L'article 15-VII de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 (initialement l’article 8 du projet de loi) portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite NOTRe) a entériné le transfert de la compétence « organisation des services de transports routiers interurbains, réguliers et à la demande, et scolaires » des départements aux régions. Le transfert de la compétence liée aux lignes régulières et aux transports à la demande était prévu au 1er janvier 2017, et le transfert de la compétence liée aux transports scolaires était prévu, quant à lui, au 1er septembre 2017. L’organisation et le fonctionnement des transports scolaires prévus aux articles L. 3111-7 à L. 3111-10 du Code des transports alors en vigueur avant l’adoption de la Loi NOTRe, prévoyaient que « hors périmètre urbain, le département est responsable de l’organisation et du fonctionnement des transports scolaires, quel que soit le niveau d’enseignement concerné » ( Ces dispositions figuraient dans le Code des transports depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 et étaient inscrites à l’article L. 213-11 du Code de l’éducation). À l’intérieur des périmètres de transports urbains, cette responsabilité était exercée au niveau communal ou intercommunal. Une exception s’applique à la région Île de France pour laquelle l’organisation et le fonctionnement des transports scolaires relèvent de la responsabilité du Syndicat des Transports de l’Île de France (STIF devenu Île de France Mobilités depuis 2019). Pour la région Île de France, la réforme n’a d’ailleurs pas modifié l’organisation des transports scolaires.
Ce partage de compétence entre différents échelons territoriaux, nécessite une coordination et une cohérence d’organisation. Face à ces exigences, le législateur a opté pour une clarification de cette forme de gouvernance territoriale en transférant à la région l’organisation de transports scolaires. Un tel choix permettra, selon l’étude d’impact du projet loi, « à garantir un équilibre et une solidarité entre les différents espaces qui structurent le territoire », et « favoriser une meilleure coordination des intervenants et une harmonisation des services rendus pour le transport des élèves ». (Cf. Étude d’impact, Projet de Loi portant nouvelle organisation de la République, 17 juin 2014, NOR : RDFX1412429L/Bleue-1). Une proposition emblématique, aux enjeux complexes, dont l’adoption a fait l’objet d’un débat controversé oscillant entre efficacité et proximité. C’est dans ce contexte que se présente l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 18 juillet 2024.
Alors en charge des transports interurbains, le département de l'Yonne a confié à la SARL Voyages 2000, d'une part, l'exploitation de lignes de transport scolaire, par un premier marché s'achevant le 9 juillet 2015 relatif au circuit 426 et par un second marché s'achevant le 28 juillet 2015 portant sur les circuits 341, 564 et 44, et, d'autre part, l'exploitation de lignes régulières, dans le cadre d'un contrat de délégation de service public, s'achevant le 31 août 2014. Compte tenu de difficultés de paiement rencontrées dans l'exécution de ces contrats, la SARL Voyages 2000 a transmis au département un projet de protocole transactionnel, par courrier du 1er octobre 2019. Par courrier du 22 juillet 2020, le président du conseil départemental a opposé la prescription quadriennale à certaines des créances dont elle se prévalait et admis une créance de 12 713,96 euros. Par courrier du 26 août 2020, la SARL Voyages 2000 a contesté la prescription de ses créances et demandé le versement de 297 255,12 euros au titre de la délégation de service public et de 51 600 euros au titre des deux marchés publics. Après un nouvel échange de courriers datés du 20 octobre 2020 et du 13 novembre 2020, les parties ont échoué à s'accorder sur ces créances. La SARL Voyages 2000 a alors demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les décisions du 22 juillet 2020 et du 20 octobre 2020 lui opposant la prescription de certaines de ses créances et de condamner le département de l'Yonne à lui verser les sommes de 297 255,12 euros et de 51 600 euros.
En première instance, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande d'annulation des décisions du président du conseil départemental de l’Yonne des 22 juillet et 20 octobre 2020. En revanche, le juge a soulevé un moyen d’ordre public, en faisant application de l’article R. 611-7 du Code de justice administrative, tiré de ce que les conclusions de la requérante étaient mal dirigées, le conduisant sur ce fondement à rejeter le surplus des conclusions par un jugement du 16 mars 2023. La SARL Voyages 2000 a relevé appel de ce jugement en tant seulement qu'il rejette sa demande pécuniaire, en soulevant des moyens qui reviennent à contester la lecture qu’a faite le tribunal administratif de Dijon.
Plus précisément, dans cette affaire, le juge d’appel devait statuer à nouveau sur les incidences du transfert de la compétence transports scolaires des départements à la région, notamment sur la question du transfert de créances nées de l’exécution d’un contrat public conclu antérieurement avec la SARL Voyage 2000, et achevé à la date de transfert de ladite compétence.
