La SASP Dijon football côte d’Or s’est séparée de son entraîneur le 17 décembre 2007 en raison des mauvais résultats enregistrés par son équipe.
Le contentieux que vous avez à connaître aujourd’hui résulte indirectement de cette décision.
En effet, l’entraîneur remercié n’a été remplacé que le 22 décembre suivant. Or le 21 décembre 2007, la SASP a disputé à Angers un match pour la 19ème journée du championnat de France professionnel sans la présence d’un entraîneur titulaire du diplôme d’entraîneur professionnel de football qui constitue une obligation prescrite par le statut des éducateurs de football (article 667).
La commission d’organisation des compétitions de la fédération française de football a sanctionné cette absence en infligeant à la SASP de Dijon une amende de 5000 euros en application de l’article 660 du statut des éducateurs.
La commission supérieure d’appel a confirmé cette décision le 20 mars 2008 et dans la proposition de conciliation du comité national olympique et sportif du 25 juin 2008, le conciliateur l’a maintenue.
La SASP Dijon a saisi le tribunal administratif de Dijon d’une demande d’annulation de la décision de la commission supérieure. Le tribunal administratif de Dijon, par un jugement du 14 avril 2009, a rejeté sa demande.
La SASP Dijon relève appel de ce jugement.
La SASP de Dijon estime que les dispositions de l’article 660 du statut méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Le tribunal a écarté en deux temps l’argumentation de la SASP de Dijon reposant sur l’exception d’illégalité des dispositions de l’article 660 du statut des éducateurs de football. Le tribunal a écarté la violation des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et également la violation des stipulations de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Rappelons que l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle renvoie le préambule de la constitution : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Et l’article 6 de la CEDH dispose « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
La nature de l’amende : une sanction organisationnelle
L’application de ces dispositions dépend de la nature juridique de l’amende de l’article 660 du statut des éducateurs.
Il convient de s’interroger en premier lieu sur la nature juridique de ces dispositions et plus particulièrement vous devrez déterminer si ces dispositions constituent une accusation en matière pénale au sens des stipulations précitées de l’article 6 de la CEDH.
Selon l’article 677 du statut des éducateurs de football : Les clubs autorisés à utiliser des joueurs professionnels sont tenus d’utiliser les services des éducateurs : les clubs de ligue 2 ce qui est les cas de la SASP de Dijon doivent recourir à un entraîneur titulaire du DEPF à temps complet qui doit être présent sur le banc de touche à chacune des rencontres de compétitions officielles et doit être mentionné à ce titre sur la feuille de match. Les sanctions applicables en cas de non-respect de cette obligation sont fixées à l’article 660 du même statut; selon cette disposition « jusqu’ à la régularisation de leur situation, les clubs sont pénalisés de plein droit, par éducateur manquant et pour chaque match disputé en situation irrégulière, de l’ amende suivante : club de ligue 1 : 10 000 euros ; club de ligue 2 : 5000 euros ; club national 1 170 euros ; club CFA : 340 euros ; club de division d’ honneur : 170 euros ; clubs inférieurs 85 euros.
La notion d’accusation en matière pénale renvoie à la jurisprudence de la cour européenne.
- La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur la notion d’accusation pénale.
Le concept d’accusation en matière pénale revêt une portée autonome indépendante des catégorisations utilisées par les systèmes juridiques nationaux des Etats membres. Le concept d’accusation doit être entendu au sens de la convention. Le point de départ de l’examen de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la convention repose sur les critères énoncés dans l’arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A pp 34-35. Ces critères sont au nombre de trois : - la classification interne – la nature de l’infraction – la sévérité de la peine potentielle que la personne concernée risque d’encourir.
Le premier critère est d’un poids relatif et ne sert que de point de départ. Ce qui est décisif, c’est de savoir si le droit interne classe ou non une infraction parmi les infractions pénales. A défaut d’un tel classement, la cour regarde ce qu’il ya derrière la classification nationale en examinant la réalité substantielle de la procédure en question. En examinant le deuxième critère, la nature de l’infraction prendra en compte différents éléments et notamment - rechercher si la règle juridique s’adresse exclusivement à un groupe de personnes
- rechercher si l’instance est engagée par une autorité publique en vertu de pouvoirs légaux ;
- rechercher si la condamnation a une fonction répressive ou dissuasive ;
- le fait qu’une infraction ne donne pas lieu à l’inscription au casier judiciaire peut constituer un élément important mais n’est pas décisif car il s’agit en général d’un reflet de la classification interne ;
Le troisième critère est déterminé par référence à la peine maximale possible prévue par la loi applicable. Précisons encore que le deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs : pour que l’article 6 soit jugé applicable, il suffit que l’infraction en question réponde à l’un des critères. Une approche cumulative peut toutefois être adoptée lorsqu’ une analyse distincte de chaque critère ne permet pas de parvenir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale.
