Homologation d’une transaction entre les parties à un litige d’exécution de marché public et méconnaissance des règles d’ordre public

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Décision de justice

TA Grenoble – N° 2300261 – CHU Grenoble Alpes c/ Société de construction Floriot – 13 décembre 2024 – C+

requête en lien avec 2400946

Juridiction : TA Grenoble

Numéro de la décision : 2300261

Date de la décision : 13 décembre 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Homologation d’une transaction, Divisibilité des stipulations de l’homologation, MOP, Office du juge, L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration

Rubriques

Marchés et contrats

Résumé

Saisi de la demande d’homologation d’une transaction entre les parties à un litige d’exécution de marché public, le tribunal administratif vérifie d’office que cet accord remplit les conditions prévues par l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration et qu’il ne méconnaît aucune règle d’ordre public.

À ce titre, le tribunal administratif annule une stipulation qui prévoit qu’en cas de refus d’homologation, les parties demeureront tenues de l’exécution du protocole. Cette stipulation étant divisible, il homologue néanmoins le surplus.

54-07-03, Procédure, Pouvoirs et devoir du juge, Pouvoirs du juge de plein contentieux

Conclusions du rapporteur public

Antoine Callot

Rapporteur public au tribunal administratif de Grenoble

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DOI : 10.35562/alyoda.9812

Le 6 septembre 2017, le centre hospitalier de Voiron, auquel s’est substitué le centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble Alpes, a attribué à la société régionale de construction Floriot, à laquelle s’est substituée la société de construction Floriot, le lot A « structure clos et couvert, partitions, finitions » du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public-privé de Voiron, pour un montant de près de 29 M€.

En dépit des difficultés rencontrées, la société de construction Floriot a sollicité la réception des travaux en demandant que la date du 7 mai 2021 soit retenue comme date d’achèvement des travaux. Le 7 juin 2021, elle s’est vue remettre en main propre le procès-verbal des opérations préalables à la réception daté du 4 juin 2021 mais a refusé de le signer, étant en désaccord avec certaines des réserves émises par le maître d’œuvre. Elle a alors établi et transmis un projet de décompte général au CHU le 28 septembre 2021 et estime qu’un décompte général et définitif (DGD) tacite serait né le 12 octobre 2021. Celui-ci prévoyait le versement à son profit d’une somme de 1 777 748,58 euros TTC.

La société Floriot a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de condamner le CHU à lui verser une provision correspondant à ce montant. Par une ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés a rejeté sa demande. En appel, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon a, par une ordonnance du 14 novembre 2022, annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier à lui verser une provision de 1 493 067,90 euros TTC. Mais en cassation, par une décision n° 46928 du 1er juin 2023, le Conseil d’État est revenu à la position initiale du TA, au motif qu’aucune acceptation tacite du projet de DGD ne pouvait être intervenue avant la levée des réserves, car le délai n’avait pas commencé à courir.

Entretemps, le 27 mars 2023, le CHU a notifié le décompte général à la société Floriot et arrêté le solde du marché à un montant négatif cette fois de - 4 688 916,51 euros TTC, notamment après l’application de pénalités du fait de la levée tardive des réserves.

Cependant, le 8 juillet 2024, le CHU et la société de construction Floriot ont signé un protocole d’accord transactionnel qui a pour objet de mettre fin à ce différend.

Aux termes de celui-ci, les parties déclarent se désister de toutes les instances et action engagées. Ainsi, la nature des deux dossiers qui sont appelés aujourd’hui a fondamentalement changé.

Initialement, les parties vous demandaient respectivement dans chacune de ces affaires de fixer le solde du décompte en suivant leurs demandes. Mais elle se sont depuis désistées de l’ensemble de leurs conclusions, sauf celle visant à homologuer le protocole d’accord transactionnel conclu sur le fondement des dispositions. C’est donc sur cette demande d’homologation que vous devez vous prononcer.

