Les cours administratives d’appel sont souvent saisies, dans le contentieux éolien, d’un ou plusieurs moyens concernant une atteinte à la faune. Il conviendra donc de faire le traitement des différentes cours et leurs éventuelles convergences ou divergences. Pour ce faire, nous étudierons d’abord la méthode utilisée (Section 1), avant de nous pencher sur leur analyse dans l’appréciation des espèces protégées présentes sur le territoire (Section 2), dans la présence, ou non, de risque d’atteintes pour lesdites espèces protégées (Section 3), et le cas échéant sur la présence de mesures « Éviter, Réduire », autrement appelées mesures ER (Section 4).
Il est important de noter, à titre liminaire, que le Conseil d’État accorde une vraie attention à la conservation des espèces protégées. A ce titre, il a annoncé que l’autorité administrative est tenue « à tout moment » à ce qu’un projet susceptible de compromettre la protection des espèces concernées fasse l’objet d’une demande de dérogation. Il a indiqué dans ce même arrêt qu’il est indispensable que l’autorité administrative prenne, à tout moment, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers et protéger la nature et l’environnement, ce qui inclut bien entendu la préservation des espèces protégées et de leurs habitats2.
Section 1. L’appréciation des atteintes à la faune par les cours administratives d’appel, une méthode spécifique
La loi interdit en principe de détruire certaines espèces lorsqu’un intérêt scientifique, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient leur conservation (article L. 411-1 du code de l’environnement). Par exception, le pétitionnaire peut, sous certaines conditions, obtenir une dérogation à cette interdiction (article L. 411-2 4° du code de l’environnement), dite « dérogation espèces protégées ».
Dans leur analyse, les juges vont tout d’abord vérifier si le pétitionnaire devait produire une dérogation espèces protégées et, le cas échéant, si cette dernière est bien présente. La loi prévoit que le pétitionnaire doit demander cette dérogation dès lors que le projet de construction éolien présente un risque pour la faune. Le Conseil d’État a précisé la loi dans un avis de 20223, avis sur lequel les cours n’hésitent pas à se baser afin de savoir si la dérogation est nécessaire ou non. L’avis pose en effet un seuil en deçà duquel la dérogation n’est pas requise : là où la loi impose la dérogation dès que le projet présente un risque pour la faune, le Conseil d’État et les cours exigent désormais un risque « suffisamment caractérisé », étant à noter que le risque est apprécié au regard des mesures d’évitement et de réduction envisagées par l’exploitant. L’administration l’accordera si trois conditions cumulatives sont remplies :
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l’absence de solution alternative satisfaisante doit être caractérisée,
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l’obligation de ne pas nuire au maintien des espèces dans leurs aires de répartition naturelle doit être satisfaite,
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la dérogation doit pouvoir être justifiée par l’un des cinq motifs énumérés dans le 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, parmi lesquels figure le fait que le projet réponde à une raison impérative d’intérêt public majeur4.
Il est intéressant de noter que toutes les cours, ainsi que le Conseil d’État, utilisent le même considérant de principe sur ce point :
« Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. »
Les trois cours administratives de Douai, Bordeaux et Lyon ont une méthode plutôt similaire dans leur appréciation des atteintes à la faune. En effet, elles examinent toutes les mêmes points. Sont ainsi recherchés :
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le risque d’une atteinte,
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l’existence de mesures « Eviter, Réduire »,
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et enfin la nécessité d’une « dérogation espèces protégées »
Afin d’examiner la méthode des différentes cours concernant leur appréciation des atteintes portées à la faune, nous avons choisi de suivre l’ordre méthodologique de la cour administrative lyonnaise. Le juge lyonnais analyse tout d’abord le risque que le projet fait courir aux espèces présentes sur le territoire (§1). Si le projet fait courir un risque pour les espèces en question, il vérifiera alors la présence de mesure ER (§2). Et enfin, le cas échant, si le projet nécessite une « dérogation espèces protégées » (§3). Par comparaison, le juge bordelais recherche d’abord s’il existe une atteinte, puis se penche sur la dérogation. De la même manière, le juge de Douai examine cette dérogation en dernier lieu, après l’examen des mesures ER5.
1. L’appréciation du risque pour l’espèce protégée
Le juge lyonnais apprécie le risque pour les espèces. Tout comme les autres cours, il n’apprécie le risque que pour les espèces mentionnées par les requérants.
