Le 11 mai dernier, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé l’annulation d’une délibération ayant approuvé un acte administratif recourant à une forme d’écriture inclusive, celle usant de points médians. Si le tribunal n’est pas allé jusqu’à affirmer que le langage inclusif n’était pas du français, il a néanmoins jugé, par une interprétation pour le moins audacieuse de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme, que ce texte était inintelligible et devait être annulé. Il n’a pas en revanche jugé bon d’enjoindre à l’université de rédiger de nouveaux statuts, la décision d’annulation suffisant, selon le tribunal, à emporter « disparition rétroactive » des marques d’écriture inclusive contenues dans l’acte litigieux1
.
Alors que l’Assemblée nationale et le Sénat examinent différentes propositions de loi visant à interdire l’écriture inclusive 2, il apparaît important de revenir sur le jugement quelque peu médiatique rendu le 11 mai 2023 par le tribunal administratif de Grenoble par lequel celui-ci a annulé la délibération de l’université Grenoble-Alpes validant les statuts d’une unité de formation universitaire recourant à une telle écriture.
Avant de commenter plus avant cette décision, rappelons que l’écriture inclusive est l’une des formes de langage inclusif, lequel désigne l’ensemble des variations du langage par lesquelles le locutorat3 s’efforce – la question de savoir s’il y arrive est une autre question – d’inclure toutes les personnes indépendamment de leur genre et cela par l’utilisation de différents procédés langagiers, tels que, pour reprendre les catégories proposées en linguistique4, la double flexion totale (les lecteurs français et les lectrices françaises) ou partielle (les lecteurs et lectrices français(es) / français-e-s / français.e.s / français·es, etc.), l’hyperonimisation (le locutorat français), la motivation (les personnes lisant le français), l’accord de proximité (les lecteurs et lectrices françaises), la néologie (les lecteurices françaises) ou encore le genre neutre (les lectaires françaiz). L’expression de langage inclusif regroupe donc certaines variations diaéthiques du français5, entendues comme les variations utilisées par le locutorat en raison non pas de son lieu de vie (variations diatopiques), de sa classe sociale, mais de ses normes éthiques.
Dans l’affaire commentée – pour laquelle nous avons pu avoir accès aux écritures de l’université Grenoble-Alpes et du rapporteur public6 que nous remercions – un enseignant de langue, mécontent de l’utilisation dans les statuts de son unité de formation d’un procédé d’écriture inclusive (un point final au milieu des mots pour rendre visible le genre féminin) et craignant qu’on ne lui impose une telle graphie à l’avenir, avait saisi le tribunal administratif de Grenoble de deux recours, un au référé et un au fond, pour respectivement suspendre et annuler la délibération du conseil d’administration de son université approuvant lesdits statuts. Alors qu’en référé avait été rejeté la demande de suspension (en raison de l’absence de doute sérieux sur la légalité de la délibération), au fond la juridiction a opté, dans la décision ici commentée, pour une annulation, sans pour autant enjoindre à l’université de rédiger de nouveaux statuts. Pour parvenir à cette conclusion le tribunal a accueilli le second moyen du requérant qui avançait notamment « l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme ». En revanche, le premier moyen, qui se fondait sur l’article 2 de la Constitution et qui tentait donc de convaincre de la non-appartenance du langage inclusif à la langue française n’a pas été examiné.
Compte tenu de l’importance de l’argument d’inintelligibilité de la langue française, dans le discours des personnes s’opposant au langage inclusif ou souhaitant l’interdire7, il apparaît important de s’attarder sur cette décision, d’autant plus qu’il n’en a pas été relevé appel par l’Université Grenoble-Alpes, celle-ci – selon ce qui nous a été dit par son service juridique – « ne faisant pas de ce point une question de principe, et le jugement ne [l’]enjoignant pas [à] prendre une nouvelle délibération ».
Dans le présent commentaire, on s’intéressera aux seules questions substantielles, en laissant donc de côté la question procédurale de l’intérêt à agir. On s’efforcera ainsi de confronter la réponse apportée par le tribunal sur chacun des deux moyens à la jurisprudence antérieure des juridictions administratives et constitutionnelles. Cela sera l’occasion de montrer le bien-fondé de l’absence de suites favorables donné au premier moyen (I), mais à l’inverse le caractère infondé de l’accueil du second (II).
