Les politiques publiques sont diverses et elles peuvent poursuivre l’objectif de développer les énergies renouvelables comme celui de la protection de la qualité et de la diversité des paysages. Par paysage, on entend « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques » selon la Convention européenne du paysage, codifiée à l’article L. 350-1 A du code de l'environnement. Or, tout projet de construction d’éoliennes a nécessairement un impact sur ces paysages en raison de la hauteur de ces installations (entre 150 et 200 mètres) et leur nombre (une dizaine en moyenne, mais certains parcs peuvent dépasser les 70 aérogénérateurs comme à Fruges dans le Nord-Pas-de-Calais). L’impact de tels projets sur le paysage est apprécié selon ses caractéristiques, son intérêt et sa sensibilité au projet. En effet, certains paysages sont plus affectés que d’autres par un parc éolien : une vallée encaissée risque de subir un effet de surplomb important, certains sites sont protégés en raison de leur intérêt particulier ou de monuments historiques, etc.
Pour évaluer l’impact des projets, les pouvoirs publics s’appuient sur des atlas du paysage, des études de terrain, des coupes de terrain ou des photomontages2. Les procédures et l’évaluation environnementale ont vocation à limiter les effets ou empêcher les projets portant une atteinte trop grave aux paysages. Cela passe par le principe « Éviter, Réduire, Compenser », c’est-à-dire que le promoteur doit choisir un site et une variante qui évitent ou réduisent au minimum les impacts et qu’il propose des mesures compensatoires pour les impacts résiduels ou par l’interdiction de toute éolienne à moins de 500 mètres des habitations.
Lorsqu’un litige survient, les juridictions saisies, pour apprécier la potentielle atteinte que causent les éoliennes aux paysages, utilisent majoritairement les fondements juridiques suivants : l’article L. 511-1 du code l’environnement ainsi que l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme. Les juges se réfèrent également au volet paysager de l’étude d’impact, aux conclusions du commissaire-enquêteur ainsi qu’à l’avis complémentaire des autorités environnementales, s’il existe.
Les magistrats utilisent tous la même méthode posée par le Conseil d’État dans son arrêt Association Engoulevent du 13 juillet 20123. Ils apprécient, d’abord, la qualité du paysage où le projet d’éolienne est envisagé (Section 1), puis les potentielles atteintes au paysage que l’installation pourrait causer (Section 2). Enfin, dans l’hypothèse où les juges concluent en une atteinte au paysage, ils vérifient s’il existe des éléments permettant de l’atténuer (Section 3).
Section 1. La qualification de la qualité du paysage menacé
Schématiquement, l’atteinte ne sera retenue que si le paysage présente des caractéristiques particulières justifiant sa protection. À défaut, les hypothèses d’atteintes sont très rarement retenues.
Pour qualifier la qualité du paysage où le projet éolien est projeté, les juges, dans un premier temps, vérifient si ledit paysage fait l’objet d’un recensement particulier. Pour ce faire, ils peuvent se fonder sur des documents dont la valeur juridique est limitée, tels que les sites de l’UNESCO, les guides des paysages emblématiques de la DREAL4, l'Atlas des paysages ou des vignobles5. À cet égard, le Conseil d’État rappelle que les juges du fond ne peuvent faire fi des chartes des parcs naturels régionaux6 situés à proximité des parcs éoliens et ce même si elles ne sont pas opposables aux tiers7. Ainsi, leur portée juridique limitée ne les empêche pas d’avoir un intérêt juridique déterminant pour les juges.
Ensuite, les juges apprécient eux-mêmes la qualité du paysage. Ils recherchent si le paysage présente des caractéristiques de nature à rendre nécessaire sa protection, notamment au regard des intérêts de l’article L. 511-1 du code de l’environnement. Ici, tant la configuration topologique des lieux que des considérations davantage floristiques ou culturelles sont prises en compte par les juges. Ils vont notamment s’intéresser au niveau d’urbanisation du paysage et s’il existe déjà des éléments artificiels dans les lieux comme des châteaux d’eau, des lignes électriques, des éclairages urbains, mais aussi des parcs éoliens ou des aérogénérateurs déjà construits ou autorisés8. Souvent, une anthropisation importante du paysage diminue sa qualité et donc son besoin de protection. Les juges, notamment ceux de la cour administrative d’appel de Lyon, prennent en compte l’attrait touristique des lieux ainsi que sa fréquentation9 pour apprécier la qualité du paysage. Une forte fréquentation touristique peut ainsi témoigner du caractère particulier de la zone et ainsi nécessiter une protection particulière. De plus, il est intéressant de noter que le juge lyonnais traite de la même manière l’atteinte au patrimoine naturel et culturel montagnard de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme que l’atteinte aux paysages10.
