Lorsqu'une société civile de construction vente, justifie d’un intérêt pour agir contre un permis de construire

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 18LY04050 – Société les Glaciers – 05 novembre 2019 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 18LY04050

Date de la décision : 05 novembre 2019

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Article L.600-1-2 du code de l'urbanisme, Intérêt pour agir, Voisin immédiat, Intérêt commercial, Société civile de construction vente

Rubriques

Urbanisme et environnement, Procédure

Résumé

En dépit de la particularité de son objet social une société civile de construction vente (SCCV) justifie, en principe, eu égard à sa situation de voisin immédiat, d’un intérêt pour agir contre un permis de construire lorsqu'elle fait état d'éléments relatifs à la nature, l'importance ou la localisation du projet de construction.1

68-03-025-02-04, Urbanisme, Procédure, Intérêt pour agir, Existence d'un intérêt, Intérêt lié à une qualité particulière, Dispositions spécifiques au contentieux de l'urbanisme, L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, Cas du voisin immédiat, Application à une société civile de construction-vente (SCCV) dont l’objet social est commercial

Notes

1 Rappr. CE, 13 avril 2016 - N° 389798 - A Retour au texte

De l'intérêt à agir d'une société commerciale voisine d'un projet de construction

Jennifer Marchand

Maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne (CMH – EA 4232)

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DOI : 10.35562/alyoda.6564

Une société civile de construction-vente se voit reconnaître un intérêt à agir contre un permis de construire, en sa qualité de voisine immédiate, indépendamment de son intérêt commercial, dès lors qu’elle démontre que le projet contesté est susceptible d’affecter les conditions d’utilisation et de jouissance de son bien.

Depuis une dizaine d’années, le législateur a entrepris de lutter contre la multiplication des recours en matière d’urbanisme, afin de sécuriser les programmes de construction, en réservant la contestation aux personnes les plus directement affectées par un projet. Afin de resserrer l’accès au juge, l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme, créé par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et modifié par la loi n° 02018-1021 du 23 novembre 2018, exige des requérants potentiels qu’ils établissent que l’opération est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’ils détiennent ou occupent régulièrement.

Par arrêté du 25 avril 2017, le maire de Courchevel a délivré à la SARL Les Glaciers un permis de construire valant division pour la construction, après démolition de cinq chalets existants, de 13 constructions abritant 16 logements. La SCCV L’Everest, propriétaire d'appartements édifiés sur les parcelles immédiatement voisines du projet de construction, a demandé au Tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 25 avril 2017. Le Tribunal a fait droit à sa demande par un jugement n° 1703579 en date du 18 septembre 2018. La SARL Les Glaciers a relevé appel du jugement, estimant que c'est à tort que le Tribunal avait admis l’intérêt pour agir de la SCCV L’Everest.

L'arrêt pose notamment la question de l'intérêt à agir d'une société commerciale voisine d'un projet de construction porté par une société concurrente.

En contentieux de l'urbanisme, le requérant ne peut contester un permis de construire que s'il justifie d’un intérêt urbanistique, environnemental ou esthétique (perte d’ensoleillement, perte d’une vue, la perte de la valeur vénale de son bien, risques de pollution sonore, visuelle) . A contrario, il n’est pas possible de se prévaloir d’un intérêt commercial (C.E., Sect., 13 mars 1987, Sté albigeoise de spectacles, n° 55525, Lebon p. 97 ; C.A.A. de Nantes, 24 juillet 2015, n° 14NT00124) ou professionnel (C.E., 5e et 3e sous-sections réunies, 3 juillet 1987, Ministre de l’Urbanisme et du Logement, n° 39287, Lebon T. p. 871) . Il appartient à une société de rapporter d'autres éléments que sa qualité de concurrent pour justifier de la recevabilité de son recours (C.E., 7e et 5e sous-sections réunies, 22 février 2002, Société Quick France, n° 216088, Lebon T. p. 843) . La requête ne sera recevable que s'il est établi que la construction litigieuse est de nature à affecter les conditions d’utilisation, de jouissance ou d’utilisation de son bien (C.E., 1ère et 6e sous-sections réunies, 10 juin 2015, n° 386121, Lebon p 192 ; C.E., 7e chambre, 29 mai 2017, n° 399556, inédit ; C.A.A. Bordeaux, 27 avril 2017, n° 17BX00107) .

En l'espèce, la cour administrative d'appel distingue l'intérêt commercial et concurrentiel – à savoir la revente d’appartements dans le but d’en tirer un bénéfice immédiat – de l'intérêt urbanistique de la société requérante. La cour retient la qualité de voisine immédiate du projet contesté de la SCCV et apprécie son intérêt à agir en rappelant la grille d’analyse posée par le Conseil d’État dans l’arrêt du 10 juin 2016 (C.E., 1ère et 6e chambres réunies, 13 avril 2016, n° 389798, Lebon p. 135) . L'essentiel tient, en premier lieu, dans le caractère contradictoire du débat sur l'existence d'un intérêt à agir qu'il appartient aux parties de nourrir et la charge de la preuve pesant sur le requérant, qui doit verser au dossier tous les éléments de nature à démontrer l'atteinte, telle qu’elle est définie par la loi. En second lieu, se fondant exclusivement sur les éléments versés au dossier, le juge de l'excès de pouvoir doit écarter ceux qu'il juge insuffisamment étayés. En troisième lieu, le juge ne saurait exiger du requérant la preuve du caractère certain des atteintes alléguées. Enfin une fois acquise, la notion de voisin immédiat implique des obligations procédurales allégées au bénéfice du requérant, seules les caractéristiques du projet devant être étayées (C.E., 1ère chambre, 28 novembre 2018, n° 411057, inédit ; C.A.A. Bordeaux, 1ère chambre, 21 février 2019, n° 17BX00315) . En l'espèce, la cour administrative d'appel retient les pertes de valeur vénale et de vue alléguées par la SCCV requérante pour admettre, eu égard à sa situation de voisin immédiat, son intérêt pour agir contre le permis. Je rajouterais ici une phrase pour dire : L’arrêt commenté s’inscrit ainsi dans la lignée de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 13 avril 2016, reconnaissant que le « voisin immédiat » est recevable, en application de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme, à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager si le projet envisagé est de nature à affecter les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

La cour administrative d'appel va néanmoins écarter la plupart des moyens d'annulation retenus par les premiers juges à l'exception de l'insuffisance du projet en matière de collecte des eaux de ruissellement en limite du domaine public et de création du nombre de places de stationnement. La cour fait alors application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme. Le sursis à statuer en cours d'instance à des fins de régularisation constituait auparavant une simple faculté pour le juge administratif, le refus relevant de son appréciation souveraine (C.E., 1ère et 6ème chambres réunies, 6 décembre 2017, Sté Nacarat Saint-Jean, n° 405839, Lebon T. p. 660) . Depuis la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, il s'agit d'une obligation. Dès qu'un vice entraînant l'illégalité du permis de construire est régularisable, le juge administratif est tenu de surseoir à statuer. En l'espèce, les deux vices relevés pouvant être régularisés, la cour sursoit à statuer sur les conclusions à fin d’annulation de la SCCV L’Everest et fixe un délai de trois mois aux fins de justifier d’une mesure de régularisation du permis de construire en litige.

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