Précisions sur le moyen tiré de l’incapacité à voyager dirigé contre le refus de délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 14LY02906 – 15 mars 2016 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 14LY02906

Numéro Légifrance : CETATEXT000032278624

Date de la décision : 15 mars 2016

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Titre de séjour, Etat de santé, Capacité à voyager, Moyen inopérant, Avis du médecin de l’ARS

Rubriques

Etrangers

Résumé

Etrangers - Séjour - Etat de santé - L313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - Cas où le défaut de prise en charge de l'intéressé n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité - Moyen tiré de l'incapacité à voyager - Moyen inopérant - Existence

Le moyen tiré de ce que le préfet n’a pas pris en compte la capacité de l’étranger à supporter un voyage alors que l’avis rendu par le médecin de l'agence régionale de santé indique qu’un défaut de prise en charge médicale n’est pas susceptible d’entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour l’intéressé, est inopérant.

Dans le cadre d’une demande d’une carte de séjour temporaire d’un an pour raisons de santé, le médecin de l’agence régionale de santé indique dans un avis si l’état de santé de l’étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, et se prononce, le cas échéant sur sa capacité à supporter le voyage vers son pays d’origine.

Lorsqu’il est établi que le défaut de prise en charge médicale n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour l’intéressé, ce dernier ne peut utilement invoquer son incapacité à voyager pour obtenir un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l’article L313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Une telle circonstance, à la supposer établie, est seulement susceptible d’être prise en compte par le préfet à l’occasion de l’examen de la possibilité de régulariser la situation administrative de l’intéressé.

Comp. CAA Lyon, 24 avril 2014, Préfet de la Haute-Savoie, N° 13LY01822, C+ ;  CAA Lyon, 9 juin 2015, N° 14LY01201 M. C, C+ ; CAA Lyon, 17 novembre 2015, N° 14LY02447, Préfet du Rhône  ; CAA Lyon, 3 décembre 2015, N° 14LY02526, Préfet du Rhône ; CAA Lyon, 26 janvier 2016, 15LY01362, M. D.

Conclusions du rapporteur public

Thierry Besse

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6252

M. C., de nationalité guinéenne, est entré en France en mars 2011. Il a sollicité la délivrance d’un titre de séjour au regard de son état de santé, demande rejetée par décision de la préfète de la Loire en date du 26 novembre 2012. Cette décision n’était pas assortie d’une obligation de quitter le territoire français, M. C. ayant auparavant déposé une demande d’asile, laquelle était encore en cours d’examen à la date du refus de séjour litigieux.

M. C., qui relève appel du jugement du 8 avril 2014 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux qu’il avait formé à l’encontre de cette décision, soutient que le jugement est irrégulier, le tribunal ayant omis de statuer sur le moyen qu’il avait présenté dans son mémoire complémentaire enregistré le 19 mars 2014, tiré de l’irrégularité de la procédure pour défaut de communication préalable de l’avis du médecin de l’agence régionale de santé.

Mais, ce moyen avait été soulevé après la clôture de l’instruction, intervenue le 11 mars 2014. Le tribunal n’aurait été tenu de tenir compte de ce mémoire que si la production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l’affaire (CE, Section, 5 décembre 2014, N° 340943 au recueil) . Tel n’était manifestement pas le cas en l’espèce, de sorte que les premiers juges ont pu, sans entacher leur jugement d’irrégularité, se contenter de viser le mémoire, sans répondre au moyen nouveau.

Vous pourriez considérer, même si les écritures ne sont pas très claires, que ce moyen est repris en appel. Mais, aucune disposition n’impose au préfet de communiquer à l’étranger l’avis du médecin (CE, 20 mai 2005, N° 271654) .

M. C. estime enfin que la décision a été prise en méconnaissance des dispositions du 11° de l’article L313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le médecin de l’agence régionale de santé amené à émettre un avis sur la situation de M. C. a indiqué, dans son avis en date du 17 octobre 2012, que l’état de santé du demandeur nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, qu’il n’y avait pas de traitement approprié dans le pays d’origine, et que son état de santé ne lui permet pas de voyager, avant d’ajouter de manière manuscrite « sur avis médical ».

