Saisie en appel par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, la cour administrative d’appel de Lyon continue à consolider l’édifice mal bâti par le juge administratif quant aux garanties offertes aux contribuables dans le cadre d’une procédure de rectification des impositions. Par cet arrêt, la cour a jugé que le coefficient de 1,25 prévu au 7° de l’article 158 du CGI doit apparaître dans la motivation de la proposition de rectification. Son omission entraîne l’irrégularité de la notification du chef de redressement dans son ensemble. En revanche, lorsque le contribuable produit des déclarations catégorielles après une mise en demeure, l’omission de mentionner le coefficient multiplicateur ne remet en cause que le chef de redressement lié au profit du Trésor, auquel la procédure contradictoire a été appliquée.
La procédure de rectification, faisant suite à une vérification de comptabilité ou à l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, se formalise sous l’égide de la procédure contradictoire prévue à l’article L. 55 du Livre de procédures fiscales (LPF), à l’exception des hypothèses où l’administration dispose de la faculté de recourir à la procédure d’évaluation d’office ou de taxation d’office (article L. 76 LPF). À l’issue de la procédure, et en cas d’insuffisances de taxations, le contribuable devra recevoir une proposition de rectification. Sa notification obéit aux règles posées par l’article L. 57 du LPF. Celle-ci doit respecter la nécessité de rappeler les motifs de fait ou de droit pour lesquels l’administration fiscale a estimé devoir rehausser. En toute hypothèse, chaque rehaussement doit être mentionné de manière indépendante tout en précisant le motif ayant fondé le grief de l’administration de sorte que la proposition de rectification s’apprécie « chef de redressement par chef de redressement » (CE, 28 janvier 1981, n° 16600, au recueil Lebon). Le contrôle de la mise en œuvre de ces garanties (motivation des rehaussements, possibilités de former des observations…) permet au juge, lorsqu’il est saisi par le contribuable, de s’assurer de leur respect, car dans l’idéal, « l’administration ne peut échapper au principe général des droits de la défense ». (GLASER (E.), « Droit de communication : quelles garanties pour le contribuable ? », RJF 8-9/ 08, pp. 787-798). Or, sur ce point, le juge administratif « fait preuve d’un pragmatisme que certains pourraient analyser comme du laxisme » (LAMBERT (T.) « La motivation des propositions de rectification : une garantie perfectible, BF 4/10), faisant, très souvent, du contribuable « une proie sans défense » (HANS (R.) « Le contribuable : une proie sans défense » in Contrôle fiscal, Le piège, L’Harmattan, 2001, pp. 27 et ss) face à l’exorbitance de l’administration fiscale. L’arrêt de la cour administrative de Lyon du 5 décembre 2024 vient consolider cette approche. Sa portée est certes à minimaliser.
En l’espèce, Mme B., qui exerçait, sur internet, une activité d’enseignement de la langue française à raison de laquelle elle a été imposée, au titre des années 2014 et 2015, selon le régime des microentreprises de l’article 50-0 du Code général des impôts (CGI) applicable aux titulaires de bénéfices industriels et commerciaux dont le chiffre d’affaires n’excède pas certaines limites relevant, pour l’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, de la franchise en base de l’article 293 B du code, a fait l’objet, en 2017, d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. À l’issue de ce contrôle, constatant, au vu des montants de recettes portés dans des déclarations de résultats que Mme B. a déposées, le 13 juillet 2017, à la suite de mises en demeure, que l’intéressée ne relevait plus du régime de la franchise en base compte tenu du franchissement, le 22 octobre 2014, de la limite la rendant redevable de plein droit de la taxe sur la valeur ajoutée et qu’elle était corrélativement exclue du régime des microentreprises à compter du 1er janvier 2014, la vérificatrice, a par une proposition de rectification du 29 novembre 2017, fixé ses bases imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, selon le régime réel simplifié d’imposition, en reprenant les résultats déclarés tardivement par l’intéressée auxquels elle a ajouté le profit sur le Trésor égal au montant de la taxe sur la valeur ajoutée rappelée. En conséquence de ce contrôle, Mme B. et M. C. ont été assujettis à des compléments d’impôt sur le revenu au titre des années 2014 et 2015, assortis des intérêts de retard et de la majoration de 10 % prévue au a. de l’article 1728-1 du CGI.
