Annexe 5 : Présentation thématique - Les atteintes aux paysages

DOI : 10.35562/alyoda.9874

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Texte

Généralement implantées dans des zones de faible urbanisation, les éoliennes se dressent souvent au milieu de paysages qui étaient jusque-là préservés. De par leur taille, leur aspect industriel et leur orientation verticale, ces installations sont susceptibles de perturber l’harmonie paysagère. C’est pourquoi le législateur offre aux autorités administratives compétentes la possibilité de refuser la délivrance d’une autorisation environnementale si le projet d’implantation porte une atteinte disproportionnée au paysage.

L’article L. 181-3 du code de l’environnement prévoit ainsi que l’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte assurent la prévention des inconvénients pour les intérêts protégés par l’article L. 511-1 du même code, au titre desquels les paysages. Avant la création de cette autorisation unique en 2017, la construction de parcs éoliens relevait du régime de droit commun des permis de construire, qui offre une protection similaire par le biais de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme en vertu duquel un projet peut être refusé ou soumis à des conditions prescriptives si les constructions sont de nature à porter atteinte aux paysages naturels ou urbains. Le contrôle opéré par l’autorité administrative et par le juge en matière paysagère est identique pour les deux fondements1.

Le contrôle du respect de cette exigence par l’autorité administrative ou le juge se réalise en deux temps (A) et tient compte d’un nombre croissant d’éléments pour caractériser une atteinte (B). Il est au demeurant intéressant de noter que depuis quelques temps, la jurisprudence reconnaît une dimension immatérielle au paysage (C).

A. Un contrôle en deux temps de l’atteinte aux paysages

Depuis un arrêt Association Engoulevent du 13 juillet 2012 du Conseil d’Etat (n° 345970), la jurisprudence impose à l’autorité administrative compétente de procéder en deux étapes pour évaluer les atteintes aux paysages.

Le considérant de principe énonce ainsi que :

« Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder [un refus], il appartient [à l’autorité administrative] d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ».

Le juge précise, lorsque de tels moyens sont invoqués, que l’autorité administrative ne peut pas procéder, lors du second temps de son contrôle, à la mise en balance d'intérêts autres que ceux mentionnés dans les textes.

Lorsqu’elle évalue la qualité du site et l’impact du projet, l’autorité administrative se fonde dans la grande majorité des cas sur le volet paysager joint, le cas échéant, à l’étude d’impact prévue à l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement, notamment les photomontages réalisés par le pétitionnaire. Toutefois, elle est aussi susceptible d’étudier d’autres documents pour établir l’existence ou non d’une atteinte aux paysages, tels que les avis recueillis dans le cadre de la procédure (notamment ceux du commissaire enquêteur à l’issue de l’enquête publique, de l’autorité environnementale ou de la commission départementale de la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers) ou encore le rapport de l’inspecteur des installations classées. Si les circonstances l’exigent, elle peut recourir à des éléments lui permettant d'apprécier avec justesse les qualités du site, comme des atlas locaux (CAA Lyon, 2 février 2023, n° 20LY00201) ou des fiches relatives aux événements qui se sont déroulés sur le lieu souhaité d’implantation (CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 20LY00238). En tout état de cause, les schémas régionaux éoliens doivent être pris en compte mais n’ont aucune valeur contraignante (CAA Douai, 1 février 2020, n° 19DA00235). Il en va de même pour les schémas d’aménagement régional (CE, 21 mai 2014, Sté centrale des carrières, n° 357244).

B. Des éléments de contrôle foisonnants pour qualifier la qualité du site et l’impact du projet

Dans la première étape du contrôle, qui consiste à évaluer la qualité du site d’implantation, l’autorité administrative se réfère à plusieurs caractéristiques propres au lieu. Elle relève ainsi la topographie de la zone afin d’identifier une ambiance paysagère, un relief typique ou une « identité paysagère » (CAA Marseille, Terre de Peyre, n° 19MA01159) susceptible d’être particulièrement protégé. Les vues et espaces visuels sont également étudiés, et notamment la covisibilité avec des bâtiments remarquables (CE, 22 septembre 2022, Société Ferme éolienne de Seigny, n° 455658). L’autorité administrative tient aussi compte des éléments environnants, qu’ils jouent en faveur d’une protection accrue du paysage (monuments classés, zones inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO2, espaces protégés) ou qu’ils dénotent au contraire une anthropisation déjà importante du lieu (lignes électriques, autoroutes, autres générateurs construits ou autorisés – v. CAA Bordeaux, 6 décembre 2022, n° 20BX01411). En toute hypothèse, l'autorité administrative apprécie l’intérêt paysager au regard de l’ensemble dans lequel il s’inscrit, qu’il s’agisse d’un environnement caractéristique (CAA Lyon, 3 juin 2021, n° 19LY01287), authentique, de grande qualité (CAA Bordeaux, 11 juin 2019, n° 17BX02965) ou remarquable (CAA Nantes, Ferme éolienne du Germance, n° 20NT02661). Elle se fonde aussi sur l’existence de plans, études ou décisions ayant classé la zone, quand bien même ces documents n’auraient pas de valeur réglementaire (CAA Douai, 26 janv. 2021, n° 19DA01021). L’attractivité touristique du lieu fait également partie des éléments notables, y compris une simple « reconnaissance locale » (CAA Lyon, 19 avril 2023, n° 22LY02828). Enfin, le caractère historique, archéologique voire géologique de la zone est pris en compte (comme les vestiges d’un volcan d’âge tertiaire : CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 22LY00833).