Quelques exemples d’application de ces principes : les infractions à la discipline militaire impliquant l’affectation à une unité disciplinaire pour une période de quelque mois relèvent du volet pénal de l’article 6 de la convention. En revanche, les arrêts de rigueur pendant deux jours ont été jugés d’une durée trop courte pour relever de la sphère du droit pénal.
L’article 6 peut s’appliquer aux infractions à la discipline pénitentiaire du fait de la nature des accusations ainsi que de la nature et la gravité des peines (l’accusation de menace de mort contre un gardien de probation et l’accusation de voies de fait contre un gardien de prison donnant lieu à 40 jours supplémentaires de détention et sept jours de détention respectivement dans l’affaire EZEH et CONNORS c Royaume-Uni N°S 39665 / 98 et 40086/98, CEDH 2003-X).
Certaines infractions administratives relèvent du volet pénal de l’article 6; la cour a ainsi jugé que tel était le cas – des infractions à la circulation routière passibles d’amendes, restrictions relatives au permis de conduire, telles que des retraits de points ou une suspension ou une annulation du permis de conduire. (Lutz C Allemagne P 182) (Schmautzer C Autriche arrêt du 23 octobre 1995, série A n° 0328-1 ;) ou encore Malige c France arrêt du 23 septembre 1998 publié au recueil d’arrêts et décisions 1998 –VII. En revanche la cour considère que l’article 6 n’est pas applicable à une mesure de prudence telle que le retrait immédiat d’un permis de conduire (Escoubet c Belgique n° 026780/95 CEDH 1999 –VII. L’article 6 a été jugé applicable aux procédures relatives aux majorations de l’impôt sur la base des éléments suivants : la loi fixant les peines s’appliquait à tous les citoyens en leur qualité de contribuables; la majoration n’était pas destinée à constituer une réparation pécuniaire du préjudice causé mais essentiellement à punir pour empêcher la réitération de l’infraction; la majoration revêtait une ampleur considérable.
De son côté le CE s’est résigné à suivre la jurisprudence de la cour tout en adoptant des formulations parfois différentes. Voyez notamment l’avis du CE SARL Auto-industrie Meric, le CE a jugé que les majorations d’imposition constituaient des accusations en matière pénale au sens de l’article 6§1 de la convention.
Qu’en est-il en l’espèce ?
La mesure n’est bien sûr pas inscrite dans le code pénal et en suivant la méthode d’examen de la cour, la nature de la mesure doit être examinée.
Elle ne constitue pas une norme générale applicable à l’ensemble des citoyens mais ne concerne qu’une catégorie particulière : les clubs de football qui relèvent de la fédération. Or, cet élément est déterminant pour distinguer la qualification pénale et disciplinaire.
De plus le fait reproché ne heurte nullement la conscience collective. Elle n'est répréhensible qu’à travers la qualité professionnelle.
Enfin en ce qui concerne la sévérité de la sanction, même si l’amende infligée n’est pas négligeable, elle ne suffit pas à notre sens à caractériser une accusation de nature pénale, dès lors que l’autre critère fait défaut.
La sanction en cause est la traduction de l’exigence d’une discipline interne qui repose sur une exigence de sécurité.
Elle constitue à notre sens une sanction organisationnelle. Voyez pour la définition du régime de responsabilité disciplinaire des clubs devant la fédération française de football, l’avis contentieux Société sportive professionnelle « Losc Lille Métropole « du 29 octobre 2007 p 431.
Si vous nous suivez la mesure en cause n’a pas de caractère pénal contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif et la SASP de Dijon ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l’article 6-1 de la convention.
Reste à se demander si cette sanction est compatible avec l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme.
