Le plan local d’urbanisme (PLU) serait-il devenu un instrument majeur de protection de l’environnement ? Si l’arrêt ici commenté met de nouveau cette question en évidence, rappelons que dès les années 1990 au moins, Michel Prieur notamment identifiait le droit de l’urbanisme comme le « deuxième cercle de la protection de l’environnement »1. La décision rendue par la cour administrative d’appel de Lyon le 2 juillet 2024 est une excellente illustration des perspectives protectrices offertes par cette législation.
L’argumentation ici présentée par les sociétés requérantes, propriétaires et exploitantes d’une parcelle constructible située sur la commune de La Talaudière (42), tendait à opposer la protection de l’environnement avec l’exploitation d’un espace déjà bâti. En effet, sur le site en question est exploité une installation de vente et d’entretien de matériel de motoculture, de jardins et d’espaces verts. Néanmoins, la délibération du 20 mai 2021 du conseil communautaire de Saint-Etienne Métropole approuvant la révision du PLU de la commune soumet cette parcelle classée en zone UFb à une contrainte supplémentaire en l’identifiant comme élément de paysage à protéger en tant que « continuité écologique » ; et ce, sans que n’ait été identifiée de trame verte ou bleue en application du Code de l’environnement. Face à cet argumentaire, le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 19 juillet 2022 (n° 2105817) a rejeté la requête dont les auteurs interjettent appel en soulevant les mêmes moyens.
L’articulation entre les différents documents de planification urbanistiques et environnementaux constitue une problématique majeure ici, de la même manière que la possibilité d’instaurer une servitude à dimension environnementale sur un site d’ores et déjà aménagé. Si l’article L. 151-23 du Code de l’urbanisme permet effectivement ce type de mesure, la question majeure soulevée ici est double. Une mesure protectrice de l’environnement peut-elle être légalement incluse au sein d’un PLU sur un espace déjà construit et ne présentant pas, a priori de caractéristiques écologiques propres consacrées par une procédure environnementale ?
L’argumentation des requérantes tend à alimenter un apparent conflit entre environnement et droit de l’urbanisme, pourtant les évolutions de ce dernier tendent à battre en brèche cette idée. En effet, l’affaire ici discutée met en évidence l’indispensable complémentarité qui existe entre les outils issus du Code de l’environnement, et les restrictions aux usages du sol imposées en application des dispositions du Code l’urbanisme.
Les enjeux sont donc multiples dans la mesure où la cour va ici rappeler les conditions dans lesquels les auteurs d’un Plan local d’urbanisme ont la possibilité d’intégrer au sein du règlement, non seulement les mesures propres à préserver les continuités écologiques existantes (I), mais encore de viser à leur restauration (II).
I. Rappel du cadre juridique de la préservation des continuités écologiques par le PLU
Si, en droit de l’environnement « tout se joue dans la manière d’énoncer »2, il en est de même en droit de l’urbanisme pour déterminer les éléments de nature à protéger. La lecture de l’arrêt commenté nous le rappelle singulièrement. L’interprétation du sens de l’expression « continuité écologique » est en effet capitale dans la résolution du litige en cause ; de même que l’affirmation selon laquelle la préservation de la nature ne s’arrête pas aux limites des zones urbaines.
En droit, les mots ont un sens…
En tout premier lieu, la juridiction procède à une précision terminologique capitale pour l’analyse et la qualification de la situation dans la mesure où « continuité écologique » et « corridor écologiques » sont deux notions juridiques qui révèlent des réalités et des régimes distincts. Les requérantes remettent en cause « l'instauration d'un corridor écologique incluant leurs parcelles ». La notion de corridor écologique est définie précisément par le Code de l’environnement et répond à un cadre juridique spécifique que celui de l’instauration des « trames vertes et bleues » au sens de l’article L. 371-1 de ce Code..
« La trame verte comprend : 1° Tout ou partie des espaces protégés au titre du présent livre et du titre Ier du livre IV ainsi que les espaces naturels importants pour la préservation de la biodiversité ; 2° Les corridors écologiques constitués des espaces naturels ou semi-naturels ainsi que des formations végétales linéaires ou ponctuelles, permettant de relier les espaces mentionnés au 1° ».
Dès lors, les corridors écologiques constituent l’une des composantes des continuités écologiques matérialisées par les trames vertes et bleues identifiées au sein du Schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET).