I. L’absence de remise en cause de l’appartenance du français inclusif à la langue française
Après avoir présenté la décision du tribunal à l’aune de la jurisprudence antérieure (A), on en appréciera la valeur (B).
(A) Pour bien saisir la réponse du tribunal au moyen tiré de la non-appartenance du langage inclusif à la langue française, il faut commencer par rappeler la thèse défendue par le rapporteur public à l’audience. Celui-ci souscrivait pleinement à l’argumentation du requérant selon laquelle « l’écriture inclusive » ne pourrait pas être subsumée sous la notion de langue française mentionnée dans l’article 2 de la Constitution de 1958. Après avoir rappelé la décision du tribunal administratif de Paris ayant jugé qu’« il ne résulte […] d’aucun […] texte ou principe que la graphie appelée « écriture inclusive » […] ne relève pas de la langue française », le rapporteur public écrivait « Nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse » et de proposer une réinterprétation extensive de l’article 2 de la Constitution pour tirer de ce texte non plus seulement l’exigence d’user d’une langue française et non étrangère, mais d’user d’une langue susceptible d’être « comprise par tous et […] dans un objectif d’unité, en accord avec le premier alinéa de l’article 1er qui proclame que « la France est une République indivisible […] », réinterprétant on le voit aussi du même coup l’article 1er.
Sans vouloir contredire leur collègue, les juges du tribunal administratif ont néanmoins manifestement jugé périlleux de faire leur cet argument puisqu’ils ont préféré ne pas l’examiner, en affirmant qu’il n’y avait « pas lieu de se prononcer sur les autres moyens de la requête (§9 de la décision). Ce faisant, ces juges n’ont pas seulement évité l’apparition d’une divergence de jurisprudence entre Paris et Lyon sur la question de l’appartenance de « l’écriture inclusive » au français, mais elles ont surtout respecté la seule décision publiée rendue à ce jour par le Conseil d’État à propos de l’écriture inclusive et dont d’ailleurs, étrangement, le rapporteur public ne fait aucune mention. En effet, dans une décision du 18 juillet 20188, par laquelle les juges du Palais-Royal avaient à juger de l’appartenance à la langue française d’un texte usant d’une forme d’écriture inclusive, il avait été affirmé qu’on « ne saurait […] sérieusement soutenir que les exigences posées par l'article 2 de la Constitution en vertu duquel « la langue de la République est le français » ont été méconnues ». Ainsi la décision du tribunal administratif de Grenoble apparaît-elle non contradictoire avec celles rendues par son homologue parisien et le Conseil d’État.
(B) Le choix du tribunal administratif de Grenoble de ne pas s’opposer à cette jurisprudence nous paraît devoir être approuvé, non seulement parce que cela correspond à la réalité linguistique de cette écriture inclusive (1), mais aussi parce qu’admettre l’argumentaire du rapporteur n’aurait pas été sans dangers (2).
(1) Cette jurisprudence constante affirmant l’appartenance de l’écriture inclusive à la langue française correspond à la réalité linguistique de cette langue, dans le sens où, premièrement, l’on ne trouvera pas une personne usant du langage inclusif qui prétendra ne pas parler le français. Deuxièmement, l’Académie française elle-même, malgré son incompétence juridique9 à imposer le bon usage hors de sa « compagnie » 10, n’a jamais remis en cause l’appartenance de l’écriture inclusive à la langue française. Ainsi, en affirmant que cette écriture « trouble les pratiques d’apprentissage et de transmission de la langue française », elle admet nécessairement qu’elle appartient bien à la langue française11. Troisièmement, dans la mesure où le recours à un langage inclusif ne vient modifier, selon les textes, que 1 à 7% des mots et encore seulement leurs suffixes12, il paraît techniquement plus que périlleux de dire qu’on quitterait avec l’écriture inclusive le domaine de la langue française, sauf à détruire dans le champ linguistique la distinction entre langue et variation langagière.