Afin d’apprécier le risque, il regarde différents points, comme la présence de l’espèce citée6 sur la zone ou la proximité du parc éolien avec la zone7. Les autres cours font aussi cette analyse. Le juge de Douai, par exemple, construit une sorte de « couronne de localisation » avec une zone d’implantation du projet, une aire d’étude rapprochée et une zone plus éloignée, la distance permettant parfois à elle seule de considérer qu’il n’y a pas d’atteinte8. Le juge bordelais a, lui, plus tendance à regarder les caractéristiques même du projet pour apprécier l’atteinte – comme la hauteur des pales, leur orientation et leur implantation9. Les différentes cours portent donc attention aux mêmes éléments (le juge de Lyon vérifie aussi la hauteur des pales et l’espacement10), mais pas avec la même intensité.
Une fois l’étude de la zone d’implantation du projet faite, les différents juges qualifient son atteinte sur les espèces protégées. Elle peut être faible, modérée ou forte. Le Conseil d’État, sur cette question, est réticent à contrôler l’appréciation des cours, et parle ainsi « d’appréciation souveraine »11.
2. L’analyse des mesures ER
Le juge lyonnais regarde l’existence de mesures ER, sans tenir compte à ce stade d’éventuelles mesures de compensation. Ces mesures permettent d’éviter (E) l’impact du projet (par exemple privilégier l’implantation des éoliennes hors d’une zone de nidification ou des axes privilégiés des déplacements d’oiseaux, réduire la taille de l’éolienne), ou de réduire (R) son impact (par exemple mettre en place un système de bridage ou d’effarouchement).
Ces dernières doivent avoir un caractère d’efficacité qui n’est pas sérieusement remis en cause12, ou dont l’insuffisance alléguée n’est pas établie13. Les juges bordelais et douaisiens examinent aussi les mesures ER. Tout comme le juge lyonnais, les autres juges exigent que les mesures soient effectives.
Ainsi par exemple, pour le juge bordelais, la mesure doit présenter « des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour l’espèce »14.
Le Conseil d’État, lui aussi, s’assure que les cours vérifient l’effectivité des mesures. Ainsi, il a pu juger que la cour administrative de Bordeaux,
« sans rechercher si les mesures d'évitement et de réduction présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, […] a entaché son arrêt d'erreur de droit »15.
Il est important de noter que l’analyse des mesures ER subit un traitement différencié selon que la question qui se pose est celle de l’exigence d’une dérogation espèces protégées. En revanche, s’il s’agit de vérifier que les conditions pour accorder une dérogation sont réunies, les mesures de compensation (par exemple recrée à proximité du site une zone humide détruite par l’installation d’éoliennes) seront-elles aussi analysées.
Ainsi, les mesures ERC semblent vraiment avoir une place centrale, et c’est sur ces dernières que le juge administratif consacre la plus grande partie de son analyse. Leur prise en compte permet au juge de vérifier si, finalement, le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est ou non suffisamment caractérisé au sens de la jurisprudence du Conseil d’État « Association Sud Artois pour la protection de l’environnement ».
3. L’exigence d’une dérogation espèces protégées
Lorsque, malgré les mesures ER envisagées, un risque d’atteintes suffisamment caractérisées persiste, une telle dérogation sera nécessaire pour mettre en œuvre le projet.
Si l’ordre d’étude de cette dérogation n’est pas le même selon la cour étudiée, l’attention qui lui est portée diverge également. S’agissant du juge lyonnais, celui-ci estime que les mesures ER ne peuvent pas remplacer une dérogation espèce protégée, il utilisera ces dernières pour déterminer le besoin d’une dérogation. Une dérogation doit en effet être demandée si le risque d’atteinte est élevé, les mesures ER permettant de diminuer voire d’éliminer ce risque. Dès lors, le juge lyonnais estime que la dérogation n’est plus obligatoire si les mesures ER présentent un niveau d’effectivité suffisant et ramènent le risque à un d’effectivité satisfaisant. En revanche, le juge bordelais, est quant à lui assez souple et admet que l’absence de dérogation soit un vice régularisable par une autorisation modificative.
Enfin, concernant le besoin de la dérogation par les autres cours, ces dernières ne portent que peu d’attention aux conditions rendant celles-ci nécessaires.
Le Conseil d’État, quant à lui, vérifie l’appréciation des cours sur la dérogation. Pour ce faire, il va vérifier si, pour juger qu’une dérogation était nécessaire, les cours ont tenu compte des mesures d’évitement et de réduction. Si cela n’est pas le cas, elles ont commis une erreur de droit16. Cependant, il juge que les cours ne peuvent pas, à ce stade, tenir compte des mesures de compensation en elles-mêmes car cela constituerait également une erreur de droit.