Or, les dispositions du PLU ici contestées n’ont pas été instaurées en application de l’article L. 371-1 du Code de l’environnement, mais sont la mise en œuvre combinée des articles L. 113-29 et L. 151-23 du Code de l’urbanisme. Ce faisant, les auteurs du document d’urbanisme objet du recours demeurent dans le cadre du principe d’indépendance des législations qui gouverne toujours l’articulation du droit de l’environnement d’une part et du droit de l’urbanisme d’autre part. Toutefois, il est important de noter le renvoi fait par l’art. L. 113-29 du Code de l’urbanisme vers le Code de l’environnement puisque peuvent être identifiés les « espaces de continuité écologiques des éléments des trames vertes et bleues ». Ainsi, le mécanisme du Code de l’environnement permet d’assoir l’outil urbanistique de façon nécessairement complémentaire. On constate donc une immixtion toujours plus importante des mécanismes juridique du droit de l’environnement au sein d’autres branches du droit, ne laissant pas la doctrine de s’interroger sur l’appréciation des juridictions administrative quant à la mise en œuvre du principe d’indépendance des législations3.
Évacuant cette épine question, la cour constate ainsi :
« qu’il ressort des pièces du dossier que le règlement du PLU de La Talaudière n'identifie pas un “ corridor écologique ”, au sens des dispositions précitées du code de l'environnement, mais une simple “ continuité écologique ”, ce que les dispositions précitées de l'article L. 151-23 permettent, même en zone urbaine. Cette continuité écologique traverse la zone artisanale du Gabet, classée en zone UFb, et plus particulièrement une partie des terrains non bâtie et végétalisée dont la société TLMCAT est propriétaire et sur lesquels la société LTCM exploite une activité de vente et de location de matériel de motoculture, jardin et espace vert » (§. 6).
Aux yeux de la juridiction, la « simple continuité écologique » au sens du Code de l’urbanisme, est donc nécessairement distincte des trames vertes ou bleues constituées, de façon plus complexe dans leur acception environnementale, de corridors écologiques et de réservoirs de biodiversité. Il convient donc de voir dans l’article L. 151-23 du Code de l’urbanisme, la possibilité d’imposer toute prescription visant la préservation, le maintien et la remise en état de « réseaux écologiques »4, et plus précisément de « voies de passages et d’échange entre zones naturelles »5 permettant la circulation notamment des espèces faunistiques et floristiques. Se rapportant à la dénomination générique de « continuité écologique », le Code de l’urbanisme garanti ainsi un large pouvoir d’appréciation au bénéfice des autorités locales d’urbanisme, et surtout une indépendance des prescriptions imposées par rapport à la reconnaissance ou non de trames vertes ou bleues. S’appuyant sur une notion écologique, le droit de l’urbanisme permet la préservation de son objet tout en s’extrayant du cadre juridique dont elle provient.
Des continuités écologiques identifiables en zone urbaine
Le fond de l’affaire repose sur la servitude que vient faire peser l’identification dans le PLU en cause d’une continuité écologique en application des dispositions précitées. À première vue, ces dernières ont une portée protectrice pour l’environnement naturel existant afin de contribuer à la préservation des qualités écologiques d’un site tout en organisant les modalités d’urbanisation sur le secteur. En découlent des limites à la constructibilité d’une parcelle en raison de l’existence d’un patrimoine écologique caractéristique ou remarquable à préserver. Ainsi, seul ce fondement écologique est susceptible de fonder l’instauration de servitudes d’utilisation des sols issues des dispositions de l’article L. 151-236.
Toutefois, de tels éléments peuvent être identifiés, non seulement en zone naturelle ou agricole, mais également au sein d’espaces urbanisés ou ouverts à l’urbanisation. Les prescriptions protectrices de l’environnement offertes par le Code de l’urbanisme sont nombreuses et couvrent potentiellement des zones U et AU7. Cette position a été réaffirmée par le Conseil d’État précisant que le Code de l’urbanisme offrait la possibilité aux auteurs d’un plan local d’urbanisme d’imposer de telles restrictions si tant est qu’elles soient « proportionnées et ne peuvent excéder ce qui est nécessaire à l’objectif recherché »8. En d’autres termes, et indépendamment du zonage établi, des dispositions peuvent être ajoutées sur le fondement des articles L. 151-19 et L. 151-23 si elles correspondent à des mesures nécessaires pour atteindre l’objectif fixé, notamment eu égard au PADD. La nature réglementaire de la zone n’est en ce sens pas un obstacle à l’introduction de prescriptions en application de l’article L. 151-23 ainsi mobilisable « même en zone urbaine ».
