Par un jugement du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le schéma de cohérence territoriale (SCoT) de la Maurienne.
Ce SCoT concernait 53 communes regroupées en 7 communautés de communes.
Le tribunal administratif a retenu :
- une insuffisance de l'étude environnementale en ce qui concerne l'absence de justification du parti d'aménagement retenu par rapport à des solutions de substitution envisageables,
- une contradiction entre les objectifs du projet d'aménagement et de développement durable, prévoyant le développement d’un tourisme raisonné, respectueux des espaces naturels et tendant au développement touristique en dehors de la seule saison hivernale et les mesures mises en place par le document d'orientation et d'objectifs, consacrées pour l'essentiel à l'extension des domaines skiables,
- une erreur d'appréciation dans la définition de sept unités touristiques nouvelles, six concernant des projets liés aux domaines skiables et la septième étant relative à un projet de club Méditerranée à Valloire,
- une violation du principe d'équilibre prévu par l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme, en privilégiant à l'excès le renforcement des équipements touristiques par rapport aux autres intérêts protégés par cet article.
44-005-06, Nature et environnement, Charte de l’environnement, Promotion du développement durable
68-01-003, Urbanisme et aménagement du territoire, Plans d’aménagement et d’urbanisme, Projets d’aménagement et de développement durable (PADD)
Avalanche d’illégalités sur le schéma de cohérence territorial de Maurienne
Ce jugement vient premièrement apporter des précisions sur le contentieux des schémas de cohérence territorial (SCOT) contenant des Unités touristiques nouvelles structurantes (UTNS). Ainsi, l’évaluation environnementale doit contenir des scénarii de substitution alternatifs tant pour la globalité du SCOT que pour chaque UTNS. De plus, le juge contrôle l’articulation des éléments du SCOT entre eux, à ce titre le document d’orientation et d’objectifs ne peut être déconnecté du plan d’aménagement et de développement durable. Deuxièmement, le juge va exercer un contrôle entier de l’atteinte aux espaces protégés par les UTNS en relevant sept erreurs d’appréciation, et en déduire leur illégalité. Enfin, ce contentieux illustre une nouvelle fois la violation du principe d’équilibre par un document d’urbanisme en montagne du fait d’un développement touristique mal justifié entraînant un étalement urbain non maîtrisé.
Le contentieux qui nous occupe, s’il a des conséquences considérables pour le territoire concerné, vient apporter des réponses à de nombreuses questions en matière de contentieux des Schémas de cohérence territoriale (SCOT).
Le SCOT de Maurienne a été approuvé le 25 février 2020. La délibération d’approbation a fait l’objet de recours en 2020 par des associations de protection de l’environnement. Le 9 avril 2021, il a été suspendu partiellement par le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Grenoble1. Puis, le 30 mai 2023, le TA de Grenoble a intégralement annulé, par le présent jugement, cette délibération d’approbation.
Ce contentieux, le premier de ce genre à notre connaissance, est remarquable par sa portée en matière de contentieux de l’aménagement touristique en montagne concernant les unités touristiques nouvelles (UTN)2. En effet, la loi montagne « 2 » de 2016 a fait disparaître le système d’autorisation préfectorales dont elles faisaient l’objet et a intégré pleinement les UTN dans les documents d’urbanisme. Ainsi, les plus grands projets, les Unités touristiques nouvelles structurantes (UTNS) doivent figurer dans le SCOT, et les projets au-dessus des seuils mais plus modestes, nommés Unités touristiques nouvelles locales (UTNL) doivent être intégrés au plan local d’urbanisme (PLU). Ce régime juridique des UTNS intégrées dans les SCOT, s’il existe depuis la loi montagne de 1985 au sein des schémas directeurs puis des SCOT, n’a trouvé à s’appliquer que tardivement car il a fallu attendre l’adoption des premiers SCOT. Cette nouvelle procédure fait l’objet de larges critiques3 poursuivant l’érosion des principes de la loi Montagne4. En effet, c’est un nombre multiplié d’UTNS qui peuvent se trouver intégrées dans ces documents, affaiblissant le contrôle exercé UTN par UTN sous le régime des autorisations.
