Chapitre 2. La protection des sites et monuments par le juge administratif

DOI : 10.35562/alyoda.9748

Plan

Texte

Après avoir expliqué la logique en deux temps du contrôle réalisé par le juge administratif concernant le risque d’atteinte aux sites et monuments historiques par le projet éolien (Section 1), il conviendra de mettre en évidence le premier temps de ce contrôle qui concerne l’appréciation de la qualité du site et des monuments historiques (Section 2), avant de souligner le second temps du contrôle qui s’appuie sur plusieurs éléments d’appréciation (Section 3). Enfin, il faut relever que les mesures compensatoires sont faiblement prises en compte dans l’appréciation des risques d’atteinte aux sites et monuments historiques par le juge (Section 4).

Section 1. L’appréciation des atteintes aux sites et monuments : un contrôle juridictionnel en deux temps

L’article L. 181-3 du code de l’environnement oblige l’autorité administrative à vérifier, avant de délivrer une autorisation environnementale, que le projet ne porte pas atteinte aux intérêts protégés par l’article L. 511-1 du même code et ce dernier mentionne, notamment, « la conservation des sites et des monuments ». Avant l’entrée en vigueur du nouveau régime des autorisations environnementales uniques en 2017, un contrôle équivalent était réalisé sur le fondement de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme qui proscrit les constructions portant atteinte à « l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites [...] ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Il est à noter que ces trois articles peuvent être invoqués simultanément, mais que le juge statuant sur les deux premiers opère un contrôle de pleine juridiction, alors que le juge statuant sur le troisième opère un contrôle de l’excès de pouvoir.

Les juges du fond se sont réapproprié le considérant de principe issu de l’arrêt Association Engoulevent du 13 juillet 2012 du Conseil d’État2, qui ne concernait que les questions paysagères, pour l’étendre aux sites et monuments – et, ainsi, affirmer que :

« Pour rechercher si l'existence d'une atteinte [...] à la conservation des sites et des monuments [...] est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site [ou] sur le monument [...] ».

En toute hypothèse, l’autorité administrative ne peut pas procéder, lors du second temps de son contrôle, à la mise en balance d'intérêts autres que ceux mentionnés dans les textes. Pour évaluer la qualité du site et l’impact du projet, l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, se fonde principalement sur le volet paysager de l’étude d’impact prévue à l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement, en s’aidant le cas échéant des photomontages réalisés par le pétitionnaire. Elle peut également être amenée à s’appuyer sur différents avis – notamment celui du service territorial de l’architecture et du patrimoine3, celui de l’autorité environnementale4, celui du commissaire enquêteur à l’issue de l’enquête publique5 mais aussi celui de l'architecte des Bâtiments de France6. D’autres documents sont susceptibles de l’aider dans son évaluation, tels que des études réalisées à la demande de la direction régionale des affaires culturelles7 ou des atlas présentant les qualités du site et des monuments locaux. Le schéma régional éolien, s’il doit être pris en compte par l’autorité administrative, n’a toutefois aucun effet contraignant8.

Les cas d’atteintes aux monuments et sites prononcés sont rares9. Il est dès lors pertinent de voir dans quels cas et pour quelles raisons le juge administratif a prononcé une telle atteinte. Par conséquent, fondées sur la jurisprudence du Conseil d’État10, les juridictions administratives de la présente étude apprécient d’abord les qualités intrinsèques du monument, avant de regarder les autres éléments pouvant être de nature à porter atteinte aux sites et monuments.

Section 2. Le premier temps de l’analyse du juge administratif : l’appréciation de la qualité du site et monument historique

Même si la pratique du juge semble plus discrète que celle exercée en matière de paysages, le juge administratif apprécie la qualité des monuments et sites en regardant, d’abord, s’ils sont inscrits ou classés. On peut relever l’exemple de l’inscription sur la liste du Patrimoine mondial tenue par l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (ONUESC, plus connue sous son acronyme anglais UNESCO).

Par exemple, dans un arrêt de la CAA de Douai du 16 février 2023 (n° 22DA00172), le juge administratif estime que le projet éolien porte une atteinte excessive aux monuments. Celle-ci résulte de l’appréciation de la qualité des monuments concernés :

« Dans un rayon de neuf à treize kilomètres autour de la zone d'implantation du projet, s'élèvent les monuments d'Amiens dont la tour Perret, inscrite sur la liste des monuments historiques et culminant à 110 mètres de hauteur, et la cathédrale Notre-Dame, classée monument historique et inscrite sur la liste du patrimoine mondial établie par l'Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ».