Rappelons encore que l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle renvoie le préambule de la constitution : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
La SASP soutient que l’article 660 du statut des éducateurs ne respecte pas le principe de proportionnalité qui découle de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme. Le principe de nécessité et de proportionnalité des peines est un principe constitutionnel applicable en matière de sanctions administratives. ex décision 200-433 DC du 27 juillet 2000 .
Voyez aussi CE 28 juillet 1999 syndicat des médecins libéraux et autres. Le CE a jugé que le principe proclamé par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans son article 8 s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition qu’elle soit de nature pénale ou administrative. Voyez encore un arrêt plus récent CE 12 octobre 2009 Petit n° 0311641
Nous n’avons donc pas de doute sur l’applicabilité de ces dispositions en l’espèce.
Le moyen est-il fondé ?
Le conseil Constitutionnel n’exerce sur ce point qu’un contrôle de la disproportion manifeste voyez par exemple la décision 2009-590 DC du 22 octobre 2009. Le CE exerce quant à lui un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation CE n° 0158676 Meyet du 8 décembre 1995 s’agissant de la peine d’amende infligée pour défaut du port de casque. Le CE a jugé que la peine d’amende ne saurait être regardée manifestement disproportionnée à la gravité de l’infraction résultant de la méconnaissance des dispositions de l’article R 53-1.
En l’espèce, il nous paraît que le taux de l’amende n’est pas disproportionné au regard des faits reprochés d’autant qu’il tient compte du niveau du club en cause 5 ligue 1 e, ligue 2 etc).
Mais l’essentiel de l’argumentation de la SASP repose sur le caractère automatique de la sanction. Elle fait valoir que le texte interdit toute modulation toute appréciation concrète de la situation, de tenir compte de circonstance atténuante.
En effet le texte indique que l’application de la sanction se fait de plein droit. Il n’y a pas de lien entre le taux de l’amende et la gravité de la faute.
Sur ce point une hésitation est possible dans un premier temps.
Précisons tout d’abord que l’automaticité des sanctions n’est pas dans tous les cas jugés contraires aux principes constitutionnels. Certaines sanctions automatiques ont été admises en particulier dans le domaine fiscal. Dans sa décision n° 099 424 DC du 20 décembre 1999 relative à la pénalité en cas de découverte d’une activité occulte, le Conseil constitutionnel a relevé que la procédure conduisant à cette pénalité était encadrée dans le temps, que le contribuable avait la faculté d’éviter qu’elle soit appliquée, que la présomption de bonne foi était respectée et que les droits de la défense étaient garantis.
Au final, la jurisprudence n’interdit pas les sanctions automatiques par principe mais les censure lorsque – les droits de la défense n’ont pas pu à un moment ou à un autre s’exercer – la proportionnalité de la peine n’est pas assurée – les droits et libertés particulièrement protégés sont en cause, comme la faculté de se présenter à des élections.
Nous ne pensons pas que la sanction de l’absence d’entraîneur puisse être contestée au regard de ce principe.
La méconnaissance du statut relève en l’espèce d’une conception objective présence ou non d’un éducateur diplômé et non de la conception applicable en matière pénale qui combine un élément matériel et un élément moral.
Et le club sanctionné peut toujours faire valoir au cours de la procédure contradictoire des éléments; à cet égard il peut être rappelé que le règlement des championnats nationaux indique qu’une sanction peut être infligée ce qui relativise le caractère automatique de la sanction. Les droits de la défense sont protégés par l’existence d’une procédure contradictoire prévue aux articles L141-4 et R141-5 du code du sport qui permet au club de faire valoir ses droits et le recours au juge administratif qui s’il n’a pas le pouvoir de moduler la sanction pourra exercer son plein contrôle sur les faits indiqués et la qualification retenue et le cas échéant annuler la sanction.
Pour résumer nous vous proposons de rejeter la requête en jugeant – que la sanction prévue par les dispositions de l’article 677 ne constitue pas une accusation d’ordre pénal et que la SASP de Dijon ne peut donc utilement invoquer les dispositions de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme et qu’elle ne méconnaît pas le principe de nécessité et de proportionnalité des peines de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dès lors que la sanction organisationnelle ne revêt pas un caractère manifestement disproportionnée, que les droits de la défense sont protégés par l’existence d’une procédure préalable et le contrôle du juge et qu’elle ne porte pas sur une liberté ou un droit particulièrement protégé.
Telles sont nos conclusions dans cette affaire.