour n’a pas pour objectif de protéger l’opérateur économique, mais le contrat lui-même. Comme celle-ci le précise, « le titulaire du marché est sensé avoir intégré dans sa proposition de prix ferme l'ensemble des aléas pesant sur l'exécution du marché dont la durée prévisible est portée à sa connaissance à l'occasion de la mise en concurrence ». Ainsi, l’actualisation des prix ne doit pas aboutir à dédouaner l’opérateur économique de ses obligations lors de la procédure de passation du contrat. Celui-ci ne peut se reposer sur elle pour contourner les règles de la concurrence en proposant un prix initial excessivement bas pour le régulariser par la suite. Surtout, il doit, comme tout cocontractant, intégrer dans sa proposition de prix ferme l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques précédant le commencement de l’exécution du contrat. Émerge alors l’idée qui guide l’interprétation du juge : derrière tout contrat administratif réside non l’intérêt privé du cocontractant de l'Administration, mais le service public dont celle-ci a la charge12. L’actualisation des prix peut ainsi profiter au cocontractant de manière indirecte lors de la garantie de bon fonctionnement du service. Ce dernier, davantage que la volonté des parties, confère à l’actualisation des prix sa signification juridique, signification dont le juge déduit les règles qui régissent la mise en œuvre du mécanisme.

II. La restriction du champ d’application de l’actualisation des prix

La cour administrative d’appel de Lyon tire trois conséquences de son interprétation finaliste sur la mise en œuvre de l’actualisation des prix. En premier lieu, elle estime que l’« actualisation ne trouve pas à s'appliquer lorsque le délai de commencement d'exécution n'ayant pas excédé trois mois, l'allongement de l'opération est dû à d'autres causes exposant les responsables à en réparer les conséquences ». Cette modalité d’application de l’actualisation résulte logiquement de la condition de délai posée par les textes. Elle se justifie encore par l’existence d’autres mécanismes juridiques qui protègent spécifiquement l’intérêt privé du cocontractant. Autrement dit, le juge n’ignore pas que, bien que respectant le délai de trois mois, le commencement d’exécution du contrat peut être inutilement allongé et, de ce fait, engendrer des conséquences pour l’opérateur économique. Celui-ci dispose toutefois d’outils suffisant, et notamment de l’engagement de la responsabilité du responsable du préjudice, pour qu’il soit inutile d’étendre l’application de l’actualisation des prix. En deuxième lieu, la cour précise les modalités de calcul de l’actualisation des prix en clarifiant le prix auquel celle-ci s’applique. Elle estime ainsi « qu'en cas de dépassement du délai de trois mois, [l’actualisation] ne s'applique qu'au prix global [de chaque marché] et non pas de manière échelonnée ».

En dernier lieu, et là constitue l’apport principal de cet arrêt, la cour lyonnaise détermine les règles d’application de l’actualisation des prix à la situation dans laquelle plusieurs contrats ont été conclus, successivement, par les mêmes parties afin de réaliser une même opération. La cour identifie d’abord un lien consubstantiel entre l’actualisation et l’offre de prix : elle rappelle que l’actualisation s’applique uniquement à l’offre de prix ferme. Puis, elle précise que les liens existants entre les contrats, qu’ils soient organiques ou matériels, sont sans influence sur les conditions d’application de l’actualisation. Seul compte le fait que chacun d’eux ait donné lieu, ou non, « à la formation d’un prix ferme ». Si tel est le cas, l’actualisation « doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché ». Ce syllogisme laisse émerger les choix opérés par la cour et, in fine, les possibilités qu’elle a écartées. Il eût notamment été possible, en présence d’une succession de contrats, de ne pas individualiser les marchés lors de l’identification du prix ferme, mais d’apprécier celui-ci globalement. Le prix ferme serait alors relatif à l’ensemble contractuel et non à chaque contrat pris isolément13. Il était encore envisageable de dégager une présomption selon laquelle les contrats successifs constituent un marché public unique dès lors qu’ils sont signés par les mêmes parties et qu’ils concourent à la réalisation d’une même opération. Les prix fermes y étant associés ne seraient alors que les composantes de la même contrepartie générale – le prix ferme – exigée dans le cadre des marchés publics14. Ce raisonnement serait toutefois contraire à l’état du droit positif puisqu’il est admis que les contrats successifs sont des groupes de contrat au sein desquels « chaque contrat garde sa physionomie et son régime juridique particuliers car il y a divisibilité des différents contrats »15. La seule identité de parties et de finalité ne suffit effectivement pas à identifier un seul et même accord de volonté.

Par-delà ces virtualités, la solution de la cour est claire et cohérente. Elle lui permet de vérifier in concreto que la succession de marchés publics ne dissimule pas un unique accord de volonté16. En l’espèce, la juridiction lyonnaise considère que les deux contrats sont bien distincts dès lors que le second n’a eu « pour objet que de reconduire les clauses du premier marché pour les besoins de l'exécution de la nouvelle opération, non de prolonger les effets des obligations du premier marché, entièrement exécuté ». Faisant reposer sa qualification sur l’identification de l’extinction du premier accord de volonté, elle en déduit que l’actualisation doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché. Elle estime ici, au regard des faits de l’espèce, que le délai de trois mois entre l'établissement du prix du marché et le début d'exécution des prestations n'était dépassé pour aucun des deux marchés. La commune ne doit donc verser aucune somme au requérant au titre de l’actualisation des prix des marchés. La solution dégagée par la cour n’est pas dénuée d’un certain constructivisme. Elle est toutefois conforme à l’esprit de l’actualisation telle que le juge l’a lui-même identifiée : en refusant de caractériser un seul et même accord de volonté, il rejette une utilisation du mécanisme de l’actualisation au seul profit du cocontractant, c’est-à-dire d’un intérêt privé. Ce faisant, la cour lyonnaise laisse penser que, le service public, à l’œuvre derrière son raisonnement, demeure une fiction – objective – structurante du droit de la commande publique.