(2) Ensuite, l’argument proposé par le rapporteur public nous paraît des plus dangereux, premièrement au regard de l’insécurité juridique qu’il entraînerait. En effet, nombre de contrats-types ou de formulaires ouvrant aux individus des droits subjectifs ou ayant ouvert par le passé de tels droits, comprennent du langage inclusif, tel l’emploi de parenthèses pour inclure expressément les personnes de genre féminin. Si l’on devait suivre le rapporteur public dans son raisonnement, ne faudrait-il pas alors considérer comme nuls tous ces formulaires et les droits acquis sur leur fondement ? Deuxièmement, à admettre cet argument, ne faudrait-il pas aussi s’attaquer à d’autres variations du français au nom de la recherche d’une certaine pureté de la langue ? On voit qu’à suivre cette pente de l’unité technique de la langue, au détriment de celle de l’unité politique, on reviendrait sur le mouvement, certes encore inabouti en l’absence d’assise constitutionnelle, de reconnaissance de la diversité linguistique française (langue des signes et langues régionales)13. Or, un tel retour en arrière serait dangereux au regard des tensions politiques et sociales qui ne manqueraient pas de s’ensuivre.
Pour toutes ces raisons, le refus du tribunal administratif de Grenoble de retenir l’argument tiré de la violation de l’article 2 de la constitution doit être approuvé. Il n’est en revanche pas possible de faire de même quant à la réponse qu’il donne à l’argument fondé sur la violation de l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme.
II. L’affirmation du caractère inintelligible du langage inclusif
Là encore, on commencera par présenter la décision du tribunal, en la situant par rapport à la jurisprudence administrative antérieure (A), avant d’en apprécier la valeur (B).
(A) Dans sa décision du 11 mai 2023 le tribunal administratif de Grenoble affirme que l’usage d’un « mode rédactionnel » recourant au point médian « a pour effet de rendre la lecture de ces statuts malaisée alors même qu’aucune nécessité en rapport avec l’objet de ce texte, qui impose, au contraire, sa compréhension immédiate, n’en justifie l’emploi ». De là, et en s’appuyant sur le « constat opéré par l’Académie française dans sa déclaration du 26 octobre 2017 », le tribunal conclut que le requérant « est fondé à soutenir que l’utilisation de ce type de rédaction porte […] atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme » (§ 8). Dès lors, il décide « d’annuler pour excès de pouvoir la délibération du conseil d’administration de l’université́ Grenoble-Alpes du 16 juillet 2020 portant approbation des articles 2 à 15, 17 et 18 du statut du service des langues en tant qu’ils sont rédigés en écriture « inclusive » (§ 9).
En revanche, le tribunal n’estime pas nécessaire d’enjoindre à l’université de réécrire les statuts et de les faire adopter par son conseil d’administration, estimant qu’une simple injonction d’affichage de la présente décision suffira (§11), celle-ci emportant « disparition rétroactive des marques d’écriture "inclusive" contenues dans les statuts du service des langues de l’université Grenoble-Alpes » (§10). Concrètement, donc, rien ne change pour l’université, qui peut conserver tels quels les statuts contestés.
À cet égard, la présente décision semble s’inscrire dans la continuité de décisions antérieures des juridictions administratives n’ayant pas souhaité contraindre des autorités administratives à réécrire des actes qui se seraient écartés des modalités standard, par exemple en féminisant (ou plutôt démasculinisant) certaines fonctions qui ne l’avaient guère été jusqu’à présent14 ou en utilisant des formes abrégées de doublet, à l’aide de points (médian ou non), toujours dans le souci de rendre les femmes visibles. À l’examen, pourtant, tant le résultat de la décision que sa motivation sont singulières. Le résultat en ce que, jusqu’à présent, aucune décision d’une juridiction administrative n’avait prononcé l’annulation d’un acte administratif au motif qu’il usait d’un langage inclusif. La motivation, ensuite, en ce que la présente décision est à notre sens la première à examiner juridiquement le grief d’inintelligibilité, souvent adressé dans l’espace public à certaines formes de langage inclusif. Que penser alors de cette décision singulière ?