Le SCOT de Maurienne constitue un des premiers cas de contentieux sur un SCOT de montagne sachant que 28% des SCOT sont situés tout ou en partie en zone de montagne et que 71% des communes situées en zone de montagne sont couvertes par un SCOT5. En fait, le présent contentieux renferme ce que craignaient les associations de protection de l’environnement, c’est-à-dire l’inscription de plusieurs UTNS dans un seul SCOT. Le cas d’espèce ne déçoit pas sur ce point en prévoyant dix UTNS récapitulées dans le tableau ci-dessous :
Tableau récapitulatif des UTNS prévues par le SCOT Maurienne
Document d’orientation et d’objectifs du SCOT de Maurienne, p.39
Le recours contre le SCOT de Maurienne concernait les UTNS n°1, 2, 3, 4, 5, 7 et 8. A son issue, le TA de Grenoble a annulé en totalité la délibération d’approbation du SCOT pour l’insuffisance de l’évaluation environnementale, la déconnection entre les objectifs du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) et le document d’orientation et d’objectifs (DOO), le non-respect du principe d’équilibre et sept erreurs d’appréciation concernant les sept UTNS sur les dix prévues par le SCOT. Ainsi, les moyens relatifs à la violation des normes environnementales ont été prépondérant pour l’annulation des SCOT, ce qui confirme la tendance actuelle. En effet, concernant les contentieux dont nous avons connaissance sur des SCOT depuis 20156, les trois annulations prononcées (dont deux annulations partielles) l’ont été pour des motifs environnementaux liés au non-respect de la loi littoral7, à la protection des milieux naturels8 ou encore à la consommation foncière9.
Nous verrons que tant le droit commun des SCOT (I) que le droit de l’urbanisme en montagne (II) constituent les nœuds de ce contentieux.
I) L’application du droit commun de l’urbanisme au SCOT de Maurienne : échec et mat
Le contentieux du SCOT de Maurienne permet de tirer des leçons générales au regard des dispositions du code de l’urbanisme, tant sur la façon de rédiger des scénarii de substitution dans l’évaluation environnementale (A), que de l’articulation du PADD et du DOO (B), ainsi qu’au regard du principe d’équilibre (C).
A) Le contrôle des scénarii de substitution de l’évaluation environnementale d’un SCOT contenant des UTNS
La question juridique posée portait sur le 3° de l’article R. 141-2 du code de l’urbanisme (ancien). Cet article impose que l’évaluation environnementale justifie les choix opérés au regard de « solutions de substitution raisonnables », c’est-à-dire qu’il présente différents scénarii envisagés. En fait, le maitre d’ouvrage doit démontrer qu’il a pensé à d’autres scénarii de réalisations que celui qu’il a retenu, c’est-à-dire des « solutions alternatives »10. Ce moyen est rarement invoqué à l’encontre de l’évaluation environnementale des SCOT11. En l’espèce, le tribunal va répondre à deux questions : celle de l’absence de scénarii alternatifs dans l’évaluation environnementale pour la globalité du SCOT, de même que pour chaque UTNS.
L’avis de la MRAE sur ce SCOT soulevait particulièrement l’absence d’alternative des quatre scénarii globaux, en estimant que « les scénarios de développement, auquel le rapport de présentation fait référence,n’ouvrent sur aucune alternative prenant en compte la protection et la valorisation de l’environnement » et qualifie ce manque de « lacune méthodologique grave »12. A son tour, le tribunal va estimer que ces scénarii ne peuvent pas être analysés comme constituant des solutions de substitution. Dès lors, le TA précise la façon dont doit être opérée l’évaluation environnementale d’un SCOT qui contient des UTNS. Il faut que ces scénarii globaux présentent réellement des solutions de substitution raisonnable, et donc des contradictions entre eux. Tel n’est pas le cas en l’espèce lorsque les scénarii présentés ne contiennent pas de contradictions irrémédiables. De plus, il aurait fallu que le SCOT contienne des scénarii de substitution pour chaque UTNS, il en fallait donc un pour chacune des dix UTNS.
Ce jugement s’inscrit dans les récents contentieux13 qui ont conduit à renforcer les obligations en matière d’évaluation environnementale des UTN14.De plus, une réponse ministériellede 2022 avait estimé que dans le cas d’un SCOT contenant plusieurs UTNS, cette évaluation doit être proportionnée15 selon le niveau de sensibilité du territoire et la précision et l’ampleur des projets en procédant en deux temps : une analyse de chaque UTNS et une prise en compte de leur incidence cumulée16. Loin de nous donc l’époque où le Conseil d’Etat pouvait laconiquement affirmer qu’« aucun texte n'impose qu'une autorisation de création d'une unité touristique nouvelle soit précédée d'une étude d'impact »17. Les réformes récentes ont changé la donne, et l’absence d’évaluation environnementale au titre du code de l’environnement pour une UTN constitue un vice de procédure susceptible d’avoir une influence sur le sens de la décision18. De plus, le juge contrôle la complétude des études d’impact des UTN19. Le jugement présent donne donc une orientation précieuse pour les rédacteurs de SCOT contenant des UTNS dans la manière de prévoir des solutions alternatives.
