Licenciement : obligation pour l’employeur de chercher à reclasser un directeur général des services

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 17LY04277 – commune de Montmerle-sur-Saône – 03 décembre 2019 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 17LY04277

Numéro Légifrance : CETATEXT000039474788

Date de la décision : 03 décembre 2019

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Licenciement, Obligation de reclassement, Directeur général des services, DGS, Principe général du droit

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Est étendue aux directeurs généraux des services (DGS), l’obligation de recherche de reclassement avant de licencier un fonctionnaire en CDD occupant des fonctions de DGS.

En l’espèce, le directeur général des services a été recruté par contrat, pour trois ans, mais licencié 8 mois plus tard en raison du recrutement, « d’un fonctionnaire chargé des mêmes fonctions ».

Le législateur a entendu que les emplois civils permanents de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à caractère administratif soient en principe occupés par des fonctionnaires et n’a permis le recrutement d’agents contractuels qu’à titre dérogatoire et subsidiaire, dans les cas particuliers énumérés par la loi, par des contrats à durée déterminée ou indéterminée. Il en résulte qu’un agent contractuel ne peut tenir de son contrat le droit de conserver l’emploi pour lequel il a été recruté et que, lorsque l’autorité administrative entend affecter un fonctionnaire sur cet emploi ou supprimer celui-ci dans le cadre d’une modification de l’organisation du service, elle peut, pour ce motif, légalement écarter l’agent contractuel de cet emploi.

Il résulte, toutefois, d’un principe général du droit, dont s’inspirent, tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé, que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée, motivé par la suppression, dans le cadre d’une réorganisation du service, de l’emploi permanent qu’il occupait, de chercher à reclasser l’intéressé. Ce principe est également applicable, dans la limite de la durée de leur contrat, aux agents contractuels recrutés en vertu d’un contrat à durée déterminée, dès lors qu’ils occupent un emploi permanent.

Illégalité du licenciement du directeur général des services occupant un emploi permanent, fondé, non sur la perte de confiance, la faute ou l’inaptitude (alors même que l’agent était en arrêt de travail depuis plusieurs mois), mais sur le seul motif de son remplacement par un fonctionnaire, la commune l’ayant recruté ne lui ayant proposé aucune mesure de reclassement et n’ayant cherché aucune solution en ce sens1.

36-13-03, Fonctionnaires et agents publics, Cessation de fonctions, Licenciement, Agents contractuels et temporaires, Obligation pour l’employeur de reclasser, DGS.

Notes

1 Voir CE, CCI de Meurthe et Moselle, 2 octobre 2002 n° 227868, rec. p. 319 (personnel de CCI inaptes) - CE 26 février 2007 ANPE n° 276863 (Contractuels de droit public) - CE, avis, 25 septembre 2013 - n° 365139 (pour un fonctionnaire d’Etat en CDI en cas de suppression d’emploi) - CE 19 mai 2017, n° 397577 (inaptitude médicale personnel des chambres des métiers) -  CE 25 mai 2018, n° 407336- A - CE 26 juin 2015, n° 373460 Retour au texte

Licenciement dans l’intérêt du service et obligation de reclassement du contractuel à durée déterminée

Yannice Bencheikh

Diplômé du Master 2 Droit Public des Affaires Université Jean Moulin-Lyon 3, Chargé d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Chargé d’études juridiques au Cerema

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DOI : 10.35562/alyoda.6566

Depuis le 1er janvier 2016, le droit au reclassement des agents territoriaux contractuels à durée déterminée préalablement à un licenciement motivé par l’intérêt du service a une assise textuelle (article 39-5 du décret n° 88-145 du 15 février 1988) . Cependant, à l’image de cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 3 décembre 2019, les juridictions administratives sont encore amenées à connaître de décisions de licenciement antérieures au 1er janvier 2016, et sont alors contraintes de suppléer le silence des textes alors en vigueur par l’application d’un principe général du droit.

La commune de Montmerle-sur-Saône a recruté, par un contrat prenant effet à compter du 1er mars 2014, un agent non titulaire pour une durée de trois ans afin d’occuper l’emploi de directeur général des services. À partir du 8 avril 2014, cet agent était placé en congé maladie. Cependant, par une décision du 5 janvier 2015, la commune a licencié l’agent, consécutivement à sa décision de pourvoir l’emploi de directeur général des services par un fonctionnaire.

