M. Y., ressortissant de la République Démocratique du Congo, est entré irrégulièrement en France en août 2010, à l’âge de 30 ans. Après le rejet de sa demande d’asile, il a bénéficié d’un titre de séjour délivré le 15 mai 2012 par le préfet de la Côte-d’Or au regard de son état de santé. Mais, alors que le médecin de l’agence régionale de santé avait estimé, le 22 mai 2013, que l’état de santé de M. Y. nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut entrainerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il n’existait pas de traitement approprié dans le pays dont l’intéressé était originaire, le préfet de la Côte-d’Or a refusé, par décision du 18 septembre 2013, de renouveler son titre de séjour, refus qui a été assorti d’une obligation de quitter le territoire français.
M. Y. relève appel du jugement du 17 mars 2014 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ces décisions.
La configuration dans laquelle se présente ce dossier vous est désormais habituelle. Vous avez déjà admis que le préfet écarte l’avis du médecin de l’agence régionale de santé selon lequel un étranger ne peut bénéficier d’un traitement approprié à son état de santé en se fondant sur les éléments à sa disposition tels que la nationalité du requérant et la situation générale du système de santé dans son pays d’origine (CAA Lyon, 10 avril 2014, N° 13LY02263, C+) . Mais, dès lors que l’étranger justifie d’un avis médical qui lui est favorable, il appartient alors au préfet, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d’apprécier l’existence d’un traitement approprié dans le pays de renvoi.
Toutefois, de tels éléments généraux sur la situation sanitaire d’un pays sont en eux-mêmes sans effet sur la question de savoir si le demandeur a la capacité de voyager vers son pays d’origine.
Or, cette question est opérante pour apprécier la légalité d’une décision de refus de séjour (voir CE, 13 février 2013, Ministre de l’intérieur N° 349738, aux Tables et, depuis l’intervention de l’arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d’établissement de l’avis, CAA Lyon, 24 avril 2014, Préfet de la Haute-Savoie N° 13LY01822, C+) .
Comme l’indiquait en effet Delphine Hédary dans ses conclusions sur CE, 12 mars 2014 N° 350646, aux Tables, « Si le préfet n’a pas été informé de ce que l’état de l’étranger faisait obstacle à son transport, il prend une décision manifestement mal fondée. Si l’obligation de quitter le territoire n’est pas exécutée en raison de l’état de l’étranger, l’absence de prise en compte de l’impossibilité du transport dès le stade de la décision relative au séjour placera l’étranger dans la situation d’être en infraction avec la législation sur le séjour mais non reconductible. ».
Aux termes de l’arrêté du 9 novembre 2011, le médecin de l’agence régionale de santé n’est pas tenu de préciser si un demandeur peut voyager sans risque vers son pays d’origine. S’il a estimé que celui-ci peut bénéficier d’un traitement approprié à son état de santé, il alors seulement la possibilité de préciser qu’il peut ou ne peut pas voyager sans risque. Dans le cas inverse, le texte ne prévoit même pas expressément une telle possibilité.
Ainsi que l’indiquait Mme Hédary dans les conclusions précitées, la modification apportée en 2011 au contenu de l’avis du médecin de l’agence régionale visait à faire échec à une jurisprudence qu’elle qualifiait de formaliste sur la régularité de l’avis, de nombreuses juridictions ayant annulé pour illégalité externe les décisions prises à la suite d’avis n’ayant pas précisé si l’étranger pouvait voyager sans risque vers le pays d’origine, comme l’y obligeait formellement l’arrêté alors en vigueur. Tel n’était toutefois pas, alors, la position du CE, qui estimait que l’indication ne devait être donnée, à peine d’illégalité de la décision de refus de séjour, que, s’il existait un doute sur la capacité de l’étranger à supporter le voyage (CE, 3 mai 2004, N° 253013 ). Voyez aussi CE, 28 avril 2006, Préfet de police N° 264042, aux Tables, sur l’obligation pour un préfet de saisir le médecin-inspecteur « lorsque un étranger justifie, à l'appui de sa demande de titre de séjour, d'éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité des troubles dont il souffre ».