Il est rare que le juge administratif se penche aussi profondément dans l’étude des solutions alternatives, notamment en matière de SCOT où cela n’est, à notre connaissance, pas advenu jusqu’alors. Ainsi, il n’y a pas qu’à Hollywood que les scénaristes on fait grève, manifestement, ceux du SCOT de Maurienne n’ont pas convaincu le juge du tribunal administratif. Néanmoins il y aura bien une saison 2, le SPM ayant décidé de faire appel.
B) La déconnexion entre la philosophie du PADD et les orientations du DOO
Un SCOT, lorsqu’il est régi par le régime juridique applicable entre 2016 et 202120, est composé de trois éléments21 : un rapport de présentation qui explique les choix retenus et contient notamment l’évaluation environnementale, un PADD qui fixe les objectifs des politiques d’urbanisme, un DOO qui est l’élément réglementaire central car c’est lui qui est opposable aux autres plans et projets qui doivent être compatibles avec le SCOT22. Les dispositions du DOO doivent respecter les orientations définies par le PADD23, le juge administratif effectuant un contrôle de conformité du DOO au regard du PADD24. De plus, en zone de montagne, le DOO doit définir la localisation, la consistance et la capacité globale d'accueil et d'équipement des UTNS de même que leurs principes d’implantation et leur nature25.
Afin d’analyser l’articulation entre le PADD et le DOO, le TA va raisonner en deux phases. Dans un premier temps, il analyse précisément le contenu du PADD, en rappelant les éléments qu’il contient concernant la stratégie de développement économique ainsi que les objectifs visant à préserver la nature et la biodiversité. Dans un second temps, il en déduit une philosophie globale de ce PADD pour estimer qu’
« il est donc exact que la philosophie globale du projet d'aménagement et de développement durables tendait à trouver des alternatives pour les activités estivales[…] optant pour un tourisme lissé sur l’année plutôt que concentré sur les sports de glisse et la saison hivernale, diversifier et réhabiliter l’existant et invitait à la création et la maîtrise de lits nouveaux dans un second temps seulement. Les objectifs de préservation de l’environnement et des paysages sont également fortement affirmés par le projet d'aménagement et de développement durables ».
Or, en dehors de toute disposition en ce sens dans le PADD, le DOO prévoit la création de 22 800 nouveaux lits touristiques et sept UTNS dédiés à l’extension des domaines skiables ou à leur liaison, et la création d’un Club Med de 1050 nouveaux lits. C’est donc un SCOT à « la très forte orientation touristique » au regard de sa consommation foncière comme le rappelle la MRAE26. Cela se révèle pour le TA « sans égard pour les incitations claires du projet d'aménagement et de développement durables de développement d’un tourisme raisonné, respectueux des espaces naturels et tendant au développement touristique en dehors de la seule saison hivernale ». Il en déduit donc une déconnexion entre les objectifs du PADD avec ceux du DOO.
Ainsi, le TA donne corps ici aux dispositions du code de l’urbanisme et livre une analyse circonstanciée de la conformité des dispositions d’un DOO avec un PADD, ce qui là encore à notre connaissance est assez inédit, d’autant plus en zone de montagne.
C) Un SCOT déséquilibré au regard des grands principes du droit de l’urbanisme
Le tribunal administratif de Grenoble va estimer que le SCOT de Maurienne est
« sans égard pour les conséquences immédiates de telles extensions urbaines des centres station sur des zones vierges de construction et sans non plus assurer une parfaite maîtrise de ces créations de lits supplémentaires en les entourant de garanties strictes visant a minima à les maintenir en lits chauds. Compte tenu de ce constat, qui révèle une absence de maîtrise de l’étalement urbain sur des zones de montagne aux intérêts environnementaux et patrimoniaux importants ainsi qu’en l’absence de solution pérenne pour garantir l’effectivité de l’activité touristique et plus largement économique des stations dans la durée, les auteurs du schéma de cohérence territoriale ont méconnu le principe d’équilibre de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme. »
Le principe d’équilibre fait partie des grands objectifs de l’action des collectivités publiques en matière d’aménagement constituant « une forme de préambule du code de l’urbanisme »27. Il met notamment l’accent sur la maîtrise de l’étalement urbain au regard d’une utilisation économe des espaces naturels, la protection des sites, des milieux et paysages naturels28. Ce principe constitue un élément de contrôle concret des documents d’urbanisme29, et notamment des SCOT30. En montagne, la commune d’Huez avait vu son PLU invalidé par le tribunal administratif de Grenoble pour non-respect du principe d’équilibre31, notamment pour insuffisance du diagnostic du rapport de présentation car ni la réhabilitation de lits froids, ni la pérennisation des lits chaud n’étaient envisagées, que l’objectif de développement des résidences de tourisme était mal justifié.