L’agent ainsi évincé a formé un recours pour excès de pouvoir contre la décision du 5 janvier 2015 prononçant son licenciement devant le Tribunal administratif de Lyon. Par un jugement du 18 octobre 2017, le Tribunal a annulé la décision attaquée et a enjoint à la commune de réintégrer le requérant. La commune a néanmoins interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Lyon. Elle soutenait que le licenciement était légal au motif, notamment, qu’aucune obligation de reclassement ne pesait sur elle, puisque l’agent n’était qu’en contrat à durée déterminée. Subsidiairement, elle alléguait que « toute tentative de reclassement était vouée à l'échec ».

Quoique recruté à durée déterminée, un agent contractuel écarté de l’emploi permanent pour lequel il avait été recruté pour des motifs tirés de l’intérêt du service bénéficie-t-il, même dans le silence des textes, d’un droit à reclassement préalablement à toute décision de licenciement ?

C’est sans équivoque que la Cour administrative d’appel de Lyon a répondu positivement à cette question. Faute d’avoir respecté l’obligation de reclassement, découlant d’un principe général du droit, la commune appelante a vu sa requête rejetée et, par conséquent, l’annulation de la décision du 5 janvier 2015 comme l’injonction de le réintégrer dans ses effectifs maintenus. Si un agent public recruté sur un contrat à durée déterminée peut légalement être écarté de l’emploi permanent qu’il occupait afin que celui-ci soit pourvu par un fonctionnaire (1.), le licenciement consécutif à cette éviction ne saurait être prononcé qu’après avoir dûment tenté de reclasser l’agent (1.).

1. La légalité de la décision écartant l’agent contractuel d’un emploi permanent

La légalité de l’éviction de l’agent contractuel, en cours d’engagement, de l’emploi permanent qu’il occupait, se justifie tant par la préséance des fonctionnaires sur les emplois permanents (A), que par les caractères dérogatoire et subsidiaire du recrutement des agents contractuels (B).

A. L’application rigoureuse du principe réservant les emplois permanents aux fonctionnaires

« Les emplois civils permanents de l'État, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont […] occupés […] par des fonctionnaires » (article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) . Sur ce fondement, l’arrêt déduit que « le législateur a entendu que les emplois civils permanents de l'État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à caractère administratif soient en principe occupés par des fonctionnaires » (§. 2) . Cette affirmation est toujours d’actualité, exception faite des emplois des établissements publics administratifs de l’État pour lesquels le législateur a mis fin à la préséance des fonctionnaires (article 18 I de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique) . Par conséquent, il est possible d’évincer un agent contractuel recruté pour une durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI) d’un emploi devant normalement être pourvu par un fonctionnaire (C.E., Avis, 25 septembre 2013, S., n° 365139, Lebon p. 233, §. 2) .

L’application stricte du principe découle non seulement de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 précité, mais également d’autres dispositions statutaires. En effet, la nomination à un emploi permanent est un élément de définition du fonctionnaire (article 2 de la loi du 26 janvier 1984 s’agissant de la fonction publique territoriale) . Fonctionnaire et emploi permanent sont ainsi deux notions consubstantielles. De plus, l’article 41 de la loi du 26 janvier 1984 énonce que « lorsqu'un emploi permanent est créé ou devient vacant […] l'autorité territoriale pourvoit l'emploi créé ou vacant en nommant l'un des candidats inscrits sur une liste d'aptitude établie en application de l'article 44 ou l'un des fonctionnaires qui s'est déclaré candidat ». Ces dispositions illustrent à quel point le principe selon lequel les emplois permanents de l’administration doivent être pourvus par des fonctionnaires innerve le statut de la fonction publique.