M. C. ne fournit que très peu d’éléments sur la pathologie dont il est affecté. L’unique certificat médical produit, émanant d’un médecin généraliste, évoque des bouffées délirantes, « voire d’acte suicidaire », avec la nécessité d’un suivi au long cours en psychiatrie. Un infirmier du CHU de Saint-Etienne a également attesté, le 31 mai 2012, le rencontrer régulièrement dans le cadre d’un soutien psychologique. Ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause l’avis porté sur ce point par le médecin de l’agence régionale de santé, qui a estimé que le défaut de prise en charge de l’état de santé de M. C. ne devrait pas entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Mais, M. C. fait également valoir que, comme indiqué dans l’avis, il ne peut voyager sans risque vers la Guinée.

Le préfet doit prendre en compte au niveau de l’examen d’une demande de titre de séjour fondée sur l’état de santé le fait de savoir si ce dernier peut voyager sans risque vers son pays d’origine. L’absence d’indications sur un avis rendu par le médecin inspecteur, dans le cadre des anciennes dispositions législatives, entachait d’irrégularité la procédure (voir CE, 13 février 2013, Ministre de l’intérieur c/ Mme B., N° 349738, aux Tables).

Depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d’établissement de l’avis, le médecin de l’agence régionale de santé n’est plus tenu de se prononcer sur ce point. Mais, lorsque le médecin se prononce sur ce point, le préfet doit prendre en compte cet élément dans son appréciation,, au niveau de l’examen de la demande de titre de séjour (CAA Lyon, 24 avril 2014, Préfet de la Haute-Savoie, N° 13LY01822, C+) . Vous avez alors appliqué le même régime de preuve que pour l’existence d’un traitement approprié en considérant qu’une partie justifiant d’un avis favorable du médecin inspecteur devait être regardé comme apportant des éléments de fait de nature à faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance d’un titre de séjour.

Ainsi, lorsque le préfet ne produit pas d’éléments susceptibles de remettre en cause l’appréciation portée par un préfet sur l’incapacité à voyager sans risque, vous annulez, sauf cas particulier, la décision (voyez par exemple CAA Lyon, 26 janvier 2016, N° 15LY01362 ; CAA Lyon, 3 décembre 2015, Préfet du Rhône, N° 14LY02526 ; CAA Lyon, 17 novembre 2015, Préfet du Rhône N° 14LY02447). Si le préfet de la Loire se réfère dans son mémoire en défense à d’autres arrêts de votre Cour, ceux-ci ne semblent pas refléter la position de votre Cour.

Mais, le dossier présente deux différences par rapport aux précédents. D’une part, il concerne le cas d’un étranger dont le défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; d’autre part l’avis porté par le médecin sur la capacité à voyager est nuancé. Examinons successivement ces deux points.

Lorsqu’un étranger présente un état de santé dont le défaut de prise en charge est susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne peut voyager sans risque vers son pays d’origine, on comprend bien que le préfet doive alors lui délivrer un titre de séjour. Le fait qu’il peut bénéficier d’un traitement dans son pays d’origine est alors sans effet, puisqu’il ne peut s’y rendre. L’étranger doit être soigné et il ne peut l’être qu’en France, où il doit donc bénéficier d’un droit au séjour.

Lorsqu’en revanche le défaut de prise en charge n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sa situation ne nous paraît plus entrer dans le champ des dispositions du 11° de l’article L313-11 du CESEDA.

Certes, l’étranger se trouverait dans la situation d’être ni régularisable (en tous cas au regard de ces dispositions) ni susceptible d’être éloigné, situation de « ni-ni » que la législation et la jurisprudence cherche à limiter, ce que le CE a pris en considération dans sa jurisprudence B. (voyez sur ce point les conclusions de Suzanne Von Coester sur cette affaire ou celles de Delphine Hédary sur CE, 12 mars 2014, N° 350646, aux Tables) .

Mais, pour autant, nous ne voyons pas pourquoi un étranger se verrait délivrer de plein droit un titre de séjour (comme pour un titre L313-11 11°) au seul motif qu’il ne peut voyager vers son pays. A tout le moins, sa situation ne justifierait alors la délivrance d’un titre qu’au regard du pouvoir de régularisation du préfet (et le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas soulevé ici).