On peut également mentionner le classement au titre de la législation sur les monuments historiques, qui correspond au plus haut niveau de protection11. Lorsque le juge évoque ce classement ou cette inscription, il précise la date du classement ainsi que les caractéristiques propres du monument telles que sa particulière représentativité d’une période historique, son style architectural ou artistique, ou encore sa rareté. Ainsi, les différents juges accordent une attention particulière et exercent un contrôle approfondi lorsqu'il s'agit d'évaluer les atteintes à ces sites et aux monuments.

L’exemple du site classé d’Alésia est à ce titre pertinent en ce qu’il bénéficie d’une protection particulière. Dans la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, sur les sept arrêts dans lesquels le juge a prononcé une atteinte aux monuments et sites, quatre concernaient le site d’Alésia12. Le contrôle exercé par le juge semble plus rigoureux et conduit à de nombreuses censures. Par exemple, pour ce site et les monuments qu'il abrite, le juge lyonnais effectue un contrôle plus approfondi avec des décisions plus détaillées, longues et analytiques.

Le juge lyonnais fournit une explication de cette approche :

« Le site d'Alésia, qui comprend en particulier plusieurs monuments historiques classés, notamment les restes de l'ancienne Alésia, du théâtre Gallo-romain et du quartier des huttes gauloises ou les vestiges archéologiques dans la plaine des Laumes, a fait l'objet d'une reconnaissance patrimoniale consacrant son caractère de site majeur et emblématique de l'histoire nationale »13.

Néanmoins, la jurisprudence du juge administratif lyonnais révèle que son contrôle n'obéit pas à une méthodologie uniforme. Ainsi, même si la distance kilométrique du parc éolien par rapport au site est systématiquement mentionnée (ce qui n’est pas le cas dans le reste du contentieux éolien), il n'existe pas de seuils prédéfinis pour qualifier une atteinte aux sites et monuments14. Cette évaluation se fait in concreto, en fonction d'autres critères. La présence d’un site ou monument classé ou recensé dans un document censé guider les politiques publiques renforce le contrôle porté par le juge administratif qui prononce plus aisément une atteinte portée par le projet au site ou monument.

Ensuite, en plus du regard porté à l’inscription dans une liste ou un classement, le juge administratif complète son appréciation de la qualité du site ou monument par l’attribution de qualificatifs – « exceptionnel »15, « emblématique »16 ou d’un « intérêt particulier »17. À noter que la motivation du juge demeure plus succincte que celle opérée pour les paysages18. Il n’en demeure pas moins que dans le cas où l’un de ces caractères est énoncé, le juge administratif n’hésite pas à prononcer l’atteinte du projet éolien aux monuments et sites, et ce même si la visibilité semble faible. Le caractère «  emblématique » en constitue la meilleure illustration. L’exemple de la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon est à ce titre pertinente. En effet, sur les sept arrêts venant prononcer une atteinte, six viennent qualifier le(s) site(s) ou monument(s) d’emblématiques. Tels sont les cas du château de Vixouze19, du château de la Cavade20, du château d'Oyez21, des sites du Puy Mary22, du Plomb du Cantal23 et du site classé d’Alésia24. Dans ces cas-là, le juge administratif n’hésite pas à prononcer l’atteinte.

Section 3. Le second temps de l’analyse du juge administratif : la diversité des autres éléments d’appréciation

Même lorsque le juge administratif ne reconnaît pas d’atteinte, il s’attache à motiver son propos en utilisant divers éléments d’appréciation. Les caractéristiques architecturales, le caractère mémoriel des monuments25 ou encore le caractère touristique du lieu26 en constituent des exemples. Après l’examen par le juge administratif de la qualité du monument et site, il procède à un examen plus approfondi. Le but dans cette analyse est de mesurer si l’impact visuel du projet éolien sur le monument et site n'est pas « excessif »27. Il n'est pas demandé que les éoliennes soient invisibles, mais que leur visibilité ne soit pas de nature à porter une atteinte significativement défavorable au site. Un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon permet de poser un cadrage général de l’appréciation portée par le juge administratif :

« L'appréciation de l'exigence de protection et de conservation de la nature, des sites, des monuments et paysages […] implique une évaluation du lieu d'implantation du projet et puis une prise en compte de la taille des éoliennes projetées, de la configuration des lieux et des enjeux de covisibilité, au regard, notamment, de la présence éventuelle, à proximité, de plusieurs monuments et sites classés et d'autres parcs éoliens, et des effets d'atténuation de l'impact visuel du projet »28.