Par ailleurs, la circonstance que l’emploi en question serait un emploi fonctionnel est, en elle-même, sans incidence sur l’issue du litige. Dans la fonction publique territoriale, les emplois fonctionnels se définissent comme des « emplois de direction des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, pour la gestion desquels il importe de laisser aux autorités locales une marge de manœuvre plus importante » (François Beraud, « Emplois fonctionnels dans la fonction publique territoriale », JCl. Collectivités territoriales, Fasc. n° 813). Le poste de directeur général des services d’une commune de plus de 2 000 habitants, telle que la commune de Montmerle-sur-Saône, appartient à la catégorie des emplois fonctionnels énumérés à l’article 53 de la loi du 26 janvier 1984. Cependant, l’article 47 de la loi du 26 janvier 1984, complété par un décret n° 88-545 du 6 mai 1988, ne permet le recrutement direct du directeur général des services que dans les seules communes de plus de 80 000 habitants. Dans ces communes, le recrutement direct y est expressément permis par l’article 47 sans qu’il ne soit subordonné à l’infructuosité du recrutement d’un fonctionnaire. En deçà de ce seuil de population, un emploi fonctionnel ne peut, en principe, être pourvu que par un fonctionnaire (CAA Nancy, 16 octobre 2014, n° 13NC01990, §. 6) . La pertinence de la reprise in extenso dans le deuxième considérant de l’arrêt de la CAA Lyon, de l’avis S. (CE, Avis, 25 septembre 2013, n° 0365139, préc.) aurait pu se poser si la commune appelante avait plus de 80 000 habitants. La Cour aurait alors pu apprécier différemment la légalité de l’éviction, au profit d’un fonctionnaire, de l’emploi fonctionnel en cours de contrat. Aucune jurisprudence ne s’est a priori prononcée en pareil cas, mais il est parfaitement envisageable de considérer qu’en vertu d’une logique de lex specialis, l’article 47 concurrencerait l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 à telle enseigne qu’il neutraliserait, pour les emplois fonctionnels qu’il liste, la préséance des fonctionnaires sur ces emplois, fussent-ils permanents. À propos de la durée du contrat, le Conseil d’État a pu considérer que cet article 47 n’est pas subordonné à l’article 3-4 de la loi du 26 janvier 1984 encadrant les hypothèses où le recrutement d’un contractuel est à durée indéterminée (CE, 30 septembre 2015, communauté d’agglomération Côte Basque-Adour, n° 375730, Lebon T. p. 720, §. 3) . Cela accrédite la thèse de la primauté de l’article 47 sur les autres dispositions statutaires concurrentes en cas de conflit horizontal de normes. Toutefois, cet article 47 est libellé comme une dérogation à l’article 41 précité ; cette réserve pourrait être interprétée comme préservant, même pour les emplois fonctionnels qu’il énumère, la priorité des fonctionnaires sur ces emplois, sans qu’il ne faille sur ce point rechercher une singularité par rapport aux autres hypothèses de recours aux agents contractuels.

B. L’application rigoureuse des caractères dérogatoire et subsidiaire du recours aux agents contractuels

« Le législateur […] n'a permis le recrutement d'agents contractuels qu'à titre dérogatoire et subsidiaire, dans les cas particuliers énumérés par la loi, par des contrats à durée déterminée ou indéterminée ». Ce deuxième temps de la première phrase du deuxième considérant, est encore une reprise de l’avis S. (C.E., avis, 25 septembre 2013, n° 365139, préc.).

Le fondement sur lequel l’agent non titulaire a été recruté n’est pas précisé. Cependant, il ressort des faits rappelés au considérant premier qu’il a été recruté pour une durée de trois ans afin d’occuper un emploi dont les attributions relèvent du cadre d’emplois des attachés territoriaux. En effet, selon l’article 2 alinéa 2 du décret n° 087-1099 du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux, ces derniers peuvent « occuper les emplois administratifs de direction des collectivités territoriales […] dans les conditions prévues par les articles 6 et 7 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987 ». L’article 7 dudit décret énonce que « seuls les fonctionnaires de catégorie A peuvent être détachés dans un emploi de […] Directeur général des services d'une commune de 2 000 à 40 000 habitants ». La commune appelante avait, semble-t-il, entendu recruter cet agent sur le fondement du 2° de l’article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 autorisant le recrutement d’un contractuel sur un emploi permanent « du niveau de la catégorie A lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu'aucun fonctionnaire n'ait pu être recruté ». La durée maximale autorisée d’un contrat conclu pour ce motif est de trois ans, soit exactement la durée prévue en l’espèce.