Quel est le cadre juridique de l’homologation ?

Les parties ont signé ce protocole transactionnel en mentionnant l’article 2044 du code civil, mais pas le code de justice administrative. Et en effet, cet accord n’est pas issu d’une médiation avec interposition d’un tiers au sens des dispositions de l’article L. 213-1 du code de justice administrative. Il s’agit d’une transaction conclue spontanément par les parties, en dehors de tout processus de médiation.

Par suite, même si c’est ce qui est sollicité, les dispositions de l’article L. 213-4 du code de justice administrative que prévoit que « la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation » ne semblent pas applicables.1

Toutefois, vous pouvez également homologuer des transactions de droit commun, même si le cadre est plus restrictif. Certes, une telle homologation n’apporte rien par rapport à la force juridique de la transaction simple, puisqu’aux termes de l’article 2052 du code civil, dont le principe a été approprié par le Conseil d’ État, le protocole transactionnel constitue en lieu même et de plein droit un titre exécutoire, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’homologation et sans qu’y fassent obstacle, notamment, les règles de la comptabilité publique. Mais, en pratique, on sait qu’il arrive au comptable public de souhaiter obtenir l’homologation par le juge comme pièce justificative de la dépense.

Et en l’espèce, on rentre bien dans le cas où une telle homologation est possible, dans la mesure où elle vise à résoudre un litige porté devant la juridiction administrative. Celui-ci doit donc être purgé et le principe est que lorsqu’une transaction termine une contestation née, le juge de l’homologation est le juge qui serait compétent pour trancher la contestation en l’absence de cette transaction. C’est le fondement par exemple des décisions du CE du 26 décembre 1917, L. ou de la fameuse décision du CE du 19 mars 1971, Sieurs M.2

Ainsi, bien que les dispositions du code de justice administrative évoquées par les requérants ne soient pas applicables, nous vous proposons d’admettre la recevabilité des conclusions d’homologation présentées par le CHU et la société de construction Floriot, dans la mesure où celle-ci a bien mis fin à deux contestations précédemment portées devant le juge administratif.

Quel contrôle du juge sur cette transaction ?

L’article 2044 du code civil, cité par le protocole, est rédigé ainsi : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. » Cette voie de règlement des différends est également ouverte explicitement à l’administration par l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration, qui reprend les termes de l’article 2044.

Le Conseil d’État a considéré que la transaction est un contrat auquel doivent s’appliquer les principes dégagés par la décision d’assemblée du 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, qui conduisent le juge, en cas de contestation, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, à faire application du contrat, sauf dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité. Voyez en ce sens la décision d’assemblée du CE du 11 juillet 2008, n° 287354, Société Krupp Hazemag. Plus précisément, aux termes de l’avis du CE du 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses, n° 249153,3 l’office du juge chargé d’homologuer une transaction est de vérifier que l’objet de cette transaction est licite, que les parties consentent effectivement à la transaction, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public.

En cas d’homologation de la transaction, le juge administratif doit constater le non-lieu à statuer sur la requête ou, dans le cas où la partie requérante aurait subordonné son désistement à l’homologation de la transaction, donner acte de ce désistement. En revanche, le refus d’homologation entraînant la nullité de la transaction, il appartient dans cette hypothèse au juge de statuer sur la requête au fond.

Venons-en maintenant à l’examen de la transaction elle-même, qui va vous conduire à examiner successivement ces différentes questions

Les parties avaient-elles qualité pour signer la transaction ?

S’agissant du CHU, en vertu du cinquième alinéa de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, le directeur est ordonnateur des dépenses et des recettes de l’établissement, dispose du pouvoir de transiger et peut déléguer sa signature. Or, l’accord transactionnel a été signé par le directeur général adjoint du CHUGA qui bénéficiait bien d’une délégation accordée par arrêté du 10 juin 2024 de la directrice générale.