Ainsi, le juge administratif porte son appréciation sur une diversité d’éléments. Parmi ces derniers figurent la prise en compte des enjeux de covisibilité (1), du lieu d'implantation et la configuration des lieux du projet (2) ainsi que la hauteur des éoliennes (3).

1. La prise en compte des enjeux de covisibilité

D’abord, le juge administratif s’attache à regarder les enjeux de covisibilité. La covisibilité signifie que le projet éolien et le monument se retrouvent dans le champ d’un même regard. En d’autres termes, il n’est pas possible de voir une construction sans voir l’autre. Il est également possible de retrouver l’expression « saturation visuelle »29, qui est utilisée pour faire comprendre l’idée que la présence de l’éolien s’impose dans tous les champs de vision. Ainsi, la covisibilité étant un motif d’annulation d’un projet éolien, le juge s’assure que les aérogénérateurs ne créent pas de concurrence visuelle ou de point d’appel visuel perturbant la perception extérieure du monument ou du site. Cependant, même en cas de covisibilité, l’annulation du projet n’est pas systématique. Il apparaît que pour que l’implantation d’une éolienne soit refusée directement sur ce fondement, il faut que celle-ci soit « extrêmement visible » depuis le site et qu’elle provoque un effet de surplomb ou d’écrasement30. Lorsque le juge regarde la covisibilité du projet éolien depuis le monument ou le site, il prend en compte l’angle de vue depuis ce monument ou site, notamment lorsque les éoliennes fonctionnent. Par conséquent, le juge administratif ne prononce pas d’atteinte si la visibilité est indirecte31.

Par ailleurs, les cours d’appel sont assez unanimes sur la méthode d’étude de la covisibilité. En effet, dans un premier temps, le juge commence par regarder la distance d’éloignement entre le projet éolien et le site ou monument historique. Dans un deuxième temps, le juge étudie la visibilité du projet depuis les différents points de vue de l’édifice ainsi que sur cet édifice lui-même. Il s’intéresse de façon casuistique à rechercher si cette visibilité est réelle en prenant compte de l’existence ou non d’un « masque visuel »32. De plus, il est courant que le juge précise les kilomètres séparant le projet éolien du monument. Cependant, il relève le kilométrage sans forcément fonder tout son raisonnement dessus.

Dans un troisième temps, le juge étudie si cette visibilité entraîne une perturbation pour les visiteurs du site ou sur la quiétude du site, puisque la présence d’une ou plusieurs éoliennes peut avoir un impact négatif important sur le tourisme qu’engendrent certains monuments historiques. Ce tourisme est parfois crucial pour certaines communes. En ce sens, le juge fait une appréciation poussée qui l’amène à rechercher, par exemple, si le projet éolien se situe ou non dans le sens de la commémoration en ce qui concerne les cimetières33. À ce titre, le critère de l’ouverture et de la fréquentation par le public semble très important. Il sera plus délicat de retenir comme atteinte une modification de la vue depuis les hauteurs du monument qui ne sont pas ouvertes au public, ou qui ne le sont que de manière exceptionnelle (dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, par exemple). De même pour des monuments non emblématiques tournés à l’opposé des éoliennes et entourés de végétation, de sorte que celles-ci ne sont pas visibles depuis les zones de point de vue du monument34. Autrement dit, qu’un monument soit protégé selon un fondement architectural ou principalement historique, les cours administratives d’appel tolèrent plus facilement la covisibilité lorsque l’intérêt du monument réside moins dans son aspect extérieur que dans l’expérience intérieure qui peut en être faite. En outre, le juge administratif ne reconnaît pas d’atteinte si le projet est visible depuis un angle étroit ou encore si, au sein du monument, des points de vue sans éoliennes sont préservés35.

Par ailleurs, le Conseil d’État retient que le critère de la covisibilité peut s’étendre au-delà du périmètre de protection initialement fixé autour des monuments historiques ou bâtiments remarquables mais ne consiste toutefois pas en une extension de la servitude d’utilité publique36.

Enfin, l’existence d'autres parcs éoliens à proximité est un élément que le juge prend en compte dans son appréciation. Il ressort en effet des jurisprudences étudiées que lorsque d’autres éoliennes se trouvent à proximité, le juge tend plus souvent à se prononcer en faveur du projet, après s’être tout de même assuré qu’il n’y avait pas un effet de saturation ou d’encerclement37.