Certes, l’incapacité à voyager de M. C., à la supposer établie, serait durable. Mais, pour autant, comme nous l’avons dit, cette situation ne peut le faire entrer dans le champ des dispositions du 11° de l’article L313-11 du CESEDA, qui ne concernent que les pathologies d’une gravité suffisante.

Cet argument nous paraît suffisant pour que vous écartiez le moyen.

Par ailleurs, nous l’avons dit, le médecin de l’agence régionale de santé a ajouté la mention manuscrite « sur avis médical » après l’indication selon laquelle M. C. ne peut voyager sans risque vers son pays d’origine. Dans sa décision, le préfet a indiqué que le médecin a indiqué que l’état de santé de M. C. ne lui permet pas de voyager sans risque « sauf sur avis médical ».

S’il est délicat d’interpréter ainsi un avis non motivé, il nous semble que le médecin a entendu indiquer qu’il conviendrait de vérifier la capacité à voyager de M. C. avant l’exécution forcée de la décision. Il n’est pas certain dans ces conditions qu’il puisse être considéré que cet avis enclencherait une dialectique de la preuve en faveur de M. C.. Vous seriez alors en preuve objective et en l’absence d’éléments précis fourni par le requérant sur la gravité exacte de sa pathologie, vous pourriez écarter le moyen.

Mais, nous vous proposons plutôt de vous placer sur le premier terrain.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête

Droits d'auteur

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L’absence de « conséquences d’une exceptionnelle gravité » refus inéluctable du titre de séjour, même pour l’étranger dont le médecin de l’ARS indique l’incapacité à voyager

Aurélien Javel

Doctorant contractuel de l’Université Jean Moulin Lyon 3 - Équipe de droit public de Lyon - Centre de droit constitutionnel

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DOI : 10.35562/alyoda.6253

La Cour administrative d’appel de Lyon valide l’appréciation portée par le préfet sur la situation d’un étranger malade, souffrant d’une pathologie dont le défaut de traitement n’aurait pas de conséquences suffisamment graves pour prétendre à un titre de séjour. Le préfet prend cette décision alors même que le médecin de l’Agence régionale de santé concluait que le requérant ne pouvait voyager sans risque vers son pays d’origine. La Cour valide la lecture opérée par l’autorité administrative de l’imbrication des conditions posées par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Monsieur A., ressortissant guinéen, a sollicité son admission au séjour en qualité d’étranger malade. Le 26 novembre 2012, le préfet de la Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a rejeté le recours gracieux de Monsieur A. Ce dernier a déposé alors un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Lyon. Le jugement du 8 avril 2014 a rejeté les prétentions de Monsieur A. L’intéressé a formé appel et la Cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt du 18 septembre 2014, a confirmé le jugement du Tribunal administratif de Lyon.

Au soutien de son appel, Monsieur A. a fait valoir deux moyens. Le premier moyen concerne la procédure, car selon lui, le Tribunal administratif de Lyon aurait omis de statuer sur le moyen soulevé par lui, tiré de l’irrégularité de la procédure administrative préalable. Le préfet indique que ce moyen avait été soulevé après clôture de l’instruction, sans qu’une circonstance de droit ou de fait nouvelle ait nécessité un tel retard. Pour la Cour administrative d’appel de Lyon, il ne ressort pas des pièces que Monsieur A. n’était pas en mesure de soulever ce moyen avant clôture de l’instruction (considérant 3).