S’agissant de la société Floriot, l’accord a été signé par le directeur général associé. Or, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 227-5 et L. 227-6 du code de commerce et de l’article 17 des statuts de cette société relatif aux pouvoirs du président et des directeurs généraux qu’il était régulièrement habilité pour signer ce protocole.

L’objet de la transaction était-il licite ?

C’est bien évidemment le cas. Il s’agit en effet de déterminer le solde du décompte général et définitif du marché.

Des concessions réciproques ont-elles bien été consenties et la personne publique ne s’est-elle pas livrée à une libéralité ?

D’après l’avis du 6 décembre 2002 L’Haÿ-les-Roses déjà cité, la libéralité est appréciée de manière assez peu exigeante puisque, pour citer les conclusions, qui ont été reprises sur ce point : « Ce qui est d’ordre public, ce n’est pas une éventuelle exagération de l’indemnité » qui peut même être « supérieure au préjudice subi », mais «  que la disproportion ne soit telle que la prétendue transaction ne devienne une libéralité […] » Cette position est notamment justifiée par l’intérêt général, et notamment financier, qu’il y a à une résolution rapide du litige.

Et les libéralités éventuelles sont appréciées de manière globale, et non pour chaque chef de préjudice. Il s’agit de déterminer si in fine, les indemnités négociées ne sont pas manifestement disproportionnées au détriment de la personne publique (CE, 9 décembre 2016, Société Foncière Europe, n° 391840)

En l’espèce, le CHU accepte dans ce protocole d’annuler le décompte général notifié le 27 mars 2023 qui arrêtait le solde du marché à un montant négatif de plus de 4,6 M€ et propose le versement de 840 K€ à la société. Il accepte également le versement à la société Sogreca, sous-traitante de Floriot, d’une somme de 32 K€.

Il a donc fait une concession. Mais ce montant est bien inférieur aux 1,7 M€ pour elle-même et 284 K€ pour son sous-traitant qui étaient sollicités initialement par la société Floriot, qui a donc également fait des concessions, d’autant qu’elle s’engage au terme du protocole à assumer seule un éventuel litige avec son sous-traitant.

Il n’apparait pas par ailleurs que ces montants constituent des libéralités. Les sommes sont détaillées et trouvent bien leur fondement dans le contrat. Il s’agit notamment des coûts associés à la levée de certaines réserves ou aux incidences de la covid, qui ont constitué un préjudice pour la société Floriot.

Et si on pouvait penser à première lecture que les concessions faites par la personne publique sont plus importantes, il faut savoir que le montant initialement demandé par celle-ci au titre des pénalités, liées pour l’essentiel à la levée tardive des réserves, présentait un caractère sans doute excessif par rapport au montant des prestations prétendument réservées, qui concernaient pour l’essentiel des volets manquants et des occultations extérieures inachevées.

Ainsi, même si vous ne disposez pas du détail de chacun de ces montants, ce qui est logique puisque les parties étant d’accord pour signer la transaction, aucun débat contradictoire n’a été engagé, compte tenu du caractère assez restreint de votre contrôle, nous vous invitons à considérer que cette transaction apparait équilibrée et non constitutive d’une libéralité.

Reste tout de même un dernier point à examiner, qui nous semble lui plus problématique. Il s’agit de la rédaction du 2e alinéa de l’article 6 de la transaction, qui concerne l’effet de votre jugement

Il stipule en effet qu’« en cas de refus d’homologation du présent protocole par la juridiction compétente, les parties demeureront tenues de l’exécution des présentes […] ».

Or, ce n’est pas ce que prévoit le Conseil d’Etat dans son avis L’Haÿ-les-Roses. La décision prise par le juge de l’homologation est revêtue de l’autorité relative de la chose jugée et le refus d’homologation entraîne la nullité de l’accord. Ces stipulations contreviennent ainsi à l’autorité de la chose jugée et donc à l’ordre public, qui fait partie de votre contrôle.

Par suite, quoi que fassent effectivement les parties en conséquence de votre jugement, il ne parait pas possible que vous homologuiez cette clause.