Section 2. Les espèces protégées par les cours
Les espèces concernées par l’implantation de projets éoliens varient en fonction de la zone géographique. En effet, de multiples espèces se trouvent impactées par ces grandes structures métalliques, bouleversant leurs cycles de vie, leurs nidifications, leurs déplacements, leurs itinéraires de chasse, et plus généralement, leur existence. Par conséquent, les différentes cours administratives d’appel sont amenées à connaître de faits d’espèces bien différents les uns des autres mais une tendance semble se dégager. Ainsi, l’atteinte à la faune peut se diviser en deux grandes catégories faisant référence aux types d’espèces les plus touchés par les sites éoliens.
1. Les espèces aériennes
Les chiroptères, appelés couramment chauve-souris, regroupent environ 1 400 espèces, représentant le plus important groupe de mammifères après les rongeurs. Sur les 38 espèces recensées en Europe, 33 d’entre elles se trouvent sur le sol français. Du fait de cette présence importante, les projets éoliens impactent grandement cette partie de la faune. Les différentes cours administratives d’appel mais également le Conseil d’État ont été amenés à se prononcer sur les atteintes subies par les chiroptères. Ainsi, en fonction des zones géographiques, le nombre d’espèces touchées varie, mais l’atteinte est belle et bien avérée sur l’ensemble du territoire. La cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi pu juger qu’un projet éolien impactait pas moins de dix espèces dont l’oreillard, le barbastelle, le murin de Daubenton, la pipistrelle de Nathusius ou la noctule de lisier17. De la même manière, parmi les espèces les plus citées devant le juge de Lyon y figurent les Pipistrelles et les Noctules18. Les atteintes aux différentes espèces de chiroptères se retrouvent également à Douai où le juge constate de multiples atteintes aux chauves-souris européennes19. La lecture des arrêts des différentes cours montre d’ailleurs que les diverses espèces de chiroptères forment la catégorie la plus menacée, par les sites éoliens, avec les oiseaux.
En effet, les oiseaux constituent l’autre grand pan des atteintes causées à la faune environnante par les projets éoliens. En effet, durant la période couverte par cette étude, de multiples atteintes peuvent être mentionnées avec une certaine répétitivité, en particulier, à l’égard de quelques espèces. Là encore, il est difficile d’établir une tendance sur les espèces particulièrement touchées mais certaines, comme le Milan Royal ou la Buse cendrée voient leurs modes de vies bouleversés par les éoliennes. Les juges apprécient différemment les espèces en cause et cela est encore plus probant dès lors qu’une espèce est jugée emblématique d’une région, tel est le cas de l’Engoulevent d’Europe, la Fauvette Pitchou, l’Alouette Lulu ou la Locustelle tachetée, qualifiée d’espèce d’intérêt communautaire, par le juge de Bordeaux20. Sur le territoire lyonnais, parmi les espèces les plus touchées figurent le Milan Royal, le Busard Saint-Martin, la Buse cendrée, la Pie-grièche ou encore les Bécasses21. De la même manière la cour administrative d’appel de Douai22 est amenée à connaître des atteintes particulièrement intensives sur le Faucon crécerelle. Enfin, du côté de la haute juridiction administrative23, le juge s’est essentiellement prononcé sur des atteintes envers des Cigognes et des Busards cendrés ayant leurs sites de nidification proche des sites éoliens.
2. Les espèces terrestres
Les cours administratives d'appel et le Conseil d’État ne limitent pas leurs appréciations d’atteinte uniquement aux espèces volantes mais appréhendent également l’impact du projet sur l’ensemble de la faune environnante, y compris au sol. Des cas plus anecdotiques peuvent être mentionnés à ce titre. Ainsi, le juge administratif de Lyon24 a pu connaître des atteintes portées à l’encontre d’amphibiens mais également d'insectes tel que le Grand Capricorne, qualifié d’espèce protégée. De la même façon, la cour administrative d’appel de Bordeaux a pu constater une atteinte à différents types de reptiles tel que Lézard des murailles mais également différents types d’amphibiens tel que le Crapaud accoucheur, la Grenouille agile, la Grenouille rieuse et la Grenouille verte, par les engins de chantier destinés à construire le site éolien25.
