L’assignation à résidence d’un étranger sous OQTF de moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, ne porte pas atteinte à sa situation juridique

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 24LY01854 – 03 avril 2025 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 24LY01854

Numéro Légifrance : CETATEXT000051428511

Date de la décision : 03 avril 2025

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Assignation à résidence, OQTF, Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, L. 731-1 du CESEDA, Principe de non-rétroactivité

Rubriques

Etrangers

Résumé

Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration :

" L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré (...) "

Alors que dans sa rédaction antérieure, cet article disposait que l'obligation de quitter le territoire devait avoir été prise moins d'un an avant l'assignation à résidence. En l'absence de dispositions différant son entrée en vigueur, cette modification est entrée en vigueur le lendemain de la promulgation de la loi, soit le 28 janvier 2024.

Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) antérieure de plus d’un an à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 n’est pas privée d’effet, l’étranger demeurant toujours tenu de l’exécuter et ne se trouvant pas, pour ce motif, dans une situation juridique définitivement constituée qui le soustrairait à l’entrée en vigueur de l’allongement de la période ouverte à l’administration pour prononcer une assignation à résidence préparatoire à l’éloignement.

Par suite, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, prévu à l’article 2 du code civil, ne fait pas obstacle à l’édiction d’une assignation à résidence répondant aux conditions posées par la loi du 26 janvier 2024 afin d’assurer l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français ancienne de plus d’un an et de moins de trois ans, alors même que l’article L. 731-1, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle ladite mesure d’éloignement a été prise, enfermait dans un délai d’un an l’édiction d’une assignation à résidence1.

01-04-02-01, Actes, Validité des actes administratifs-violation directe de la règle de droit, Loi, Absence de violation
335-01, Étrangers, Séjour des étrangers
335-03, Étrangers, Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière

Notes

1 Comp : Cour de Cass., 1ère Ch. Civ., 20 novembre 2024, 24-70.005, publié au bulletin. Même solution pour les placements en rétention administrative. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Christine Psilakis

Rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Lyon

DOI : 10.35562/alyoda.9975

M. X. est un ressortissant albanais né le 20 juin 1997. Il est entré en France le 11 novembre 2010 à l’âge de treize ans et quatre mois accompagnant ses parents et s’y est maintenu.

Il a fait l’objet, par arrêté du 10 juillet 2022 du préfet des Alpes-Maritimes d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai assortie d’une décision fixant le pays de destination ainsi que d’une interdiction de retour sur le territoire français. Il n’a vraisemblablement pas mis à exécution cette mesure. Aussi, par un arrêté du 18 mars 2024, la préfète du Rhône a décidé de l’assigner à résidence pour une durée de 45 jours afin d’organiser son éloignement.

Il a demandé l’annulation de la décision portant assignation à résidence au tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande par jugement du 12 avril 2024, dont il interjette appel.

La plupart des moyens soulevés ne vous retiendront pas : la décision en litige est suffisamment motivée dès lors que la préfète du Rhône y mentionne les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement. Le moyen tiré du défaut d’examen particulier de la situation du requérant manque en fait. Par ailleurs, le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’est pas non plus fondé, l’argumentaire de l’intéressé au soutien de ce moyen se révèle inopérant dès lors que la circonstance qu’il bénéficie de promesse d’embauche et qu’il vive avec ses parents en France est sans effet utile sur le bien-fondé de la mesure en litige laquelle ne constitue pas, par elle-même, des atteintes à sa vie privée et familiale dès lors qu’elle a pour unique objet de préparer l’intéressé à son départ.

Vous l’aurez compris ce ne sont pas ces moyens qui ont justifié le prononcé de nos conclusions mais plutôt le dernier d’entre eux invoqué devant le tribunal administratif et repris en appel, tiré de l’erreur de droit, à savoir que le préfet aurait à tort fondé sa décision sur le 1°de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version issue du 2° du VI de l’article 72 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, entrée en vigueur le 28 janvier suivant et qui prévoit que :

« L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque l'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; ».

La modification en cause du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a entendu porter le délai pendant lequel l’autorité administrative compétente peut assigner à résidence sur le fondement d’une obligation de quitter le territoire prise, d’un an à trois ans auparavant.