Sachant en tout état de cause que l’effet pratique de ce refus d’homologation sera nul puisque cette stipulation est divisible du reste du protocole dont nous vous proposons l’homologation, qui pourra donc s’appliquer dans l’ensemble de ses dispositions utiles.

Vous pourrez donc également donner acte du désistement des deux requérants de leurs conclusions initiales.

Par ces motifs, nous concluons à :

  • homologuer la transaction à l’exception des stipulations de l’alinéa 2 de l’article 6 ;

  • donner acte du désistement du surplus des conclusions du CHU dans le dossier 2300261 et de la société de construction Floriot dans le dossier 2400946.

Notes

1 Et la saisine par la seule société de construction Floriot du Comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends, prévue par l’article 50.4 du CCAG Travaux de 2009 alors applicable et les articles R. 2197-1 à R. 2197-25 du code de la commande publique, ne constitue pas non plus une médiation au sens de ces dispositions. Le comité remet en effet seulement un avis aux parties, qui doivent uniquement l’informer de leur souhait de le suivre au nom. D’ailleurs, l’issue de cette procédure ne figure pas au dossier et ne devrait pas aboutir dès lors que le protocole prévoit le désistement de cette action par la société Floriot Retour au texte

2 En revanche, des conclusions tendant à ce que le juge administratif homologue une transaction sont en principe dépourvues d’objet et par suite en principe irrecevables en l’absence de litige préalable, sauf dans certains cas, pour un motif d’intérêt général, lorsque qu’elle vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation, ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières. Voyez par exemple en ce sens, la décision du CE 4 avril 2005, n° 273517, Société Cabinet JPR Ingénierie. Cela semble être le cas, compte tenu des difficultés spécifiques de l’exécution du marché public. Retour au texte

3 Précisée par exemple par une autre décision du 9 novembre 2018, n° 412696, Retour au texte

Droits d'auteur

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Homologation d’une transaction entre les parties à un litige d’exécution de marché public et méconnaissance des règles d’ordre public

Ludivine Ackerer

Étudiante en M1 droit public fondamental, université Jean-Moulin Lyon 3

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Lucas Payet

Étudiant en M1 droit public fondamental, université Jean-Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.9928

Par un jugement du 13 décembre 2024, le tribunal administratif de Grenoble fait usage de ses pouvoirs d’homologation d’une transaction dans un litige relatif à l’exécution d’un marché public.

Le juge mobilise ses pouvoirs en appréciant le consentement des parties, la licéité de l’objet de la transaction, que celle-ci ne constitue pas une libéralité et ne méconnaît aucune autre règle d’ordre public.

En l’espèce, le tribunal administratif de Grenoble homologue la transaction, à l’exception de la clause prévoyant son exécution même dans le cas du refus d’homologation par le juge. Il est fait ici protection de l’autorité de la chose jugée et des effets des décisions du juge administratif.

Pour Marcel Waline, la procédure de l’homologation permet au juge de vérifier que l’intérêt général avait été respecté lors de la conclusion du contrat de transaction1. Dans son jugement du 13 décembre 2024, le tribunal administratif de Grenoble fait usage des pouvoirs d’homologation reconnus au juge administratif.

Dans cette affaire, le centre hospitalier de Voiron, substitué par le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes (CHUGA), a attribué le 6 septembre 2017, à la société régionale de construction Floriot, à laquelle s’est substituée la société de construction Floriot, un marché de travaux de construction du pôle hospitalier public-privé de Voiron. Le 7 juin 2021, le procès-verbal des opérations préalables à la réception a été établi, toutefois la société a refusé de le signer à la suite de réserves émises par le maître d’œuvre. Le 28 septembre 2021, la société Floriot a alors adressé un projet de décompte général au CHU et estime qu’un décompte général et définitif tacite serait né le 12 octobre 2021. Il prévoyait notamment le versement à son profit d’une somme additionnelle au montant initial prévu.