Enfin, le Conseil d’État a, au même titre, été amené à connaître d’atteinte sur des espèces vivant au sol – notamment les vaches26 situées à proximité des sites éoliens et différents types de reptiles dont le mode de vie est bouleversé par l'implantation des éoliennes.
Par conséquent, les juges prennent en compte l’ensemble des espèces concernées par l’implantation d’un site éolien et leurs proximités avec celui-ci afin d’apprécier au mieux les risques et les atteintes dont elles sont victimes.
Section 3. Les cours et la caractérisation des risques et atteintes à la faune
Tel que nous avons pu l’évoquer auparavant, les éoliennes peuvent, par leurs caractéristiques-mêmes, impacter négativement la faune. Elles constituent des risques et atteintes potentiellement importants dans le cycle de vie animal. Ces atteintes peuvent préjudicier aux différentes espèces de manière directe ou indirecte, notamment au regard du lieu d’implantation du parc éolien.
En conséquence, et afin de protéger au mieux la faune dans son entièreté, le juge administratif mobilise différents moyens afin, soit de faire échec au projet éolien, soit de l’adapter en tenant compte des impératifs de protection animale. Toutefois, le juge se livre à une approche casuistique, en tenant compte de l’ensemble des éléments de fait avancés pour caractériser ou non l’atteinte. Ainsi, la caractérisation par ce dernier des atteintes à une espèce dépend de l’ensemble des circonstances d’espèces présentées. Il peut alors retenir alternativement, pour une même espèce (ici, la cigogne noire), une atteinte comme une absence d’atteinte27. Précisons à nouveau que les espèces protégées font l’objet d’un contrôle plus approfondi de la part des juges administratifs, étant entendu toutefois que l’atteinte à des espèces non protégées peut aussi être caractérisée dès lors que, comme l’a précisé le juge bordelais, un nombre élevé d’espèces concernées soit répertorié avec, à chaque fois, de nombreux individus de ces espèces28.
À titre liminaire, il convient de préciser ici que le juge administratif ne se saisira pas d’office pour se prononcer sur les risques et atteintes effectifs à la faune. Ce moyen doit être soulevé par les parties29. Finalement, dans cette partie seront essentiellement étudiées les appréciations faites par les juges administratifs d’appel, le Conseil d’État n’ayant retenu que très peu d’atteinte à la faune (environ une dizaine sur la centaine d’arrêts étudiés). Concernant les cours administratives d’appel, le raisonnement semble être globalement le même dès lors qu’une atteinte est invoquée à l’encontre de la faune. La proximité de celle-ci avec le parc éolien est le premier élément recherché (§1), étant entendu que des mesures peuvent minimiser ces atteintes (§2).
1. La caractérisation d’atteinte à la faune selon l’emplacement du parc éolien
Pour examiner le risque d’atteinte à la faune par les parcs éoliens, le juge administratif tient compte des éléments avancés à la fois dans l’étude d’impact, dans les autorisations environnementales ainsi que dans les dérogations espèces protégées le cas échéant.
De l’ensemble de ces documents doit transparaître la présence de l’espèce dont l’atteinte est alléguée à proximité de la zone d’implantation du projet (ZIP). De manière générale, dès lors qu’une « proximité » est appréciée entre l’espèce en question et la zone d’implantation projetée, le juge administratif retient une atteinte à la faune, le plus souvent directe en raison du risque de collision30. Cette présence à proximité du parc éolien est entendue largement dans la mesure où elle pourra être retenue d’abord, en cas de superposition entre la zone d’habitat des espèces et le parc éolien projet31. Pour autant, la zone de migration des espèces est aussi prise en compte, l’atteinte à la faune étant caractérisée lorsque les éoliennes se situent dans le « couloir de migration »32. De manière assez étonnante, l’atteinte à la faune peut aussi être retenue en raison de la proximité de la ZIP avec la zone de nourrissage d’une espèce, et ce même si cette dernière n’est plus matériellement sur les lieux33.
Néanmoins, dès lors que le lieu projeté pour l’implantation du parc éolien semble assez éloigné pour le juge administratif, le risque d’atteinte aux espèces retenues n’est pas retenu au motif qu’il est certes existant, mais jugé « faible ou modéré ». De la même façon, la distance d’éloignement jugée suffisante entre le bout de pale de l’éolienne et les réservoirs de biodiversité suffit parfois pour écarter le grief d’atteinte à la faune34.