Dans l’ensemble, il n’y a pas d’expression particulière utilisée par le juge ou de définition de ce que doit être un paysage méritant une protection particulière. Il semblerait cependant qu’une échelle de valeur entre les différents paysages puisse être déduite des différentes jurisprudences des juges du fond. D’abord, il y a les paysages emblématiques et exceptionnels11 ; ensuite, les paysages présentant un intérêt particulier ou remarquable12 ; puis, les paysages non dépourvus de tout intérêt ; et enfin, les paysages sans qualification particulière ou non remarquables13. Les exigences de protection sont croissantes selon l’intérêt reconnu aux paysages. Ainsi, un projet portant « une atteinte significative notamment à l'intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l'article L. 631-1 du code du patrimoine » est nécessairement annulé selon le Conseil d’État14.
Il est intéressant de noter que le Conseil d’État a récemment fait émerger la notion de paysage ayant un intérêt culturel15. Il estime que « des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraire du paysage » liés à la vie et à l'œuvre de Marcel Proust peuvent être pris en compte pour apprécier la compatibilité d’un projet éolien aux intérêts de l’article L. 511-1 du code de l’environnement. En annulant un projet au motif qu'il porterait atteinte à un paysage dont l'intérêt réside dans les correspondances qu'il entretient avec le paysage imaginaire d’une œuvre littéraire, le juge transforme de manière inédite une œuvre littéraire en un élément de fait lui servant pour interpréter des dispositions législatives. Toutefois, le rapporteur public, Nicolas Agnoux, précise dans ses conclusions sur cet arrêt que la seule évocation d'un paysage dans une œuvre littéraire ne saurait lui conférer une immunité faisant obstacle à tout projet.
Avec cette jurisprudence, les autorités administratives pourraient refuser, au nom de la protection du paysage artistique, de délivrer des autorisations administratives. Ce faisant, le Conseil d’État laisse une large place à la subjectivité et à la sensibilité artistique. Les cours administratives d’appel n’ont pas, pour le moment, osé (ou eu l’opportunité de) utiliser cet argument dans leur raisonnement. Mais si ce patrimoine immatériel n’est pas encore invoqué pour fonder des annulations au contentieux, certains préfets s’en emparent d’ores et déjà, comme la préfète de l’Oise qui s’est, entre autres, appuyée sur l’œuvre du peintre Camille Pissarro pour motiver un arrêté du 6 novembre 2023.
Il convient, cependant, de noter que les juges motivent souvent assez peu leurs décisions lorsqu’ils apprécient la qualité d’un paysage, de sorte qu’il est assez difficile de faire émerger des critères de définition. Finalement, la question de l’appréciation de la qualité du paysage est soumise à l’appréciation souveraine et libre des juges du fond.
Section 2. L’appréciation de l’atteinte portée par les éoliennes aux paysages
Le juge administratif se penche, dans un second temps bien distinct du premier, et conformément à la méthodologie arrêtée par la Conseil d’État, sur la qualification et l’appréciation des effets des installations, et leurs éventuelles atteintes sur le paysage étudié dans le temps précédent.
Il semblerait que les juges du fond partagent un positionnement relativement proche dans cette analyse : celui d’un observateur extérieur attentif à la compréhension et la lisibilité du paysage, voire à son harmonie ou son unité, son identité.
Pour ce faire, ils s’appuient sur une multitude de notions et de facteurs, le plus souvent étayés par des indices dont la valeur, et surtout la hiérarchie ou la pondération, demeurent incertaines. Sur ce point, le Conseil d’État n’est pas d’un grand secours pour aider le lecteur à mieux appréhender ce magma casuistique car ce dernier, dans son office de juge de cassation, veille davantage à uniformiser les approches pour chacune des atteintes à la conservation des paysages, spécifiquement. Tel est, par exemple, le cas de la notion de saturation visuelle qui est le motif le plus souvent retenu par la Haute juridiction pour annuler les projets.
Le Conseil d’État considère :
« qu’il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, [...] de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents »16.