L’absence de mention sur l’avis de la capacité ou non à voyager n’est donc pas en lui-même susceptible de constituer un vice de nature à entraîner l’annulation de la décision, a fortiori dans le cadre des nouvelles dispositions. Voyez par exemple un arrêt en C+ de la sixième chambre de la cour du 9 octobre 2014, N° 14LY00191 ou un arrêt de votre chambre du 6 janvier 2015, 14LY02830-14LY02832. Et on peut penser au regard de la jurisprudence précitée et de la nouvelle rédaction de l’arrêté, que l’absence de précision, dans un cas d’avis défavorable au demandeur, doit être regardée comme laissant présumer que le demandeur peut voyager vers son pays.
Mais, l’interprétation d’un silence ou même d’une précision sur ce point lorsque le médecin de l’agence régionale de santé a estimé que l’état de santé du demandeur nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut entrainerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il n’existait pas de traitement approprié dans le pays dont l’intéressé était originaire, est plus délicate. Si l’arrêté du 9 novembre 2011 ne prévoyait pas ce cas de figure, c’est sans doute car il semblait assez évident, dans l’esprit du pouvoir législatif comme du pouvoir réglementaire, que l’autorité administrative serait amenée à suivre l’avis médical exprimé par le médecin de l’agence régionale de santé, ce qui, on le sait, n’est toutefois plus la pratique systématique de l’administration depuis quelques années.
Dans un tel cas de figure, en cas de précision du médecin sur l’impossibilité du demandeur de voyager sans risque vers son pays d’origine, il nous semble que la question se tranchera alors le plus souvent au fond. Aucune dialectique de la preuve n’est alors enclenchée et il vous appartiendra, après examen des pièces du dossier et notamment des éléments médicaux que le demandeur est seul en mesure de produire, s’il ne peut pas voyager sans risque vers le pays de renvoi. Vous avez pu juger qu’il ne ressortait alors d’aucune pièce du dossier que cette incapacité résultait d’une autre circonstance que celle tirée de l’appréciation portée par ce médecin sur l’impossibilité du demandeur d’être soigné dans son pays d’origine (CAA Lyon, 17 mars 2015, N° 13LY02747). Mais, si tel n’est pas le cas, et dès lors que le préfet ne combat pas utilement les informations données sur ce point par le médecin de l’agence régionale de santé, vous êtes amenés à annuler les décisions préfectorales (CAA Lyon, 1ère chambre, 6 janvier 2015, Préfet du Rhône 14LY01455 ; CAA Lyon, 4ème chambre, 23 avril 2015, 14LY03236-14LY03237) .
En ce qui concerne la régularité de la procédure, et alors que, comme nous l’avons dit, l’avis du médecin de l’agence régionale de santé n’est entaché d’aucune irrégularité, le préfet, qui ne dispose d’aucune information sur la capacité de l’étranger à voyager, ne nous paraît tenu ni de s’interroger d’office sur ce point ni de saisir à nouveau pour avis le médecin de l’ARS, lorsqu’il envisage de s’éloigner de son avis sur l’existence d’un traitement dans le pays d’origine, afin qu’il se prononce sur la capacité de voyager de l’intéressé.
Il s’agit en effet de deux questions bien distinctes et sans lien direct. En se prononçant sur l’existence ou l’absence d’un traitement approprié à la prise en charge de l’état de santé d’un demandeur dans son pays, le médecin de l’agence régionale de santé ne nous paraît rien dire sur sa capacité à voyager. Tous les cas de figure apparaissent possibles, et l’avis du médecin selon lequel un demandeur ne peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ne saurait constituer pour le préfet un indice de ce que le demandeur ne peut voyager sans risque.
Dans ces conditions, et en l’absence d’élément particulier qui aurait pu laisser penser qu’existait un doute sur la capacité de M. Y. à voyager, le préfet, qui n’était pas tenu de consulter à nouveau le médecin de l’agence régionale, n’a pas méconnu son obligation de procéder à un examen particulier de la situation de M. Y..