Après avoir vainement réclamé, Mme B., a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande de décharge. Par un jugement du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de Mme B des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et des pénalités mises à sa charge au titre des années 2014 à 2015. Toutefois, le jugement n’a pas échappé à la censure de la cour administrative d’appel de Lyon qui, par son arrêt du 5 décembre 2024, a écarté partiellement le raisonnement des premiers juges. C’est dans le sillage d’une jurisprudence qui s’avère pragmatique à l’égard de la protection des garanties procédurales reconnues au profit du contribuable que la cour lyonnaise a préféré se placer dans cet arrêt.
L’appel formé par le ministre a conduit la cour à trancher plusieurs questions relatives à la procédure fiscale.
La cour a d’abord rappelé les règles applicables au délai de réclamation et au délai de recours pour répondre à la fin de non-recevoir opposée par le ministre. Elle s’est fondée, en substance, sur deux branches de motivations, l’une relative à l’absence de tardiveté du fait de la prorogation automatique du délai de reprise en période de covid en application de l’article 10 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, qui, symétriquement, suspend le délai de forclusion prévu aux dispositions des articles R. 190-1 et 196-3 du LPF ; l’autre relative à l’inopposabilité du délai de forclusion pour défaut de mention explicite des délais et voies de recours sur l’avis de mise en recouvrement. Sur ce dernier point, la cour réitère sa position exprimée dans un précédent arrêt coté C+ (CAA Lyon, 7 décembre 2023, n° 23LY00365), tout en rappelant la ligne jurisprudentielle posée par la jurisprudence Czabaj transposée en matière du contentieux fiscal par la décision du Conseil d’État du 31 mars 2017 (CE, 31 mars 2017, n° 389842, au recueil Lebon. V. aussi CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763, au recueil Lebon, CE, avis 21 octobre 2020, n° 443327). Elle a jugé que la simple mention des articles prévoyant les délais de réclamation dans un avis de mise en recouvrement ne suffisait pas à informer le contribuable des délais de réclamation. Celui-ci disposait alors pour déposer sa réclamation des délais prévus par l’article R. 196-1 ou R. 196-3 du LPF, prolongés, sauf circonstances particulières, d’un an, rejetant ainsi le moyen soulevé par le ministre et tiré de l’irrecevabilité du recours. Sur ce moyen, par une application pure et simple du principe de sécurité juridique, la cour ne semble pas innovante.
Ensuite, la cour a examiné la deuxième question, qui confère à l’arrêt son caractère inédit, celle relative au défaut de mention du coefficient multiplicateur de 1,25 dans la motivation de la proposition de rectification à l’issue de la procédure de rectification contradictoire. Une telle omission est, selon les premiers juges et les juges d’appel, de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’imposition dans son ensemble et, par suite, emporter la décharge des suppléments d’impositions rappelés. Par ailleurs, le débat semble se poser en des termes différents pour les impositions établies à partir des éléments déclarés par le contribuable et ne relevant pas de la procédure contradictoire. Pour ces dernières, l’irrégularité ne s’étend pas. La solution retenue par la cour paraît, à première vue, critiquable, restreignant ainsi de manière considérable la portée de la garantie qui était invoquée par le contribuable.
