Telle est la question de principe qui vous est posée, d’une part, par la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et, d’autre part, par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Cet établissement public a en effet décidé, dans le cadre des missions qui lui sont confiées par le code de l’environnement, de refuser de faire droit aux demandes d’attribution de subvention d’opérations visant à réaliser des économies d’énergie ou de matières premières ou à développer l’utilisation d’une source d’énergie renouvelable, dès lors que ces demandes sont présentées par des établissements ayant une activité essentiellement cultuelle. L’ADEME estime en effet que l’octroi d’une aide à de tels établissements serait contraire aux dispositions de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, aux termes desquelles : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte".
Votre décision est d’autant plus attendue que deux des tribunaux administratifs du ressort de votre cour ont adopté des positions radicalement opposées :
- La Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval a contesté devant le juge administratif les décisions de l’ADEME et de la région Bourgogne lui refusant l’octroi d’une subvention en vue de la réalisation d’une étude de faisabilité de son projet d’installation d’une chaufferie-bois dans les locaux de l’abbaye ; elle relève appel des jugements en date du 11 décembre 2008, par lesquels le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses requêtes.
- Sur requête de la Chartreuse de Portes, le tribunal administratif de Lyon a, par jugement du 26 mars 2009, annulé la décision en date du 9 novembre 2006 par laquelle l’ADEME a refusé d’allouer à cet établissement de la congrégation de l’ordre des Chartreux une subvention en vue de la mise en place d’une chaudière automatique à bois déchiqueté. C’est le jugement dont l’ADEME relève appel.
Les requêtes d’appel étant parfaitement symétriques dans leur présentation, nous vous proposons nos conclusions communes à ces trois affaires, sans distinction des moyens invoqués, ni de l’examen de la recevabilité des requêtes ou de la régularité des jugements attaqués, qui ne sont pas discutés et ne posent aucune difficulté particulière.
S’agissant du fond, la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval, d’une part, et la Chartreuse de Portes, d’autre part, soutiennent tout d’abord, certes du bout de la plume pour la première, qu’une congrégation relève du Titre III de la loi du 1er juillet 1901 et non de la loi du 9 décembre 1905.
Saisi d’un contentieux portant sur les conditions de rémunération des membres d’une congrégation, le Conseil d’Etat a accepté d’examiner le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 (CE 27 juillet 2001 n° 215550, syndicat national pénitentiaire Force ouvrière – direction et autres ») .Voir également l’arrêt de votre cour du 24 mai 2006 n° 02LY00404 « M. C. ».
Venons-en, ensuite, à l’argument tiré de ce que les refus de subvention opposés à la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et à la Chartreuse de Portes seraient constitutifs d’une discrimination fondée sur les convictions religieuses des membres de ces congrégations, discrimination illégale, car inconstitutionnelle et contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Les décisions de l’ADEME portant refus de subvention porteraient une atteinte illégale à la liberté religieuse telle qu’elle est notamment garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dans son article 14, seul ou combiné avec les articles 9 et 1er du 1er protocole additionnel.
Rappelons que l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution dispose que : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi".
L'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit quant à lui à son paragraphe 1 que : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique [...] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites."
Il précise à son paragraphe 2 que "La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d'autrui", l’article 14 de la même convention garantissant la jouissance des droits et libertés, sans distinction fondée notamment sur la religion. Nous vous épargnerons le rappel de la lettre de l’article 1er du 1er protocole additionnel, dont l’invocation est seulement justifiée par le caractère patrimonial qui peut s’attacher à une décision de nature pécuniaire telle une subvention et aux conséquences du refus.
Si la Cour européenne des droits de l’Homme adopte une lecture extensive des stipulations de l’article 9, elle distingue néanmoins entre les différentes composantes de la liberté religieuse : la liberté de croyance est absolue et constitue, selon les juges de Strasbourg, le fondement d’une société démocratique et pluraliste (par exemple CEDH 25 mai 1993 « K.c/ Grèce ») ; la liberté de manifester sa religion peut être aménagée et encadrée dans la stricte mesure nécessaire aux exigences de la vie en société et en particulier à la préservation de l’ordre public (par exemple CEDH 26 septembre 1996 « M. c/ Grèce »), mais aussi la protection des droits et libertés d’autrui.
