Du 15 au 21 juillet 2009, la Fondation du protestantisme a organisé à Lyon la 13ème assemblée générale de la Conférence des églises européennes. Pour cette manifestation, elle a obtenu une subvention de 50 000 euros du Département du Rhône, ainsi qu’une subvention de 48 000 euros de la Ville de Lyon. Ces deux collectivités territoriales relèvent appel du jugement en date du 24 novembre 2011, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a fait droit aux requêtes de deux contribuables locaux, M. P. et M. G., et a annulé les délibérations respectives du conseil général et du conseil municipal décidant d’octroyer ces subventions.
Les premiers juges ont retenu le moyen tiré de ce que les délibérations des 8 et 12 juin 2009 méconnaissaient les dispositions de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, disposant que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. ». Ils ont considéré, au prix d’une appréciation des faits qui constitue le cœur de ce litige, que les subventions litigieuses ont été accordées pour l’exercice d’un culte, après avoir rappelé que le principe d’interdiction de subventionner un culte exclut qu’une subvention publique soit accordée, directement ou indirectement pour la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques.
Cette définition de l’exercice du culte au sens de la loi de 1905 est celle qui résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat, dans son avis d’Assemblée du 24 novembre 1997 « Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah » (n° 187122) . Il nous semble, mais nous y reviendrons plus en détail, que la manifestation au financement de laquelle ont décidé de participer le Département du Rhône et la Ville de Lyon ne répond pas, en tant que telle, à cette définition, de sorte que nous ne partageons pas la conclusion des premiers juges, un peu directe.
La question qui vous est posée est en réalité celle des conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent accorder une subvention à une association qui, sans être une association cultuelle, exerce par ailleurs des activités à caractère cultuel.
Si les deux collectivités soutiennent que la Fondation du protestantisme n’est pas une association cultuelle, vous ne vous attarderez pas sur leur argumentation, dès lors que le jugement attaqué ne qualifie pas la Fondation du protestantisme d’association cultuelle au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905. Vous pourrez constater d’ailleurs que la Fondation du protestantisme, reconnue d’utilité publique par décret du 31 juillet 2001, n’est manifestement pas une association cultuelle puisque son objet social, tel qu’il résulte de ses statuts, lui assigne comme but de permettre et développer tout ce qui concourt à favoriser les actions ayant un caractère philanthropique, éducatif, social, humanitaire ou culturel communes aux institutions protestantes françaises, d’apporter son soutien moral et matériel à ces institutions et d’initier tout projet d’intérêt général conforme aux objectifs de ces institutions.
Si la dimension religieuse n’apparaît pas de manière évidente dans ses statuts, le soutien affirmé aux institutions protestantes françaises vous permettrait sans doute d’admettre que la Fondation du protestantisme est pour le moins susceptible d’exercer ou de promouvoir des activités à caractère cultuel.
En tout état de cause, ce n’est pas la vocation générale de la fondation qui est en cause : les parties débattent essentiellement – et c’est bien là la question centrale du litige, du caractère cultuel ou non de la manifestation en cause, c'est-à-dire la 13ème assemblée générale de la Conférence des églises européennes ; seule importe la nature de cette manifestation (voir sur ce point, les conclusions du rapporteur Public, Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, sur l’arrêt CE du 20 juin 2012 « Commune de Dijon » n° 342666).
Avant de vous faire part de notre appréciation des faits, un rappel de la jurisprudence, qui a connu des évolutions récentes et importantes, s’impose.
Le Conseil d’Etat a en effet abandonné la solution sévère issue de l’arrêt du 9 octobre 1992 n° 94455 « Commune de Saint Louis de la Réunion », considérant qu’il résultait de la loi de 1905, que les collectivités publiques ne pouvaient accorder aucune subvention aux associations ayant des activités cultuelles, même si elles ne représentaient qu’une partie de leurs activités.
Ainsi, par la décision d’Assemblée du 19 juillet 2011 n° 0308817 « Fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône », concernant le financement de « l’ascenseur de Fourvière », le Conseil d’Etat a jugé que la légalité d’une subvention accordée en vue de la réalisation d’un équipement en rapport avec un édifice cultuel est subordonnée à une condition tenant, d’une part, à ce que l’équipement en cause ne soit pas destiné à l’exercice d’un culte et présente un intérêt local, et d’autre part, à ce que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la participation de la collectivité publique est exclusivement affectée au financement du projet.
Plus récemment encore, et postérieurement au jugement attaqué, par quatre décisions rendues également sur des pourvois contre des arrêts de votre Cour, le Conseil d’Etat a précisé les principes applicables et la portée de son revirement de jurisprudence.
Il s’agit des arrêts du 4 mai 2012 n° 336462 à 336465 « Fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône », relatifs aux subventions accordées par la commune de Lyon, la communauté urbaine de Lyon, la Région Rhône-Alpes et le Département du Rhône à l’association Communauté Sant'Egidio France pour l'organisation à Lyon, du 11 au 13 septembre 2005, de la 19ème rencontre internationale pour la paix, ayant pour thème « le courage d’un humanisme de paix ».