Rappelons, en premier lieu, que la majoration de 1,25 (25 %) prévue par le 7 de l’article 158 du CGI ne constitue pas une sanction et ne procède pas d’une présomption irréfragable de fraude et de minoration volontaire des contribuables (CE, 9 novembre 2015, n° 366457, au recueil Lebon, CE, 26 juillet 2018, n° 408480, au recueil Lebon). Selon le Conseil constitutionnel, cette majoration constitue « la contrepartie mécanique, en matière de l’IR, de la suppression, lors de la refonte du barème par la loi de finances pour 2006, de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient autrefois les adhérents à ces centres et dont cette loi a directement intégré les effets dans le barème ». (CC, 23 juillet 2010, n° 2010-16 QPC). Sans aller plus loin dans les détails sur ce point, le 1° du 7 de l’article 158 du CGI prévoit que les revenus passibles de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, comme en l’espèce, réalisés par le contribuable et soumis à un régime réel d’imposition sont majorés de 25 % lorsque leurs titulaires « ne sont pas adhérents d’un organisme de gestion agréé, ou assimilés, directement, ou par l’intermédiaire d’une société ou d’un groupement soumis au régime fiscal des sociétés de personnes[ou] ne font pas non plus appel aux services d’un professionnel de l’expertise comptable autorisé à ce titre par l’administration fiscale et ayant conclu avec cette dernière une convention en application de l’article 1649 quater L et de l’article 1649 quater M du CGI ». Toutefois, dans une décision du 7 décembre 2023, affaire n° 26604/16, la CEDH a déclaré l’article 158, 7-1° du CGI contraire à l’article 1er du protocole 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à la protection contre les ingérences disproportionnées afférentes au droit au respect des biens. La Cour de Strasbourg a précisé que « dès lors que l’imposition majorée était basée sur des revenus du requérant dont la perception n’avait pas été démontrée, la Cour considère que les dispositions fiscales applicables consistaient bien à imposer des revenus pouvant être qualifiés de “fictifs” au stade de la déclaration d’impôt [sic]. De plus, si le remplacement de l’abattement global de 20 % par une majoration de 25 % des revenus déclarés par les non-adhérents a le cas échéant abouti à une opération arithmétiquement neutre au niveau étatique, elle a certainement alourdi la situation individuelle de ces derniers, dont notamment le requérant ». L’invalidation par la Cour de Strasbourg de la disposition contestée a été d’ailleurs appliquée par la juridiction administrative française (TA de Caen 2ème chambre, 26 janvier 2024, n° 2102488). Il convient de noter que cette majoration a été supprimée à compter de l’imposition des revenus de l’année 2023. Dans la présente affaire, il est clair que la Cour s’écarte de l’arrêt de la CEDH en empruntant une lecture « à la française » de l’article 158 du CGI.
Précisons, en second lieu, que l’application de ce coefficient multiplicateur relève certes d’une règle d’assiette, il doit dès lors apparaître dans la motivation de la proposition de rectification. En effet, afin de préserver la portée utile de la garantie prévue à l’article L.57 du LPF, la proposition de rectification doit comporter, outre la désignation de l’impôt concerné, de l’année d’imposition et de la base des impositions, ceux des motifs qui sont nécessaires pour permettre au contribuable de formuler utilement ses observations (CE, 6 novembre 2006, n° 272291, au recueil Lebon ; CE, 28 mai 2004, n° 250817 aux tables). La cour a sans doute été inspirée par la décision du Conseil d’État du 26 juillet 2018, (CE, 26 juillet 2018, n° 408480, au recueil Lebon) selon laquelle « l’application du coefficient de 1,25 prévu au 7 de l’article 158 du code général des impôts ne constitue pas un chef de redressement autonome. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’elle n’est pas un élément ayant fait l’objet d’une justification, d’une évaluation et d’une prise en compte distincte dans la proposition adressée au contribuable », confirmant l’irrégularité de la procédure d’imposition pour défaut de motivation de la proposition de rectification et renvoyant l’affaire à la cour marseillaise.