2. La prise en compte du lieu d'implantation et de sa configuration

Ensuite, le juge administratif s’attache à regarder le lieu d'implantation et la configuration des lieux du projet pour caractériser, ou non, l’atteinte aux monuments et sites. À noter que, contrairement à l’élément d’appréciation sur la covisibilité, le Conseil d’État n’utilise pas ce deuxième élément pour fonder son appréciation ; les cours administratives d’appel sont les seules juridictions de cette étude qui analysent la végétation, la topographie et les bâtis environnants au projet éolien.

D’abord, le juge administratif analyse la présence de végétation.

Le juge bordelais estime, par exemple, que le projet ne porte pas :

« une atteinte significative à l'intérêt historique et patrimonial » du dolmen de Chiroux puisqu’il « est entouré de grands chênes formant un premier écran végétal et que l'implantation du parc […], derrière un boisement constituant un second écran végétal, sera de nature à atténuer la présence des éoliennes qui ne seront que partiellement visibles »38.

Au contraire, le juge administratif peut être amené à refuser un projet éolien s’il considère que la végétation n’est pas assez dense.

Par exemple, la cour de Bordeaux estime qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que la rangée d'arbres située le long du cimetière limite l'impact visuel »39 sur l'église de Nieul-le-Virouil, classée monument historique.

Ensuite, le juge administratif prend en compte la topographie environnante. En ce qui concerne le lieu d’implantation, les analyses de la jurisprudence révèlent qu’un projet se trouvant sur un espace au relief faible voire inexistant sera plus de nature à être accepté. En ce qui concerne les lieux environnants, la présence d’un relief un peu plus prononcé sera appréciée, permettant ainsi de cacher une partie des éoliennes. En effet, il ressort de la jurisprudence des différentes cours40 que le relief permet de provoquer un « effet de masque » de nature à limiter la perception du projet éolien.

Par exemple, à Douai, le juge relève que :

« compte tenu de la configuration des lieux, du relief et des effets masquants de la végétation abondante », il n’existe pas d’« atteinte aux éléments patrimoniaux dignes d'intérêt existant à proximité notamment à Saint-Gobert ou à Marfontaine, en particulier, au château de Marfontaine inscrit au titre des monuments historiques situé à environ deux kilomètres des engins » 41.

Enfin, cette appréciation est renforcée dès lors que se trouve un bâti environnant au projet.

Par exemple, le juge lyonnais ne prononce pas d’atteinte alors même que le projet est prévu au sein :

d'une « zone d'attention patrimoniale définie autour de quatre sites emblématiques notamment la vallée de l'Armançon et le château d'Ancy-le-Franc » puisque « la vue de ses éoliennes sera limitée » du fait « de l'influence du bâti »42.

3. La prise en compte de la hauteur des éoliennes projetées

Enfin, pour apprécier la qualité du site ou monument, le juge administratif semble accorder une attention particulière à la taille des sites et monuments, et en particulier des rapports d’échelle entre ces derniers et le projet éolien. En effet, pour évaluer une atteinte, les juges se réfèrent aux dimensions des parcs et du projet, et à la distance qui les sépare. Il effectue des comparaisons en termes de hauteur tout en tenant compte de l'échelle du paysage d'accueil, que celui-ci soit vaste, ample ou resserré. Pour qu'une atteinte soit considérée comme significative, le juge doit constater une échelle « défavorable », une « grande visibilité », une « prégnance » ou un effet « fort » de « domination » ou de « surplomb », signifiant que le projet se distingue nettement au-dessus des lignes structurantes du paysage43. En revanche, si les visibilités existent mais que l'impact n'est pas jugé suffisamment important, le juge ne retiendra pas une atteinte significative44.

Finalement, l’ensemble de ces éléments d’appréciation mobilisés permettent au juge de caractériser, ou non, l’atteinte aux sites et monuments, voire de proposer des mesures compensatoires visant à limiter l’atteinte visuelle du projet éolien.

Section 4. La faible appréciation des mesures compensatoires par le juge administratif pour les sites et monuments historiques

Il est intéressant de relever que le juge administratif utilise rarement les mesures ERC pour fonder son raisonnement concernant les sites et monuments. En effet, ce dernier a tendance à se limiter à l’appréciation précédemment expliquée pour statuer sur les projets éoliens pouvant potentiellement porter atteintes aux monuments45.

