Cette affaire concerne les zones de revitalisation rurale (ZRR) et plus précisément la modification de leur régime juridique, introduite par la loi de finances rectificative pour 2015 qui a modifié l’article 1465 A du code général des impôts.
Créées par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, les zones de revitalisation rurale (ZRR) regroupent à l'échelle nationale un ensemble de communes reconnues comme fragiles sur le plan socio-économique. Afin de favoriser le développement de ces territoires ruraux, des aides fiscales et sociales soutiennent la création ou la reprise d'entreprise. Sous réserve de remplir certaines conditions (liées notamment à l’effectif et à la nature de l’activité de l'entreprise), l’entreprise qui s’installe en ZRR bénéficie temporairement d’aides et notamment de diverses exonérations d’impôts (impôt sur les sociétés ; exonération de contribution économique territoriale (CET) : contribution foncière des entreprises (CFE) et contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'habitation ; etc..)
A l’origine pour pouvoir être classée en ZRR, la loi avait prévu des critères concernant la commune elle-même : faible densité démographique et un critère socio démographique. Ces critères ont été révisés une première fois, en 2005, afin d’encourager le développement de l’intercommunalité. Toutefois, l’évolution de l’intercommunalité depuis 2014 a amené le législateur à intervenir à nouveau et à modifier les critères d’éligibilité à la ZRR qui sont définis désormais, non plus au niveau de la commune elle-même, mais au niveau de l’établissement de coopération intercommunal (EPCI) auquel elle appartient. C’est l’objet de la loi (n° 2015-1786) du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 qui a modifié les dispositions de l’article 1645 A du code général des impôts.
Désormais, pour qu’une commune soit classée en ZRR, l’EPCI dont elle est membre doit satisfaire aux conditions suivantes : « 1° Sa densité de population est inférieure ou égale à la densité médiane nationale des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre métropolitains ; / 2° Son revenu fiscal par unité de consommation médian est inférieur ou égal à la médiane des revenus médians par établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre métropolitain. (...). La réforme est entrée en vigueur au 1er juillet 2017 afin de tenir comptes des modifications de périmètres des EPCI entrainés par la mise en application de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi Notre).
Le code général des impôts prévoit que « Le classement des communes en zone de revitalisation rurale est établi par arrêté des ministres chargés du budget et de l’aménagement du territoire. ».
C’est en application de cette loi de finances rectificative que par l’arrêté du 16 mars 2017, le ministre de l’économie et des finances, le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et le secrétaire d’Etat chargé du budget et des comptes publics ont constaté le classement de communes en zone de revitalisation rurale.
En conséquence de cette réforme, certaines communes, qui étaient auparavant classées en ZRR, sortent du dispositif, car elles appartiennent à des EPCI qui ne remplissent pas les critères précités et, en revanche, d’autres communes entrent dans le dispositif alors qu’elles n’étaient pas éligibles auparavant.
C’est le cas dans l’Allier.
Et c’est la raison pour laquelle par cette requête, le Département de l’Allier et la communauté d’agglomération de Montluçon vous demandent l’annulation de cet arrêté ministériel du 16 mars 2017.
La communauté d’agglomération de Moulins s’est portée intervenant volontaire à l’appui des conclusions des deux requérants (mémoire en intervention du 26 octobre 2017)
Au soutien de leur recours, le département de l’Allier et la communauté d’agglomération de Montluçon soutiennent qu’ils ont intérêt à agir ; que les ministres n’étaient pas compétents pour prendre l’arrêté attaqué dès lors que seul le premier ministre pouvait prendre un tel acte, et que le gouvernement a démissionné postérieurement au 16 mars 2017 et avant le 1er juillet 2017 ; que l’arrêté a été pris en application d’une disposition législative contraire à la Constitution. Cette question prioritaire a fait l’objet d’un mémoire séparé et le moyen apparait donc recevable.
L’intervenante : la communauté d’agglomération de Moulins reprend leur argumentation.
