L’étude d’impact est un document qui intéresse particulièrement le contentieux éolien (I). Plus précisément, il est un document double en matière contentieuse puisqu’il est non seulement un élément contestable au nom de la légalité externe (II) mais aussi contestable pour ses vices propres, au fond (III).
Section 1. L’étude d’impact, document central dans l’appréciation des conséquences d’un projet éolien
L’étude d’impact consiste en l'élaboration d'un rapport d’évaluation sur les incidences environnementales. La notion d’incidences « environnementales » est plus large que ce que son nom peut laisser penser, puisque le contenu de l’étude d’impact porte sur les incidences prévisibles du projet sur l’environnement mais aussi sur la santé humaine, notamment au regard des effets cumulés avec d’autres projets ou documents de planification2.
L’étude d’impact est encadrée par les articles L. 121-1-1 et L. 122-4 du code de l’environnement selon lesquels l’étude d’impact est réalisée par le pétitionnaire ou l’autorité chargée de la réalisation du plan. Cette formalité ne lie pas l’autorité décisionnaire, qui doit seulement la prendre « en considération ». En ce sens, dans le cadre de la procédure d’adoption d’un plan ayant une incidence sur l’environnement, l’étude d’impact prend place entre la phase d’instruction et la phase de décision.
L’étude d’impact s’illustre particulièrement dans le domaine de l’environnement. Depuis la loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement et instituant en son article 7 la disposition selon laquelle :
« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement »,
le droit à l’information et à la participation du public a été consacré en matière environnementale. Cela s’est progressivement traduit par la mise en œuvre de formalités procédurales, à l’instar de l’étude d’impact, s’inscrivant dans un processus de démocratisation de l’ensemble de la matière administrative. Pour autant, au nom de la simplification et de la sécurité juridique, le juge – au même titre que le législateur – a tendance à en minimiser la portée en limitant les contraintes résultant du contrôle juridictionnel.
Lorsque le juge est amené à contrôler la régularité de l’étude d’impact, il est limité à un examen formel consistant à vérifier la présence de l’étude, ou celle des différentes rubriques qui doivent y figurer tel que prévu par l’article R. 122-5 du code de l’environnement. Il s’assure de l’effectivité de sa prise en compte tout en appréciant la suffisance de l’étude d’impact par son caractère proportionné à l’importance du projet et à l’environnement dans lequel il s’insère. Ce contrôle de régularité de l’étude d’impact intervient à l’occasion d’un recours contre une décision administrative que le juge est amené à contrôler. En d’autres termes, les irrégularités des études d’impact ne peuvent être contestées de façon autonome.
Comme dans la plupart des contentieux intéressant la matière environnementale, la consistance de l’étude d’impact, et plus spécifiquement sa suffisance, est mise en cause. Elle peut donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
Le juge administratif, et en particulier le juge lyonnais, s’inscrit dans un élan didactique. Dans un nombre significatif de ses arrêts, il précise le cadrage juridique de celle-ci de la manière suivante – comme c’est le cas, par exemple, dans son arrêt du 20 décembre 2022, n° 20LY00753 :
Aux termes du III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable :
" L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact " […]. L'évaluation environnementale permet de décrire et d'apprécier […]. les incidences notables directes et indirectes d'un projet sur les facteurs suivants : 1° La population et la santé humaine ; 2° La biodiversité […] ; 4° Les biens matériels, le patrimoine culturel et le paysage […] ".
Aux termes de l'article R. 122-5 du même code :
" I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine […] »
S’il n’est pas possible de demander l’annulation de l’étude d’impact, il est cependant possible de soulever le moyen de son irrégularité lors d’un recours tendant à obtenir la censure de l’arrêté d’autorisation.
Section 2. Un contrôle souple de l’étude d’impact par le juge administratif
Le juge évoque souvent l'étude d'impact, en tant qu’élément contesté lors du litige, en utilisant systématiquement le même considérant de principe selon lequel :
« Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative »
On le trouve par exemple dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 30 janvier 2020 (n° 17LY04399) ou dans celui de la cour de Douai du 9 juillet 2019 (n° 17DA02173). Cette considération ressort de prime abord de l’arrêt du Conseil d’État du 14 octobre 2011, Sté Ocréal (n° 323257), mentionné aux tables du recueil Lebon. Les « inexactitudes, omissions ou insuffisances » d’une étude d’impact relèvent du vice de légalité externe : le vice de procédure. Dans la mesure où l’information de la population peut être regardée comme une garantie, la reprise systématique d’un tel considérant fait état de cette influence. En ce qui concerne la cour administrative d’appel de Bordeaux3, un moyen concernant l’étude d’impact est presque systématiquement soulevé dans les requêtes intéressant le contentieux des éoliennes. Toutefois, celle-ci applique classiquement la jurisprudence du Conseil d’État en se bornant à un simple contrôle restreint de l’absence d’insuffisance de cette étude. Dans une logique proche de celle qui a conduit les juges du Palais-Royal à reconfigurer les vices de forme et de procédure4, cette insuffisance ne peut être retenue que si elle a été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision ou si elle a nui à l’information du public.
Dès lors, le juge peut se trouver à analyser la réalisation précise de l’étude d’impact pour déterminer si cette dernière est suffisante ou non. Dans ce cas, il procède à une analyse, point par point. Cela se retrouve notamment dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 27 avril 2023 (n° 21LY03411), dans lequel le juge administratif lyonnais apprécie la suffisance de l’étude « s'agissant des conditions de réalisation du chantier ». De la même manière, plus récemment, le Conseil d’État a pu apprécier la suffisance de l’étude même en cas d’absence d’un « inventaire actualisé de la faune présente sur le site » ou des « précisions sur les pollutions lumineuses induites par le projet » dans l’étude d’impact5. Le juge bordelais apprécie aussi point par point le caractère suffisant de l’étude d’impact6.