Le second moyen avance une méconnaissance de l’article L. 313-11 11° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), selon lequel un titre de séjour est délivré de plein droit pour l’étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité, la décision revenant au préfet après avis du médecin de l’ARS. La portée et le contenu de l’avis du médecin de l’ARS n’ont eu de cesse d’être précisés et modifiés, aussi bien par le pouvoir règlementaire que par le juge administratif. La Cour administrative d’appel de Lyon a donc dû, à nouveau, se pencher sur l’avis du médecin de l’ARS et le replacer dans le cadre des conditions posées par le 11° de l’article L. 313‑11 du CESEDA. La Cour constate que le préfet ainsi que le Tribunal administratif de Lyon, ont fait une juste interprétation des dispositions de l’article L. 313-11 du CESEDA combinée à une bonne appréciation des éléments du dossier versés par Monsieur A. Ainsi, dans certaines conditions, l’incidence de l’avis du médecin de l’ARS est amoindrie, et particulièrement la mention relative à la capacité de l’étranger à voyager vers le pays de renvoi, dès lors que l’absence de soin n’entrainerait pas des conséquences d’une extrême gravité sur la santé de l’intéressé. Se plaçant dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, « expéditive » en matière d’étrangers malades, (KLAUSSER Nicolas, « Rejet expéditif par la CEDH de la requête d’un étranger malade en voie d’expulsion : Une Convention à deux vitesses ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 9 février 2016, consulté le 2 septembre2016. URL : http://revdh.revues.org/1788), la Cour valide l’attitude du préfet et clarifie les méandres entourant les conditions posées par l’article L. 313-11 11° du CESEDA.

Nous examinerons l’interprétation que donne la Cour des conditions d’éligibilité à la délivrance d’un titre de séjour pour raison de santé et le rapport qu’elles entretiennent avec l’avis du médecin de l’ARS (I) avant d’envisager les modifications que la décision révèle et engendre concernant la portée de l’avis du médecin de l’ARS (II).

I. Clarification des conditions relatives au titre de séjour « pour raison de santé »

La Cour administrative d’appel de Lyon fait un effort évident de pédagogie à propos des conditions posées par l’article L. 313-11 11° du CESEDA en faisant une interprétation stricte des « risques d’une exceptionnelle gravité » (A), permettant d’en tirer les conséquences nécessaires, notamment à propos de l’invocabilité de l’avis du médecin de l’ARS (B).

A. Interprétation stricte des « conséquences d’une exceptionnelle gravité »

L’article L. 313-11 11° du CESEDA pose les conditions pour la délivrance d’un titre de séjour pour raison de santé, dont : la résidence habituelle en France, un état de santé qui nécessite une prise en charge médicale, des conséquences d’une exceptionnelle gravité entrainées par le défaut de prise en charge, l’absence d’un traitement approprié dans le pays d’origine, la durée temporaire du traitement et enfin, un avis du médecin de l’ARS sur la situation de l’intéressé préalable à la décision du préfet. La Cour indique donc, selon une jurisprudence constante, que « lorsque le défaut de prise en charge risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur la santé de l’intéressé, l’autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s’il existe des possibilités de traitement dans le pays d’origine » (considérant 5). En l’espèce, l’avis du médecin de l’ARS en date du 17 octobre 2012, indique que l’état de santé de Monsieur A. nécessite une prise en charge de vingt-quatre mois, que ce traitement n’existe pas dans son pays d’origine, mais que le défaut de cette prise en charge n’est pas susceptible d’entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité (considérant 10). Monsieur A. a pourtant versé au dossier un certificat médical d’un médecin généraliste (et non pas un spécialiste) en date du 4 décembre 2012, selon lequel il présente « un syndrome persécutoire chronique avec possibles bouffées délirantes aigües et passage à l’acte suicidaire ». Seulement, pour la Cour, ce certificat est insuffisamment circonstancié car il ne fait aucunement référence au traitement et aux conséquences de l’absence de traitement. Ainsi, il ne permet pas de remettre en cause l’appréciation du médecin de l’ARS. On peut tout de même s’interroger sur la nature de ces conséquences d’une exceptionnelle gravité. Pour la Cour administrative d’appel de Marseille, « elles doivent être regardées comme se limitant au risque vital ou au risque d'être atteint d'un handicap rendant la personne dans l'incapacité d'exercer seule les principaux actes de la vie courante » (à propos d’une amputation comme n’étant pas « une conséquence d’une exceptionnelle gravité » CAA Marseille, 17 juillet 2012, M. K., n° 10MA04395) . Pour Danièle Lochak, « le mot "exceptionnel" atteste bien au demeurant l'intention restrictive du législateur », à propos des pathologies pouvant relever du champ d’application de l’article L. 313-11 11° (LOCHAK Danièle, « Droits et libertés des étrangers – Droit au séjour », J. Cl. Admin., fasc. n° 725, 46.). C’est donc cette intention restrictive qui a été correctement interprétée par la Cour, sur invitation du rapporteur public, conformément à l’avis du médecin de l’ARS. L’effet de cette constatation est direct : Monsieur A. n’entre pas dans le champ des dispositions de l’article L. 313-11 du CESEDA. Dès lors, la mention faisant état de son incapacité à voyager sans risque vers son pays d’origine ne peut plus rien pour lui.

