Fermeture préfectorale d’un débit de boisson : distinction entre sanction administrative et mesure de police administrative selon le ou les motifs opposés à l'exploitant

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 09LY02251 – Préfet de la Drôme c./ Société Domaine du Manson – 17 février 2011 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 09LY02251

Numéro Légifrance : CETATEXT000024736320

Date de la décision : 17 février 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Débit de boissons, Fermeture administrative, Sanction administrative, Mesure de police administrative

Rubriques

Police administrative

Résumé

La décision préfectorale de fermeture d’un débit de boissons peut constituer une mesure de police administrative et/ou une sanction administrative.

Les dispositions du 1 et du 2 de l’article L3332-15 du code de la santé publique permettent au préfet respectivement de sanctionner le débitant qui a servi des boissons alcoolisées à tout consommateur présentant des signes évidents de perturbation du comportement ou qui lui a servi dans de telles quantités que leur absorption rend inévitable l’apparition des symptômes de l’ivresse, et de prendre une mesure de police tendant à prévenir le renouvellement de comportements imputables à l’exploitant qui, sans être nécessairement constitutifs d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements, sont néanmoins attentatoires à l’ordre public. Il suit de là que lorsque le préfet ferme un établissement au titre de ses pouvoirs de police, la mesure doit reposer sur le danger que représente effectivement pour l'ordre public le mode d'exploitation de cet établissement.

Conclusions du rapporteur public

Geneviève Gondouin

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5856

Par un arrêté du 20 juillet 2006, le PREFET DE LA DROME, sur le fondement de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, prononce la fermeture du débit de boissons-discothèque à l’enseigne « L’Hacienda », sis route de St-Gervais à Sauzet, pour une durée de deux mois.

Cette mesure est fondée : - sur la circonstance que des contrôles d’alcoolémie effectués par la Gendarmerie à proximité de la discothèque, les nuits du 8 au 9 avril et du 12 au 13 mai 2006 ont débouché sur 45 procédures, dont 20 délictuelles, établies pour conduire sous l’empire d’un état alcoolique ; - sur le fait que ces contrôles régulièrement mis en place ont été renforcés à la suite d’un accident mortel de la circulation survenu le 25 mars 2006 dont la victime et le conducteur sortaient de la discothèque « L’Hacienda » où ils avaient consommé de l’alcool et de la cocaïne.

Pour le PREFET, qui cite les dispositions de l’article L. 3332-15.2 du CSP, « les faits de faciliter l’usage de stupéfiants et de servir de l’alcool à des personnes manifestement ivres constituent des troubles à l’ordre et à la santé publics et contreviennent aux dispositions du Code de la Santé Publique ».

La société Domaine du Manson, représentée par son gérant M. C, obtient l’annulation de cet arrêté et du rejet implicite du recours gracieux devant le TA de Grenoble. Les premiers juges retiennent :

- d’une part, s’agissant de l’accident du 25 mars 2006, qu’il ne ressort pas du dossier, notamment des P.V. de gendarmerie, que l’état d’ébriété et l’usage de stupéfiants soient imputables à la consommation excessive dans l’établissement et qu’une enquête ait été faite pour vérifier les déclarations du conducteur concernant la consommation de drogue dans la discothèque ; qu’en outre M. C a été relaxé pour l’infraction d’aide à l’usage par autrui de stupéfiants, faute de preuve ;

- d’autre part, s’agissant des contrôles d’alcoolémie, qu’il ne ressort pas du rapport de gendarmerie que les personnes contrôlées positives sortaient de la discothèque, la société requérante soutenant sans être contredite que l’axe routier sur lequel se trouvaient les forces de police dessert plusieurs autres discothèques.

Le PREFET, compétent en vertu du 8° de l’article R. 811-10-1 pour représenter l’Etat en appel, relève appel de ce jugement du 21 juillet 2009.

- I - Aux termes de l’article L. 3332-15 du CSP (ancien article L. 62 du code des débits de boissons) dans sa rédaction alors applicable, c’est-à-dire issue de la loi du 31 mars 2006 : « 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publique, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois (…) » (…) 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. »

- S’agissant du moyen selon lequel il n’est pas démontré que l’état d’ébriété et l’usage des stupéfiants soit imputable à une consommation excessive dans l’établissement, le PREFET, s’appuie sur les P.V. d’audition de M. R (le conducteur de la voiture accidentée), P.V. qui n’avaient pas été produits en 1ère instance puisque se déroulait alors une procédure judiciaire (Tribunal correctionnel de Valence, 18 mai 2006) et sur le P.V. d’audition du gérant de la discothèque.

Ce dernier, tout en soulignant les difficultés auxquelles il est confronté (forte affluence, impossibilité d’empêcher l’entrée de stupéfiants, d’empêcher les clients de rejoindre leur véhicule pour consommer alcool ou stupéfiants) et les efforts régulièrement déployés pour limiter les risques, reconnaît qu’il est possible qu’il y ait eu usage de cocaïne sur une table de son établissement, et vente d’alcool à personne manifestement ivre.