Le caractère dérogatoire du cas de recours aux agents contractuels est directement tiré de l’article 3-3 qui envisage les cas de recours qu’il énumère comme « dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 083-634 du 13 juillet 1983 ». Ce caractère dérogatoire justifie le contrôle normal exercé par le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours contre le contrat de recrutement conclu pour ce motif, tant lors du recrutement initial (CE, 30 octobre 1996, département de l’Essonne, n° 137265, inédit) que de son renouvellement (C.A.A. Marseille, 11 décembre 2001, n° 98MA00718) . La précarité de l’agent non titulaire sur son emploi tient également au caractère subsidiaire de son recrutement. Contrairement au terme « dérogatoire », le terme « subsidiaire » revêt une origine davantage prétorienne ; cette dimension du recours au contrat n’apparaît explicitement dans aucune disposition statutaire. Elle menace la pérennité de l’agent contractuel sur l’emploi permanent qu’il occupe, y compris en cours d’exécution de son engagement, et non uniquement à l’issue de celui-ci.

L’article 39-3, 3° du décret n° 88-145 du 15 février 1988 énonce désormais que le licenciement d’un agent contractuel peut être motivé par « le recrutement d'un fonctionnaire lorsqu'il s'agit de pourvoir un emploi soumis à la règle énoncée à l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 », c’est-à-dire un emploi permanent. Si ces dispositions, insérées dans le décret du 15 février 1988 à la faveur du décret n° 2015-1912 du 29 décembre 2015, ne sont entrées vigueur que le 1er janvier 2016, donc postérieurement à la décision attaquée du 5 février 2015, l’état du droit n’était guère différent à la date de cette décision. En effet, le pouvoir réglementaire a simplement consacré la solution dégagée par le Conseil d’État dans son avis S. (CE, avis, 25 septembre 2013, n° 365139, préc.), rendu sur le seul fondement des dispositions statutaires, et que la Cour applique fidèlement en l’espèce.

Avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, il n’était pourtant pas évident d’opter pour une lecture si dynamique de la combinaison de la priorité des fonctionnaires sur les emplois permanents et du caractère dérogatoire du recours au contrat. Elle invite concrètement l’administration à se livrer incessamment à la recherche du fonctionnaire qui évincera le contractuel. Cette jurisprudence marque la position du juge administratif de continuer de déduire des statuts de la fonction publique, la place du contractuel comme supplétif du fonctionnaire. Nonobstant toutes les réformes qui ont étoffé le droit applicable aux contractuels, celles-ci n’ont en effet pas brisé les pierres angulaires de l’entrée dans la fonction publique, que sont le recrutement de fonctionnaires, en principe à la suite d’un concours, pour pourvoir les emplois permanents d’une part, et, de façon corrélative, le recours dérogatoire au contrat d’autre part. Par ailleurs, si les évolutions législatives et réglementaires des années 2000 et 2010 tendent globalement à valoriser le contractuel, le décret n° 2019-1414 du 19 décembre 2019 a récemment entendu encadrer davantage leur procédure de recrutement, lorsqu’elle est engagée en vue de pourvoir des emplois permanents. Ce décret traduit une démarche de lutte contre la banalisation du recours aux contractuels.

Ce supplétif n’est pas pour autant dépourvu de toute garantie. Par une « figure de synthèse hégélienne entre, d'une part, l'affirmation première du caractère dérogatoire et subsidiaire du recours aux contractuels de droit public et, d'autre part, les garanties toujours plus nombreuses qui se sont progressivement attachées à leur quasi-statut » (Aurélie Bretonneau, « La chute et le parachute », AJDA 2013 p. 2199), le juge administratif amortit la chute du contractuel évincé sur son emploi par le parachute du droit au reclassement.

2. L’illégalité du licenciement de l’agent contractuel évincé sans tentative de reclassement

L’illégalité du licenciement de l’agent contractuel écarté sans tentative de reclassement repose sur la violation d’un principe général du droit (A), au respect duquel la collectivité ne pouvait échapper en dépit des divers moyens allégués en défense (B).

A. L’obligation de reclassement, un principe général du droit étendu aux agents titulaires d’un contrat à durée déterminée

L’obligation de reclassement est un principe général du droit fréquemment utilisé à l’endroit des agents non titulaires. Dégagé pour la première fois au bénéfice d’agents non titulaires atteints d’une inaptitude physique à occuper leur emploi (CE, 2 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, n° 227868, Lebon p. 319) , le domaine d’application de ce principe général s’est étendu aux agents évincés de leur emploi au profit d’un fonctionnaire (C.E., Avis, 25 septembre 2013, S., n° 0365139, préc.) ainsi qu’aux agents dont l’emploi est supprimé pour des motifs tirés de l’intérêt du service (CE, 18 décembre 2013, ministre de l’Éducation nationale, n° 366369, Lebon T. p. 643) .