Sur l’exception d’incompétence opposée en défense par le préfet de l’Allier
Préalablement à un éventuel examen des deux moyens invoqués vous devrez vous prononcer sur l’exception d’incompétence soulevée en défense par le préfet de l’Allier qui considère que le litige relève de la compétence en 1er et dernier ressort du Conseil d’Etat et non du tribunal administratif de Clermont Ferrand car, selon le préfet, l’acte attaqué est un acte réglementaire.
L’acte attaqué est un arrêté interministériel et vous allez donc vous interroger sur sa nature : acte réglementaire ou non ce qui déterminera la juridiction compétente : Conseil d’Etat s’il s’agit d’un acte réglementaire et tribunal administratif dans le cas contraire
Comme l’indique les requérants en réponse, vous êtes bien compétents et ils s’appuient sur un arrêt du CE du 27 juillet 2015, com. de communes de la vallée du Louron N° 375794 Dans cet arrêt le CE juge que : « Une requête dirigée contre un tel arrêté du Premier ministre en tant qu’il ne constate pas le classement de certaines communes en zone de revitalisation rurale ne relève d’aucune des catégories dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître en premier et dernier ressort en vertu de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, dès lors notamment que cet arrêté ne revêt pas un caractère réglementaire. »
On en déduit, à contrario que, de la même façon, un arrêté ministériel constatant le classement de communes en ZRR, ne constitue pas davantage un acte réglementaire, mais ce qu’il convient de désigner comme une décision d’espèce ainsi que le rappelle le rapporteur public M. Daumas dans ses conclusions sous cet arrêt.
Dans ces conditions et en application des dispositions de l’article R. 312-7 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Clermont Ferrand est compétent pour connaître en premier ressort du litige concernant cet arrêt de classement de communes du département de l’Allier en ZRR.
L’exception d’incompétence sera écartée.
Intervention de la communauté d’agglomération de Moulins
Nous en venons maintenant à l’intervention présentée par la communauté d’agglomération de Moulins.
Comme vous le savez une intervention à l’appui d’une requête n’est recevable pour autant que le requérant ou les requérants sont eux-mêmes recevables.
Par conséquent, il convient de traiter en préalable la question de la recevabilité des requérants, qui pose problème selon nous, avant de pouvoir se prononcer sur l’intervention présentée par la communauté d’agglomération de Moulins.
C’est pourquoi nous réservons cette question et que nous en venons à la question de la recevabilité des deux collectivités requérantes.
Sur la recevabilité : l’intérêt à agir
La recevabilité des requérants pose en effet problème.
Intuitivement et de prime abord, il apparaît que seules les communes concernées par l’arrêté de classement disposent d’un intérêt à agir, notamment pour celles sortant de ce classement, qui pourraient revendiquer notamment une baisse de leur attractivité économique, du fait de la disparition des avantages fiscaux précités.
L’Etat en défense fait en effet valoir que ni le département ni la communauté d’agglomération de Montluçon n’ont un intérêt à agir. L’Etat dans son mémoire rappelle que l’intérêt à agir, qui est invoqué par le requérant, tel que défini par la jurisprudence doit être direct, certain, suffisamment précis et spécial en rappelant des arrêts anciens, mais toujours d’actualité, du Conseil d’Etat.
Voir par exemple : CE 14 février 1958, Sieur Abisset, N° 7715 ou CE 28 mai 1971 Damasio n° 78951.
La Haute juridiction exige donc que l’intérêt invoqué soit direct et touche personnellement le requérant, et que l’intérêt soit suffisamment certain c’est à dire que les conséquences de la décision sur la situation du requérant doivent être, sinon immédiates, du moins probables.
Il convient donc d’examiner l’intérêt à agir de chacune des collectivités en fonction des arguments qu’elles avancent.
Intérêt à agir du Département de l’Allier
Pour justifier de son intérêt à agir le département de l’Allier fait valoir que même en l’absence d’une clause de compétence générale, qui a été supprimée, il conserve néanmoins une compétence en matière de solidarité territoriale et que la sortie de certaines communes du classement en ZRR va le conduire à intervenir financièrement et donc l’impacter.
Il invoque les dispositions des articles L. 1111-9, L. 1111-10 et L. 3232-1-1 du code général des collectivités territoriales(CGCT).
