Le 6 septembre 2017, le centre hospitalier de Voiron, auquel s’est substitué le centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble Alpes, a attribué à la société régionale de construction Floriot, à laquelle s’est substituée la société de construction Floriot, le lot A « structure clos et couvert, partitions, finitions » du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public-privé de Voiron, pour un montant de près de 29 M€.
En dépit des difficultés rencontrées, la société de construction Floriot a sollicité la réception des travaux en demandant que la date du 7 mai 2021 soit retenue comme date d’achèvement des travaux. Le 7 juin 2021, elle s’est vue remettre en main propre le procès-verbal des opérations préalables à la réception daté du 4 juin 2021 mais a refusé de le signer, étant en désaccord avec certaines des réserves émises par le maître d’œuvre. Elle a alors établi et transmis un projet de décompte général au CHU le 28 septembre 2021 et estime qu’un décompte général et définitif (DGD) tacite serait né le 12 octobre 2021. Celui-ci prévoyait le versement à son profit d’une somme de 1 777 748,58 euros TTC.
La société Floriot a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de condamner le CHU à lui verser une provision correspondant à ce montant. Par une ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés a rejeté sa demande. En appel, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon a, par une ordonnance du 14 novembre 2022, annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier à lui verser une provision de 1 493 067,90 euros TTC. Mais en cassation, par une décision n° 46928 du 1er juin 2023, le Conseil d’État est revenu à la position initiale du TA, au motif qu’aucune acceptation tacite du projet de DGD ne pouvait être intervenue avant la levée des réserves, car le délai n’avait pas commencé à courir.
Entretemps, le 27 mars 2023, le CHU a notifié le décompte général à la société Floriot et arrêté le solde du marché à un montant négatif cette fois de - 4 688 916,51 euros TTC, notamment après l’application de pénalités du fait de la levée tardive des réserves.
Cependant, le 8 juillet 2024, le CHU et la société de construction Floriot ont signé un protocole d’accord transactionnel qui a pour objet de mettre fin à ce différend.
Aux termes de celui-ci, les parties déclarent se désister de toutes les instances et action engagées. Ainsi, la nature des deux dossiers qui sont appelés aujourd’hui a fondamentalement changé.
Initialement, les parties vous demandaient respectivement dans chacune de ces affaires de fixer le solde du décompte en suivant leurs demandes. Mais elle se sont depuis désistées de l’ensemble de leurs conclusions, sauf celle visant à homologuer le protocole d’accord transactionnel conclu sur le fondement des dispositions. C’est donc sur cette demande d’homologation que vous devez vous prononcer.
Quel est le cadre juridique de l’homologation ?
Les parties ont signé ce protocole transactionnel en mentionnant l’article 2044 du code civil, mais pas le code de justice administrative. Et en effet, cet accord n’est pas issu d’une médiation avec interposition d’un tiers au sens des dispositions de l’article L. 213-1 du code de justice administrative. Il s’agit d’une transaction conclue spontanément par les parties, en dehors de tout processus de médiation.
Par suite, même si c’est ce qui est sollicité, les dispositions de l’article L. 213-4 du code de justice administrative que prévoit que « la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation » ne semblent pas applicables.1
Toutefois, vous pouvez également homologuer des transactions de droit commun, même si le cadre est plus restrictif. Certes, une telle homologation n’apporte rien par rapport à la force juridique de la transaction simple, puisqu’aux termes de l’article 2052 du code civil, dont le principe a été approprié par le Conseil d’ État, le protocole transactionnel constitue en lieu même et de plein droit un titre exécutoire, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’homologation et sans qu’y fassent obstacle, notamment, les règles de la comptabilité publique. Mais, en pratique, on sait qu’il arrive au comptable public de souhaiter obtenir l’homologation par le juge comme pièce justificative de la dépense.
Et en l’espèce, on rentre bien dans le cas où une telle homologation est possible, dans la mesure où elle vise à résoudre un litige porté devant la juridiction administrative. Celui-ci doit donc être purgé et le principe est que lorsqu’une transaction termine une contestation née, le juge de l’homologation est le juge qui serait compétent pour trancher la contestation en l’absence de cette transaction. C’est le fondement par exemple des décisions du CE du 26 décembre 1917, L. ou de la fameuse décision du CE du 19 mars 1971, Sieurs M.2
Ainsi, bien que les dispositions du code de justice administrative évoquées par les requérants ne soient pas applicables, nous vous proposons d’admettre la recevabilité des conclusions d’homologation présentées par le CHU et la société de construction Floriot, dans la mesure où celle-ci a bien mis fin à deux contestations précédemment portées devant le juge administratif.
Quel contrôle du juge sur cette transaction ?
L’article 2044 du code civil, cité par le protocole, est rédigé ainsi : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. » Cette voie de règlement des différends est également ouverte explicitement à l’administration par l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration, qui reprend les termes de l’article 2044.
Le Conseil d’État a considéré que la transaction est un contrat auquel doivent s’appliquer les principes dégagés par la décision d’assemblée du 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, qui conduisent le juge, en cas de contestation, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, à faire application du contrat, sauf dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité. Voyez en ce sens la décision d’assemblée du CE du 11 juillet 2008, n° 287354, Société Krupp Hazemag. Plus précisément, aux termes de l’avis du CE du 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses, n° 249153,3 l’office du juge chargé d’homologuer une transaction est de vérifier que l’objet de cette transaction est licite, que les parties consentent effectivement à la transaction, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public.