Vous relèverez que ce moyen est d’actualité car il est soulevé de nombreuses fois devant les tribunaux : pas moins d’une centaine d’occurrences devant les tribunaux. Mais à notre connaissance, seules deux cours administratives d’appel l’ont explicitement écarté pour les mêmes motifs que ceux retenus par le tribunal à savoir que les dispositions législatives en cause n’avaient ni pour objet ni pour effet de mettre fin aux effets de la mesure d’éloignement : il s’agit d’un arrêt collégial à Douai (voyez n°24DA00928) et d’une ordonnance à Versailles (voyez n° 24VE02411).

Nous pensons que l’appréciation du tribunal administratif qui a écarté ce moyen est exempt d’erreur et ce, pour au moins deux raisons.

En premier lieu, le requérant se prévaut explicitement du principe de non-rétroactivité d’une loi pénale plus sévère en invoquant l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui prévoit que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit ». Or cet argumentaire est complètement inopérant dès lors que l’assignation à résidence n’est pas une peine mais une simple mesure d’exécution de l’obligation de quitter le territoire ; certes privative de liberté (de même que le placement en rétention administrative qui relève du seul contrôle du juge des libertés comme le prévoit l’article L. 741-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

En outre, comme le rappelait M. Verpeaux dans le Répertoire Dalloz de contentieux administratif à l’étude Contentieux constitutionnel : actes administratifs :

« Le juge administratif ne s'immisce pas dans un contrôle de la loi, à partir du moment où la mise en cause de la régularité de l'acte administratif n'implique pas celle d'une disposition législative ».

Or, ici le requérant ne met pas en cause la constitutionnalité de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ce qui ne pourrait se faire que par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité au demeurant). Il se contente d’invoquer le principe général de non-rétroactivité des lois, lequel est un corollaire du concept de sécurité juridique pour faire obstacle à l’application de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa dernière version, ce qui nous amène à l’examen de la seconde raison qui nous motive à aller dans le sens du tribunal administratif.

En second lieu, le requérant se prévaut d’une situation légalement constituée à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 ; date à laquelle ne pourrait pas être appliquée une loi postérieure.

Mais il convient de définir précisément quelle situation est légalement constituée en l’espèce : du point de vue du requérant, il s’agit d’une obligation de quitter le territoire prise plus d’une année auparavant. Il invoque l’absence de dispositions transitoires les concernant pour que puisse être prise une assignation à résidence sur le fondement de la nouvelle version du 1° de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Mais là encore, ce raisonnement est erroné : la seule situation juridiquement constituée au moment de l’édiction de la mesure d’assignation attaquée, c’est le maintien irrégulier de M. X.. sur le territoire français, dès lors que la mesure d’obligation de quitter le territoire prise à son encontre n’a pas été abrogée, ni n’est atteinte de caducité.

En effet, les dispositions du 1° de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tant dans leur version antérieure à la loi de 2024 que celle postérieures, ni aucun autre texte législatif d’ailleurs, ne prévoient de caducité de l’obligation de quitter le territoire puisque, comme vous le savez, la caducité ne peut être prévue que par un texte législatif (comparez avec le raisonnement que nous avons déjà tenu dans nos conclusions sur l’arrêt de votre cour n°24LY00500 du 16 janvier 2025, qui concernait l’obligation pour les préfectures d’effacer de leur « Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDGREF) au bout de cinq années les mentions relatives à une obligation de quitter le territoire en application de l’article R. 142-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

Et si des changements de circonstances de droit ou de fait postérieurs à la décision d’éloignement peuvent faire obstacle à l’exécution d’une telle mesure, le temps qui passe ne saurait seul l’abroger (voyez par exemple pour une mesure d’assignation à résidence CE, 8 mars 2016, n°397206, aux Tables du recueil Lebon, classé en B).

En résumé, l’obligation de quitter le territoire dont M. C. a fait l’objet, est donc toujours en vigueur à la date d’édiction de la mesure attaquée et produisait encore ses effets juridiques et aucun changement de circonstance de fait ou de droit, qui n’est d’ailleurs même pas invoqué par le requérant, n’empêchait celui-ci de l’exécuter de son plein gré ou à l’administration d’en rechercher l’exécution par tous les moyens prévus par la loi.