Alors qu’est mis en doute le respect, par des décisions fondées sur l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, des principes ainsi consacrés, il ne faut pas oublier l’article 1er de cette loi, qui dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». L’article 2, ici en cause, déroge lui-même à l’interdiction de financement des cultes qu’il édicte en prévoyant que « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » : l’article 2 assure ainsi la liberté religieuse à certaines catégories de personnes, limitant le champ des restrictions qu’il impose.
Cet article 2 de la loi de 1905 est l’expression du principe de neutralité de l’Etat et des collectivités publiques, l’interdiction de ne subventionner aucun culte leur assurant par la même à tous l’égalité juridique. Les restrictions ainsi prévues par l’article 2, qui visent à garantir la laïcité et à assurer la neutralité de l’Etat et des collectivités publiques, ne sont pas disproportionnées au regard de cet objectif.
Il a ainsi été jugé « qu’il ne ressort pas des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 (dans ses articles 1 et 2), qui rappellent d'ailleurs le principe de liberté des cultes, qu'elles seraient incompatibles avec la convention européenne des droits de l'homme » (CAA Marseille 21 décembre 2007 n° 06MA03165, commune de Montpellier ») .
Les décisions portant refus de subvention n’ont quant à elles ni pour objet, ni pour effet de remettre en cause les convictions religieuses des membres des congrégations concernées et ne les empêchent pas de manifester ces convictions dans des conditions librement déterminées, de sorte qu’elles ne portent donc aucune atteinte à la liberté religieuse telle qu’elle est garantie en droit interne comme en droit international. Il ne pourrait éventuellement en aller autrement que si la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et la Chartreuse de Portes établissaient que les refus de subvention compromettent gravement leur situation financière et menacent leur pérennité, ce qui n’est pas même soutenu en l’espèce.
La rupture du principe d’égalité est également invoquée, au motif que des subventions de même nature ont été accordées à d’autres congrégations ; plusieurs documents sont versés au dossier pour étayer cette affirmation. Si vous deviez consacrer la légalité des refus de subventions litigieux fondés sur l’interdiction générale de subventionner les cultes, posée par l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et la Chartreuse de Portes ne pourraient utilement se prévaloir de ce que d’autres congrégations ont bénéficié illégalement de décisions plus favorables.
Il reste à examiner la question la plus délicate, selon nous, puisqu’elle concerne le sens et la portée de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
Vous pourrez tout d’abord, pour ce qui concerne les décisions de l’ADEME, vous interroger comme nous l’avons fait sur l’articulation entre les dispositions de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 et les dispositions législatives du code de l’environnement constituant le fondement juridique des subventions en litige, au regard du principe selon lequel « la loi spéciale postérieure prime sur la loi générale à laquelle elle déroge ».
En vertu de ce principe, qui est une des modalités de résolution d’un conflit de normes juridiques dans le temps, les dispositions législatives du code de l’environnement trouveraient à s’appliquer comme dérogeant à la loi générale plus ancienne, sans qu’il soit besoin d’interpréter celle-ci, comme vous y invitent les parties.
Il ne fait pas de difficulté de qualifier de « loi générale » au sens de ce principe, l’interdiction de subventionnement des cultes posé par l’article 2 de la loi de 1905. Il nous semble plus délicat de déterminer la notion de « loi spéciale » et, après réflexion, nous pensons que les dispositions législatives du code de l’environnement susceptibles de primer sur celles de l’article 2 de la loi de 1905 ne constituent pas une telle « loi spéciale ».