Après avoir rappelé le principe interdisant aux collectivités de subventionner les associations cultuelles au sens de la loi de 1905, le Conseil d’Etat précise « qu’il leur est également interdit d’apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l’exercice d’un culte ».
Il pose en principe que ces collectivités « ne peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens de la loi, a des activités cultuelles, qu’en vue de la réalisation d’un projet, d’une manifestation ou d’une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n’est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n’est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l’association » (fin de citation).
Il s’avère évidemment souvent délicat de distinguer entre la nature des activités exercées par une même association à l’occasion de telle ou telle manifestation : dans ses décisions du 4 mai 2012, le Conseil d’Etat précise encore - et il s’agit-là d’un apport important - « qu’une association dont l’une des activités consiste en l’organisation de prières collectives de ses membres, ouvertes ou non au public, doit être regardée, même si elle n’est pas une « association cultuelle » au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, comme ayant, dans cette mesure, une activité cultuelle », mais que « tel n’est pas le cas, en revanche, d’une association dont des membres, à l’occasion d’activités associatives sans lien avec le culte, décident de se réunir, entre eux, pour prier ».
A la lumière des développements jurisprudentiels les plus récents, qu’en est-il alors de la manifestation pour l’organisation de laquelle ont été versées les subventions litigieuses ?
Les premiers juges ont relevé que la Conférence des Eglises Européennes, dont la 13ème assemblée générale constitue la manifestation en cause, est une communauté œcuménique d’Eglises : c’est exact, mais vous ne pourrez tirer de ce constat aucune conséquence particulière, notamment concernant les réunions consacrées au fonctionnement interne de la Conférence des Eglises Européennes et à son développement. Ces réunions portaient essentiellement sur des élections internes, sur la désignation et la nomination de ses membres, ainsi qu’à la célébration de l’anniversaire de l’association.
Ces réunions n’étaient pas ainsi liées à l’exercice du culte, dont nous venons de rappeler la définition, ni à l'entretien et à la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte, éléments également retenus par le Conseil d’Etat, notamment dans l’avis d’Assemblée précité « Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah ».
D’une manière plus générale, vous pourriez être tentés de voir dans la circonstance que la Conférence des Eglises Européennes constitue une communauté œcuménique d’Eglises le signe d’une présomption du caractère cultuel de la manifestation, vous ne pourriez toutefois sans erreur de droit vous contenter de ce constat, sans examen du programme de la manifestation, c'est-à-dire des activités elles-mêmes. Dans ses conclusions sur les décisions du 4 mai 2012, le Rapporteur Public, Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, analysant le moyen tiré de ce que l’association Sant-Egidio est d’obédience catholique et que ses membres se réunissent pour prier, indique qu’il lui paraît « évident que la nature des activités exercées par une association ne s’apprécie qu’au regard de son objet social et de la nature des activités qu’elle met en œuvre en tant qu’association. Mais elle ne dépend pas, à l’inverse, de la communauté de pensée qui, le cas échéant, réunit ses membres, ni des activités auxquelles ceux-ci peuvent être amenés à se livrer, compte tenu de cette communauté de pensée, en marge des activités de l’association. ».
S’agissant des activités elles-mêmes, il ressort du jugement attaqué que, outre les réunions consacrées au fonctionnement interne de la Conférence, ce sont précisément les moments de prière qui ont emporté la conviction des premiers juges : relevant que la 13ème assemblée générale de la Conférence des Eglises Européennes avait pour objet des travaux de réflexion sur des thèmes d’intérêt général tels que notamment le dialogue avec les institutions européennes, la mondialisation, la protection des réfugiés et la non-prolifération nucléaire, ils ont considéré toutefois que cette assemblée avait pour objet – nous citons - « également et de manière prépondérante la célébration plusieurs fois par jour, dans les locaux du Palais des Congrès et à l’initiative des organisateurs, de prières répondant aux rites du culte protestant, orthodoxe et anglican ».
Contrairement aux premiers juges, nous pensons qu’il ressort du programme de la manifestation comme de l’ensemble des pièces du dossier que son objet principal n’était pas l’organisation d’activités cultuelles, mais, outre les questions organisation interne de la Confédération des Eglises Européennes que nous avons évoquées, des débats sur des questions de société. Ces débats visaient à engager une réflexion sur la position et les actions de la Confédération et des églises qu’elle regroupe : ces débats pouvaient sans doute ainsi comporter une dimension religieuse, mais cela ne permet pas de regarder les réunions en cause comme des activités à caractère cultuel.