Il vérifie si toutes les éoliennes sont visibles depuis un même point. Toutefois, l’impossibilité de voir l’ensemble des éoliennes en même temps depuis un même point n’empêche pas que le projet puisse créer un effet d’encerclement17. Un grand nombre d’éoliennes ou la proximité avec un autre parc n’impliquent pas nécessairement une saturation visuelle selon le Conseil d’État dans la mesure où le parc en constitue la continuité et où les angles d'occupation des horizons et de respiration visuelle n'atteignent pas les cotes d'alerte définies. Ce phénomène de saturation visuelle peut aussi être perçu non comme une atteinte au paysage mais comme une atteinte à la commodité du voisinage18
Il n’est pas possible de dresser de manière exhaustive une liste de ces éléments, et partant de dresser des statistiques ou des comparaisons sur leur emploi dans la jurisprudence des différentes juridictions étudiées. Le recours à ces derniers est en effet trop casuistique, mais également trop dépendant des circonstances propres à chaque espèce et aux développements des parties, en particulier des moyens qu’elles invoquent. En outre, il n’y a aucun moyen relatif à la conservation du paysage qui ne saurait être relevé d’office par le juge administratif dans le cadre du contentieux des éoliennes terrestres.
Pour les besoins de cette étude, il est en revanche envisageable de proposer un panorama synthétique, sans prétendre à l’exhaustivité.
À titre liminaire, deux grandes catégories d’éléments peuvent être relativement aisément identifiées : les considérations tenant principalement au projet en lui-même, intrinsèquement, d’une part ; et celles liées à son intégration dans les lieux et le paysage de son implantation, d’autre part. Toutefois, la frontière théorique entre ces deux catégories est souvent franchie pour caractériser une certaine atteinte.
Le juge s’intéresse tant à l’atteinte aux paysages remarquables en tant que site d’implantation19, à leur visibilité depuis un tel paysage, qu’à leur covisibilité avec un tel paysage depuis un point de vue extérieur, le plus souvent un lieu d’habitation. C’est surtout ce dernier point dont il est question lorsque l’on parle d’atteinte au paysage. Plus précisément, il est donc possible de distinguer plusieurs ensembles de considérations qui trouvent leurs origines dans des éléments à la fois dans l’une et dans l’autre des catégories précitées.
Tout d’abord la distance entre les zones d’habitation et le projet (l’éolienne la plus proche)20. Ensuite, l’appréciation de la visibilité, au sens large, du projet. Les juges du fond peuvent se baser sur les indices suivants : la hauteur des éoliennes en bout de pale21, leur implantation par rapport au volume du bâti ou de la végétation environnante, du relief et de la proximité d’autres parcs éoliens, et corrélativement de l’existence, et le cas échéant de l’importance, « de masques » ou « d’écrans » créés par le relief, la végétation22 ou l’urbanisation23. Le juge utilise une terminologie précise pour voir si le projet crée une « concurrence visuelle »24 avec les éléments structurant le paysage : rapport d’échelle « comparable », « identique », « favorable ».
Bien que les paysages soient généralement associés à la végétation et aux qualités naturelles du site, il semble parfois que le bâti soit également pris en considération sous les expressions de « lignes structurantes du paysage » ou de « lignes de force »25 – et ce de deux manières : soit parce qu’il constitue un monument remarquable dont il convient de protéger la visibilité, soit au contraire parce qu’il s’agit de l’urbanisation présente qui amoindrit l'intérêt du paysage comme nous l’avons vu précédemment. Il peut également constituer un masque visuel limitant la visibilité de l’éolien.
Pour caractériser une atteinte significative, le juge doit caractériser une échelle « défavorable », « disproportionnée »26, une « grande visibilité »27, une « prégnance »28, un « contraste très marqué »29 ou un « fort » effet de « domination »30, « d’écrasement »31 ou de « surplomb »32, c'est-à-dire que le projet apparaît nettement au-dessus des « lignes structurantes du paysage ». Dans le cas contraire, même si des visibilités existent, l’impact ne sera pas jugé comme étant significatif33.
Le juge recherche tant la cohérence du projet avec les lignes de force du paysage qu’avec le contexte éolien existant et s’intéresse ainsi aux « intervisibilités » ou encore aux effets de « saturation »34 ou « mitage » avec les parcs déjà existant sur le territoire35.
Pour refuser le projet, il faut prouver des ruptures visibles entre les parcs éoliens existants et le projet : il regarde ainsi si le projet nouveau s’inscrit dans la « continuité linéaire » ou le « prolongement » du parc existant36, si la rupture ou l’absence de continuité n’est que « peu perceptible » ou bien si elle est « forte », en notant de potentiels « phénomènes d’étalement et d’excentrement »37. En revanche, le fait que le paysage connaisse déjà un contexte éolien dense ne « permet pas de justifier toute aggravation de ce contexte »38. Ce faisant, le juge s'appuie sur les dimensions des parcs existant et du projet, sur la distance entre les deux et fait des comparaisons en termes de hauteur tout cela en tenant compte de l’échelle du paysage d’accueil lui-même (vaste/ample/resserré).