Si l’extension du champ d’application matériel de l’obligation de reclassement aux cas d’éviction du contractuel par un fonctionnaire est acquise, le champ d’application personnel de cette obligation était plus incertain. Avant le 1er janvier 2016, date à laquelle une obligation de reclassement au profit des contractuels en CDD occupant un emploi permanent a été insérée à l’article 39-5 du décret du 15 février 1988, le Conseil d’État n’avait expressément consacré ce principe général du droit qu’au bénéfice de l’agent contractuel en CDI, sans pour autant l’avoir explicitement dénié aux contractuels en CDD. Face au silence de la Haute juridiction administrative, la Cour se devait de rechercher le fondement du droit au reclassement des agents en CDI.

Un premier fondement aurait pu être que le contractuel en CDI bénéficie – notamment par la portabilité de son contrat, ou de la possibilité d’être mis à disposition – d’un embryon de droit à la carrière (D. Jean-Pierre, « Les agents en CDI : du statut à la carrière », JCP-A 2007 p. 2105). Regardé ainsi, le droit au reclassement serait nécessairement un privilège du contractuel en CDI. Cette conception est néanmoins directement démentie par la C.A.A. Lyon, dès lors que l’agent titulaire d’un contrat à durée déterminée se voit reconnaître un tel droit.

Le véritable fondement du droit au reclassement consacré par l’avis S. (CE, Avis, 25 septembre 2013, n° 365139, préc.) est plutôt à rechercher dans l’arrêt C. (CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, Lebon p. 481) . La filiation, malgré l’absence de référence dans les formulations choisies, est patente à la lecture tant de la doctrine (L. Derboulles, « Le régime juridique du CDI de droit public : le point sur le i », AJFP 2014 p. 179) que des conclusions du rapporteur public, M. Damien Botteghi sur l’avis S. (CE, avis, 25 septembre 2013, n° 365139, Lebon p. 233, §. 2) . Par cet arrêt, le Conseil d’État a affirmé que « le contrat de recrutement d'un agent contractuel de droit public crée des droits au profit de celui-ci » et a organisé une procédure de reclassement du contractuel dont le contrat est entaché d’irrégularité, afin de régulariser sa situation. Ce reclassement bénéficie indifféremment au contractuel en CDD ou en CDI. Selon cette conception, le reclassement est un droit que l’agent non titulaire tient de son contrat. Par suite, la transposition de l’avis S. (C.E., Avis, 25 septembre 2013, n° 365139, préc.) aux contractuels à durée déterminée effectuée par la Cour se justifie pleinement, surtout lorsqu’il est précisé que le droit ainsi reconnu leur est applicable « dans la limite de la durée de leur contrat ».

Justifier, par la référence à l’arrêt C. (CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, Lebon p. 481) l’extension aux agents titulaires d’un contrat à durée déterminée, du droit au reclassement, consacré en l’espèce par la C.A.A Lyon, ne peut pourtant se faire sans réserve. Demeure en effet un point troublant : les agents contractuels bénéficient de ce droit « dès lors qu'ils occupent un emploi permanent ». La distinction entre contractuel en CDD et en CDI est écartée au profit d’une autre : celle entre l’emploi permanent et l’emploi temporaire. Pourtant, au sens de l’arrêt C. (CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, Lebon p. 481) , le contrat de recrutement d’un agent contractuel engagé pour pourvoir un emploi temporaire est créateur de droits à son profit, au même titre que celui occupant un emploi permanent. Par ailleurs, il serait paradoxal que le contractuel irrégulièrement engagé pour pourvoir un emploi temporaire soit créancier d’une obligation de reclassement à laquelle le contractuel, quoique régulièrement engagé pour pourvoir ce même emploi, ne pourrait prétendre. Cela dit, la rédaction tautologique du considérant 3 réduit la portée de cette restriction : par nature, seul le contractuel en CDD occupant un emploi permanent peut bénéficier d’un droit à reclassement préalablement au « licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée déterminée motivé par la suppression, dans le cadre d'une réorganisation du service, de l'emploi permanent qu'il occupait ». Au surplus, la maladresse rédactionnelle est double en l’espèce puisque le licenciement de l’agent réside, non pas dans une suppression de son emploi, mais « en raison du recrutement, le jour même, “d'un fonctionnaire chargé des mêmes fonctions” ».