Par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon a fait sienne la jurisprudence Département du territoire de Belfort, (CE, 23 avril 2007, Département du Territoire de Belfort, n° 282963, au recueil Lebon), faisant ainsi application de « la veine spécifique » appliquée aux incidences de transfert de compétences en cas de dispositions législatives de portée générale.
Rappelons tout d’abord que, par principe, le transfert d’une compétence n’entraîne pas ipso facto un transfert des droits et des obligations nés de l’exercice antérieur de celle-ci. Toutefois, la jurisprudence administrative est marquée par un véritable brouillard sur cette question, caractérisant ainsi un terrain favorable à l’équivoque et à la controverse. Il résulte d’une veine jurisprudentielle, plus ou moins récente, qu’un transfert de compétence n’entraîne pas le transfert des obligations nées de l’exercice antérieur de celle-ci.
Dans sa décision Communauté de communes du Queyras, le Conseil d’État a précisé « qu'en jugeant que ni ces dispositions, ni celles de l'article L. 5211-5 du même code, relatives au transfert des compétences communales à un établissement public de coopération intercommunale et inapplicables au cas de retrait de la compétence transférée à cet établissement, n'instituaient une substitution de plein droit des communes à l'établissement public qui leur restitue une compétence dans les délibérations et les actes ou les droits et les obligations relatifs à l'exercice de ces compétences, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit ». (CE, 4 mai 2011, Communauté de commune du Queyras, n° 340089, au recueil Lebon). Ainsi, le juge administratif a considéré qu'une commune peut demander la réparation d'un préjudice propre qu'elle a subi avant de transférer un bien, et ce, alors même que le transfert de ce bien emporte normalement transfert de l'exercice des droits qui y sont attachés, tel que celui d'engager la responsabilité décennale des constructeurs (CE 8 juillet 1996, Commune de la Bresse, n° 128579, au recueil Lebon, CE, 17 mars 1967, n° 65832 au recueil Lebon). Dans de telles hypothèses, la responsabilité de la collectivité antérieurement compétente demeure engagée au titre d’un contentieux formé antérieurement au transfert de la compétence concernée (CAA Nancy, 11 mai 2006, n° 04NC00570).
Autrement dit, si un transfert de compétence entraîne le transfert des biens, équipements, et services nécessaires à l'exercice de cette compétence, en application des articles L. 1321-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, ce qui inclut par conséquent les droits et obligations attachés à ces biens, équipements et services, le transfert ne s'étend pas, en principe, aux créances et aux dettes nées dans le patrimoine de la collectivité antérieurement compétente à la date du transfert. Tel est notamment le cas des droits et obligations liés à un contrat entièrement achevé avant le transfert de compétences, et ce, alors même que ce contrat avait été conclu pour l'exercice de cette compétence (CE 3 décembre 2014, Société Citélum, n° 383865, au recueil Lebon). Plus récemment, la cour administrative de Marseille a rappelé cette règle, dans ces mêmes termes, dans un arrêt rendu le 15 juin 2020 (CAA Marseille ,15 juin 2020, Commune d’Avignon, n° 18MA04747).
En revanche, lorsque le contrat est en cours et continue à produire ses effets postérieurement au transfert, dans ce cas, la substitution d'une personne publique à une autre a pour effet de transférer tous les droits et obligations nés de l'exécution du contrat, (CE 26 février 2014, Société Véolia eau, n° 365151, au recueil Lebon ; CE, 07 nov. 2019, Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, n°431146 au recueil Lebon. Cette interprétation trouve sa justification dans la volonté de préserver les droits des cocontractants, mais aussi la continuité de service public. La même logique a été appliquée en matière contentieuse dans la décision Commune de Corenc. Dans cette décision, la haute juridiction administrative a considéré que le transfert de la compétence relative au plan local d’urbanisme d’une commune à une métropole n’est pas de nature à faire perdre cette dernière sa qualité de partie à l’instance contre une délibération modifiant le PLU prise avant ce transfert (CE, 12 juillet 2019, Commune de Corenc, n° 41881, au recueil Lebon).
Quoi qu’il en soit, ces hypothèses relèvent seulement du droit commun de transfert de compétences. Il en va différemment lorsque le législateur prévoit un transfert de l’ensemble de droits et aux obligations nés antérieurement au transfert de la compétence concernée. Le cas de l’espèce l’illustre bien.