(B) Au premier abord, on pourrait être tenté de louer le sens de la mesure d’une décision qui, tout en condamnant le recours à une écriture dont il est communément admis qu’elle déformerait la « langue de Molière »15, ne fait pas néanmoins peser des contraintes fortes sur les personnes publiques dont les agents l’utiliseraient, les juges refusant de prononcer des injonctions de réécriture les textes. Pourtant, l’examen des normes mobilisées dans ce raisonnement conduit à une position plus critique de la décision. D’abord, la référence aux travaux de l’Académie française est surprenante, alors que, on l’a dit, la force normative des sources produites par l’Académie est des plus faible16. Ensuite, l’interprétation retenue en l’espèce par le tribunal « de l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’accessibilité de la loi » – en réalité désormais intitulé « objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » 17– apparaît à contre-courant de toute la jurisprudence constitutionnelle, comme on voudrait le montrer plus longuement.
Comme cela a été établi par une autrice qui, à la suite d’une étude minutieuse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les utilisations jurisprudentielles de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi sont doubles. « D’une part, "l’accessibilité" et "l’intelligibilité" de la loi signifient que le citoyen doit être en mesure de "connaître" – et par extension – de "comprendre" la législation en vigueur »18, ce qui renvoie à « l’accessibilité matérielle et l’accessibilité intellectuelle »19. « D’autre part, l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi […] implique […] une obligation pour le législateur d’édicter des dispositions suffisamment précises, afin d’éviter que la loi ne devienne l’objet d’interprétations contraires à la constitution »20. La même source souligne que, dans ce deuxième sens, l’objectif à valeur constitutionnelle permet de contrôler « la prédétermination de l’action des autorités chargées d’appliquer la loi »21.
Dans le cas d’espèce, ce n’est évidemment pas de cette seconde fonction de l’objectif dont il est fait usage, mais bien de la première, renvoyant à l’accessibilité matérielle et intellectuelle de la norme. Plus précisément, c’est l’accessibilité intellectuelle qui est en jeu, autrement dit, son intelligibilité. Or, dans cette première fonction, le Conseil a pu juger que l’objectif à valeur constitutionnelle ne saurait être méconnu par le seul fait qu’une disposition introduit un surcroît de complexité dans le droit en vigueur22, la complexité d’une disposition ne suffisant pas en soi à emporter violation de ce principe23. En outre, même dans des hypothèses où la complexité était particulièrement élevée, le Conseil a pu tempérer les problèmes d’intelligibilité en relevant que le surcroît de complexité était justifié par des objectifs regardés par le législateur comme étant d’intérêt général24. Enfin, si l’on examine l’ensemble des décisions pertinentes consignées dans les Tables analytiques du Conseil constitutionnel, on s’aperçoit que la quasi-totalité des censures intervenues sur le fondement de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité, dans sa première fonction, l’ont été en présence de dispositions entachées de contradictions internes ou externes à l’aune d’autres textes25. La seule fois où le Conseil constitutionnel s’est écarté de ce schéma concernait une disposition fiscale d’une particulière complexité, qu’aucun motif d’intérêt général ne justifiait et alors que de sa compréhension dépendait les choix du contribuable, déterminants pour le montant de son imposition26.
Compte tenu de cette jurisprudence, on mesure mieux la fragilité de la motivation assise sur l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et donc aussi la fragilité de la conclusion selon laquelle l’utilisation du langage inclusif serait inintelligible. Non seulement, dans le cas d’espèce, il n’y a aucune contradiction dans les textes, mais en outre la complexité introduite est des plus relative. Pour décrypter le sens de ces mots comprenant en leur sein un ou plusieurs points, il suffit en effet de savoir – et cette information étant contenue dans la circulaire du 21 novembre 2017 parue au Journal officiel, personne n’est censée l’ignorer – que le procédé vise à expliciter l’application du mot en cause aux femmes. Enfin, même à admettre qu’il y aurait là une complexité considérable, celle-ci pourrait être justifiée par un objectif d’intérêt général : œuvrer pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes. En effet, depuis que le droit français, par l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, s’est calqué sur les standards internationaux et européen, en adoptant une « approche intégrée » de l’égalité de genre (gender mainstreaming en anglais), il ne fait plus guère de doute que toutes les politiques publiques, y compris donc celle de production de textes normatifs, doivent intégrer cet objectif. Dès lors, on peut tout à fait voir dans ce souci de visibilisation des femmes dans le langage un objectif d’intérêt général justifiant le surcroît de complexité du langage juridique. Compte tenu de ces éléments, la singularité de la motivation assise sur l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi apparaît assez nettement et nous conduit à penser qu’une telle motivation ne devrait guère prospérer à l’avenir.
