Les conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants communautaires sont régies par des dispositions spéciales

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 10LY02128 – Préfet du Rhône c/ M. et Mme D. – 19 octobre 2011 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 10LY02128

Date de la décision : 19 octobre 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Titre de séjour, Ressortissants de l’Union européenne, Compétence liée

Rubriques

Etrangers

Résumé

Refus de délivrance d’un titre de séjour aux ressortissants de l’Union européenne et inopérance des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables aux ressortissants non communautaires, même plus favorables

Les conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants communautaires sont régies par des dispositions spéciales relevant du titre II du livre 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces dispositions excluent donc l’application des autres dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables aux ressortissants non communautaires, et ce, quand bien même ces dernières seraient plus favorables à l’étranger.

En l’espèce, M. et Mme D., ressortissants roumains, avaient demandé un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l’article L313-11 et de l’article L313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne sont pas applicables aux ressortissants communautaires dont la situation est déjà régie par des règles spécifiques. Dès lors, le préfet était en situation de compétence liée pour leur refuser la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions qui ne leur étaient pas applicables. La Cour annule ainsi le jugement du Tribunal administratif qui jugeait que le préfet avait commis une erreur de droit en refusant d’appliquer à ces ressortissants des dispositions plus favorables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile propres à la situation des ressortissants non communautaires.

Un ressortissant de l'Union européenne ne peut pas se prévaloir des dispositions applicables aux ressortissants d'Etats tiers, alors même qu'elles lui sont plus favorables

Michaël Bouhalassa

Doctorant en droit public à l'Université Jean Moulin Lyon 3 et élève-avocat

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DOI : 10.35562/alyoda.5894

Le préfet du Rhône a refusé d’accorder un titre de séjour à M. et Mme D., ressortissants de l’Union européenne, au motif que leurs demandes étaient fondées sur des dispositions du CESEDA relatives aux ressortissants d’Etats tiers. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, la C.A.A. de Lyon a confirmé la décision du préfet. En effet, la Cour a jugé qu’un ressortissant de l’Union européenne ne peut pas se prévaloir des dispositions applicables aux ressortissants d’Etats tiers, et ce, même si ces dispositions lui sont plus favorables. Par conséquent, le préfet étant en situation de compétence liée, la juridiction d’appel n’a pu que confirmer la décision du préfet de Rhône de refuser les titres de séjour à M. et Mme D.

Par une décision du 9 décembre 2008, le préfet du Rhône a refusé de délivrer un titre de séjour à M. et Mme D., ressortissants roumains. Ces derniers ont saisi le juge de l’excès de pouvoir et ont obtenu gain de cause par un jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 8 juillet 2010. La juridiction de premier degré a estimé que le préfet du Rhône avait commis une erreur de droit en refusant d’appliquer aux requérants des dispositions plus favorables du CESEDA applicables aux ressortissants d’Etats tiers, notamment les articles L.313-11 et L.313-12 dudit code.

Faisant appel de ce jugement, le préfet  invoque à l’appui de sa demande d’annulation le moyen selon lequel, étant ressortissants roumains, M. et Mme D. sont soumis aux dispositions des articles L.121-1 et suivants du CESEDA, régime spécifique aux seuls ressortissants de l’Union européenne. Par conséquent, les dispositions qui fondent la demande de titre de séjour des requérants ne leur sont pas applicables, seuls les ressortissants d’Etats tiers pouvant les invoquer utilement.

A l’inverse, M. et Mme D. demandent l’application des articles L.313-11 et L.313-12 du CESEDA, dispositions du régime général qui leur sont plus favorables que celles régissant le droit de séjour des étrangers européens par rapport à leur situation personnelle. Ainsi, ils estiment qu’aucune disposition du CESEDA n’exclut les ressortissants de l’Union européenne du champ d’application du régime général. A l’appui de ce moyen, ils avancent également que l’article 37 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 permet aux étrangers ressortissants de l’Union de bénéficier des dispositions nationales plus favorables. De même, la circulaire ministérielle du 10 septembre 2010 prévoit expressément la possibilité de se prévaloir de telles dispositions.

Le débat s’est donc cristallisé sur le champ d’application de dispositions relatives aux étrangers d’Etats tiers, mais plus favorables aux citoyens européens que les règles issues du droit dérivé de l’Union.

La C.A.A. de Lyon n’a pas suivi le raisonnement du juge de première instance et a refusé d’appliquer les dispositions relatives aux ressortissants d’État tiers à des ressortissants de l’Union, alors même que ces dispositions étaient plus favorables à ces derniers (I). La juridiction d’appel en a ensuite tiré les conséquences en confirmant la décision du préfet de rejeter la demande de titre de séjour au motif qu’elle était fondée sur des dispositions inapplicables aux requérants (II).

I. – L’inapplicabilité du régime général du droit de séjour aux ressortissants de l’Union européenne

La C.A.A. de Lyon avait le choix entre deux solutions : soit appliquer aux requérants, ressortissants de l’Union, les dispositions qu’ils invoquaient à l’appui de leur demande de titre de séjour, à savoir les articles L.313-11 et L.313-12 du CESEDA, dispositions relatives aux étrangers d’Etats tiers, soit leur appliquer les articles L.121-1 et suivants du CESEDA relatifs au droit de séjour des ressortissants des États membres de l’Union européenne.