Le TA de Grenoble nous offre donc à nouveau une illustration du non-respect du principe d’équilibre en matière de station de ski. Il critique ainsi deux éléments du SCOT de Maurienne : l’absence de maîtrise de l’étalement urbain dans un espace sensible de montagne et l’absence de stratégie touristique visant à garantir la pérennité économique du territoire. En fait, l’appréciation du principe d’équilibre par le tribunal administratif de Grenoble arrive en fin de jugement, et vient sanctionner les rédacteurs pour l’ensemble de leur œuvre. En effet, avant de se prononcer sur ce principe, il va longuement apprécier la légalité des UTN présentes dans le SCOT.
II) Un contrôle entier sur l’atteinte aux espaces protégés par les UTNS
L’article L. 122-15 du code de l’urbanisme renferme deux grandes exigences envers les UTN, l’une de prendre en compte de la vulnérabilité de l’espace montagnard au changement climatique, l’autre de devoir respecter la qualité des sites et des grands équilibres naturels. Ce jugement vient donc préciser comment appliquer ces exigences de prise en compte et de respect en matière de SCOT lorsque plusieurs UTNS y figurent. Avant d’analyser le contrôle qu’exerce le TA (B), nous donnerons quelques éléments de contexte (A).
A) Une coexistence inévitable entre espaces protégés et stations de ski
Afin de contrôler l’atteinte aux espaces protégés portée par les UTNS, le TA va fonder son jugement sur le chevauchement ou la proximité de celles-ci avec les espaces protégés prévus dans le code de l’environnement (Zones Natura 2000, ZNIEFF, zones humides, etc.)32. La coexistence des stations de ski et de ces espaces est une caractéristique intrinsèque des zones de montagne. En effet,les trois quarts des stations de ski des Alpes-du-Nord empiètent sur des espaces protégés, principalement dans les Parcs nationaux et les zones Natura 200033.
Source : Atlas environnemental des stations de ski et des communes supports de stations, CGEDD, Avril 2019, p.24.
De plus, les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) sont souvent situées à une proximité forte avec les stations de ski, subissant donc plus fortement les incidences des interactions avec ces stations que les autres espaces protégés. Bien que ne constituant pas en soi une zone de protection, c’est un indicateur de biodiversité. Ainsi, « en 2017, près de 183 000 hectares de ZNIEFF de type 1 sont situées à moins de 1500 mètres d’une station de ski alpine, dont 26% de surface sont en chevauchement »34. En fait, la constitution d'une ZNIEFF n'est pas un acte faisant grief, mais il est possible de contester une décision ou un document d’urbanisme qui serait incompatible avec celle-ci35.
Source : Atlas environnemental des stations de ski et des communes supports de stations, CGEDD, Avril 2019, p.24.
Ainsi, le juge administratif s’est positionné sur l’atteinte ou non aux espaces protégés et aux ZNIEFF par les UTNS du SCOT de Maurienne.
B) Le contrôle de l’atteinte et de la proximité avec les espaces protégés
De manière classique, le TA de Grenoble exerce un contrôle entier sur le respect des conditions de l’article L. 122-15 du code de l’urbanisme36 par le biais de l’erreur d’appréciation, où il vérifie que les faits sont de nature à justifier légalement la décision attaquée. A cette fin, il va se livrer à l’analyse de plusieurs éléments pour chacune des UTNS contestées : leur surface en hectares, le chevauchement ou la proximité de l’UTN avec une zone protégée, la présence d’espèces protégées, et d’autres éléments liés à la problématique de l’eau ou des risques naturels.