Le litige a d’abord été porté devant le juge administratif des référés par la société Floriot afin d’obtenir le versement de la somme additionnelle, au titre de provision. Au terme de cette instance, le Conseil d’État2 finit par casser l’ordonnance de la cour administrative d’appel en revenant à la position initiale du tribunal administratif : aucun décompte général et définitif tacite n’a pu naître au motif que les réserves n’ont pas été levées par le CHU. À la suite de cette décision, le CHU a notifié à la société Floriot un nouveau décompte à solde négatif, en application de pénalités pour la levée tardive des réserves.

Finalement, les parties ont décidé de recourir à une transaction, tout en se désistant de leurs autres conclusions. Le juge administratif accepte d’homologuer la transaction, exception faite de la clause qui indique que celle-ci serait exécutée en dépit d’un refus de l’homologuer. Cette disposition est jugée illicite en son objet et contrevient aux règles d’ordre public. Il est donc question ici des pouvoirs du juge de l’homologation devant garantir le respect de l’ordre public.

L’homologation d’une transaction entre dans le champ de compétence du juge administratif dès lors qu’elle porte sur la résolution d’un litige porté devant lui ainsi qu’il découle des positions du Conseil d’État3. En l’espèce, il s’agit bien d’un litige porté devant le juge administratif, dont il est compétent pour en connaître puisque portant sur l’exécution d’un marché public. Néanmoins, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas d’une transaction s’inscrivant dans un processus de médiation de l’article L. 213-1 du Code de justice administrative.

La transaction est un contrat initialement prévu par le droit privé au titre des modes alternatifs de règlement des différends, outils juridiques en développement croissant. Le droit administratif, non étranger à ce mouvement, a ainsi transposé le mécanisme de la transaction de l’article 2044 du Code civil dans le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) à l’article L. 423-1. Ce mécanisme de droit privé s’est vu adapté aux particularismes du droit administratif et notamment aux contraintes pesant sur les personnes publiques4. Si l’article du Code civil mentionne des concessions réciproques, le CRPA indique qu’elles doivent être équilibrées. De même, le CRPA mentionne expressément la licéité de l’objet du contrat de transaction. On voit poindre ici une règle d’ordre public : l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir à des libéralités, un des éléments du contrôle du juge de l’homologation. On retrouve également la spécificité du droit administratif dans le contrôle, approfondi, du juge5. Si la transaction est un contrat avec un objet particulier et encadré, le juge de l’homologation fait application de la conception classique de l’office du juge des contrats administratifs (I) le conduisant en l’espèce à écarter une clause afin de protéger l’ordre public et l’effet de ses décisions (II).

I- Le rappel des pouvoirs du juge de l’homologation : l’application de la conception classique de l’office du juge des contrats administratifs

Le juge des contrats administratifs est un juge de plein contentieux qui doit répondre de l’exigence de sécurité juridique : il est donc prudent quant à la remise en cause de situations acquises contractuellement. Il est tenu ainsi de respecter en premier lieu la volonté des parties qui ne sera remise en cause qu’en présence d’un vice d’une particulière gravité, conformément aux principes de la décision de 2009 du Conseil d’État, Commune de Béziers, n° 304802.

En matière d’homologation d’une transaction, le juge administratif possède un office particulier issu de l’avis L’Haÿ-les-Roses du 6 décembre 2002,  24915. Ainsi, le juge de l’homologation vérifie que les parties consentent effectivement à la transaction, que l’objet du contrat est licite, qu’il ne comporte aucune libéralité et qu’aucune autre règle d’ordre public n’a été méconnue.