En l’occurrence, les parcelles concernées sont couvertes par un zonage « Ufb » destinée aux activités économiques et particulièrement une vocation commerciale. Les espaces visés sont donc artificialisés dans le sens où les aménagements, installations et constructions ont conduit à la perte de tout ou partie des fonctions écologiques des sols. Il n’en demeure pas moins que des prescriptions spécifiques s’ajoutent aux dispositions de cette zone imposant notamment un coefficient de pleine terre de 100% et l’interdiction de toute nouvelle construction sur les emprises figurant sur le plan de zonage.
La cour mettant en évidence la possibilité de prescrire de telles dispositions en zone « U », il est dès lors possible d’envisager une protection réglementaire potentiellement importante au bénéfice de l’environnement urbain, quelles que soit la nature écologique ou juridique des éléments de nature à préserver. Ainsi, indépendamment d’une éventuelle protection permise par le Code de l’environnement, les haies, zones humides, pelouses et autres arbres remarquables peuvent bénéficier d’un régime protecteur au regard du droit de l’urbanisme, d’autant plus lorsqu’ils constituent ou sont nécessaires à une continuité écologique.
II. Reconnaissance de la légalité d’une volonté exprimée de restaurer les continuités écologiques
La cour de Lyon déploie ici un contrôle classique désormais en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article L. 151-23 du Code de l’urbanisme ; les juges du fonds ayant à plusieurs reprises affirmé que la préservation de continuité écologique au sein du PLU « ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts »9. L’apport de cette décision réside toutefois dans la reconnaissance d’une démarche de restauration de continuité écologique d’une part, et la réaffirmation de la nécessaire cohérence des composantes du PLU.
De la préservation de l’existant à la restauration de continuités écologiques
La marge d’appréciation des auteurs de PLU en matière de protection de sites ou secteurs pour des motifs d’ordre écologique est importante puisque le Code de l’urbanisme permet la préservation, le maintien ou la remise en état des continuités écologiques. Toutefois, ces dispositions permettent-elles de renaturer un espace ayant a priori perdu tout intérêt écologique ? Cette question est au cœur de l’arrêt ici commenté puisqu’il pousse à s’interroger sur la signification de l’expression « remise en état des continuités écologiques ». Il s’agit de « restaurer la fonctionnalité de cette continuité », dès lors que son existence est démontrée. En outre, le juge du fond, à l’image de la même cour de Lyon10, recherche l’adéquation entre l’urbanisation d’une zone et le maintien des fonctionnalités des corridors écologiques11. Aucune limite ne semble s’imposer aux prescriptions instaurées afin d’atteindre un tel objectif.
La jurisprudence administrative est aujourd’hui fournie en ce qui concerne l’étendue du contrôle des mesures prises sur le fondement de l’article L. 151-23, et son étude montre l’amplitude des mesures réglementaires considérées comme légales si tant est qu’elles soient justifiées. En point d’orgue de ces débats juridictionnels, le Conseil d’État a établi le principe selon lequel « une interdiction de toute construction ne peut être imposée que s'il s'agit du seul moyen permettant d'atteindre l'objectif poursuivi »12. Dès lors, la proportionnalité de la mesure doit être recherchée entre ses effets juridiques et l’ambition protectrice initiale. En l’occurrence, la volonté des auteurs du plan est celle de la restauration d’une continuité écologique, les conduisant à interdire sur les espaces visés : « l’imperméabilisation des sols » ou encore « l’édification de clôtures pleines ». Cette dernière limitation entre d’ailleurs en résonnance avec l’adoption récente de dispositions législatives visant l’interdiction de clôtures rendant impossible la libre circulation des animaux sauvages13. La validation de telles prescriptions visant jusqu’à la recréation de continuité écologique permet de consacrer la portée particulièrement favorable à la protection de l’environnement urbain des dispositions de l’article L. 151-23.
Il en ressort donc des contraintes particulièrement restrictives pourtant justifiées, et par ailleurs précisées dans l’ensemble des éléments du PLU.