Ainsi, en matière de chiroptères, cette distance semble s’élever, pour le juge lyonnais, autour de 4 km.
Si la proximité d’une espèce par rapport au parc éolien est de nature à constituer une atteinte directe à la faune, les mesures d’évitement semblent réduire ce risque.
2. L’atténuation de l’atteinte par la mise en place de mesures ER opportunes
Le juge administratif étudie aussi les mesures d’évitement et de réduction des atteintes à la faune proposées. Celles-ci doivent faire apparaître l’ensemble des éléments mobilisés à cette fin. Généralement, il semble que, dès lors qu’une ou plusieurs mesures de ce type aient été prévues dans le projet d’implantation, le risque s’en trouve diminué ; le juge ne retient que rarement d’atteinte significative à l’encontre d’une ou plusieurs espèces (l’atteinte est effective mais elle est compensée). Cela se vérifie pour l’ensemble des cours administratives d’appel qui font l’objet de la présente étude. Il faut noter qu’au stade de l’appréciation de l’atteinte, il s’agit de vérifier que celle-ci est suffisamment caractérisée, le juge administratif n’inclut donc ici que les mesures tendant à éviter et à réduire la potentielle atteinte, et non celles tendant à compenser l’atteinte, sauf à commettre une erreur de droit.
Ainsi, à titre d’exemple, les risques d’atteintes à la faune peuvent être évités par l’adaptation du calendrier des travaux au regard des périodes de nidification ou de migration des oiseaux35 ; par le bridage des éoliennes36 ou encore par l’arrêt des machines à certaines heures de la journée, certains mois ou selon certaines conditions de vent37. Le but, à travers ces mesures, est la préservation du cycle biologique, le cas inverse étant constitutif d’une atteinte indirecte à la faune. Néanmoins, une lecture souple et favorable aux éoliennes semble être faite par les juges administratifs sur ce point, ces derniers tolérant par exemple des atteintes futures envers la faune dès lors que des mesures préventives ont été prises38.
Toutefois, les mesures d’évitement et de réduction ne sauraient autoriser le projet dès lors que l’étude d’impact a été insuffisamment détaillée et donc non-probante. Dans ce cas-là, une atteinte à la faune est de facto caractérisée39.
Au total, les atteintes à la faune font l’objet d’une appréciation casuistique de la part des juges administratifs, mais qui semble néanmoins harmonisée autour des deux axes venant d’être étudiés, à savoir la caractérisation du risque selon l’emplacement du parc éolien et l'atténuation de l’atteinte par la mise en place de mesures d’évitement et de réduction.
Section 4. L’appréciation des mécanismes d’évitement et de réduction des atteintes à la faune par les cours
Lors du processus de construction d’une éolienne, il est possible que celle-ci porte atteinte à la faune. Afin de limiter au plus possible ces impacts, il est d’usage de prendre des mesures d’évitement et de réduction des atteintes. Celles-ci se présentent sous différentes formes. Il est possible de recenser parmi elles, notamment, le bridage des éoliennes se manifestant par des arrêts durant les périodes migratoires, des arrêts durant la nuit, des arrêts en fonction de la force du vent, ou des arrêts en fonction de la température. Également, il est possible de mentionner la mise en place d’un système de détection et d'effarouchement, la replantation d’une haie ou l’installation d’un système de détection et d’enregistrement en continu de l’avifaune.
1. La mesure de réduction la plus fréquemment employée : le bridage des éoliennes
Comme évoqué précédemment, les espèces les plus touchées par les éoliennes sont sans doute les volatiles (oiseaux et chiroptères). Pour réduire l’atteinte à cette faune aérienne, la méthode la plus souvent retenue par les cours est le bridage des éoliennes. Cela peut être un bridage des éoliennes de nuit40 ; celui-ci a été très souvent reconnu par le juge bordelais41 et par le juge lyonnais42. Un bridage en fonction des conditions météorologiques43 peut aussi être validé par les cours44. Les cours valident également les bridages diurnes lorsque les éoliennes sont équipées de capteurs détectant la présence de l’avifaune à proximité45. Le juge d’appel de Bordeaux a aussi reconnu l’efficacité d’un bridage lorsque l’éolienne se trouve dans un couloir migratoire46.
En somme, les juges valident très souvent l’utilisation du bridage comme mesure compensatoire, quelle que soit la nature de celui-ci. La plupart du temps, le juge enjoint au préfet de mettre en place le bridage sur l’ensemble des éoliennes d’un parc. Toutefois, il arrive parfois que ce soit le juge qui prenne seul cette décision, en complétant lui-même l’arrêté préfectoral47.