Par ailleurs, pour justifier qu’il ne pouvait voyager sans risque vers la République Démocratique du Congo, M. Y. a produit, pour la première fois en appel, un certificat médical daté du 18 avril 2014 faisant état d’un risque suicidaire pendant le voyage. Mais, un tel risque ne paraît pas caractériser une incapacité à voyager, rendant seulement nécessaire, le cas échéant, une surveillance particulière lors du voyage. Dans ses conclusions rendues dans l’affaire Kraloua, Delphine Hédary indiquait d’ailleurs que « voyager sans risque », selon les termes de l’arrêté, s’entend dans un sens physique et non psychologique.
Par ailleurs, le préfet de la Côte-d’Or a produit différents documents, dont un courriel du médecin référent auprès de l’ambassade de France à Kinshasa, daté du 5 novembre 2013 et une liste des médicaments essentiels en République Démocratique du Congo, dont il ressort que les pathologies psychiatriques, telles que celle dont est affecté M. Y., peuvent être prises en charge dans ce pays, les médicaments essentiels y étant disponibles.
Ni les certificats médicaux peu circonstanciés produits par M. Y., ni les documents généraux qu’il produit, qui font état essentiellement de l’existence de difficultés financières dans l’accès aux soins, circonstance sans incidence dès lors que l’autorité administrative doit seulement prendre en compte l’existence ou l’absence de traitement, ne sont de nature à remettre en cause les documents produits par le préfet. Enfin, l’existence d’un lien entre la pathologie dont souffre M. Y. et les événements traumatisants qu’il aurait vécus en République Démocratique du Congo n’est pas établie. Vous pourrez donc écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Les autres moyens nous retiendront moins longtemps.
S’agissant de la régularité du jugement, le Tribunal administratif de Dijon, en indiquant qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que l’état de santé de M. Y. nécessitait des soins dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, n’a fait que reprendre un argument opposé en défense par le préfet de la Côte-d’Or et n’a ainsi ni relevé d’office un moyen ni statué ultra petita. Certes, le Tribunal n’a pas formellement vérifié s’il résultait de l’instruction que le préfet aurait pris la même décision en se fondant initialement sur ce motif, comme l’y invite la jurisprudence Mme H. du 6 février 2004 sur la substitution de motifs, mais il ne s’agit pas là d’un motif d’irrégularité du jugement.
Par ailleurs, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 n’est applicable ni pour le refus de titre de séjour, dès lors que le préfet n’a fait que répondre à une demande, ni pour l’obligation de quitter le territoire français, en vertu de la jurisprudence citée du 28 novembre 2007, le législateur ayant entendu déterminer l’ensemble des règles de procédure administrative auxquelles sont soumises les décisions portant obligation de quitter le territoire français.
L’autorité préfectorale ne mettant pas en œuvre le droit de l’Union en refusant de délivrer un titre de séjour, le moyen tiré de la méconnaissance des principes généraux du droit de l’Union européenne est, à l’encontre de cette décision, inopérant. S’agissant de l’obligation de quitter le territoire français, vous pourrez écarter le même moyen par application de la jurisprudence CE, 4 juin 2014, N° 370515.
La décision de refus de séjour n’étant entachée d’aucune illégalité, M. Y. ne peut exciper de son illégalité à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision l’obligeant à quitter le territoire français. Vous écarterez pour les mêmes motifs que précédemment le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l’article L. 511-4 du CESEDA.
M. Y. pouvant bénéficier d’un traitement approprié en république Démocratique du Congo, le préfet de la Côte-d’Or n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en fixant à trente jours le délai de départ volontaire.
S’agissant enfin des risques que M. Y. indique encourir dans son pays, ils ne sont établis ni au regard de son état de santé, ainsi qu’il a été dit, ni au regard de son appartenance alléguée au mouvement Bundu dia Kongo et aux persécutions qu’il aurait subis de ce fait entre 2007 et 2010, la demande d’asile de l’intéressé ayant d’ailleurs été rejetée tant par l’OFPRA que par la CNDA.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.