Les analyses des prélèvements sanguins effectués tant sur M. R, que sur M. M, son ami décédé dans l’accident, montrent que tous deux, et surtout M. M, avaient absorbé de l’alcool et de la cocaïne. M. R est assez précis, deux jours comme trois semaines après l’accident, sur leur soirée à l’Hacienda. Il explique ainsi qu’il a quitté la discothèque vers 4 h 15, que son ami Sylvain n’était pas en état de conduire, qu’il titubait sur le parking, qu’il avait consommé plusieurs « rails de cocaïne », et acheté une demi-bouteille de vodka. Les facturettes de M. Sylvain M montrent qu’en réalité il a utilisé sa carte bancaire à 1 H 06 et une autre fois à 2 H 57 pour des achats de 50 € ce qui implique qu’il a dû acheter plusieurs fois une bouteille –ou demi-bouteille – d’alcool.

Le PREFET explique qu’il s’est fondé sur le 2 de l’article L. 3332-15 du CSP, et c’est ce qui ressort également de son arrêté : « les faits de faciliter l’usage de stupéfiants et de servir de l’alcool à des personnes manifestement ivres constituent des troubles à l’ordre et à la santé publics et contreviennent aux dispositions du Code de la Santé Publique ».

Il aurait pu tout aussi bien, à supposer encore qu’il ne l’ait pas implicitement fait, se fonder sur le 1 de ce même article relatif aux faits constitutifs d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Voyez l’article R. 3353-1 du CSP (ex. art. 6 du code des débits de boissons) : « Le fait pour les débitants de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leurs établissements seront punis de l’amende prévue pour les contraventions de 4ème classe ».

Voyez par ex. cet arrêt du CE du 1er février 1980, Mme Ch, req. 13994 : « il ressort des pièces du dossier et, notamment, des procès-verbaux de gendarmerie en date des 8 mars et 8 juin 1975 que Mme C a reçu à plusieurs reprises, dans le débit de boissons qu'elle exploite à Combs-la-Ville, des consommateurs en état d'ivresse manifeste; (…) ces faits, qui ont troublé la tranquillité et l'ordre publics et qui présentent le caractère d'infractions à l'article R. 6 du code des débits de boissons, étaient de nature, à ce double titre, à justifier la fermeture de l'établissement; (…) ainsi, bien que les infractions commises par Mme C n'aient pas donné lieu à des poursuites pénales et nonobstant la circonstance que, pour prescrire la fermeture de l'établissement pendant six mois par son arrêté du 22 juillet 1975, le préfet de Seine-et-Marne se soit uniquement fondé sur des motifs tirés des nécessités de l'ordre public, c'est à bon droit que, par le jugement attaqué en date du 14 juin 1978, le tribunal administratif de Versailles a retenu que les infractions commises par la requérante justifiaient légalement la fermeture de l'établissement (…) »

Nous vous proposons de reprendre le raisonnement tenu par le CE dans cet arrêt. Ce seul motif nous semble justifier la mesure de fermeture prononcée par le PREFET, car c’est bien ce qui s’est passé dans la nuit du 24 au 25 mars 2006 qui l’a ensuite amené à faire opérer des contrôles d’alcoolémie par les gendarmes de Montélimar.

- De toute façon, et comme l’ont relevé les premiers juges, il est difficile d’établir qu’il y a un lien incontestable entre l’atteinte à la sécurité publique que constitue la conduite en état d’ivresse de plusieurs conducteurs et la discothèque l’Hacienda, même si nous savons que tous ont consommé de l’alcool dans cette dernière.

- II - Le PREFET étant fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont annulé, pour les raisons plus haut rappelées, son arrêté du 20 juillet 2006, vous examinerez les autres moyens soulevés par la Société Domaine du Manson devant le TA.

- Cette dernière soutient qu’aurait été méconnu l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, loi applicable dans ce domaine particulier en vertu des dispositions du 5 de l’article L. 3332-15 du CSP.

La société déplore que les explications des services préfectoraux n’aient pas été accompagnées de la production de pièces, comme par ex. les rapports de gendarmerie.

Mais l’obligation de mettre à même la personne intéressée de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande des observations orales n’implique pas, en l’absence de règles plus précises, celle de lui communiquer un dossier. (Voyez, pour une interprétation très rigoureuse de l’article en question : CE 29 octobre 2008, Soc. Laboratoire Glaxosmithkline, req. 307035, B).

Dans notre dossier, M. C a été informé par lettre du 26 juin 2006 de l’intention du PREFET de prendre une mesure de fermeture administrative fondée sur les faits dont nous avons déjà traité ; il a été reçu le 7 juillet 2006 par le directeur de la règlementation et des libertés publiques de la préfecture de la Drôme, et a complété ses observations orales par un courrier date du 13 juillet 2006.

Rien ne nous permet de dire ici que les exigences de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 auraient été méconnues.

- L’autre moyen est tiré de ce que le PREFET aurait commis une EMA en infligeant une mesure de fermeture de deux mois à raison des faits sus-rappelés. (Pour des ex. CE 30 novembre 2007, SARL Coucou, req. 284124 – 21 mars 2008, Ministre de l’intérieur c/ Soc. Le Nymphéa, req. 298100). Cette mesure ne nous semble nullement entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Dès lors, le PREFET est fondé à soutenir que c’est à tort que le TAG a annulé son arrêté du 20 juillet 2006 et le rejet implicite du recours gracieux formé par la SARL Domaine du Manson à l’encontre de cet arrêté.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de la Société Domaine du Manson.

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