Ces dispositions sont les suivantes : l’article L. 131-3 II du code de l’ environnement prévoit d’une part que : "L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie exerce des actions, notamment d’orientation et d’animation de la recherche, de prestations de services, d’information et d’incitation dans chacun des domaines suivants : 1° La prévention et la lutte contre la pollution de l’air (…) 4° La réalisation d’économies d’énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables" ; l’article L. 131-6 du même code prévoit d’autre part que : "L’agence peut attribuer des subventions et consentir des avances remboursables" .
Le principe selon lequel « la loi spéciale prime sur la loi générale plus ancienne » est issu du droit civil, mais est également appliqué par le juge administratif, même si les exemples ne sont guère nombreux.
Il nous semble, en l’espèce, que la qualification de « loi spéciale »des dispositions précitées du code de l’environnement se heurte à la circonstance que ces dispositions interviennent dans une matière qui n’est pas celle de la loi de 1905 et qu’elles ne sauraient être regardées comme dérogeant à l’article 2 de la loi de 1905, sauf à considérer que tout dispositif de subventionnement ou de participation financière mis en place par des dispositions législatives plus récentes devra être considéré comme une loi spéciale dérogeant à la loi générale plus ancienne. Le problème de l’articulation des deux lois en cause se pose eu égard aux personnes concernées par leurs dispositions, or le dispositif législatif prévu dans le code de l’environnement est précisément général et non spécial par les bénéficiaires qu’il vise.
Un seul exemple devrait vous convaincre de ce que l’application du principe en cause suppose une intervention des lois en conflit dans un même domaine, il s’agit de l’exemple des règles applicables à la communication des documents administratifs. Le législateur est intervenu par deux fois, en 2005 puis en 2009, pour préciser les relations entre la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, et l’obligation de communication de certains documents au titre du code général des collectivités territoriales. Les dispositions législatives de ce code étaient plus larges dans le contenu des documents concernés, mais plus restrictif quant au nombre des bénéficiaires du droit d’accès et à ses modalités de mise en œuvre, mais elles intervenaient dans le même domaine. La question de l’articulation de telles dispositions spéciales avec la loi générale de 1978 s’est encore posée récemment pour l’application de l’article 2121-26 du code général des collectivités territoriales (voir les conclusions du rapporteur public, Julien Boucher sous l’arrêt duCE du 10 mars 2010 n° 303814, commune de Sète.
Ce n’est donc pas dans l’application du principe selon lequel « la loi spéciale postérieure prime sur la loi générale à laquelle elle déroge », que les litiges qui vous sont aujourd’hui soumis trouveront leur solution.
La Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et la Chartreuse de Portes affirment ensuite que si l’article 2 de la loi de 1905 interdit de subventionner les cultes, ses dispositions n’interdisent pas, par principe, tout versement de fonds et, en particulier, ne font pas obstacle au versement d’une subvention lorsque celle-ci a pour objet la réalisation d’un projet d’intérêt général, détachable de l’exercice du culte.
S’il est acquis que le principe de séparation entre l’Etat et les cultes n’exclut pas les concours financiers, les exceptions à l’article 2 de la loi de 1905 sont limitativement et expressément prévues par la loi de 1905 elle-même (par exemple pour les services d’aumôneries ou la prise en charge par les collectivités publiques des charges d’entretien et de conservation des édifices cultuels leur appartenant, classés ou non MH).
La question qui vous est posée aujourd’hui est toute autre, puisqu’il vous est demandé de procéder à une lecture constructive de la loi de 1905, par la prise en compte de l’intérêt général de l’objet de la subvention, lecture vers laquelle la jurisprudence aurait, vous dit-on, déjà évolué. Cette lecture constructive suppose de faire prévaloir le critère matériel de la destination de la subvention sur le critère organique du destinataire des fonds.