2. Les autres mesures d’évitement et de réduction
La mesure de protection varie selon l’espèce à protéger. En effet, puisque les chauves-souris sont des animaux nocturnes, il apparaît cohérent d’effectuer un bridage de l’éolienne durant la nuit afin d’éviter tout risque de collision48. La mesure de compensation s’adapte donc à la faune locale. Un autre moyen de protéger le chiroptère est de stopper les éclairages nocturnes des éoliennes49, puisque la lumière attire les insectes qui constituent la source d’alimentation des chauves-souris. En se rapprochant des éoliennes, celles-ci sont ainsi susceptibles de heurter les éoliennes (on parle de collision) ou de souffrir de lésions tissulaires mortelles dues à un changement rapide de pression de l’air à proximité des pales (on parle alors de barotraumatisme).
Le juge retient également la possibilité de créer des îlots de vieillissement50 ainsi que de poser des gîtes artificiels destinés à accueillir les chiroptères51. En outre, le juge peut aussi demander de ne pas faire intervenir les travaux durant les périodes de nidification, ainsi que de faire appel à un expert pour limiter les destructions d’habitats. A ce titre, est considérée comme une mesure compensatoire le fait d'aménager des « sites d’hibernation, de reproduction, de nidification ou d’alimentation »52, une fois l’éolienne construite.
Un autre moyen d’empêcher de nuire à la faune est évidemment de ne pas implanter une éolienne. Ainsi, ne pas construire quatre éoliennes sur un site qui devait initialement en dénombrer douze apparaît être une bonne mesure de compensation étant « de nature à diminuer les risques de mortalité que le parc éolien fait peser sur les chiroptères »53. Le juge peut également commander l’arrêt complet d’une éolienne54.
Une autre mesure concrétise par le fait d’obliger le pétitionnaire à effectuer le suivi de la population ou de la mortalité. Dans cette optique, si le taux de mortalité faunistique augmente exponentiellement après la construction des éoliennes, le juge peut ordonner une compensation des atteintes en ajoutant des prescriptions complémentaires55.
Enfin la dernière mesure compensatoire s’avère être le versement d’une somme d’argent. En effet, les juges peuvent demander au pétitionnaire de verser des fonds afin de permettre un reboisement56. En outre, si le pétitionnaire décide de ne pas reboiser une zone alors il devra également s’acquitter d’une somme d’argent en compensation57. Également, comme évoqué précédemment des fonds peuvent être alloués pour remettre en état des lieux de nidification58.
Conclusion du chapitre 1
Il apparaît que les différentes cours administratives d’appel suivent un raisonnement similaire lorsqu’il s’agit de caractériser une éventuelle atteinte à la faune résultant de l’installation d’un parc éolien. Si ce risque d’atteinte est la plupart du temps invoqué comme moyen devant les juges administratifs lorsqu’une espèce protégée serait en danger, les requérants sont toutefois libres d’invoquer un risque pour l’espèce de leur choix.
Globalement, deux catégories d’espèces faunistiques semblent être majoritairement touchées par l’implantation de projets éoliens ; les espèces aériennes où sont répertoriés les chiroptères et les espèces terrestres (reptiliens ou mammifères). Toutefois, il reviendra au juge administratif d’apprécier souverainement l’existence d’un risque réel ou non, résultant de l’installation d’éoliennes dans une zone géographique délimitée, pour les espèces en question. La caractérisation d’une atteinte se fait au regard de plusieurs éléments, tous communs à l’ensemble des cours administratives faisant l’objet de la présente étude. À cette fin, il est d’abord prêté une attention toute particulière à la proximité du parc éolien avec les espèces dont le risque d’atteinte est soulevé. Pour ce faire, les zones de migration de ces dernières sont notamment regardées. Par ailleurs, les juges administratifs tiennent compte des différentes mesures qui ont été mises en place pour balancer avec cette possible proximité et donc, qui peuvent éviter la caractérisation d’une atteinte à la faune. Ces mesures compensatoires peuvent être de différentes natures, celle la plus fréquemment employée étant le bridage des éoliennes.
La protection de la faune semble, au regard de l’ensemble de ces éléments, un impératif que les juges administratifs prennent en compte avec attention lorsqu’ils ont à connaître des contentieux en matière d’éoliennes. Qu’en est-il de la protection des sites et monuments historiques ?