La difficulté sous-jacente dans le litige était de savoir si un ressortissant d’un Etat membre de l’Union pouvait être moins bien traité qu’un ressortissant d’un État tiers. En effet, les époux D. invoquaient les dispositions du livre III du CESEDA relatives au droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers alors qu’eux-mêmes avaient la qualité de ressortissants de l’Union. Dans la logique intégrationniste posée par les traités constitutifs, une telle hypothèse ne saurait être admise. De même, la Cour de justice ne cesse d’affirmer l’importance de la citoyenneté européenne en affirmant que « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres » (C.J.C.E., 17 septembre 2002, Baumbast, C-413/99) .

La C.A.A. de Lyon a pourtant estimé que les époux D. ne pouvaient pas se voir appliquer les dispositions du CESEDA qui fondaient leur demande de titre de séjour. Conformément à l’adage lex specialis generalibus derogant, le juge d’appel a considéré qu’étant régis par les articles L.121-1 et suivants du CESEDA, les requérants ne pouvaient pas se prévaloir des dispositions applicables aux ressortissants d’Etats tiers.

De plus, selon l’article 37 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 invoqué par les requérants, « les dispositions de la présente directive ne portent pas atteinte aux dispositions […] d’un État membre qui seraient plus favorables aux personnes visées par la présente directive ». La Cour a rejeté ce moyen en considérant que cet article « n’implique pas qu’un ressortissant communautaire ne remplissant pas les conditions fixées au titre II du livre 1er du code […] doivent se voir appliquer d’autres dispositions dudit code, applicables aux non communautaires, alors même qu’elles seraient plus favorables ».

Le raisonnement n’est pas sans rappeler les discriminations à rebours qui se traduisent par un traitement moins favorable des nationaux par le droit interne par rapport aux ressortissants de l’Union qui invoquent les droits accordés par les traités (C.J.C.E., 27 juin 1996, Asscher, C-107/94) . Dans le cas d’espèce, le fondement juridique est différent mais la logique est identique. D’ailleurs, le ministre de l’immigration a eu connaissance de cette difficulté qui semble être résolue par  la circulaire du 10 septembre 2010 (circulaire n° NOR IMIM1000116C) . Le ministre constate en effet que « l’effet contradictoire que l’adhésion d’un État à l’Union européenne [conduit] ses ressortissants à bénéficier d’un droit de séjour moins favorable que celui auquel ils pouvaient prétendre antérieurement ». Ainsi, la circulaire prévoit-elle expressément qu’« il est impératif que les ressortissants de l’Union européenne ne soient en aucun cas traités plus défavorablement que les ressortissants d’État tiers soumis au régime général de droit commun ». Le problème est résolu en deux temps. Le ressortissant de l’Union européenne voit d’abord sa situation examinée au regard des articles L.121-1 et suivants du CESEDA. C’est seulement si sa demande ne peut aboutir sur le fondement de ces articles que sa situation sera appréciée au regard du régime général applicable aux ressortissants d’Etats tiers. S’il peut effectivement prétendre au droit de séjour sur le fondement du régime général, il se verra alors attribuer un des titres prévus à l’article L.121-1 du CESEDA équivalent à ceux du régime général en termes de durée et de droit.

Cependant, la circulaire étant intervenue près de deux ans après la demande des époux D. et n’ayant pas d’effet rétroactif, le juge d’appel relève que les requérants ne peuvent s’en prévaloir utilement.

Par conséquent, après avoir refusé de leur appliquer les dispositions plus favorables relatives au droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers, le juge a refusé de délivrer le titre de séjour au motif que la demande était fondée sur des dispositions inapplicables.

II. – La qualification de moyens inopérants comme conséquence de la compétence liée du préfet

Après avoir refusé d’appliquer le régime général de droit de séjour aux requérants, le juge d’appel a annulé le jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2010, et a confirmé la décision du préfet du Rhône en date du 9 décembre 2008.

De nombreux moyens ont été avancés par les époux D. parmi lesquels l’incompétence du signataire de la décision objet du litige, la violation du principe constitutionnel de protection de la vie de l’individu et des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et enfin, le défaut d’examen de leur demande au regard de l’article 8 de la même convention. La Cour a réexaminé le litige par l’effet dévolutif de l’appel, et a rejeté tous les moyens invoqués par les requérants.

En effet, la Cour a considéré que le préfet « était en situation de compétence liée pour rejeter les demandes dont il était saisi sur le fondement des articles L.313-11 et L.313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile », dispositions qui, comme on a pu le voir auparavant, n’étaient pas applicables à la situation des requérants. Ainsi, la demande de titre de séjour des époux D. étant fondée sur des articles du CESEDA inapplicables à leur situation, le préfet n’avait pas d’autre solution que de refuser de délivrer le titre de séjour.

La situation de compétence liée dans laquelle se trouvait le préfet du Rhône a eu d’importantes conséquences sur le plan contentieux. Les différents moyens invoqués par les requérants ont été qualifiés d’inopérants par le juge.

Différents des moyens irrecevables en ce que le juge peut les rejeter par prétérition (C.E., 26 novembre 1993, SCI Les Jardins de Bibemus, Req. n° 108851, Rec. CE p. 327), les moyens inopérants ne sont pas susceptibles d’être retenus par le juge administratif et n’ont donc aucune influence sur le litige, alors même qu’ils seraient fondés.

Par conséquent, l’issue du litige est doublement injuste pour les requérants qui, d’une part, ne se sont pas vus appliquer le régime général qui leur était plus favorable, et d’autre part, ont vu tous leurs moyens rejetés au motif que le préfet était en situation de compétence liée.

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