Par ailleurs, on relève que le juge administratif lyonnais est le seul à prendre en compte certains éléments dont la conséquence du temps sur la validité de l’étude d’impact. Ainsi, dans une récente affaire, le juge a considéré que :
« même en tenant compte du temps écoulé depuis l'enquête publique initiale, les impacts du projet sur l'avifaune peuvent être regardés comme ayant été suffisamment analysés par l'étude avifaunistique »7.
Le juge se fonde sur ces éléments pour finalement déclarer l’étude d’impact et l’étude des « mesures ERC » (éviter, réduire, compenser) comme complètes. Cela ne semble pas se retrouver dans les autres juridictions administratives de l’analyse.
Enfin, si l’étude d’impact est l’élément de procédure qui revient le plus souvent, elle n’est pas le seul document pris en compte, notamment dans le cadre du dossier de demande d’autorisation, de permis de construire ou du dossier d’enquête publique. Ainsi, les études avifaunistique, chiroptérologique, acoustique, paysagère ou encore géologique peuvent être jointes au dossier, ainsi que l’avis du commissaire enquêteur dans l’enquête publique, l’avis de la commission locale de l’eau ou encore l’avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Sur ces documents, la CAA de Lyon tient la même position que sur les études d’impact. Ainsi, par exemple, l’incomplétude d’un dossier de demande de permis de construire ne justifie l'annulation de la décision que si celle-ci est de nature à fausser l’appréciation de la conformité du projet8. Cependant, l’étude d'impact demeure le document le plus pris en compte. Les autres documents sont régulièrement évacués de manière rapide. Par ailleurs, les arrêts récents démontrent une tendance à une analyse forte de l'étude d'impact en elle-même. Il en va de même, notamment, pour la CAA de Bordeaux dans son arrêt du 30 janvier 2023 (n° 20BX00535).
En somme, l’étude d’impact peut être appréciée en tant que telle. Or, dans le cadre du contentieux éolien, elle fait l’objet d’assez peu d’annulations. Elle est surtout utile au juge administratif pour analyser le fond du litige, à savoir, l’autorisation environnement ou le refus de délivrance de ladite autorisation.
Section 3. L’emploi ambivalent de l’étude d’impact comme fondement de l’analyse juridictionnelle
Si dans un premier temps, le juge administratif lyonnais utilise l’étude d’impact comme un moyen de procédure, il s’en sert aussi, et surtout, comme un moyen d'apprécier les atteintes. Il s’agit là d’un acte administratif malléable. Il peut donc servir de fondement à une annulation, mais il peut aussi ne constituer qu’un document permettant au juge d’apprécier les atteintes à la faune, aux sites et monuments ou aux paysages.
Par exemple, le juge lyonnais utilise le volet paysager de l’étude d’impact pour analyser la co-visibilité. Il juge ainsi :
« qu’il ressort des planches du volet étude paysagère de l'étude d'impact que les éoliennes ne seront visibles que depuis la sortie du village de Viévigne, et seront distantes, pour la plus proche des machines de plus de six kilomètres du village et la plus éloignée de près de 8,5 kilomètres et dans un cadre paysager sans intérêt particulier »9.
C’est dans cette même dynamique que s’inscrit le juge bordelais selon lequel :
« il ressort de l'étude d'impact que les monuments environnants dégagent des vues sur l'aire d'implantation du projet ou seront en co-visibilité avec ce parc et que les éoliennes projetées auront pour effet de modifier les échelles de manière significative et défavorable pour plusieurs de ces monuments. »10
Enfin dans l’un de ses arrêts, le juge de Douai écrit que :
« si cet avis précise que « l'impact sur la vallée de la Serre sera notable » ; mais il ajoute immédiatement que « toutefois, l'étude précise qu'il n'y aura aucune saturation du champ visuel alors que le parc présente une co-visibilité importante avec le parc construit d'Autremencourt »11.
Dans un second temps, il convient de relativiser la portée de l’étude d’impact. Elle n’est pas une source de vérité juridique aux yeux du juge. Il ne s’agit pas d’un fondement à toute épreuve. Le juge administratif lyonnais a pu être amené à écarter l’appréciation effectuée par l’étude d’impact. Cela se justifie par le fait que l’étude d’impact est, certes, soumise à l’appréciation de l’autorité environnementale, mais demeure un produit de la société projetant un parc éolien. En ce sens, le juge administratif ne la considère pas comme probante en toutes circonstances, et encore moins comme incontestable.
Par exemple, dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 avril 2023 (n° 22LY02828):
« Le volet paysager de l'étude d'impact a ainsi relevé, depuis ces sites, une "co-visibilité directe" de la zone d'implantation et un "panorama dégagé et de qualité" sur celle-ci, estimant que le parc, du fait de "sa verticalité, de sa couleur et de son caractère industriel", crée un "point d'appel visuel". Contrairement à ce qu'ajoute cette étude, l'effet de rupture engendré dans ces panoramas par le parc projeté n'apparaît pas notablement amenuisé par l'implantation, prétendument lisible et harmonieuse, des éoliennes, au demeurant contestable compte tenu en particulier de l'espacement irrégulier les séparant et du décrochage de l'une d'elles du reste du parc, ni par la végétation environnante, seulement "buissonnante" ou "en pointillé" et variable selon les saisons ».
En définitive, l’étude d’impact peut constituer tout à la fois une arme ou une cible dans le contrôle du juge administratif. Mais dans l’un comme dans l’autre cas, son influence n’est pas absolue : le juge peut être amené à l’écarter ou à se fonder sur d’autres éléments pour apprécier les risques d’atteintes, tout comme il peut en « danthonyser » les éventuels vices de légalité.