Cette lapalissade se révèle être une reprise in extenso d’une jurisprudence de leurs homologues versaillais (CAA Versailles, 13 mai 2015, n° 14VE01187, §. 3) et marseillais (CAA Marseille, 13 octobre 2017, n° 15MA03132, §. 8) . Cette dernière avait plus largement admis « qu'il appartient à l'employeur de chercher à reclasser dans un autre emploi le salarié dont l'emploi est supprimé […] que ce principe est applicable, en particulier, aux agents contractuels de droit public dans la limite de la durée de leur contrat » (CAA Marseille, 8 décembre 2015, n° 13MA01283, §. 4) . Une telle formulation, faisant abstraction de la distinction entre les emplois permanents et temporaires, laisse ouverte la possibilité d’admettre au contractuel occupant un emploi temporaire un droit au reclassement. Il serait délicat de priver ce dernier de toute garantie alors même, qu’aussi temporaire soit son emploi, il est susceptible de tenir de son contrat un engagement de plus longue durée que celui occupant un emploi permanent, par exemple dans le cadre du CDD dit de projet inséré dans les dispositions statutaires des trois fonctions publiques à la faveur de l’article 17 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

En tout cas, un consensus se dégage entre les cours administratives d’appel sur la question du principe général du droit au reclassement des contractuels à durée déterminée occupant un emploi permanent. La Cour de Lyon est la quatrième cour à se prononcer en ce sens, après, outre les cours de Versailles et Marseille, celle de Paris (12 juillet 2019, n° 18PA00594, §. 7) . Fort classiquement, la Cour a rappelé au considérant 4 que le silence, à la date de la décision litigieuse, du décret du 15 février 1988, est sans influence sur ce principe général du droit applicable, par définition, « même en l'absence de texte » (CE, Ass., 26 octobre 1945, Lebon p. 213) .

B. L’absence de contournement possible de l’obligation de reclassement

La commune appelante n’avait manifestement entrepris aucune démarche de reclassement, lequel doit s’effectuer sur « un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi » (CE, avis, 25 septembre 2013, n° 365139, préc., §. 3) . Afin d’échapper à cette obligation, trois moyens ont été vainement avancés par la commune : l’état de santé de l’agent, le consentement de celui-ci à transiger sur la rupture de son contrat, la possibilité d’un licenciement pour rupture de perte de confiance.

Concernant l’état de santé, bien que l’agent ait été placé de longue date en congé maladie, rien n’établit qu’il était définitivement inapte à l’exercice de ses fonctions. Or, aux termes du dernier alinéa de l’article 13 du décret du 15 février 1988, dans sa version en vigueur au 5 février 2015, seul « l’agent non titulaire définitivement inapte pour raison de santé à reprendre son service à l'issue d'un congé de maladie […] est licencié ». De plus, à supposer même que l’agent se serait révélé définitivement inapte à reprendre son service, un tel licenciement n’aurait pu être prononcé qu’après observation de la procédure de reclassement garantie par le principe général du droit issu de l’arrêt CCI de Meurthe-et-Moselle (CE, 2 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, n° 227868, préc. Pour une application aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale : CE, 6 mars 2013, Région Nord-Pas-de-Calais, n° 364475, inédit, §. 7) . Ce moyen en défense était voué au rejet.

L’arrêt relate par ailleurs des correspondances par courriers des 15 mai et 21 mai 2014 en vue de conclure une « convention transactionnelle de rupture ». La transaction – contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître (article 2044 du Code civil) – est un mode alternatif de règlement des différends admis dans les relations entre l’administration et ses agents, sous réserve de la licéité de l'objet de la transaction, « de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public » (CE, 5 juin 2019, centre Hospitalier de Sedan, n° 412732, au Lebon T., §. 1 et. 2) . Cependant, cette transaction n’a finalement pas été conclue, de telle sorte que la commune appelante ne peut sérieusement se prévaloir de simples pourparlers pour se dispenser d’une obligation de reclassement. L’agent ne pouvait être regardé comme ayant expressément renoncé à ce droit. Surtout, la licéité d’une pareille transaction, quand bien même aurait-elle été conclue, prête à interrogation.

