L’assignation à résidence d’un étranger sous OQTF de moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, ne porte pas atteinte à sa situation juridique

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 24LY01854 – 03 avril 2025 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 24LY01854

Numéro Légifrance : CETATEXT000051428511

Date de la décision : 03 avril 2025

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Assignation à résidence, OQTF, Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, L. 731-1 du CESEDA, Principe de non-rétroactivité

Rubriques

Etrangers

Résumé

Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration :

" L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré (...) "

Alors que dans sa rédaction antérieure, cet article disposait que l'obligation de quitter le territoire devait avoir été prise moins d'un an avant l'assignation à résidence. En l'absence de dispositions différant son entrée en vigueur, cette modification est entrée en vigueur le lendemain de la promulgation de la loi, soit le 28 janvier 2024.

Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) antérieure de plus d’un an à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 n’est pas privée d’effet, l’étranger demeurant toujours tenu de l’exécuter et ne se trouvant pas, pour ce motif, dans une situation juridique définitivement constituée qui le soustrairait à l’entrée en vigueur de l’allongement de la période ouverte à l’administration pour prononcer une assignation à résidence préparatoire à l’éloignement.

Par suite, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, prévu à l’article 2 du code civil, ne fait pas obstacle à l’édiction d’une assignation à résidence répondant aux conditions posées par la loi du 26 janvier 2024 afin d’assurer l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français ancienne de plus d’un an et de moins de trois ans, alors même que l’article L. 731-1, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle ladite mesure d’éloignement a été prise, enfermait dans un délai d’un an l’édiction d’une assignation à résidence1.

01-04-02-01, Actes, Validité des actes administratifs-violation directe de la règle de droit, Loi, Absence de violation
335-01, Étrangers, Séjour des étrangers
335-03, Étrangers, Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière

Notes

1 Comp : Cour de Cass., 1ère Ch. Civ., 20 novembre 2024, 24-70.005, publié au bulletin. Même solution pour les placements en rétention administrative. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Christine Psilakis

Rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Lyon

M. X. est un ressortissant albanais né le 20 juin 1997. Il est entré en France le 11 novembre 2010 à l’âge de treize ans et quatre mois accompagnant ses parents et s’y est maintenu.

Il a fait l’objet, par arrêté du 10 juillet 2022 du préfet des Alpes-Maritimes d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai assortie d’une décision fixant le pays de destination ainsi que d’une interdiction de retour sur le territoire français. Il n’a vraisemblablement pas mis à exécution cette mesure. Aussi, par un arrêté du 18 mars 2024, la préfète du Rhône a décidé de l’assigner à résidence pour une durée de 45 jours afin d’organiser son éloignement.

Il a demandé l’annulation de la décision portant assignation à résidence au tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande par jugement du 12 avril 2024, dont il interjette appel.

La plupart des moyens soulevés ne vous retiendront pas : la décision en litige est suffisamment motivée dès lors que la préfète du Rhône y mentionne les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement. Le moyen tiré du défaut d’examen particulier de la situation du requérant manque en fait. Par ailleurs, le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’est pas non plus fondé, l’argumentaire de l’intéressé au soutien de ce moyen se révèle inopérant dès lors que la circonstance qu’il bénéficie de promesse d’embauche et qu’il vive avec ses parents en France est sans effet utile sur le bien-fondé de la mesure en litige laquelle ne constitue pas, par elle-même, des atteintes à sa vie privée et familiale dès lors qu’elle a pour unique objet de préparer l’intéressé à son départ.

Vous l’aurez compris ce ne sont pas ces moyens qui ont justifié le prononcé de nos conclusions mais plutôt le dernier d’entre eux invoqué devant le tribunal administratif et repris en appel, tiré de l’erreur de droit, à savoir que le préfet aurait à tort fondé sa décision sur le 1°de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version issue du 2° du VI de l’article 72 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, entrée en vigueur le 28 janvier suivant et qui prévoit que :

« L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque l'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; ».

La modification en cause du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a entendu porter le délai pendant lequel l’autorité administrative compétente peut assigner à résidence sur le fondement d’une obligation de quitter le territoire prise, d’un an à trois ans auparavant.