Enfin, la solution que nous vous proposons de retenir s’inscrit en cohérence avec celle retenue par la Cour de cassation pour les placements en rétention (voyez un avis rendu sur demande du tribunal judiciaire de Lyon en matière de placement en rétention : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 novembre 2024, n°24-70.005, publié au Bulletin).

Si vous nous suivez, vous écarterez ce moyen.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

Droits d'auteur

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L’assignation à résidence d’un étranger sous OQTF de moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 ne porte pas atteinte à sa situation juridique

Chloé Pros-Phalippon

Maître de conférences en droit public, faculté de droit, université Jean-Monnet de Saint-Étienne, CERCRID

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DOI : 10.35562/alyoda.10025

Une décision d’assignation à résidence d’un étranger édictée à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi no 2024-42 du 26 janvier 2024 est susceptible d’avoir pour base légale un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris depuis moins de trois ans, alors même que ladite mesure d’éloignement a été adoptée avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sous l’empire de dispositions qui enfermaient dans un délai d’un an l’édiction d’une assignation à résidence, sans que n’y fasse obstacle le principe de non-rétroactivité de la norme nouvelle.

Le droit des étrangers est marqué par une grande instabilité législative, ce qui n’est pas sans poser des difficultés en termes d’application dans le temps de la norme nouvelle ainsi que l’illustre parfaitement l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 3 avril 2025. La problématique de l’application dans le temps des dispositions du 1° de l’article L. 731 -1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi no 2024-42 du 26 janvier 2024 dont l’article 72 est venu porter de un à trois ans le délai pendant lequel le préfet peut, aux fins d’exécution d’office d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), prononcer une mesure d’assignation à résidence, est au cœur du litige.

Les travaux préparatoires de la loi du 26 janvier 2024 révèlent que l’allongement à trois ans de la durée maximale de l’OQTF pouvant fonder une mesure d’assignation à résidence ou, en vertu de l’article L. 741-1 du CESEDA, une mesure de placement en rétention administrative, résulte d’un second amendement déposé lors des lectures du texte au Sénat, après qu’un premier amendement allongeait le délai à deux ans. L’objectif affiché par les auteurs de cet amendement est « d’augmenter les marges de manœuvres de l’administration pour procéder à un éloignement effectif »1. Le délai d’un an qui avait été fixé en matière de rétention administrative par la loi no 2003- 1119 du 26 novembre 2003 et en matière d’assignation à résidence en vertu de l’ordonnance no 2020- 1733 du 16 décembre 2020, puis l’allongement de ce délai à trois ans par la loi du 26 janvier 2024, sont à analyser à l’aune de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle la mesure d’exécution d’office d’une décision d’éloignement forcé peut, par son caractère tardif, révéler l’existence d’une nouvelle d’éloignement, ouvrant au destinataire de cette mesure la possibilité de la contester par un recours contentieux :

« lorsqu’un arrêté de reconduite à la frontière a été dépourvu de mesure d’exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l’administration, l’exécution d’office d’une reconduite à la frontière doit être regardée comme fondée non sur l’arrêté initial, même si celui-ci est devenu définitif faute d’avoir été contesté dans les délais, mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la frontière, dont l’existence est révélée par la mise en œuvre de l’exécution d’office elle-même et qui doit être regardé comme s’étant substitué à l’arrêté initial »2.

Pour reprendre les termes du professeur Vincent Tchen, le choix du législateur d’allonger le délai à trois ans « répercute une exigence de la jurisprudence qui prévoit que lorsque l’Administration tarde par son inaction à mettre en œuvre une mesure de départ forcé, l’exécution tardive est assimilée à un second arrêté dont la légalité est appréciée à la lumière des circonstances de droit ou de fait nouvelles »3.

La modification de l’article L. 731-1 du CESEDA s’inscrit, par ailleurs, dans la lignée des recommandations formulées par le Conseil d’État dans son rapport intitulé 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous de mars 2020. En effet, préconisant d’adapter les procédures en matière de contentieux des étrangers à leur degré d’urgence et, partant, le placement en procédure de droit commun des OQTF non assorties d’une mesure de contrainte, ce qui implique notamment que les OQTF sans délai de départ volontaire ne soient plus traitées en urgence, le groupe de travail recommande en parallèle d’allonger la durée pendant laquelle une OQTF peut être assortie d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention administrative4.