La jurisprudence en matière d’UTN pouvait laisser présager l’issue de ce jugement. En effet, depuis le début des années 1990, le juge administratif a apprécié UTN par UTN l’atteinte aux sites. Comme vu précédemment, il est inévitable que les stations de ski chevauchent des zones de protection, ainsi, le juge censure les atteintes qu’il considère comme illégales, mais en accepte d’autres. Lorsqu’il censure une UTN, il se réfère tant à la proximité qu’à l’atteinte directe de deux types d’éléments : les éléments du patrimoine culturel ou naturel protégés par le code de l’environnement et des éléments qui relèvent d’avantage d’une appréciation plus large des sites et grands équilibres naturels, tels que les prairies, les paysages, la faune et la flore. Ainsi, ne respecte pas la qualité des sites et les grands équilibres naturels une UTN située à la lisière d’un site inscrit et d’un site classé37. De même, est illégale la réalisation d’un aménagement de domaine skiable qui a une incidence sur un site sensible et altérera profondément et de manière irréversible les paysages, la flore et la faune, qui comporte des espèces rares, et des risques d’avalanches38. Ou encore, n’est pas acceptable l’atteinte portée par une UTN à un territoire couvert par deux ZNIEFF et treize zones humides abritant des espèces protégées, aux alentours immédiats d’une zone Natura 2000 et d’une réserve naturelle. D’autant plus que dans ce cas, les mesures de compensation ne sont définies ni dans leur portée ni dans leur calendrier d’application, et qu’aucune prescription n’est de nature à limiter l'impact du projet sur la qualité du site39.
Il a en revanche estimé que ne porte pas une atteinte illégale aux sites et grands équilibres naturels des UTN qui n’ont qu’une incidence limitée sur des zones naturelles non comprises dans des espaces protégés au titre du code de l’environnement40. Le juge tient aussi compte du fait qu’une urbanisation existante soit déjà présente sur le site envisagé pour approuver les UTN41, de même que des mesures de protection de l’environnement prévues durant le chantier et à son issue pour estimer que l’atteinte portée n’est pas illégale42.
Concernant le SCOT de Maurienne, le TA va retenir les chevauchements et la proximité immédiate de zones protégées par les UTNS. De même, il contrôle finement la présence d’espèces protégées. Notre tableau ci-dessous récapitule les atteintes retenues par le juge pour chaque UTNS.
UTNS
Emprise en dehors du domaine skiable en hectares
Atteinte à une ZNIEFF 1 ou 2
Atteinte à une zone humide (en % de la surface, ou en hectares)
Atteinte à une Zone Natura 2000
Atteinte au Parc National
Atteinte à une zone de protection de biotope
Présence d’espèces protégées
Problématique autre
1
4,1 h
Atteinte à un ZNIEFF2
Oui
2
3,9 h
Atteinte à un ZNIEFF2
Oui, impact de 50% de la zone.
Oui
Oui, présence et destruction de plusieurs habitats
Risque de pollution de l’eau et d’atteinte à la trame bleue. Impact paysager inacceptable.
3
12 h
Oui, impact de 40% de la zone.
Proximité immédiate
Oui
27 espèces protégées recensées.
4
Oui, destruction probable d’espèces lors des travaux.
UTN qui supprimerait ou modifierait 50 000 mètres carrés d’habitats naturels. Effets sur les corridors écologiques. Atteinte irrémédiable aux milieux naturels. Risques de glissement de terrain.
5
85 h
Oui, impact de 66% de la zone.
Proximité immédiate
L’étude environnementale n’est pas assez précise sur ce point pour le TA, ainsi leur présence ne peut être exclue.
7
8,3 h
Proximité immédiate avec une ZNIEFF 1
Proximité immédiate
Proximité immédiate
Oui, présence de plusieurs espèces protégées.
8
3,9 h
Oui, 3,1 h d’impact de la zone.
Proximité immédiate
Proximité immédiate
Proximité immédiate
Oui, présence de plusieurs espèces protégées.
Au vu de ces éléments cumulés, le TA va retenir une erreur d’appréciation pour chacune de ces UTNS, sanctionnant ainsi à la fois l’atteinte aux zones protégées et à la biodiversité.