Néanmoins, l’analyse de la jurisprudence permet de présenter les différentes formes que peuvent prendre ces mesures compensatoires dans le cadre des sites et monuments. D’abord, elles peuvent revêtir la forme d’un accompagnement financier.

Tel est le cas dans un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai :

« Un accompagnement financier destiné à la réalisation des travaux de mise en valeur du château, d'entretien, de réparation ou de restauration de celui-ci, proposé par la société́ pétitionnaire, est repris parmi les prescriptions de l'arrêté́ en litige »46. Ensuite, la mesure peut prendre la forme d’un aménagement paysager, comme c’est le cas dans une décision de la cour administrative de Douai : « En outre, il a été ajouté, conformément à l'avis émis par le service départemental de l'architecture et du patrimoine, une prescription aux deux permis attaqués visant à réaliser un aménagement paysager dédié́ notamment à la limitation des covisibilités avec le château de Silleron »47.

De même, les atteintes aux monuments peuvent également être tolérées par la présence de bâtis48. Par ailleurs, est également admise comme mesure compensatoire une régulation du fonctionnement des engins éoliens : « Elle a notamment prévu une mise à l'arrêt les jours de commémorations majeures et une couleur du poste de livraison adaptée au contexte paysager »49.

Du côté du juge lyonnais, la jurisprudence étudiée révèle que la présence de ces mesures est encore plus rare que dans les autres cours administratives d’appel, et notamment celle de Douai. En effet, dans l’un des seuls cas où la cour administrative de Lyon mentionne la présence de ces mesures au regard des monuments et sites, elle considère que les atteintes aux monuments n'apparaissent pas « excessives » au regard de l'article L. 511-1 du code de l’environnement, d’autant plus que « l'insuffisance des mesures d'évitement, de réduction et, compensation (ERC) n'est pas avérée ». En l’espèce, les atteintes portent sur des « sites tels que l'église Saint-Pierre de Gipcy ou le château de Lalande à Rocles, proches du parc, ou l'église Saint-Loup de Saint-Hilaire qui, implantée sur un point haut du territoire, bénéficie d'une large ouverture visuelle depuis ses abords immédiats »50.

Ainsi, le juge administratif sait se montrer protecteur vis-à-vis de l’environnement, en statuant en principe à l'encontre des projets portant atteinte aux monuments. Si l’hypothèse de mesures compensatoires est assez rare, lorsqu’elles existent, celles-ci peuvent permettre au juge administratif d’accepter la présence d’atteinte par les éoliennes sur les monuments et sites.

Conclusion du chapitre 2

L’étude des arrêts des cours d’appel et du Conseil d’État révèle que l’implantation d’éoliennes dans le périmètre de sites et monuments ne constitue pas systématiquement une atteinte envers ces infrastructures. Par une réflexion en deux temps, le juge met en balance les différents intérêts tenant, d’une part, aux caractéristiques intrinsèques aux sites et monuments, et, d’autre part, tous les autres éléments d’appréciation concernant l’environnement où se trouve le litige. En effet, si la covisibilité entre les monuments et les éoliens est le principal facteur litigieux, il peut être fortement atténué par plusieurs éléments tels que la végétation, la topographie ou encore les différents angles de vue des éoliennes depuis le site ou monument. Ainsi, plus ces différents éléments se cumulent, moins le juge retient l’atteinte. Néanmoins, lorsqu'une atteinte est effectivement constituée, la présence de mesures compensatoires permet de préserver l’autorisation du projet éolien. Par conséquent, une coexistence est possible entre des sites et monuments à protéger et des parcs éoliens.