Dans cette affaire, la cour a dû se prononcer sur la légalité d’un arrêté du 18 mars 2024, édicté selon les conditions nouvellement posées par l’article L. 731-1 dans sa rédaction issue de la loi de janvier 2024, par lequel la préfète du Rhône a assigné à résidence un étranger pour une durée de quarante-cinq jours afin d’assurer l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français en date du 10 juillet 2022, et dès lors ancienne de plus d’un an et de moins de trois ans, alors même que cet article, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle ladite mesure d’éloignement a été prise, enfermait dans un délai d’un an l’édiction d’une assignation à résidence.

La cour juge que le principe de non-rétroactivité de la loi consacré à l’article 2 du Code civil ne fait pas obstacle à une application immédiate des dispositions nouvelles de l’article L. 731-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (I). Le destinataire de la mesure ne peut être regardé comme étant dans une situation juridique constituée, l’OQTF n’étant pas devenue caduque par l’écoulement du temps (II).

L’application immédiate des dispositions nouvelles de l’article L. 741-1 du CESEDA

Sous l’empire des anciennes dispositions, l’OQTF dont a fait l’objet l’intéressé ne pouvait pas fonder légalement une mesure d’assignation à résidence en mars 2024. Toutefois, si, ainsi qu’en a jugé le tribunal administratif de Lyon dans le jugement contesté devant la cour5, les nouvelles dispositions du 1° de l’article L. 731-1 lui sont applicables, la mesure d’éloignement datant de moins de trois ans justifie légalement une telle mesure. Confirmant le raisonnement retenu par le jugement attaqué, la cour administrative d’appel de Lyon juge qu’une assignation à résidence, édictée en application des nouvelles dispositions issues de la loi de janvier 2024, visant un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement édictée sous l’empire des dispositions antérieures, ancienne de plus d’un an et de moins de trois ans, ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle consacré à l’article 2 du Code civil.

À l’appui de sa requête tendant à l’annulation du jugement ayant rejeté sa demande en première instance et de l’arrêté du 18 mars 2024 par lequel la préfète du Rhône a décidé de l’assigner à résidence, M. A., ressortissant albanais, invoquait plusieurs moyens tirés de l’insuffisante motivation de l’arrêté litigieux, de l’absence d’examen particulier de sa situation personnelle, de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’atteinte portée à une situation juridiquement constituée résultant de l’application des dispositions du 1° de l’article L. 731-1 du CESEDA dans sa rédaction issue de la loi no 2024-42 du 26 janvier 2024. C’est ce dernier moyen qui est au cœur du raisonnement de la cour, les autres moyens étant rapidement écartés.

La cour juge, en effet, que l’arrêté litigieux mentionne l’ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et que la préfète du Rhône n’était pas tenue de faire état de chacun des justificatifs et arguments produits à l’appui de la demande. En outre, la cour relève que l’appelant ne justifie pas en quoi les contraintes résultant de l’assignation à résidence dont il fait l’objet auraient pour effet de faire obstacle au respect de sa vie privée et familiale, car la décision litigieuse se borne à une interdiction de quitter les limites du département du Rhône sans autorisation et à prescrire à l’intéressé de se présenter deux fois par semaine dans les locaux du service de la police aux frontières de Lyon. Comme le souligne le Conseil d’État dans un avis contentieux du 11 avril 2018, une mesure d’assignation à résidence consiste à déterminer un périmètre que l’étranger ne peut quitter et au sein duquel il est autorisé à circuler et « n’a pas, en dehors des hypothèses où elle inclut une astreinte à domicile pour une durée limitée, pour effet d’obliger celui qui en fait l’objet à demeurer à son domicile »6. Le destinataire d’une assignation à résidence contestant une telle mesure doit donc fournir au juge des éléments de nature à démontrer que la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale7.

La réponse de la cour au moyen tiré de ce que la mesure contestée porterait atteinte à une situation juridique constituée et, ce faisant, méconnaitrait le principe de non-rétroactivité de la loi, appelle davantage de développements. La cour juge que les dispositions en litige sont d’application immédiate, le législateur n’ayant pas entendu différer leur entrée en vigueur. En effet, selon l’article 86 de la loi no 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article 72, à l’exception du 2° du VI, entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État. Par ces dispositions, le législateur a ainsi prévu que les dispositions du 2° du VI de l’article 72 de ladite loi, qui ont modifié le 1° de l’article L. 731-1 du CESEDA, sont applicables immédiatement, soit le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française en l’absence de disposition réglementaire nécessaire à leur application. La loi ayant été publiée au Journal officiel le 27 janvier 2024, cette disposition est donc entrée en vigueur le 28 janvier 2024.

