Si le détenu doit être mis à même de consulter les pièces de son dossier préalablement à une décision de placement à l’isolement, c’est à la condition que les éléments consignés dans ces pièces ne compromettent pas la sécurité de l’établissement ; tel n’est pas le cas d’un mode opératoire d’une évasion et d’une attaque à main armée.
Quand un détenu invoque le défaut de communication d’un plan d’évasion saisi sur son ordinateur !
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Décision de justice
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Conclusions du rapporteur public
Geneviève Gondouin
Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5865
M. P, incarcéré depuis septembre 1997, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans.
En novembre 2007, il est transféré de Clairvaux au centre pénitentiaire de Lannemezan ; lors du transfert, son ordinateur est soumis à des vérifications techniques. A cette occasion, les services compétents du SGDN découvrent différents documents, dont des plans d’établissements pénitentiaires (Clairvaux et Lannemezan), un scénario de braquage d’une banque, des fichiers contenant des modes opératoires d’évasion précis faisant appel à un hélicoptère et des complices extérieurs, ainsi que le dispositif de fabrication d’une ogive en métal résistant ou si vous préférez d’une nacelle d’extraction de prison par hélicoptère, résistante aux balles.
Le 15 février 2008, il est transféré du centre pénitentiaire de Lannemezan vers celui de Moulins-Yzeure. A son arrivée à Moulins-Yzeure, il est presque aussitôt placé à l’isolement par décision du chef d’établissement, sur le fondement de l’article D283-1 du CPP alors applicable (i.e. avant le D. 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le CPP) : « Tout détenu sauf s'il est mineur peut être placé à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité, soit sur sa demande, soit d'office. / La décision de placement à l'isolement est prise pour une durée de trois mois maximum. Elle peut être renouvelée pour la même durée. / Il peut être mis fin à la mesure d'isolement à tout moment par l'autorité qui a pris la mesure ou qui l'a prolongée, d'office ou à la demande du détenu. / Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité particulière et de son état de santé. »;
Cette décision du 19 février est confirmée par le directeur interrégional de Lyon, le 6 mai 2008. M. P a en effet présenté un recours hiérarchique sur le fondement de l’article D260 du CPP (« Il est permis au détenu ou aux parties auxquelles une décision administrative a fait grief de demander qu'elle soit déférée au directeur régional si elle émane d'un chef d'établissement ou au ministre de la justice si elle émane d'un directeur régional »)
Le 15 mai 2008, le directeur du centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure prolonge la mesure de placement en quartier d’isolement.
M. P saisit le tribunal administratif de Clermont Ferrand (TACF) d’une demande tendant à l’annulation de ces trois décisions et d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser 5 000 € en réparation de son préjudice moral.
Le TA, le 18 juin 2009, annule les décisions contestées motif pris de ce qu’elles sont fondées sur des faits dont la matérialité n’est pas établie par l’administration et lui alloue une somme de 500 euros en réparation du préjudice qui lui a été causé par son placement illégal à l’isolement.
Le MINISTRE DE LA JUSTICE relève appel de ce jugement.
M. P vous demande de confirmer le jugement du TA en ce qu’il a annulé les décisions contestées, et présente un appel incident tendant à ce que la somme qu’il a condamné l’Etat à verser soit portée à 5 000 €.
- I - Rappelons avant toute chose, même s’il n’y a pas lieu d’insister, que la décision de placer un détenu à l’isolement constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE 30 juillet 2003, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ M. R, req. 252712, A, arrêt revenant sur la jurisprudence F du 28 février 1996, req. 106582, A - Voyez aussi, CE 17 décembre 2008, Section française de l’observatoire international des prisons, req. 293786, A.)
- Précisons également que la mise à l’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire (art. D283-1-2 du CPP)
- La procédure prévue pour les sanctions disciplinaires ne s’applique donc pas en l’espèce : pour ces dernières, le recours hiérarchique devant le directeur interrégional des services pénitentiaires est un préalable obligatoire (art. D250-5 du CPP), et la décision prise sur recours se substitue à la décision initiale (CE Avis 29 décembre 1999, L, req. 210147, A).
Pour la mise à l’isolement, qui est une mesure de sûreté pour reprendre les termes du CE, le recours hiérarchique n’est qu’une possibilité. Cf l’article 260 du CPP. (CE 17 décembre 2008, précité, SFOIP : « les décisions de placer un détenu à l’isolement, soit en urgence et de manière provisoire, soit à titre préventif, prévues par ces dispositions, ne constituent pas des peines mais des mesures de sûreté ; que la requérante ne saurait donc utilement invoquer à l’encontre des dispositions litigieuses le principe de proportionnalité des peines »). Ce qui implique que le recours pour excès de pouvoir est recevable tant à l’encontre de la décision initiale qu’à l’encontre de la décision du supérieur hiérarchique.
-II - Vous remarquerez que la défense de M. P a évolué : lors de la phase administrative, il soulignait qu’il n’était pas l’auteur de ces plans, et qu’il n’en avait pas eu connaissance et faisait valoir que des échanges de fichiers sont toujours possibles avec l’extérieur.
Devant les premiers juges, il faisait valoir que les décisions contestées reposent sur des faits simplement allégués, remettant en cause l’existence même des plans dans le disque dur de son ordinateur.