Le juge s’intéresse aussi tout particulièrement aux phénomènes de « saturation visuelle »39 et « d'enfermement » ou « d’encerclement », ce qui implique qu’il analyse de façon poussée les angles de respiration visuelle en tenant compte de l’ensemble du parc éolien (c’est-à-dire de celui déjà construit ou autorisé).
Notons que le juge peut s'appuyer sur trois indices pour identifier un tel phénomène bien qu’ils ne soient pas toujours tous utilisés. Ils sont parfois mentionnés explicitement, surtout depuis une période récente40, mais on les retrouve le plus souvent implicitement41. Ils mesurent dans un rayon plus ou moins large en kilomètres (5, 10, 15, 20) autour du projet :
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la somme des angles de l'horizon interceptés par des parcs éoliens (« indice d'occupation de l'horizon ») : SA ≈ 120° ;
-
le ratio du nombre d'éoliennes présentes par angle d'horizon occupé (« indice de densité ») : SA ≈ 0,1° ;
-
le plus grand angle continu sans éolienne (« indice d'espace de respiration ») : SA ≈ 160°/ 180°.
Il ressort de la généralité des décisions la plupart du temps de façon implicite mais parfois de façon explicite que sur la base de ces indices, le juge s’appuie sur des « seuils d'alerte » pour conclure ou non à un tel effet d’encerclement ou de saturation visuelle42. De manière générale, l’absence de dépassement des seuils a tendance à suffire au juge pour statuer en faveur du projet. En cas de dépassement, en revanche, le juge s’empresse de rappeler que la valeur de ces indices n’est que théorique car ils sont évalués sans tenir compte de la configuration des lieux et des éventuels obstacles visuels. Ainsi,
« la seule circonstance qu'un de ces “seuils d'alerte” soit atteint ne suffit pas à caractériser une atteinte excessive à la commodité du voisinage ou aux paysages mais justifie seulement une analyse approfondie des incidences concrètes du projet »43.
Le juge doit ainsi par la suite confronter ces indices à l’incidence visuelle réelle du projet c'est-à-dire la configuration des lieux44, à l’existence de « masque visuel », à la qualité du paysage précédemment évoqué, à l’impact sur les parties habitées ainsi qu’aux mesures compensatoires prévues45. En ce sens, le juge s’intéresse de façon casuistique à rechercher si cette visibilité est réelle des différents points de vue qui lui sont présentés (au centre-bourg, sur des axes principaux de circulations, ou en sortie de bourg, d’une route départementale, etc.) en recherchant si le projet s’inscrit « à l’horizon » dans un « paysage dégagé » ou au contraire « masqué ». De façon générale, le juge étudie si cette visibilité entraîne une perturbation pour les habitants, c’est ce qu’il nomme la « commodité du voisinage ». En ce sens, il fait vraiment une appréciation poussée qui l’amène à s’intéresser plus particulièrement aux parties habitées. Ces visibilités doivent affecter les paysages du quotidien, c'est-à-dire le cadre de vie des habitants sans qu’ils ne puissent bénéficier d’un masque visuel46.
Les juges du fond examinent également l’importance ou l’intérêt touristique du paysage sur deux volets, dans un raisonnement proche de celui tenu pour les monuments et sites : les aménagements de ce paysage à des fins touristiques d’une part, et la fréquentation effective par les touristes d’autre part47. Ce dernier volet s’observe dans une moindre mesure à la cour administrative d’appel de Bordeaux, à rebours de la jurisprudence de celle de Douai.
Notons enfin que le juge se penche également sur la question voisine de la commodité du voisinage. En effet, il semble être particulièrement attentif aux modifications apportées au paysage du quotidien, au sein du cadre de vie au sens large des riverains.
Il est rare que le juge statue contre le projet éolien en raison d’une saturation visuelle excessive. Le fait que les indices excèdent « nettement » les seuils d'alerte48 ne suffit pas à caractériser l’atteinte et justifie seulement une analyse approfondie des incidences concrètes du projet. Il faut de surcroît :
« qu’en tenant compte de la configuration particulière des lieux et des effets cumulés avec d'autres parcs, le projet, notamment par sa proximité, sa hauteur, sa densité et sa disposition spatiale, porte une atteinte excessive à la commodité du voisinage »49.