Une décision d’assignation à résidence prise à compter de cette date est donc susceptible d’avoir pour base légale un arrêté portant obligation de quitter le territoire français d’une ancienneté de plus d’un an et de moins de trois ans, sans que cela ne conduise à appliquer rétroactivement la loi nouvelle.

La cour distingue ainsi la rétroactivité de la loi nouvelle de son application immédiate aux situations en cours. Cette dichotomie, que le doyen Roubier qualifiait de « base fondamentale de la science des conflits de lois dans le temps »8, repose sur l’idée selon laquelle il convient de dépasser l’acception du droit transitoire assise sur la notion de droit acquis au profit de l’édification d’un droit transitoire assis sur la notion de situation juridique. Ainsi que l’illustrent ces quelques propos :

« Il faudra donc, pour savoir quelles sont les limites de la rétroactivité, distinguer les effets juridiques produits sous la première loi, qui ne peuvent être atteints sans qu’il y ait effet rétroactif, et les effets juridiques qui se produisent seulement après la mise en vigueur de la loi nouvelle, et qui seront déterminés par celle-ci, sans qu’il y ait autre chose qu’un effet immédiat »9.

L’absence de caducité de l’OQTF prise avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 obstacle à la reconnaissance d’une situation juridique constituée

Le président Bruno Genevois relevait, dans ses conclusions sur l’arrêt de Section du 19 décembre 198010, que « le droit public postule plus encore que le droit privé l’application immédiate de la norme nouvelle aux situations en cours »11. Définir la notion de situation juridique n’est pas une tâche aisée car la constitution d’une situation juridique peut s’avérer complexe. Il parait utile de se référer à la définition du professeur Jacques Petit qui relève que la constitution d’une situation juridique se réalise par l’« individualisation d’un effet de droit »12, si bien que l’application de la loi nouvelle n’est qu’une simple application immédiate lorsque sont touchées les parties futures de la situation juridique non définitivement constituée. À titre d’illustration, la jurisprudence rendue sur des problématiques pécuniaires est éclairante, car la situation juridique est regardée comme constituée à la date à laquelle se produit le fait générateur de la dépense, de la recette, de la dette ou de la créance. Le Conseil d’État a ainsi jugé que les dispositions relatives au mode de calcul de l’indemnité due à ses confrères par le bénéficiaire de la création d’un office d’huissier de justice sont celles applicables à la date de la création, la situation de ces derniers pour l’indemnité qui leur est due devant être considérée comme définitivement constituée antérieurement à l’intervention de la règle nouvelle13.

La cour juge, en l’espèce, que M. A. ne se trouve pas dans une situation juridique définitivement constituée qui le soustrairait à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions en litige, car il demeure toujours tenu d’exécuter l’obligation de quitter le territoire français antérieure de plus d’un an à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024. Si les anciennes dispositions de l’article L. 731-1 limitaient à un an la période ouverte à l’administration pour prononcer une assignation à résidence préparatoire à l’éloignement, elles n’avaient pas pour objet de mettre fin aux effets de la mesure d’éloignement une fois le délai d’un an écoulé. Ainsi que l’a précisé le Conseil d’État, les mesures d’éloignement ne sont pas privées d’effet et restent exécutables d’office même après l’expiration du délai ouvert à l’administration pour prononcer un placement en rétention14 ou, désormais, une assignation à résidence. Comme le soulignait la présidente Isabelle de Silva dans ses conclusions sur cette affaire, la loi du 26 novembre 2003 susmentionnée « ne crée nullement un lien juridique nécessaire entre exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière et placement en rétention administrative » et « n’a pas entendu instaurer, en droit, une caducité de l’arrêté de reconduite à la frontière passé un délai de non-exécution d’un an »15. Il ne ressort d’aucune des dispositions du CESEDA que l’écoulement du temps priverait d’effet une obligation de quitter le territoire français et que la mesure deviendrait caduque à défaut d’avoir été exécutée à l’expiration d’un délai déterminé.