Le TACF a fait droit à ce moyen en relevant « qu’aucun élément du dossier, hormis les termes mêmes des décisions litigieuses, ne vient attester de la matérialité de ces faits ; que le ministre de la justice soutient en défense que la présence sur l’ordinateur de M. P de ces fichiers a été établie par des vérifications techniques réalisées par le centre d’expertise gouvernemental de réponse et de traitement des attaques informatiques de la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information du secrétariat général de la défense nationale, lesquelles ont fait l’objet d’un rapport, dont l’administration indique qu’il n’est pas communicable ; qu’à supposer même qu’un tel document ne puisse être présenté au seul juge dans le cadre d’une procédure juridictionnelle tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif afin que ce dernier soit mis à même d’exercer son contrôle, le ministre n’apporte ainsi aucun élément de nature à étayer de telles affirmations ».
Devant vous, le GARDE DES SCEAUX soutient que les premiers juges ne pouvaient déduire du mémoire en défense présenté devant eux que le document sur lequel reposaient les décisions litigieuses ne pouvait être communiqué au tribunal et en déduire que la décision était entachée d’erreur de fait. Et le GARDE DES SCEAUX d’ajouter que le TA n’aurait pas dépassé son office en sollicitant la communication du document concerné dans le cadre d’une mesure d’instruction.
Dans son dernier mémoire enregistré le 12 octobre 2009, il mentionne l’arrêt du CE rendu le 31 juillet 2009 Association Aides et autres (req. 320196) « si le caractère contradictoire de la procédure fait obstacle à ce qu’une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n’aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d’assurer l’effectivité du droit au recours, lorsque, comme en l’espèce, l’acte attaqué n’est pas publié en application de l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; que si un tel défaut de publication interdit la communication de l’acte litigieux aux parties autres que celle qui le détient, dès lors qu’une telle communication priverait d’effet la dispense de publication de l’acte attaqué, il ne peut, en revanche, empêcher sa communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d’apprécier le bien-fondé d’un moyen ».
Et il se montre tout à fait disposé à communiquer les plans retrouvés dans les disques durs de l’ordinateur de M. P, dans la mesure où la Cour le demanderait expressément. Ce qu’elle a fait.
Vous disposez donc à présent du rapport confidentiel d’analyse établi à la demande de l’administration pénitentiaire par le SGDN dont il résulte qu’il y avait bien dans le disque dur de l’ordinateur personnel de M. P les éléments qui lui étaient reprochés.
Le Garde des Sceaux est fondé à soutenir que c’est à tort que le premier juge a retenu le moyen tiré de ce que les décisions contestées ont été prises sur le fondement de faits dont la matérialité n’est pas établie.
- III – Il vous appartient d’examiner les autres moyens soulevés par M. P devant le TA.
- La mise à l’isolement, nous l’avons déjà dit, n’est pas une sanction disciplinaire. « Tout détenu sauf s'il est mineur peut être placé à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité… » (art. D283-1)
Le GARDE DES SCEAUX soutient, à juste titre selon nous, que M. P est responsable de son ordinateur et de tout ce qu’il contient depuis son acquisition ; qu’au centre pénitentiaire de Lannemezan il était affecté en quartier maison centrale, seul en cellule, en régime de « portes fermées ».
Pour des raisons de sécurité, l’administration pénitentiaire n’a pas eu tort de placer M. P à l’isolement ; il ressort en effet du rapport du SGDN, que l’auteur du message demandait aussi de lui préparer un sac reporter noir sans marque apparente avec un jeu de papiers en doublette (1 m 74, 50/55 ans, si possible né dans le sud). Or, M. P est né en 1951 à Albi, il mesure 1 m 74 (fiche pénale).
Il nous semble également, même si cela n’apparaît jamais dans le débat, ni dans la fiche pénale versée au dossier, que le passé de M. P, certainement connu de l’administration pénitentiaire, militait plutôt en faveur d’une surveillance vigilante : voyez l’arrêt CAA Bordeaux, 15 juin 2004, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/ Consorts Maurel-Audry (req. 03BX01602) .
Rien, dans la présente affaire, ne nous permet donc de dire que l’administration aurait fait une application erronée des dispositions du CPP en l’espèce applicables.
- M. P soulève aussi un moyen tiré du vice de procédure, puisque les pièces ne lui auraient pas été communiquées avant les décisions. Il invoque les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.
En vertu de l’article R57-9-9 du CPP « pour l’application des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 (…) aux décisions prises par l’administration pénitentiaire, le détenu dispose d’un délai pour préparer ses observations qui ne peut être inférieur à 3 heures à partir du moment où il est mis en demeure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat ou du mandataire agréé, s’il en fait la demande. / L’administration pénitentiaire peut décider de ne pas communiquer au détenu, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession lorsqu’ils contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des établissements pénitentiaires ou des personnes ».
S’agissant de la décision de placement à l’isolement, nous savons que M. P a pu faire fart de ses observations et qu’il avait un avocat. En revanche, rien ne vient établir qu’il a demandé à consulter les pièces de son dossier à ce moment-là. Il ne peut donc en tout état de cause pas invoquer la méconnaissance de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 et de l’article R57-9-9 du CPP.
Pour les autres décisions, et surtout la décision de prolongation du placement à l’isolement, M. P se prend au piège de son raisonnement : si effectivement, comme il le soutient, il n’est pas l’auteur des fichiers litigieux, l’administration est en droit de ne pas lui communiquer les documents qui pourraient porter atteinte à la sécurité des établissements pénitentiaires.
L’illégalité des décisions contestées n’étant pas établie, la faute de l’administration pénitentiaire ne l’est pas plus, vous rejetterez également les conclusions indemnitaires de M. P.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué, au rejet des demandes présentées par M. P devant le TA et au rejet de son appel incident.
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