Au final, la décision commentée peut apparaître de peu d’intérêt juridique : non seulement elle ne vient pas explicitement réaffirmer les acquis de la jurisprudence antérieure quant à l’appartenance du langage inclusif à la langue française, mais en outre elle est rendue en s’appuyant sur des sources semble-t-il sans valeur juridique (les positions de l’Académie française) ou maltraitées (la jurisprudence du Conseil constitutionnel). Pourtant, du point de vue sociologique, il nous semble que les nombreuses singularités identifiées plus haut – absence de référence explicite dans les travaux préparatoires de l’arrêt ou dans l’arrêt lui-même aux décisions pertinentes du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, absence d’examen de l’argument du requérant tiré de la violation de l’article 2 de la Constitution, mobilisation de normes de l’Académie française inapplicables et torsion d’un objectif à valeur constitutionnelle mal nommé – pourraient donner à voir une figure assez rare dans le paysage juridique français, mais bien visible actuellement outre-Atlantique27, celle d’un activisme juridictionnel. En effet, les singularités de la décision sont si nombreuses qu’il semble difficile de considérer qu’elles ne soient le fruit que du hasard, ou d’une juridiction débordée qui aurait manqué de temps pour produire son jugement. N’est-il pas plus probable de considérer, surtout pour une décision dont le texte a été publié sur la page du tribunal28, dont les conclusions du rapporteur public ont été diffusées par dans une revue juridique spécialisée29 et dont le contenu a été largement relayé auprès des médias grand public30, qu’il y a là une volonté consciente et délibérée d’une juridiction d’agir sur un débat de société, autrement dit de faire preuve d’activisme, et d’un activisme qui plus est conservateur, puisque tendant à conserver le « français standard » ?
Si tel devait être le cas, alors il faudrait émettre une dernière critique. Si, bien sûr, comme cela pu être suggéré par le Président du Conseil constitutionnel à propos de l’environnement31, l’activisme juridictionnel – et la prise de liberté qu’il entraîne parfois avec les raisonnements juridiques traditionnels – ne doit pas être systématiquement condamné, sauf à brider toute évolution et adaptation du droit, c’est à notre avis à une condition dont le respect est absolument essentiel pour l’État de droit. Il faut en effet, pour que cet activisme juridictionnel soit légitime que, préalablement à la liberté prise avec les raisonnements traditionnels du droit, le juge s’assure qu’il existe une carence législative sur le sujet en question et que cette carence provienne d’une capture normative de la démocratie par certains groupes sociaux32. Dans ce cas, son intervention peut alors se trouver légitimée par les failles de notre démocratie majoritaire33, en effet parfois incapable de défendre les intérêts de groupes peu représentés ou n’ayant pas les moyens de le faire. Dans les autres cas, l’intervention du juge vient au contraire élargir ces failles et est dépourvue de toute légitimité, caractérisant alors véritablement ce que l’éminent comparatiste lyonnais, Édouard Lambert, avait qualifié de « gouvernement des juges »34. Or, en l’espèce, alors que se multiplient les propositions de lois tendant à interdire le langage inclusif35, que celui-ci a déjà été interdit dans les textes parus au Journal officiel36 ou produits dans certains ministères37 ou universités38 et que son enseignement est interdit au sein de l’éducation nationale39, on peine à voir comment une telle capture normative pourrait être caractérisée. Dès lors, aux critiques précédemment formulées, il faudrait en ajouter une autre, tenant à l’illégitimité de l’activisme juridictionnel ici à l’œuvre.