B. Invocabilité limitée de l’incapacité à voyager contre un refus de délivrance d’un titre de séjour

Dans le 7ème considérant de la décision, la Cour indique que « lorsqu’il est établi que le défaut de prise en charge médicale n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour l’intéressé, ce dernier ne peut utilement invoquer son incapacité à voyager ». Par cette mention, le juge d’appel fait une application mécanique de son raisonnement. Puisqu’une des conditions essentielles – la première même, car relative à l’intensité des conséquences de la mesure sur la santé – posée par l’article L. 313-11 11° n’est pas remplie, aucune des autres conditions examinées ne peuvent utilement venir au secours de l’intéressé pour l’obtention d’un titre de séjour pour raison de santé. La question soulevée nous semble cependant tout à fait légitime, car il est des situations où l’avis sur la capacité à voyager s’est trouvé invocable et a pu invalider un refus de titre de séjour. Par exemple, sous l’empire de l’ancien arrêté règlementant l’avis du médecin de l’ARS, le Conseil d’Etat avait pu estimer que l’absence de l’indication de la capacité pour l’étranger de voyager sans risque vers son pays d’origine pouvait être utilement invoquée pour contester la légalité du refus de titre de séjour et que cette absence entachait d’irrégularité la procédure (CE 13 fev. 2013, Mme B., n° 349738, AJDA, 2013, p. 377) . Cependant la nouvelle formulation ressortant de l’arrêté du 9 novembre 2011 indique que dans le cas où le médecin conclut qu’un traitement approprié existe dans le pays de renvoi, « il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l’état de santé de l’étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays » (article 4 de l’arrêté du 9 novembre 2011) . La Cour administrative d’appel de Lyon s’était déjà penché sur ce qui ne constitue plus qu’une faculté pour le médecin (« il peut ») relativement à la capacité de l’étranger à voyager et avait considéré que l’absence de cette mention entraînait une forme de présomption de capacité à voyager (CAA de Lyon, 9 juin 2015, n° 14LY01201, Rev. jurisp. Alyoda, 2015 n° 1). À l’inverse, dès lors que le préfet « ne conteste pas que, comme l'a estimé le médecin de l'agence régionale de santé, M. B. ne peut voyager sans risque vers son pays d'origine (…) il ne peut refuser d'autoriser le séjour en France de l'intéressé » (CAA de Lyon, 3 décembre 2015, n° 14LY02526) . L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, en plus de juger que la capacité à voyager n’est pas invocable dès lors que n’est pas remplie la condition principale de l’article L. 313-11 11° du CESEDA (l’absence de conséquence d’une exceptionnel gravité découlant du défaut de prise en charge médicale), se penche sur la forme et la fonction de l’avis du médecin de l’ARS

II. Rectifications de la portée de l’avis du médecin de l’ARS

À l’occasion de cette décision, la Cour administrative d’appel de Lyon reprécise quels doivent être la fonction et le contenu de l’avis du médecin de l’ARS (A), alors que le législateur prend acte des questions juridiques soulevées par l’avis du médecin de l’ARS pour en modifier la portée (B)