Il s’agit du raisonnement adopté par le tribunal administratif de Lyon dans le jugement attaqué du 26 mars 2009, les premiers juges ayant considéré que le principe posé par l’article 2 « ne fait pas obstacle à ce que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie verse, conformément à sa mission, à un établissement ayant une activité essentiellement cultuelle une aide dont l’objet est de contribuer à la réalisation d’une opération qui présente un caractère d’intérêt général et non de subventionner l’exercice du culte ».
L’appréciation de l’intérêt général du projet qui fait l’objet de la subvention ne vous retiendra guère : l’intérêt général des missions poursuivies par l’ADEME n’est pas discuté et ne fait pas de doute, en particulier, l’intérêt général des mécanismes incitatifs mis en place pour favoriser la prévention et la lutte contre la pollution de l’air, ou la réalisation d’économies d’énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables. Nul besoin de s’attarder, donc, sur l’objectif d’intérêt général, auquel il est évident que doivent répondre les subventions publiques.
Le principe d’interdiction de financement posé par l’article 2 de la loi de 1905 est également imparable si la subvention vise directement l’exercice du culte (voir CAA Nancy 5 juin 2003 n°99NC01589 « commune de Montaulin », pour l’illégalité de la prise en charge par la commune des dépenses d’électricité générées par l’usage de l’église en vue de l’exercice du culte).
Qu’en est-il en l’espèce ?
Dans son jugement attaqué du 9 décembre 2008, le tribunal administratif de Dijon rappelle qu’aux termes de l’article 1er de ses statuts, la communauté des Bénédictins de Saint Joseph de Clairval s’assigne pour but, « selon la règle de Saint-Benoît précisée par ses Constitutions et sous la vigilance de l’évêque de Dijon, de vaquer à la prière liturgique et à l’oraison, d’accueillir les hôtes pour les retraites spirituelles et de pourvoir à la subsistance de ses membres par le produit de son travail » : les premiers juges en déduisent que ce groupement poursuit ainsi, au moins en partie, des activités cultuelles.
Compte tenu du raisonnement adopté, le tribunal administratif de Lyon n’a quant à lui pas eu à se prononcer sur cette question s’agissant de la Chartreuse de Portes.
Aux termes de ses statuts, l’ordre des Chartreux, congrégation dont relève la Chartreuse de Portes, « a pour but d’assurer la continuation, dans le travail, la méditation et la prière, de l’œuvre fondée en 1084 par Saint Bruno (…), le Chartreux devant se consacrer dans la solitude et le silence à une vie de prière et de pénitence ».
Dans leurs écrits, l’ADEME et la Région Bourgogne mettent en avant l’objet exclusivement cultuel des congrégations concernées, tel qu’il résulte de leurs statuts, mais le jugement du Tribunal administratif de Dijon vise non pas l’objet, mais les activités de la communauté des Bénédictins de Saint Joseph de Clairval, qui peuvent être pour parties non cultuelles. Il en va de même pour la Chartreuse de Portes.
Il n’est pas contesté par l’ADEME que les équipements faisant l’objet des subventions litigieuses n’étaient pas destinés au chauffage du lieu de culte lui-même, mais à celui des bâtiments destinés à l’hébergement des moines et des hôtes de passage, ainsi qu’aux locaux affectés au travail. Les documents relatifs aux demandes de subvention mentionnent, sans plus de précision, des équipements destinés à chauffer « différents bâtiments ».
La jurisprudence définit l’exercice d’un culte comme « la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques » (voir par exemple CE 4 février 2008 n°293016, association de l’Eglise Néo apostolique de France » ou l’avis CE, Assemblée du 24 octobre 1997 n°187122 association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom ) .
Il a été jugé, à l’occasion d’un litige fiscal, que des locaux affectés pour les uns à l’accueil, la surveillance et la formation religieuse des enfants pendant les offices, et pour d’autres à usage de secrétariat, bibliothèque, réunions et bureaux des pasteurs, ne peuvent être regardés comme étant affectés à l’exercice du culte (CAA Bordeaux 14 octobre 2004 n°01BX00317 association Assemblées de Dieu de la Gironde à rapprocher d’un arrêt de votre Cour du 12 juin 2003 n°98LY01345, association Centre Evangélique retenant l’affectation de l’ensemble d’un bâtiment à l’exercice du culte en constatant qu’une salle est utilisée pour les offices religieux destinés aux adultes et que d’autres locaux sont utilisés, notamment durant les offices, pour l’accueil des enfants et l’organisation de cérémonies religieuses à leur intention) .