La jurisprudence administrative est constante à cet égard si bien que les juridictions administratives s’accordent à adopter un raisonnement similaire à celui adopté par la cour administrative d’appel de Lyon et réitéré par la suite16. Il est, néanmoins, à noter que la cour, contrairement au tribunal administratif de Lyon dans cette affaire, appuie son raisonnement non seulement sur la notion de « situation juridique définitivement constituée » mais aussi sur la notion de « situation légalement acquise », dégagée par le Conseil constitutionnel17, qui interdit au législateur de porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.

En jugeant que l’assignation à résidence de moins de trois ans ne porte pas atteinte à la situation juridique de l’étranger, les juridictions administratives s’alignent sur la position de la Cour de cassation en matière de rétention administrative qui, dans un avis du 20 novembre 2024, a précisé qu’à la suite de la modification des dispositions des articles L.  731 -1,1° et L.  741-1 du CESEDA par la loi no 2024-42 du 26 janvier 2024 « si le principe de non-rétroactivité de la loi, prévu à l’article 2 du code civil, interdit de valider un placement en rétention intervenu avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 pour exécuter une OQTF ancienne de plus d’un an, en revanche, un placement en rétention décidé après cette date pour exécuter une telle OQTF est régulier si cette dernière est ancienne de moins de trois ans »18.

Notes

1 Amendement no COM-237 et amendement no 646. Retour au texte

2 CE, 18 févr. 1998, préfet des Alpes-Maritimes, no 168745, Recueil Lebon T ; CE, 14 mai 2003, no 256808, Recueil Lebon T. V. sur ce point MEURANT C., « Chronique de droit des étrangers », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, no 4, 2025, no 2023. Retour au texte

3 TCHEN V., « Étrangers. Exécution des mesures de départ forcé », JurisClasseur Administratif, fasc. 233-67. Retour au texte

4 Conseil d’État, 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, mars 2020, p. 38. Retour au texte

5 TA de Lyon, 12 avril 2024, no 2402727. Retour au texte

6 CE, avis, 11 avril 2018, no 415174, Recueil Lebon T. Retour au texte

7 V. p. ex. : TA de Cergy-Pontoise, 19 juillet 2024, no 2410066 ; TA de Toulouse, 6 janvier 2025, no 2407481 ; TA de Nancy, 24 mars 2025, no 2500844. Retour au texte

8 Roubier P., « Distinction de l’effet rétroactif et de l’effet immédiat de la loi », RTD civ., 1928, p. 579 ; Roubier P., Le droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, Paris, Dalloz, 2008, 2e éd., p. 177. Retour au texte

9 Roubier P, Le droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, op. cit., p. 204. Retour au texte

10 CE, Section, 19 décembre 1980, no 12387, Recueil Lebon., p. 479. Retour au texte

11 GENEVOIS B., conclusions sur CE, Section, 19 décembre 1980 et CE, Section, 19 décembre 1980, Association La Protection de la nature de la région de Damgan , D., 1981, p. 398-403, spéc. p. 401. Retour au texte

12 PETIT J., Les conflits de lois dans le temps en droit public interne, Paris, LGDJ, 2002, p. 113. Retour au texte

13 CE, 11 décembre 1998, no 170717, recueil Lebon, p. 461. Retour au texte

14 CE, 15 juillet 2004, no 265330, recueil Lebon T. Retour au texte

15 DE SILVA I., conclusions sur CE 15 juillet 2004, no 265330, AJDA, 2004, no 38, p. 2109. Retour au texte

16 CAA de Lyon, 16 avril 2025, no 24LY01454. V. p. ex. TA de Lyon, 11 avril 2024, no 2402326, AJDA, 2024, no 26, p. 1456, concl. Fullana-Thevenet ; TA de Toulouse, 29 octobre 2024, no2406155 ; TA d’Orléans, 15 mai 2025, n°2502249 ; CAA de Nantes, 6 juin 2025, no 24NT03280. Retour au texte

17 CC, 29 décembre 2005, loi de finances pour 2006, no 2005-530 DC, recueil Lebon, p. 168. Retour au texte

18 Cass. 1re civ., 20 novembre 2024, n24-70.005, publié au bulletin. Retour au texte

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