Dans la seconde étape du contrôle, qui consiste à évaluer l’impact du projet sur le paysage, l’autorité administrative dispose là encore de plusieurs éléments pour apprécier la situation. La visibilité des éoliennes depuis un lieu d’intérêt est ainsi susceptible de causer une atteinte significative au paysage, notamment si ce lieu est « emblématique » (CAA Bordeaux, 17 décembre 2021, n° 19BX03833) ou « incontournable » (CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 18LY00934). La distance entre le projet et des zones de vie est très souvent relevée, mais la seule circonstance qu’un projet est particulièrement proche d’un lieu ne suffit pas à fonder un refus : l’autorité administrative doit démontrer que cette distance porte une atteinte concrète au paysage (CAA Douai, 26 janv. 2021, n° 19DA01021). Elle apprécie également l’existence d’une atteinte au regard d’une « disharmonie paysagère » globale (CAA Bordeaux, 13 décembre 2022, n° 20BX00810), d’un effet de surplomb ou d’écrasement, d’une saturation visuelle ou encore d’un effet de contraste lié à l’apparence verticale et industrielle des aérogénérateurs (CAA Lyon, 19 avril 2023, n° 22LY02828).

Si l’autorité administrative identifie une atteinte causée au paysage, elle vérifie si celle-ci n’est pas atténuée par des éléments naturels ou prévus par le pétitionnaire au titre des mesures de réduction et de compensation. Ainsi, une végétation abondante – qui peut naître d’une plantation d’arbres prévue dans le projet – est susceptible de créer un « masque visuel » (CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 22DA01333) compensant la rupture visuelle causée par les éoliennes. L’éloignement du projet des principaux points d’observation ou la topographie du lieu peuvent aussi mener l’autorité administrative à estimer que l’atteinte, bien que réelle, n’est pas significative ou est suffisamment compensée.

C. Vers la protection de paysages immatériels ?

Si l’autorité administrative se fonde, on l’a vu, sur des éléments essentiellement matériels (topographie, harmonie visuelle, sites historiques…), la jurisprudence semble tendre depuis peu vers la reconnaissance d’une dimension immatérielle du paysage.

La cour administrative d’appel de Versailles, qui avait jugé dans une décision n° 20VE03265 du 11 avril 2022 que :

« l'exigence de protection des paysages [...] peut conduire à refuser une autorisation d'implantation d'éoliennes afin de préserver un paysage présentant une composante immatérielle liée à son évocation au sein d'une œuvre littéraire reconnue »,

a ainsi été suivie dans son raisonnement par le Conseil d’Etat dans un important arrêt Société Combray Energie du 4 octobre 2023 (n° 464855). Si ce patrimoine immatériel est encore rarement invoqué pour fonder des refus d’autorisation, certains préfets s’en emparent d’ores et déjà, comme la préfète de l’Oise qui s’est, entre autres, appuyée sur l’œuvre du peintre Camille Pissarro pour motiver un arrêté du 6 novembre 2023.

Notes

1 Margerit, Diane. « Protection des paysages », Revue juridique de l’environnement, vol. 47, n° 4, 2022, pp. 871-882. Retour au texte

2 Comme les sites mémoriels liés aux champs de bataille de Verdun (CAA Nancy, Société Quadran,16NC02160). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Les étudiants du M2 Droit public fondamental, « Annexe 5 : Présentation thématique - Les atteintes aux paysages », revue Alyoda [En ligne], HS3 | 2024, mis en ligne le 06 mars 2025, consulté le 27 juillet 2025. URL : https://alyoda.eu/index.php?id=9874

Auteur

Les étudiants du M2 Droit public fondamental

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Éditeur scientifique

Caroline Chamard-Heim

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