En l’espèce, le tribunal administratif fait une application classique de cet office. Le tribunal administratif de Grenoble vérifie alors chacun de ces critères pour homologuer la transaction. Il conclut que les autorités signataires (directeur adjoint du CHUGA et directeur général associé de la société par actions simplifiée de construction Floriot) étaient compétentes et ont régulièrement pu conclure cette transaction6. Le juge porte ici également une attention particulière au critère de l’équilibre des concessions réciproques7. Il analyse ainsi les obligations qui naîtraient de ce contrat. Le CHUGA et la société Floriot ont tous deux réduit leurs prétentions vis-à-vis du décompte général, la société étant relevée de ses pénalités et consent à garantir le CHUGA vis-à-vis de ses sous-traitants. Il ne s’agit donc ni d’un déséquilibre ni d’une libéralité8.

Le juge de l’homologation est ainsi un juge classique du contrat, tentant de concilier la volonté des parties avec les règles du droit administratif et de l’ordre public. Néanmoins, dans le contrôle de cette transaction, le juge identifie en l’espèce une clause qui contrevient à l’ordre public qu’il protège.

II- La protection de l’ordre public et des effets des décisions du juge administratif : l’annulation de la clause forçant l’exécution d’une transaction non homologuée

L’article 6 de la convention précise qu’« en cas de refus d’homologation du présent protocole par la juridiction compétente, les parties demeureront tenues de l’exécution des présentes à l’exception des dispositions relatives à l’homologation du présent protocole »9. Cette stipulation viendrait évidemment contrarier les effets d’une décision de refus d’homologuer. En effet, lorsque le juge refuse d’homologuer une transaction, le contrat est déclaré nul dans l’ensemble de ses stipulations. De surcroît, en droit administratif, les décisions relatives à l’homologation des transactions disposent de l’autorité de la chose jugée10, constituant une règle d’ordre public11.

Alors même que cette clause n’aurait eu à s’appliquer que dans le cas d’un refus d’homologation, le juge s’attache tout de même à prononcer la nullité de celle-ci, considérée comme étant « divisible du reste de l’accord transactionnel »12. En d’autres termes, la décision d’homologation entraînant l’inapplication de la clause ne doit pas faire obstacle à la censure de celle-ci, car elle est contraire aux règles d’ordre public. Dans la même lignée, le rapporteur public estimait, dans ses conclusions sur l’affaire commentée, que : « Par suite, quoi que fassent effectivement les parties en conséquence de votre jugement, il ne paraît pas possible que vous homologuiez cette clause ». C’est pour cette raison qu’il y a une homologation différenciée entre les clauses du contrat.

Ainsi, il convient donc de voir au travers de cette décision deux volontés : d’une part, le juge se porte garant de son office dans le cadre des procédures d’homologation et, d’autre part (surtout), le juge opère une analyse conséquentialiste et cherche à sanctuariser les effets de ses décisions.

Notes

1 M. Waline, note sous CE, Section, 19 mars 1971, sieur M., R.D.P. 1972. 234. Retour au texte

2 CE, 7e - 2e chambres réunies, ord. 1er juin 2023, n° 469268 Retour au texte

3 CE, 11 juillet 2008, n° 287354 ; CE, 10 février 2014, n° 350265 Retour au texte

4 J.-G. Mahinga, « La transaction en droit public (à propos de l’avis de l’assemblée du contentieux du Conseil d’État du 6 décembre 2002) », Les Petites Affiches, 16 juin 2003, nº 119, p. 12-19. Retour au texte

5 Point 1.5 de la circulaire du 6 février 1995 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits. Retour au texte

6 § 14 et 15, TA Grenoble, 13 décembre 2024, n° 230026 Retour au texte

7 CE, 29 décembre 2000, n° 219918 Retour au texte

8 § 17 à 19, TA Grenoble, 13 décembre 2024, n° 230026 Retour au texte

9 § 20, TA Grenoble, 13 décembre 2024, n° 230026 Retour au texte

10 CE, Assemblée, avis, 6 décembre 2002, n° 249153 Retour au texte

11 § 21, TA Grenoble, 13 décembre 2024, n° 230026 Retour au texte

12 § 21, TA Grenoble, 13 décembre 2024, n° 230026 Retour au texte

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