En effet, le titre X du décret du 15 février 1988, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, envisageait deux modes de rupture d’un contrat avant échéance : la démission à l’initiative de l’agent (article 39) et le licenciement à l’initiative de l’administration (article 40) . Cette « convention transactionnelle de rupture », qui rappelle davantage la rupture conventionnelle de l’article L. 1237-11 du Code du travail qu’une authentique transaction, ne correspond à aucun des modes de rupture avant échéance prévue par le décret du 15 février 1988. Or, les dispositions relatives à la rupture du contrat ont un caractère d’ordre public (CE, 1er octobre 2001, commune des Angles, n° 221037, Lebon T. p. 793 : les dispositions du décret du 15 février 1988 « interdisaient qu'il soit mis fin aux fonctions de l'intéressé par voie de transaction ») . La Cour de Lyon elle-même a récemment affirmé, au visa du décret régissant les agents non titulaires de la fonction publique hospitalière, mais parfaitement transposable à la fonction publique territoriale, qu’en raison du caractère d’ordre public des dispositions relatives à la rupture de l’engagement d’un agent contractuel, l’administration « ne saurait s'en écarter en recourant à un mode conventionnel de rupture du contrat de travail » (CAA Lyon, 5 février 2019, n° 17LY00395, §. 2) . Si la rupture conventionnelle a désormais fait son apparition dans la fonction publique à la faveur de l’article 72 de la loi du 6 août 2019, et d’un décret du 31 décembre 2019, elle est réservée aux fonctionnaires et aux contractuels à durée indéterminée. Pour les contractuels à durée déterminée, la jurisprudence antérieure à cette réforme reste d’actualité.

Le troisième et dernier moyen porte sur une spécificité des emplois fonctionnels : le licenciement pour perte de confiance. Ce motif est en effet insusceptible de justifier le licenciement d’un agent contractuel occupant un emploi ordinaire (CE, 6 avril 2001, n° 207685, Lebon T. p. 1024) . En revanche, les agents occupant un emploi de directeur général des services sont potentiellement exposés à ce motif exorbitant de rupture du contrat. La justification apportée par le Conseil d’État, alors amené à contrôler la conventionalité de ce motif de licenciement au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne (CE, 10 février 2014, n° 358992, Lebon T. p. 486, §. 4, à propos des secrétaires généraux des chambres de métiers), repose sur leur haut niveau de responsabilités, le degré important de proximité entretenue avec les élus locaux, et leur participation active dans le bon accomplissement de l’action municipale. Le licenciement peut ainsi être motivé par la seule existence de mésententes entre le directeur général des services et des élus et agents municipaux (CAA Marseille, 18 juin 2019, n° 17MA04421, §. 16 et 17) .

Ce moyen ressemble à une demande de substitution de motifs telle qu’admise en excès de pouvoir par le Conseil d’État depuis 2004 (CE, Sect., 6 février 2004, n° 240560, Lebon p. 48 ; GACA n° 087) . Si l’administration peut solliciter la substitution du motif qui fondait la décision attaquée, il appartient au juge de rechercher si le nouveau motif est de nature à fonder légalement la décision, d’apprécier si l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif, et de s’assurer qu’une telle substitution ne prive pas l’intéressé d’une garantie procédurale liée au motif substitué.

Un arrêt de la CAA de Marseille a écarté la demande de substitution du motif de l’intérêt du service, justifiant initialement un licenciement, au profit de celui de la perte de confiance. Cette substitution de motifs prive en effet l’agent « de la garantie de pouvoir discuter du bien-fondé du licenciement avant que la décision ne soit prise », la préparation de la défense de l’agent avant l’entretien préalable au licenciement dépendant du motif annoncé par l’employeur (CAA Marseille, 17 octobre 2013, Collectivité territoriale de Corse, n° 12MA02041, §. 4) . La portée de cet arrêt peut être transposée au cas d’espèce, si bien qu’à supposer même que la matérialité de la perte de confiance fût établie, elle ne pouvait être utilement invoquée en cours d’instance pour justifier a posteriori une méconnaissance de l’obligation de reclassement qui incombait à la commune appelante.

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