En cas d’homologation de la transaction, le juge administratif doit constater le non-lieu à statuer sur la requête ou, dans le cas où la partie requérante aurait subordonné son désistement à l’homologation de la transaction, donner acte de ce désistement. En revanche, le refus d’homologation entraînant la nullité de la transaction, il appartient dans cette hypothèse au juge de statuer sur la requête au fond.
Venons-en maintenant à l’examen de la transaction elle-même, qui va vous conduire à examiner successivement ces différentes questions
Les parties avaient-elles qualité pour signer la transaction ?
S’agissant du CHU, en vertu du cinquième alinéa de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, le directeur est ordonnateur des dépenses et des recettes de l’établissement, dispose du pouvoir de transiger et peut déléguer sa signature. Or, l’accord transactionnel a été signé par le directeur général adjoint du CHUGA qui bénéficiait bien d’une délégation accordée par arrêté du 10 juin 2024 de la directrice générale.
S’agissant de la société Floriot, l’accord a été signé par le directeur général associé. Or, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 227-5 et L. 227-6 du code de commerce et de l’article 17 des statuts de cette société relatif aux pouvoirs du président et des directeurs généraux qu’il était régulièrement habilité pour signer ce protocole.
L’objet de la transaction était-il licite ?
C’est bien évidemment le cas. Il s’agit en effet de déterminer le solde du décompte général et définitif du marché.
Des concessions réciproques ont-elles bien été consenties et la personne publique ne s’est-elle pas livrée à une libéralité ?
D’après l’avis du 6 décembre 2002 L’Haÿ-les-Roses déjà cité, la libéralité est appréciée de manière assez peu exigeante puisque, pour citer les conclusions, qui ont été reprises sur ce point : « Ce qui est d’ordre public, ce n’est pas une éventuelle exagération de l’indemnité » qui peut même être « supérieure au préjudice subi », mais « que la disproportion ne soit telle que la prétendue transaction ne devienne une libéralité […] » Cette position est notamment justifiée par l’intérêt général, et notamment financier, qu’il y a à une résolution rapide du litige.
Et les libéralités éventuelles sont appréciées de manière globale, et non pour chaque chef de préjudice. Il s’agit de déterminer si in fine, les indemnités négociées ne sont pas manifestement disproportionnées au détriment de la personne publique (CE, 9 décembre 2016, Société Foncière Europe, n° 391840)
En l’espèce, le CHU accepte dans ce protocole d’annuler le décompte général notifié le 27 mars 2023 qui arrêtait le solde du marché à un montant négatif de plus de 4,6 M€ et propose le versement de 840 K€ à la société. Il accepte également le versement à la société Sogreca, sous-traitante de Floriot, d’une somme de 32 K€.
Il a donc fait une concession. Mais ce montant est bien inférieur aux 1,7 M€ pour elle-même et 284 K€ pour son sous-traitant qui étaient sollicités initialement par la société Floriot, qui a donc également fait des concessions, d’autant qu’elle s’engage au terme du protocole à assumer seule un éventuel litige avec son sous-traitant.
Il n’apparait pas par ailleurs que ces montants constituent des libéralités. Les sommes sont détaillées et trouvent bien leur fondement dans le contrat. Il s’agit notamment des coûts associés à la levée de certaines réserves ou aux incidences de la covid, qui ont constitué un préjudice pour la société Floriot.
Et si on pouvait penser à première lecture que les concessions faites par la personne publique sont plus importantes, il faut savoir que le montant initialement demandé par celle-ci au titre des pénalités, liées pour l’essentiel à la levée tardive des réserves, présentait un caractère sans doute excessif par rapport au montant des prestations prétendument réservées, qui concernaient pour l’essentiel des volets manquants et des occultations extérieures inachevées.
Ainsi, même si vous ne disposez pas du détail de chacun de ces montants, ce qui est logique puisque les parties étant d’accord pour signer la transaction, aucun débat contradictoire n’a été engagé, compte tenu du caractère assez restreint de votre contrôle, nous vous invitons à considérer que cette transaction apparait équilibrée et non constitutive d’une libéralité.
Reste tout de même un dernier point à examiner, qui nous semble lui plus problématique. Il s’agit de la rédaction du 2e alinéa de l’article 6 de la transaction, qui concerne l’effet de votre jugement
Il stipule en effet qu’« en cas de refus d’homologation du présent protocole par la juridiction compétente, les parties demeureront tenues de l’exécution des présentes […] ».
Or, ce n’est pas ce que prévoit le Conseil d’Etat dans son avis L’Haÿ-les-Roses. La décision prise par le juge de l’homologation est revêtue de l’autorité relative de la chose jugée et le refus d’homologation entraîne la nullité de l’accord. Ces stipulations contreviennent ainsi à l’autorité de la chose jugée et donc à l’ordre public, qui fait partie de votre contrôle.
Par suite, quoi que fassent effectivement les parties en conséquence de votre jugement, il ne parait pas possible que vous homologuiez cette clause.
Sachant en tout état de cause que l’effet pratique de ce refus d’homologation sera nul puisque cette stipulation est divisible du reste du protocole dont nous vous proposons l’homologation, qui pourra donc s’appliquer dans l’ensemble de ses dispositions utiles.
Vous pourrez donc également donner acte du désistement des deux requérants de leurs conclusions initiales.
Par ces motifs, nous concluons à :
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homologuer la transaction à l’exception des stipulations de l’alinéa 2 de l’article 6 ;
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donner acte du désistement du surplus des conclusions du CHU dans le dossier 2300261 et de la société de construction Floriot dans le dossier 2400946.