A. Un contenu fragile et une fonction recadrée de l’avis sur la capacité à voyager

L’avis du médecin de l’ARS en date du 17 octobre 2012 indiquait, outre l’absence de traitement dans le pays d’origine de l’étranger, que « son état de santé ne lui permettait pas de voyager sans risque vers le pays de renvoi » avant d’ajouter de manière manuscrite, comme nous l’indique le rapporteur public, « sauf sur avis médical » (Considérant 12). Cette dernière mention fragilise incontestablement l’avis rendu sur la capacité de l’étranger à voyager sans risque, comme le concède le rapporteur public Thierry Besse : « il est délicat d’interpréter ainsi un avis non motivé (…) il n’est pas certain que cet avis enclencherait une dialectique de la preuve en faveur de Monsieur A. ». Comme nous l’avons indiqué, la Cour administrative d’appel ne prend pas la peine de regarder ledit avis, étant donné qu’elle ne le considère pas invocable en l’espèce. Néanmoins, elle indique qu’une « une telle circonstance est seulement susceptible d’être prise en compte par le préfet à l’occasion de l’examen de la possibilité de régulariser la situation administrative de l’intéressé » (considérant 7). En effet, comme le rappelle la Cour, « il incombe au préfet de prendre en considération les modalités d’exécution d’une éventuelle mesure d’éloignement dès le stade de l’examen d’une demande de titre de séjour (…) y compris sur sa capacité à voyager sans risque à destination du pays de renvoi » (considérant 6). Le préfet est donc dans l’obligation de s’informer et de prendre en compte la capacité de l’étranger à voyager. Dans une décision de janvier 2016, la Cour administrative d’appel de Lyon avait déclaré que « le préfet, qui n'est pas lié par l'avis émis par le médecin de l'Agence régionale de santé quant à la capacité pour un étranger malade de voyager sans risque vers son pays d'origine, peut s'écarter de l'appréciation portée sur ce point par ce médecin », mais « il lui appartient de justifier des éléments l'ayant conduit à écarter cet avis médical » (CAA de Lyon, 26 janvier 2016, n° 15LY01362) . Sa diligence dans la recherche de la capacité à voyager de l’étranger malade pourra donc faire l’objet d’un contrôle de la part du juge. En tout état de cause, la Cour réduit la portée de l’avis du médecin de l’ARS à la portion congrue, celle d’un avis obligatoire mais non conforme. Il n’entraine aucune conséquence juridique certaine quant à la délivrance d’un titre de séjour, puisqu’il vient seulement éclairer l’autorité administrative dans sa prise de décision. Et la forme de l’avis, en l’espèce très approximative, soulève de nombreuses interrogations que le législateur vient de prendre récemment en compte.

B. Vers un rééquilibrage de la valeur de l’avis du médecin de l’ARS

Comme nous avions déjà pu le relever dans le commentaire d’un précédent arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA de Lyon, 9 juin 2015, n° 14LY01201, Rev. jurisp. Alyoda, 2015, n° 1), la relégation de l’avis du médecin de l’ARS au rang étroit d’un avis simple renforce le rôle de l’autorité administrative dans la délivrance du titre de séjour « étranger malade ». Comme le rappelle Danièle Lochak, « le préfet conserve un entier pouvoir d’appréciation » (LOCHAK Danièle, « Droits et libertés des étrangers – Droit au séjour », J. Cl. Admin., fasc. n° 725, 46.). Mais la loi du 7 mars 2016 (Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France) dispose désormais que « la décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ». Cette nouvelle disposition nous apparait heureuse du point de vue du droit, car comme le relève Emmanuel Aubin (Droit des étrangers, Paris, Lexis-Nexis, 2014, p. 273), il existe une grande disparité dans les avis rendus. Certains médecins rendent ainsi 30% d’avis positifs là où d’autres en rendent 95%. La collégialité devrait donc permettre d’harmoniser les critères retenus pour prendre les avis et renforcer leur impact auprès du préfet. On observe nettement dans l’arrêt rendu par la Cour que l’avis du médecin de l’ARS apparaît confus, notamment sur la capacité à voyager, indépendamment du caractère muet que le secret médical lui impose. De meilleures indications sur le rôle et le contenu de l’avis ainsi qu’une décision collégiale devraient permettre de corriger le défaut de précision ou de rigueur qui existe parfois et que la Cour n’a toutefois pas eu le loisir d’apprécier en l’espèce. En définitive, les avis des médecins des Agences régionales de santé gagneraient en légitimité et l’imbroglio entourant l’appréciation des conditions posées par l’article L. 313-11 11° s’en trouverait d’autant plus clarifié. Mais ces intuitions ne se vérifieront qu’au regard de la pratique des acteurs, à savoir les préfets, les médecins, les demandeurs, leurs avocats et les juges.

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