En conclusion, le juge lyonnais, à l’instar des autres juges, ne retient l’atteinte que si elle est particulièrement grave, la simple visibilité ou covisibilité n’est pas suffisante. Ce sont les effets produits par l’impact visuel qui peuvent constituer une atteinte. En outre, pour que cette atteinte soit jugée « significative », il doit retenir un « rapport d’échelle disproportionné »50 avec les lignes structurantes du paysages un effet de « surplomb », ou « d’écrasement », un effet « d’encerclement », de « saturation », « de barrière », ou encore la « rupture de l’unité paysagère »51, le projet doit être incompatible avec l’harmonie générale du paysage et la préservation des vues52.
Face à ce foisonnement casuistique, une évidence s’impose. Il est très malaisé de rationaliser suffisamment les démarches des juges pour permettre une comparaison satisfaisante et précise de leur pratique. Deux tendances semblent tout de même se dégager.
La première concerne la différence de protection accordée aux paysages en fonction de leur qualification issue du premier temps. Moins un paysage est en position élevée dans cette échelle, plus sa conservation peut souffrir d’atteintes. C’est-à-dire qu’il faudra tendanciellement des atteintes qualitativement et quantitativement (surtout à Bordeaux, où le juge a plutôt une approche quantitative) très importantes pour remettre en cause le projet. À l’opposé, plus un paysage se trouve protégé, moins les atteintes devront être importantes pour remettre en cause le projet. La même logique semble s’appliquer aux mesures compensatoires : plus le paysage est protégé, moins elles seront pertinentes pour empêcher la remise en cause du projet.
La difficulté pour le juge du fond, sans secours véritable du Conseil d’État dans ces dossiers, est manifeste. La cour administrative d’appel de Lyon, comme l’ensemble des autres cours étudiées, tente d’une manière générale de concilier, à travers une appréciation globale, l’intérêt général qui s’attache au développement de l’énergie éolienne avec les différents autres impératifs, dont la protection des paysages. C’est pourquoi elle semble attacher une importance croissante à l’atténuation des atteintes décelées au cours du temps précédent.
Section 3. Les éléments d’atténuation des atteintes portées par les projets éoliens
De même que précédemment, les juges du fond semblent rechercher particulièrement les considérations pouvant atténuer les atteintes. La tendance qui semble se dégager est une souplesse largement plus prononcée pour les paysages se trouvant en bas de l’échelle susmentionnée, à l’opposé des paysages emblématiques ou remarquables.
De même, il est possible de dresser un panorama détaillé, mais non exhaustif, des éléments tenant d’une part à l’action propre du pétitionnaire (de sa propre volonté, les mesures ERC ou les conditions imposées par l’autorité environnementale) et ceux, d’autre part, se rapportant aux caractéristiques du paysage lui-même. Il est donc possible de citer : l’éloignement avec les autres paysages remarquables53, l’espace entre les éoliennes54, le boisement55, la configuration des lieux56, l’urbanisation57, la proximité avec les autres parcs58, le respect des lignes de force59 ou de crête60, etc. On retrouve donc également des éléments d’appréciation des atteintes dans le temps précédent, ce qui illustre à nouveau la complexité de ce contentieux.
D’une manière générale, dans le cadre de l’appréciation globale évoquée plus haut, le juge ne pourra valider un projet sans avoir relevé des circonstances permettant l’atténuation des atteintes portées à la conservation du paysage. On observe qu’à Lyon, un projet ne peut être confirmé par la cour en l’absence de mesures ERC. Cette position semble parfaitement cohérente avec la jurisprudence du Conseil d’État qui précise utilement que les prescriptions spéciales ne suffisent pas, par elles-mêmes, à atténuer suffisamment les atteintes au paysage pour valider le projet61.
Conclusion du chapitre 3
Il ressort de l’ensemble des décisions que le juge se montre assez souple en faveur des projets éoliens. Le juge permet l’implantation dès lors qu’il estime que l’enjeu est faible ou modéré (ce second terme étant automatiquement assimilé à faible) : « les conclusions de l’étude paysagère : incidence visuelle faible ou modérée »62.
Cela s’explique par le fait que le juge semble accorder beaucoup d’importance aux engagements (« mesures compensatoires » ou « de bridage ») pris par les sociétés pétitionnaires pour prévenir et suivre les risques sur la logique « réduire, éviter, compenser » de l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Si ces mesures existaient et que l’enjeu était faible ou modéré voir moyen, le juge a toujours eu tendance à autoriser le projet63. Il faut vraiment que l’impact soit jugé fort que ce soit sur le paysage ou la commodité du voisinage pour que les mesures compensatoires proposées soient jugées insuffisantes64.