La cohérence nécessaire des éléments du PLU en vue de la restauration des continuités écologiques
S’il est établi que des prescriptions réglementaires peuvent être incluses au sein d’un PLU pour restaurer une continuité écologique, de telles dispositions ne peuvent pas être intégrées au règlement indépendamment du parti d’urbanisme établi. En l’espèce, il est fait grief au PLU attaqué, d’instaurer des limitations réglementaires aux droits à construire alors même qu’elles ne seraient justifiées « ni par le rapport de présentation du plan local d’urbanisme ni par les documents d’urbanisme supérieur ».
Il convenait donc, pour la cour, d’établir un lien direct entre les différents dispositifs du PLU visant l’existence et la nécessaire préservation de la continuité écologique contestée. Ainsi, sont notamment relevées, l’identification du secteur comme « réservoir de milieux ouverts » par le projet d’aménagement et de développement (PADD) du PLU, ainsi que l’existence d’une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) « Nature en ville ». Cette dernière identifie spécifiquement la zone d’activité économique sur laquelle sont implantées les installations de la société requérante. Ce mécanisme constitue un exemple remarquable de la mobilisation des OAP thématiques au secours de la préservation de l’environnement, en application de l’article L. 113-30 du Code de l’urbanisme qui précise les modalités de mise en œuvre de la protection des espaces de continuité écologiques. Il en ressort que l’arsenal mobilisé par les auteurs du PLU contesté correspond aux possibilités offertes par le Code de l’urbanisme.
Le référencement du site en cause et la mention des caractéristiques issues de sa proximité avec l’Ozon, cours d’eau qui traverse la commune dans toutes les composantes du PLU conduit la cour à trancher : « tant le PADD que le rapport de présentation du PLU justifient suffisamment de l'instauration d'une telle continuité sur l'endroit précis en litige, de même qu'une OAP thématique » (§. 8).
Il est cependant possible de s’interroger sur l’absence de développements concernant la cohérence de ces éléments entre eux. La jurisprudence administrative a pu préciser la portée du rapport de cohérence et surtout les modalités de contrôle de cette relation normative entre les différents éléments du PLU.
Ainsi, le Conseil d’État a énoncé le considérant de principe suivant :
« Pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d'urbanisme entre le règlement et le projet d'aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire couvert par le document d'urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et les objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d'aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l'inadéquation d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d'aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet »14.
Sans reprendre ce considérant, la cour met en relation le PADD, le règlement et les OPA du PLU de la Talaudière dans l’objectif d’y déceler la cohérence attendue. Ce faisant, elle met en exergue leur concordance au bénéfice d’un objectif clairement définit qu’est la préservation de la continuité écologique.
Enfin, le dernier argument de la requérante consiste en la démonstration d’absence d’articulation et de compatibilité du PLU avec le SCoT applicable. L’analyse de la compatibilité d’un PLU au regard d’un SCoT concernant l’identification et la préservation d’espaces de continuité écologique n’est pas nouvelle dans la jurisprudence administrative. Ainsi, la cour de Bordeaux a-t-elle rappelé l’incompatibilité d’un PLU qui, sans le justifier dans son rapport de présentation, rend possible l’autorisation de l’exploitation d’une carrière dont le site est pourtant identifié par le SCoT applicable comme un secteur de continuité écologique préfigurant une trame verte et devant être préservé15.
En l’occurrence, la cour relève que le PADD du SCoT Sud Loire comprend une orientation visant « la préservation des fonctionnalités écologiques de l'Onzon, ainsi que la nécessité de préserver les milieux dans leur diversité (zones humides, structure bocagère, espaces boisés...) et dans leur fonctionnalité » (§. 7). À cet égard, les fonctions écologiques et des objectifs similaires sont donc poursuivis tant par le SCoT que par le PLU, permettant au juge d’écarter un tel moyen.
En définitive, la protection et la remise en état des continuités écologiques est donc susceptible de trouver une expression particulière au sein de « la réglementation d’urbanisme constituant, par nature, une limitation légale du droit de propriété » (§. 9). Parallèlement et indépendamment du droit de l’environnement, le PLU peut se révéler être un outil particulièrement effectif pour concourir à la préservation de ces espaces de circulation de la faune et de la flore.