De manière dérogatoire, le juge administratif se départit de la logique du transfert de compétence du droit commun lorsqu’il se trouve face à une disposition législative de portée générale. Une telle lecture extensive, a été opérée concernant le transfert aux départements de la gestion des routes nationales. Dans sa décision Département de Var, le Conseil d’État a estimé que l'État, qui avait transféré les crédits correspondants, avait nécessairement transféré la charge des obligations nées antérieurement au transfert (CE 23 octobre 2013, Département du Var, n° 351610, au recueil Lebon.). De manière similaire, le Conseil d’État a emprunté la même solution concernant la compétence en matière de revenu minimum d’insertion (RMI) (CE, 23 avril 2007, Département du Territoire de Belfort, n° 282963, au recueil Lebon). Hors du champ des collectivités territoriales, dans un avis contentieux du 18 mai 2011, le Conseil d’État a fait la même lecture incluant ainsi les actions en responsabilisé pendantes à la date de transfert de compétence de l’Établissement français du sang à l’ONIAM (CE, Avis, 18 mai 2011, n° 343823, au recueil Lebon).
Revenons au cas de l’espèce, pour trancher ce point, la cour a d’abord rappelé qu’aux termes de l'article L. 3111-1 du Code des transports, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2017 issue de l'article 15 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République : « […] les services non urbains, réguliers (...), sont organisés par la région[…] Ils sont assurés […] par la région ou par les entreprises publiques ou privées qui ont passé avec elle une convention à durée déterminée », qu’aux termes de l'article L. 3111-7 du même code, dans sa rédaction applicable à compter du 1er septembre 2017 issue de l'article 15 de la loi du 7 août 2015 : « Les transports scolaires sont des services réguliers publics. La région a la responsabilité de l'organisation et du fonctionnement de ces transports […]. ». La cour a ensuite pris en considération les termes du VI de l'article 15 de la loi du 7 août 2015 : « La région bénéficiaire du transfert de compétences prévu au présent article succède au département dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers ». La cour a déduit de ces dispositions que compte tenu de leur portée générale, la région a été substituée au département dans l'exercice de l'ensemble des compétences relatives aux transports non urbains réguliers. Cette substitution s'étend dès lors aux droits et aux obligations nés de contrats conclus par un département antérieurement au transfert de ces compétences qui, bien qu'arrivés à échéance à la date du transfert, donneraient lieu pour leur règlement à une action engagée devant le juge administratif.
Les créances dont se prévalait la Société Voyages 2000 avaient, en conséquence, été transférées sur le chef de la région Bourgogne-Franche-Comté. Validant la position des premiers juges, la cour a conclu au rejet de la requête de la société SARL Voyages 2000 en estimant que ses conclusions sont mal dirigées. La motivation de la cour ne manque évidemment pas d’incertitude : il aurait pu être jugé différemment si la SARL Voyage 2000 avait été partie de la convention de transfert de compétence conclue entre le département de l’Yonne et la région ? Question à laquelle le tribunal administratif de Dijon avait répondu plus clairement en précisant que : « d'autre part, si les différentes conventions que le département de l'Yonne et la région Bourgogne Franche-Comté ont conclues, au mois de décembre 2016, sur le fondement du III de l'article 114 de la loi du 7 août 2015 ont organisé le régime de responsabilité, entre ces deux collectivités, pour les " évènements " ou les " faits " intervenus, selon les cas, antérieurement au 1er janvier 2017 ou au 1er septembre 2017, ces conventions, qui ne sont par elles-mêmes pas opposables aux tiers, n'ont ni pour objet et ne sauraient avoir pour effet de déroger au régime législatif analysé au point 8 ». Sur ce dernier point, il est à noter que la convention de transfert de compétence, à la supposer non opposable aux tiers, est prévue par le III de l’article 114 de la Loi NOTRe selon lequel : « La date et les modalités du transfert définitif de ces services ou parties de service font l'objet de conventions entre le département et la région, prises après avis des comités techniques compétents des deux collectivités. Ces conventions sont conclues dans un délai de six mois à compter de la date du transfert de la compétence concernée ». En application de ces dispositions, la conclusion des conventions de transfert de compétence, permettant d’organiser le service et le régime de responsabilité, ne devrait pas être regardée comme « une dérogation au régime législatif ».
Bien au contraire, il s’agit d’un dispositif permettant d’assurer la continuité de service durant la période transitoire du transfert.
La cour a estimé quant à elle que « l'intéressée ne pouvait utilement se prévaloir des stipulations de la convention de transfert conclue entre le département de l'Yonne et la région, à laquelle elle n'était pas partie ».
Si tel était bien le cas, le juge aurait renoncé à faire application de la « veine spécifique » des dispositions législatives de portée générale et appliquer le droit commun. Inédite la solution de la cour, elle illustre une analyse sémiotique des dispositions législatives, sans qu’elle soit exempte d’incertitude.