Compte tenu des éléments dont vous disposez, vous pourriez donc admettre que l’objet de la subvention n’est pas directement et exclusivement destiné à l’exercice du culte. Il en constitue toutefois un accessoire certain et n’y est pas totalement étranger, compte tenu de la fréquentation des bâtiments par les moines et les hôtes venus en retraite.
Faut-il alors, comme le soutiennent les congrégations concernées, distinguer, alors que leur objet est cultuel sinon exclusivement du moins pour partie, selon que les activités visées par le financement sont, au cas par cas, directement liées à l’exercice du culte ?
Nous ne le pensons pas.
La communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et la Chartreuse de Portes vous demandent de relativiser la portée de la décision rendue par le Conseil d’Etat dans l’affaire « Commune de Saint-Louis de la Réunion c/ Association Siva Soupramanien de Saint-Louis », en faisant notamment valoir son ancienneté et le contexte particulier de l’affaire, mais cet arrêt de Section du 9 octobre 1992 n’a pas été véritablement remis en cause et les principes qu’il dégage nous paraissent, au contraire, toujours et pleinement applicables. Comme le fait valoir le commissaire du gouvernement dans l’arrêt – sur lequel nous reviendrons - rendu par votre Cour en formation plénière voir CAA Lyon le 26 juin 2007, fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône et autres les raisons qui sous-tendent le raisonnement du Conseil d’Etat dans cette affaire sont suffisamment fortes pour qu’elles ne puissent être remises en cause.
Ces raisons sont largement exposées et détaillées dans les conclusions de Frédéric Scanvic sous l’arrêt de 1992 :
- l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 a une portée générale et conduit à une interprétation restrictive des dérogations qu’elle comporte à l’interdiction de verser des subventions ;
- au plan pratique, il serait difficile d’assurer, au-delà d’un versement de fonds très ciblé comme en l’espèce, le contrôle de l’utilisation des subventions ;
- une subvention, même affectée à une activité non cultuelle, permet indirectement de dégager une ressource pour l’exercice du culte.
La formation plénière de votre cour a rendu son arrêt du 26 juin 2007 sur conclusions contraires du commissaire du gouvernement. Comme le rappelle l’ADEME, cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
En attendant son issue, et alors que la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et à la Chartreuse de Portes s’en prévalent, nous pensons que la solution retenue par votre Cour pour la participation de la ville de Lyon au financement de l’aménagement de la basilique de Fourvière en faveur de l’accessibilité des personnes à mobilité réduite n’est, en tout état de cause, pas transposable au cas d’espèce : la fréquentation de la basilique, à des fins touristiques, par des personnes extérieures au culte à en effet été déterminante dans cette solution.
D’autres arrêts cités par la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et à la Chartreuse de Portes ne nous paraissent pas davantage de nature à remettre en cause l’arrêt « Siva Soupramanien de Saint-Louis » de 1992.
Ainsi, dans l’affaire à l’origine de l’arrêt précité du CE du 27 juillet 2001 n° 0215550 syndicat national pénitentiaire Force ouvrière – Direction et autres , c’est l’activité même exercée par les membres de la congrégation pour les besoins du service public pénitentiaire qui présentait un caractère d’intérêt général : dans notre espèce, ce n’est pas l’activité des membres de la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et de la Chartreuse de Portes qui participe aux objectifs poursuivis par l’ADEME et définis dans le code de l’environnement. Cette jurisprudence de 2001 n’est donc pas transposable.