Notes

2 CE, Ch. réunies, 13 juillet 2012, n° 345970. Retour au texte

3 CAA Douai, 10 décembre 2019, n° 17DA02433. Retour au texte

4 CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 21DA02828. Retour au texte

5 CAA Lyon, 16 mai 2024, n° 23LY01955. Retour au texte

6 CAA Douai, 1er décembre 2020, n° 19DA00236. Retour au texte

7 CAA Douai, 10 décembre 2019, n° 17DA02433. Retour au texte

8 CAA Bordeaux, 17 décembre 2021, n° 19BX03833. Retour au texte

9 Par exemple, à la CAA de Lyon, sur 102 arrêts analysés, seuls sept font état d’une atteinte. Retour au texte

10 CE, Ch. réunies, 13 juillet 2012, n° 345970. Retour au texte

11 CE, Ch. réunies, 12 octobre 2018, n° 412104. Retour au texte

12 CAA Lyon, 19 avril 2023, n° 22LY02828 ; 8 juin 2023, n° 20LY03752 ; 8 juin 2023, n° 20LY00238. Retour au texte

13 CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 20LY03752. Retour au texte

14 CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 20LY00238. Retour au texte

15 CAA Lyon, 30 juin 2023, n° 18LY00934. Retour au texte

16 CAA Lyon, 30 janvier 2024, n° 23LY01050 Retour au texte

17 CAA Lyon, 30 juin 2020, n°18LY00934. Retour au texte

18 CAA Bordeaux, 29 octobre 2019, n° 17BX02686. Retour au texte

19 CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 18LY0093 ; CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 18LY00934. Retour au texte

20 Ibid. Retour au texte

21 Ibid. Retour au texte

22 Ibid. Retour au texte

23 Ibid. Retour au texte

24 CAA Lyon, 19 avril 2023, n° 22LY02828 ; CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 20LY03752. Retour au texte

25 Les bâtiments commémoratifs, lieux de mémoire et cimetières militaires sont ainsi particulièrement protégés. V. par exemple : CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 22DA01333. Retour au texte

26 V. par exemple : CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 18LY00931 concernant le refus d’un projet qui aurait été visible depuis de nombreuses crêtes et espaces sommitaux du massif cantalien, notamment depuis le Puy Mary et le Plomb du Cantal. Retour au texte

27 CAA Lyon, 27 avril 2023, n° 21LY03411. Retour au texte

28 CAA Lyon, 20 octobre 2022, n° 21LY00571. Retour au texte

29 CAA Lyon, 9 mars 2023, n° 20LY01359. Retour au texte

30 CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 22DA01333. Retour au texte

31 CAA Lyon, 28 juillet 2023,n° 22LY03167. Retour au texte

32 CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 22DA01333. Retour au texte

33 CAA Douai, 8 décembre2022, n° 21DA00685. Retour au texte

34 CAA Bordeaux, 19 mai 2020, n° 18BX01098. Retour au texte

35 CAA Lyon, 20 octobre 2020, n° 17LY01739. Retour au texte

36 CE, Ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 455658. Retour au texte

37 CAA Lyon, 9 mars 2023, n° 20LY01359. Retour au texte

38 CAA Bordeaux, 27 juin 2023, n° 22BX01868. Retour au texte

39 CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n° 18BX00240. Retour au texte

40 V. par exemple : CAA Lyon, 17 novembre 2020, n° 18LY02220 ; CAA Lyon, 16 décembre 2021, n° 19LY03612 ; CAA Douai, Formation à 3, 15 février 2018, n° 15DA01903. Retour au texte

41 CAA Douai, Formation à 3, 15 février 2018, n° 15DA01903. Retour au texte

42 CAA Lyon, 18 novembre 2021, n° 19LY04659. Retour au texte

43 V. par exemple : CAA Douai, 6 avril 2023, n° 22DA01608 ; CAA Douai, 27 avril 2023, n° 21DA02893 ; CAA Douai, 5 octobre 2023, n° 22DA01417 ; CAA Douai, 19 octobre 2023, n° 22DA01488. Retour au texte

44 CAA Douai, 5 janvier 2023, n° 21DA02616 ; CAA Douai, 9 mars 2023, n° 21DA00667. Retour au texte

45 CE, Ch. jugeant seule, 13 mars 2020, n° 414032. Retour au texte

46 CAA Douai, 24 février 2020, n° 18DA02221. Retour au texte

47 CAA Douai, 15 octobre 2019, n° 18DA00243. Retour au texte

48 CAA Bordeaux, 27 juin 2023, n° 22BX01868. Retour au texte

49 CAA Douai, 8 décembre 2022, n° 21DA00685. Retour au texte

50 CAA Lyon, 27 avril 2023, n°21LY03411. Retour au texte

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Référence électronique

Les étudiants du M2 Droit public fondamental, « Chapitre 2. La protection des sites et monuments par le juge administratif », revue Alyoda [En ligne], HS3 | 2024, mis en ligne le 06 mars 2025, consulté le 27 juillet 2025. URL : https://alyoda.eu/index.php?id=9748

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Les étudiants du M2 Droit public fondamental

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Caroline Chamard-Heim

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