En revanche, la difficulté provient en l’espèce de la nature du contrôle exercé. La cour a estimé que l’irrégularité de la procédure d’imposition résultant de l’insuffisance de la motivation de la proposition de rectification ne s’applique que pour les rehaussements résultant de la procédure contradictoire. À contrario, en ce qui concerne les impositions établies à partir des éléments déclarés par le contribuable et ne relevant pas de la procédure contradictoire, cette garantie n’est guère applicable (CE, 19 septembre 2016, n° 388899). Pour bien comprendre la portée de ce qu’elle a jugé, il est nécessaire de revenir sur les faits de l’espèce. Mme B. exerçait une activité d’enseignement de la langue française à raison de laquelle elle a été imposée, au titre des années 2014 et 2015, selon le régime des microentreprises de l’article 50-0 du CGI applicable aux titulaires de bénéfices industriels et commerciaux dont le chiffre d’affaires n’excède pas certaines limites et relevant, pour l’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, de la franchise en base de l’article 293 B du CGI. À l’issue de la vérification de sa comptabilité, portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et au vu des montants de recettes portés dans des déclarations de résultats que Mme B... a déposées, le 13 juillet 2017, à la suite de mises en demeure, il apparaissait que l’intéressée ne relevait plus du régime de la franchise en base de compte tenu du franchissement de la limite la rendant redevable de plein droit de la taxe sur la valeur ajoutée et qu’elle était corrélativement exclue du régime des micro-entreprises à compter du 1er janvier 2014. Par conséquent, la vérificatrice a fixé ses bases imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, selon le régime réel simplifié d’imposition, en reprenant les résultats déclarés tardivement par l’intéressée auxquels elle a ajouté le profit sur le Trésor égal au montant de la taxe sur la valeur ajoutée rappelée. Selon la cour, l’omission de mentionner le coefficient multiplicateur de 1,25 dans la motivation de la proposition de rectification est de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’imposition. Toutefois, une telle irrégularité ne s’applique que sur le profil sur le Trésor, réintégré à l’issue de la procédure contradictoire et ne s’applique pas aux impositions établies sur la base des éléments déclarés. Sur ce point, il convient de préciser que tout redressement de TVA est considéré comme une charge déductible au titre de l’impôt sur les bénéfices (IR ou IS). Aux termes de l’article 77 du LPF : « en cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables ». Le profit sur le Trésor se définit comme celui égal au montant de la TVA qu’un contribuable s’est abstenu de verser au Trésor public. Dès lors, toute déclaration de TVA inexacte motivant un rappel génère dès lors un profit. Ainsi sauf les hypothèses où ce profit a été implicitement comptabilisé par le biais des mécanismes comptables, il convient de rehausser les résultats de l’entreprise du montant de la TVA rappelée. Tel était bien le cas en l’espèce.
La vérificatrice a retenu les bénéfices déclarés par la contribuable et a réintégré dans les résultats imposables le profit sur le Trésor égal au montant de la TVA rappelée. La cour a estimé que l’irrégularité de la motivation de la proposition de rectification ne s’applique qu’au profit sur Trésor et non pas à l’ensemble des suppléments d’impositions. Elle a censuré le jugement du tribunal administratif de Grenoble sur ce point en soulevant un moyen d’ordre public tiré de ce que ce dernier a retenu un moyen inopérant pour faire droit à la demande de décharge de la contribuable, notamment en ce qu’elle concerne la partie des impositions établies sur la base des éléments déclarés et pour lesquels la procédure contradictoire n’était pas applicable (CE, 3 août 2011, n° 326754). Il semble qu’une pareille approche aurait en effet pour conséquence nécessaire de priver le contribuable d’une garantie lui permettant de contester utilement et valablement les impositions mises à charge. À supposer même que les rehaussements objet du litige échappent à la procédure contradictoire, cette prémisse du raisonnement semble critiquable – pour laisser au Conseil d’État le soin de la qualifier d’une erreur de droit – favorisant ainsi un contrôle fiscal « à charge ». Si la haute juridiction administrative confirmait une telle lecture, cela rajoutera une pierre à l’édifice mal bâti par le juge administratif oubliant ainsi que « la règle de procédure ne doit pas être appliquée pour elle-même mais pour la garantie qu’elle protège » (Formule utilisée par Emmanuel Cortot Boucher, citée par Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique, concl. sous arrêt CE, 9 décembre 2021, n° 440607).