***
En conclusion, on peut retenir que l’équipement touristique des stations tournées vers les activités hivernales continue de poser de nombreuses questions, comme l’illustrent le présent contentieux, de même que la construction imminente du troisième tronçon du téléphérique de la Grave43 ou encore la production de neige artificielle44. Il est à noter que sans pour autant intégrer des UTNS, d’autres SCOT prévoient des extensions de l’urbanisation touristique en montagne par des biais plus discrets, tels que le mécanisme de surface touristique pondérée du SCOT de la Tarentaise. La rivalité entre les vallées ne fait que se prolonger par d’autres moyens
Lexique des acronymes : CAA : Cour administrative d’appel CE : Conseil d’Etat DOO : Document d’orientation et d’objectifs MRAE : Mission régionale d’autorité environnementale PADD : projet d’aménagement et de développement durable PLU : Plan local d’urbanisme TA : Tribunal administratif SCOT : Schéma de cohérence territorial SPM : Syndicat du pays de Maurienne UTN : Unité touristique nouvelle UTNS : Unité touristique nouvelle structurante UTNL : Unité touristique nouvelle locale VNEA : Valloire nature et avenir ZNIEFF : Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique
2 MOULIN S., « Chapitre 2. La préservation de la montagne et le développement du tourisme La loi “ montagne ” rattrapée par le droit commun », in BOUIN F. et DEMONTRON N. La territorialisation du droit du tourisme, Mare et Martin, 2023. Retour au texte
3 JOYE J.-F., « Impact sur l’environnement des aménagements touristiques en montagne, l’impératif d’améliorer la procédure « UTN » après l’annulation partielle du décret du 10 mai 2017 », Construction-Urbanisme, n°11, 25 novembre 2019, étude 25. Retour au texte
4 JUEN P., « L’érosion des principes d’urbanisation issus de la loi Montagne », Construction - Urbanisme, n°11, Novembre 2012, étude 10. Retour au texte
5SCoT et montagnes Repères techniques et juridiques, CEREMA et Fédération des SCOT, février 2021, https://www.fedescot.org/images/actualites/Fiche_SCoT_montagnes_10_FedeSCoT_CEREMA-min.pdf Retour au texte
6 ; TA Grenoble, 11 décembre 2014, n° 1302588 ; TA Grenoble 26 février 2015, n° 1300942 ; CAA Douai, 4 mai 2017, n° 15DA02044 ; CAA Lyon, 13 juin 2017, n° 15LY02717 ; CAA Bordeaux, 28 décembre 2017, n°15BX02851 ; CAA Douai, 12 octobre 2021, n°20DA00617 ; CAA Nantes, 20 décembre 2022, n°21NT00058, Inédit au recueil Lebon. Retour au texte
7 CAA Nantes, 20 décembre 2022, n°21NT00058, Inédit au recueil Lebon. Retour au texte
11 Davantage en matière de permis d’aménager (CAA Nantes, 25 juillet 2023, n°22NT02307, Inédit au recueil Lebon) ou de PLUi (CAA Lyon, 17 mai 2023, n°22LY01498). Retour au texte
12 Avis délibéré de la Mission Régionale d’Autorité environnementale Auvergne-Rhône-Alpes relatif à l’élaboration du schéma de cohérence territoriale Pays de Maurienne (73), 22 août 2019, n° 2019-ARA-AUPP-00730, p. 3. Retour au texte
20 Voir article L.141-2 du code de l’urbanisme un SCOT est désormais composé d’un plan d’aménagement stratégique, d’un document d’orientation et d’objectif et d’annexes. Retour au texte
26 Avis délibéré de la Mission Régionale d’Autorité environnementale Auvergne-Rhône-Alpes relatif à l’élaboration du schéma de cohérence territoriale Pays de Maurienne (73), 22 août 2019, n° 2019-ARA-AUPP-00730, p. 20. Retour au texte
27 SOLER-COUTEAUX P., CARPENTIER E, Droit de l'urbanisme, 8ème édition, Hypercours, Dalloz, 2022, p.32. Retour au texte
32 LASLAZ L., CADORET A., MILIAN J., Atlas des espaces protégés en France. Des territoires en partage ?, Muséum national d'Histoire naturelle, Paris, 2020. Retour au texte
40 CE, 15 mai 1992, n°118573 ; CAA Lyon, 16 juillet 1999, n°98LY01475 ; CAA Lyon, 16 mars 2021, n°19LY03585, Inédit au recueil Lebon. Peux tu ajouter un lien hypertexte ? Retour au texte
43 RIVAUD M., « Téléphérique de la Grave : la contestation s’amplifie face au début des travaux », Alpinemag.fr, 25 septembre 2023. Retour au texte
44 YOLKA P. « Canons à neige et guerre de l'eau », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 45, 14 Novembre 2022, act. 685 ; FRANÇOIS H. et al. « Climate change exacerbates snow-water-energy challenges for European ski tourism », Nature climate change, 13, 2023, pp.935-942. Retour au texte