De même, lorsque est invoqué l’arrêt commune de Soultz , rendu par la CAA de Nancy le 6 mars 2008 sous le n°07NC00083, qui se fonde sur l’objectif confessionnel essentiellement poursuivi par les organisateurs d’un pèlerinage pour dénier l’intérêt général de la commune ayant décidé le versement d’une subvention, cette décision ne peut faire l’objet de l’a contrario que veulent vous faire admettre les congrégations concernées.
Dans votre arrêt du 21 avril 2009, association communauté Sant’Egidio France, également cité, vous avez pris soin de relever que « l'objet statutaire de l'association n'est pas cultuel » et de préciser que les circonstances que cette association est d'obédience catholique, et est liée à une association étrangère qui présenterait un caractère cultuel, ou que ses membres se réuniraient, entre eux, pour prier, n'établissent pas qu'elle aurait des activités cultuelles » : situation là encore différente de celles de la communauté des Bénédictions de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et de la Chartreuse de Portes, dont les activités sont au moins partiellement cultuelles, ainsi que leur objet statutaire.
Compte tenu de ce qui précède, nous vous proposons donc de considérer que l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 doit être lu comme visant la structure d’accueil et non l’objet du financement en cause, sans distinction, sans découpage, des activités du demandeur selon leur nature cultuelle ou non.
Les congrégations concernées font valoir l’évolution du contexte historique et la nécessité de faire évoluer la loi du 9 décembre 1905 : cette loi a contribué, avec d’autres dispositions, à la mise en place d’un équilibre qui a permis d’apaiser les tensions dans la société française. L’évolution du contexte et des mentalités est incontestable, mais des débats récents relatifs à d’autres problématiques que celle du financement des cultes témoignent du caractère toujours sensible des questions touchant à la laïcité. C’est au législateur qu’il appartient d’assouplir le régime applicable pour apporter à la loi de 1905 et, en particulier à son article 2, les aménagements éventuellement nécessaires. C’est ce que suggère d’ailleurs le rapport de la commission Machelon sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, remis au gouvernement en septembre 2006.
Si vous nous suivez, vous considérerez que, sur le fondement de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, l’ADEME ne pouvait faire droit aux demandes de subvention présentées par la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval et à la Chartreuse de Portes sur le fondement des dispositions des articles l’article L. 131-3 et suivants du code de l’environnement.
Vous confirmerez alors le raisonnement du tribunal administratif de Dijon et rejetterez les deux requêtes de la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval.
Vous infirmerez, en revanche, le jugement rendu le 26 mars 2009 par le tribunal administratif de Lyon et, par l’effet dévolutif de l’appel, vous aurez alors à examiner les moyens invoqués par la Chartreuse de Portes.
Nous ne reviendrons pas sur les moyens déjà examinés tirés de ce que la Chartreuse de Portes ne relèverait pas de la loi du 9 décembre 1905, de la violation de la méconnaissance des principes constitutionnels et de ceux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés individuelles, et de la rupture d’égalité.
Vous écarterez sans difficulté le moyen tiré de ce que la décision litigieuse du 9 novembre 2006 est entachée de détournement de procédure au motif que la subvention a été refusée en considération de la personne, dès lors que la loi de 1905 vise, précisément, une catégorie de bénéficiaires potentiels, qu’elle exclut de l’octroi des financements publics.
Enfin, vous écarterez comme manquant en fait le moyen tiré de ce que la décision du 9 novembre 2006 par laquelle l’ADEME a refusé d’allouer à la Chartreuse de Portes une subvention en vue de la mise en place d’une chaudière automatique à bois déchiqueté, serait insuffisamment motivée.
Par ces motifs, nous concluons au rejet des requêtes n° 09LY00186 et s. présentées par la Communauté des Bénédictins de l’abbaye Saint Joseph de Clairval, à l’annulation du jugement du TA de Lyon du 26 mars 2009 et au rejet des conclusions de la Chartreuse de Portes dirigées contre la décision de l’ADEME du 9 novembre 2006.