Notes

1 CE, 31 octobre 2024, n° 491280, Sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux ; JCPA, 12 nov. 2024, act. 556 ; CMP, Janv. 2025, comm. 2. Retour au texte

2 PICHON DE VENDEUIL M., concl. sur CE, 31 octobre 2024, n° 491280, Sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux. De façon similaire, v. ABBATUCCI S., SABLIER B. et SABLIER V., « Crise de l’acier : le retour de l’imprévision dans les marchés publics », AJDA, 2004, p. 2192 et TAILLEFAIT A., « Fasc. 55 : Prix du marché », JCCMP, Avr. 2025, §35. Retour au texte

3 R. 2112-9 à R. 2112-12 du code de la commande publique. Retour au texte

4 De façon plus générale, cet arrêt témoigne des évolutions de la conception du prix (art. L. 2112-6  du code de la commande publique) puisque les anciennes réglementations apparaissaient moins ouvertes en privilégiant le « prix définitif ferme » (v. le code des marchés publics de 1964). A cet égard, l’article L. 2112-6 du code de la commande publique témoigne d’une évolution de la conception du prix dans le cadre de la commande publique. Les anciennes réglementations apparaissaient moins ouvertes en privilégiant le « prix définitif ferme » (v. le code des marchés publics de 1964). L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans ce contexte. Retour au texte

5 CE, 31 octobre 2024, n° 491280, Sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux ; JCPA, 12 nov. 2024, act. 556 ; CMP, Janv. 2025, comm. 2. Retour au texte

6 CAA de Douai, 12 janvier 2021, n° 20DA00255, SA Les Compagnons paveurs ; CMP, Avr. 2021, comm. 112. Retour au texte

7 Art. 18 du code des marchés publics. Retour au texte

8 Sur ce point, v. VAN DAËLE M., « Comment appliquer le mécanisme d'actualisation des prix lorsque plusieurs contrats successifs ont été conclus ? », JCP-A, n° 20, 19 mai 2025, act. 243. Retour au texte

9 Sur ce point, v. PLESSIX B., Droit administratif général, LexisNexis, 2020, 3ème éd., spé. n° 123. Retour au texte

10 Sur ce point v. notamment, TAILLEFAIT A., « Fasc. 55 : Prix du marché », JCCMP, Avr. 2025, §35 ou PICHON DE VENDEUIL M., concl. sur CE, 31 octobre 2024, n° 491280, Sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux. Retour au texte

11 Il convient toutefois de vérifier si la détermination du contenu de la normalité reste, ou non, juridique, c’est-à-dire s’il est établi relativement à d’autres normes juridiques. Dans un tel cas, la normalité à laquelle recourt le juge ne peut être qualifiée, tout du moins matériellement, d’extra juridique. Retour au texte

12 Cette philosophie est ancienne et ne s’exprime pas uniquement par le biais de l’actualisation des prix. Elle a notamment été mise en exergue par Maurice Hauriou dans le cadre de l’imprévision. Dès 1916, l’éminent auteur considérait effectivement qu’ « il y a un gros organisme objectif qui fonctionne, et devant lequel se minimise l’effet des volontés subjectives, comme s’atténuent les responsabilités subjectives; la loi du contrat fléchit sous le même poids que le risque contractuel; tout le contrat administratif est comme écrasé par l’importance de son objet; le contrat a essayé d’embrasser dans ses clauses une institution vivante; mais la tâche est au-dessus de ses forces, et l’institution déborde de tous les côtés » (HAURIOU M.,  « Les conséquences de l’imprévision dans les marchés d’éclairage au gaz », note sous CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Lebon, p. 125). Retour au texte

13 Telle est l’utilisation de la notion de « coût global » en matière d’appréciation du prix lors de l’analyse des offres. Comme le rappelle la direction des affaires juridiques du ministère en charge de l’Économie, « lorsque des programmes industriels ou d’investissements à long terme font l’objet de plusieurs marchés successifs, il convient de prendre en compte pour l’appréciation du coût global, non seulement le prix des prestations relatives au marché immédiat à passer, mais également les prix prévisionnels de celles qui résulteront des marchés ultérieurs » (Guide sur le prix dans les marchés publics, Les guides de l’OECP, 2023, p. 125). Retour au texte

14 Actuellement, v. L. 1111-1 du code de la commande publique. Retour au texte

15 RICCI L. et LOMBARD F., Droit administratif des obligations, Sirey, Coll. « Université », 2018, n° 183. Retour au texte

16 Ce raisonnement n’est pas nouveau. À titre d’exemple, dans le contentieux des contractuels de droit public, le Conseil d’État rappelle que les contrats successifs à durée déterminée dont dispose un agent sont requalifiables en contrat à durée indéterminée « s'il est établi qu'il a en réalité exercé, en dépit des indications figurant sur les contrats, des fonctions identiques pendant la durée de services requise » (CE, 28 juin 2019, n° 421458, M. B. ; AJDA, 2019, p. 1371, AJFP, 2019, p. 336, AJCT, 2020, p. 103. Retour au texte

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