Vous relèverez que ce moyen est d’actualité car il est soulevé de nombreuses fois devant les tribunaux : pas moins d’une centaine d’occurrences devant les tribunaux. Mais à notre connaissance, seules deux cours administratives d’appel l’ont explicitement écarté pour les mêmes motifs que ceux retenus par le tribunal à savoir que les dispositions législatives en cause n’avaient ni pour objet ni pour effet de mettre fin aux effets de la mesure d’éloignement : il s’agit d’un arrêt collégial à Douai (voyez n°24DA00928) et d’une ordonnance à Versailles (voyez n° 24VE02411).

Nous pensons que l’appréciation du tribunal administratif qui a écarté ce moyen est exempt d’erreur et ce, pour au moins deux raisons.

En premier lieu, le requérant se prévaut explicitement du principe de non-rétroactivité d’une loi pénale plus sévère en invoquant l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui prévoit que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit ». Or cet argumentaire est complètement inopérant dès lors que l’assignation à résidence n’est pas une peine mais une simple mesure d’exécution de l’obligation de quitter le territoire ; certes privative de liberté (de même que le placement en rétention administrative qui relève du seul contrôle du juge des libertés comme le prévoit l’article L. 741-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

En outre, comme le rappelait M. Verpeaux dans le Répertoire Dalloz de contentieux administratif à l’étude Contentieux constitutionnel : actes administratifs :

« Le juge administratif ne s'immisce pas dans un contrôle de la loi, à partir du moment où la mise en cause de la régularité de l'acte administratif n'implique pas celle d'une disposition législative ».

Or, ici le requérant ne met pas en cause la constitutionnalité de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ce qui ne pourrait se faire que par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité au demeurant). Il se contente d’invoquer le principe général de non-rétroactivité des lois, lequel est un corollaire du concept de sécurité juridique pour faire obstacle à l’application de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa dernière version, ce qui nous amène à l’examen de la seconde raison qui nous motive à aller dans le sens du tribunal administratif.

En second lieu, le requérant se prévaut d’une situation légalement constituée à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 ; date à laquelle ne pourrait pas être appliquée une loi postérieure.

Mais il convient de définir précisément quelle situation est légalement constituée en l’espèce : du point de vue du requérant, il s’agit d’une obligation de quitter le territoire prise plus d’une année auparavant. Il invoque l’absence de dispositions transitoires les concernant pour que puisse être prise une assignation à résidence sur le fondement de la nouvelle version du 1° de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Mais là encore, ce raisonnement est erroné : la seule situation juridiquement constituée au moment de l’édiction de la mesure d’assignation attaquée, c’est le maintien irrégulier de M. X.. sur le territoire français, dès lors que la mesure d’obligation de quitter le territoire prise à son encontre n’a pas été abrogée, ni n’est atteinte de caducité.

En effet, les dispositions du 1° de l’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tant dans leur version antérieure à la loi de 2024 que celle postérieures, ni aucun autre texte législatif d’ailleurs, ne prévoient de caducité de l’obligation de quitter le territoire puisque, comme vous le savez, la caducité ne peut être prévue que par un texte législatif (comparez avec le raisonnement que nous avons déjà tenu dans nos conclusions sur l’arrêt de votre cour n°24LY00500 du 16 janvier 2025, qui concernait l’obligation pour les préfectures d’effacer de leur « Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDGREF) au bout de cinq années les mentions relatives à une obligation de quitter le territoire en application de l’article R. 142-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

Et si des changements de circonstances de droit ou de fait postérieurs à la décision d’éloignement peuvent faire obstacle à l’exécution d’une telle mesure, le temps qui passe ne saurait seul l’abroger (voyez par exemple pour une mesure d’assignation à résidence CE, 8 mars 2016, n°397206, aux Tables du recueil Lebon, classé en B).

En résumé, l’obligation de quitter le territoire dont M. C. a fait l’objet, est donc toujours en vigueur à la date d’édiction de la mesure attaquée et produisait encore ses effets juridiques et aucun changement de circonstance de fait ou de droit, qui n’est d’ailleurs même pas invoqué par le requérant, n’empêchait celui-ci de l’exécuter de son plein gré ou à l’administration d’en rechercher l’exécution par tous les moyens prévus par la loi.

Enfin, la solution que nous vous proposons de retenir s’inscrit en cohérence avec celle retenue par la Cour de cassation pour les placements en rétention (voyez un avis rendu sur demande du tribunal judiciaire de Lyon en matière de placement en rétention : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 novembre 2024, n°24-70.005, publié au Bulletin).

Si vous nous suivez, vous écarterez ce moyen.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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