De telles activités figuraient effectivement au programme et elles correspondent, d’une part, aux moments réservées aux prières et, d’autre part, aux célébrations qui se sont tenues en ouverture de l’assemblée générale, ainsi que le dernier jour. Si le manuel d’informations pratiques de l’assemblée générale indique que « l’ouvrage de chaque jour sera ponctué d’un rythme de prières », les termes de ce manuel viennent également corroborer l’affirmation des collectivités requérantes selon laquelle les participants étaient libres de se joindre ou non à ces moments de prière, qui se tenaient dans une salle du Palais des Congrès, comme d’ailleurs aux célébrations qui se sont tenues dans différentes églises de la ville de Lyon, en début et en fin de manifestation, ainsi qu’au cours de la journée du dimanche.
Par ailleurs, si les réunions et débats ont réuni de nombreux responsables religieux, la manifestation a également accueilli des laïcs, notamment des personnalités du monde politique, comme Mme Alliot-Marie, ministre de l’intérieur et M. Collomb, sénateur-maire de Lyon.
Il nous semble ainsi que, comme le font valoir le Département du Rhône et la ville de Lyon, les faits soumis à votre appréciation sont assez similaires à ceux ayant donné lieu aux décisions du Conseil d’Etat du 4 mai dernier, même si dans la présente affaire, l’appréciation est peut-être plus délicate, les activités de nature cultuelle pouvant paraître davantage « intégrées » au programme de la manifestation concernée par les subventions litigieuses qu’elles ne semblaient l’être, à la lecture des conclusions du Rapporteur Public, dans le programme de la 19ème rencontre internationale pour la paix organisée à Lyon en septembre 2005, soumis à l’appréciation du Conseil d’Etat.
Si vous nous suivez, vous considérerez que le Département du Rhône et la ville de Lyon pouvaient légalement accorder à la Fondation du protestantisme pour l’organisation la 13ème assemblée générale de la Conférence des églises européennes, à la double condition toutefois, en premier lieu, que vous reconnaissiez à cette manifestation un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de cette manifestation et n’est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l’association.
Contrairement à ce qui est soutenu par les requérants de première instance, il ne fait pas de doute – selon nous – que la première de ces deux conditions soit satisfaite. Il pourrait paraître excessif de qualifier la 13ème assemblée générale de la Confédération des Eglises Européennes de « Davos des religions », pour reprendre la qualification donnée à la 19ème rencontre internationale pour la paix par Mme Cortot-Boucher, dans ses conclusions sur les décisions du Conseil d’Etat du 4 mai 2012 ! Si la rencontre ne réunissait pas cette fois l’ensemble des grandes religions, elle ne présentait pas moins un intérêt certain pour le développement du dialogue interreligieux et était de portée internationale. Cette manifestation a attiré à Lyon, pendant plusieurs jours, plus de 750 personnes, de sorte que vous admettrez sans difficulté qu’elle a eu des retombées touristiques et un impact sur l’image de la ville et du département.
Vous pourriez avoir quelques doutes sur la seconde condition : le Conseil d’Etat, dans ses décisions du 4 mai 2012, a précisé que la garantie relative à l’affectation de la subvention peut être assurée notamment par voie contractuelle. En l’espèce, la Fondation du protestantisme a pris un engagement écrit ; une convention a été conclue entre la Fondation et la ville de Lyon, mais elle ne comporte guère de précision sur l’affectation de la subvention ; aucune convention n’a été conclue entre la Fondation et le Département du Rhône … Les garanties paraissent ainsi bien minces au regard des pièces du dossier. Toutefois, ainsi que nous l’avons dit précédemment, les activités de nature cultuelle qui se sont tenues en marge de l’assemblée générale de la Confédération des Eglises Européennes ne se sont traduites par aucune dépense spécifique, même indirecte puisque les lieux utilisés pour les prières et célébrations n’ont, en particulier, donné lieu à aucune facturation. Dans ces conditions, vous pourrez admettre que dans les circonstances de l’espèce, la question de l’affectation des subventions litigieuses ne se pose pas …
Dans ces conditions, par application des principes résultant de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’Etat, vous considèrerez, contrairement aux premiers juges que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne faisaient pas obstacle à l’octroi des subventions litigieuses par le Département du Rhône et la ville de Lyon.
Pour statuer ainsi sur le fond du litige, vous devrez préalablement écarter comme manquant en fait, la double fin de non-recevoir opposée à la requête du Département du Rhône par M. G..
Par l’effet dévolutif de l’appel, vous examinerez alors les autres moyens invoqués par les requérants de première instance, que vous écarterez sans difficulté.
Contrairement à ce qui est soutenu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le droit à information des conseillers généraux aurait été méconnu, du fait de la communication d’éléments insuffisants ou erronés.
Enfin, le principe constitutionnel de laïcité, qui implique la neutralité des collectivités territoriales, n’interdit pas par lui-même l’octroi, dans les conditions prévues par la loi et précisées par la jurisprudence, de subventions à des activités ou des équipements dépendants du culte (CE 16 mars 2005 n° 265560 « Gouvernement de la Polynésie française »).
Vous écarterez donc l’ensemble des moyens invoqués.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du 24 novembre 2011 et au rejet des demandes de M. G. et de M. P..