L’article L. 1111-9 du CGCT prévoit: « III. - Le département est chargé d'organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l'action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives à : (...) 3° La solidarité des territoires. »
L’article L. 1111-10 du CGCT quant à lui dispose que : « I. - Le département peut contribuer au financement des projets dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements, à leur demande. / Il peut, pour des raisons de solidarité territoriale et lorsque l'initiative privée est défaillante ou absente, contribuer au financement des opérations d'investissement en faveur des entreprises de services marchands nécessaires aux besoins de la population en milieu rural, dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ainsi qu'en faveur de l'entretien et de l'aménagement de l'espace rural réalisés par les associations syndicales autorisées. ».
En l’espèce l’intérêt à agir du département n’apparait ni direct ni certain comme le soutient l’Etat en défense.
En effet, ces dispositions offrent la possibilité au département d’intervenir financièrement sur certains projets portés par des communes, mais les interventions du département ne sont pas obligatoires. L’intérêt n’apparaît donc pas certain.
Par ailleurs, l’argumentation du département apparait trop imprécise, car il ne vous indique pas en quoi et à quelle hauteur il serait impacté par la sortie de telle ou telle commune du dispositif des ZRR. L’intérêt à agir n’est donc pas suffisamment précis et sa gravité n’est pas démontrée.
Mais surtout, les conséquences pour le département de l’arrêté interministériel attaqué ne nous semblent pas directes. En effet se sont les communes qui sont concernées directement par les modifications apportées au code général des impôts, puisque du fait de la disparition des exonérations fiscales, c’est leur éventuelle attractivité pour les entreprises qui pourrait être compromise.
L’intérêt à agir du département n’est donc pas direct, mais éventuellement et seulement indirect.
Le département invoque également les dispositions de l’article L. 3232-1-1 du code général des collectivités territoriales qui prévoient: « Pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, le département met à la disposition des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale qui ne bénéficient pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences dans le domaine de l'assainissement, de la protection de la ressource en eau, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, de la voirie, de l'aménagement et de l'habitat une assistance technique dans des conditions déterminées par convention. »
Or les dispositions invoquées sont totalement étrangères aux dispositions du code général des impôts sur le classement en ZRR qui a pour objet de faire bénéficier les entreprises s’installant sur le territoire d’une commune d’exonérations fiscales.
L’intérêt à agir du département, fondé sur le principe de « solidarité et d’aménagement du territoire » défini par cet article n’apparait donc pas direct lui non plus.
Vous devrez donc considérer que le département de l’Allier ne démontre pas, comme il le doit, qu’il dispose d’un intérêt à agir direct et certain contre l’arrêté interministériel attaqué.
Vous retiendrez donc la fin de non-recevoir opposée en défense par l’Etat.
L’intérêt à agir de la communauté d’agglomération de Montluçon
Nous en venons maintenant à l’examen de l’intérêt à agir de la communauté d’agglomération de Montluçon.
La réponse à apporter sera plus simple car l’argumentation de la communauté d’agglomération est beaucoup plus succincte puisqu’elle se contente de citer des courriers d’élus qui sont opposés à cette réforme des ZRR.
Elle se borne en effet à faire valoir qu’elle compte parmi ses membres des communes dont le classement en zone de revitalisation rurale n’est pas reconduit compte tenu des nouveaux critères qui s’apprécient désormais en fonction des caractéristiques de l’établissement public de coopération intercommunale et non plus des communes elles-mêmes.
Mais bien évidemment la communauté d’agglomération ne saurait agir en lieu et place des communes qui la composent ni se faire leur porte-parole en quelque sorte.
Mais surtout, la communauté d’agglomération n’invoque aucun argument juridique permettant de justifier de son intérêt à agir. Elle ne démontre aucunement en quoi le nouveau périmètre des zones de revitalisation rurale aurait pour elle des conséquences matérielles et ce, de façon directe, certaine et précise.
Vous devrez donc constater que la communauté d’agglomération de Montluçon ne justifie pas d’un intérêt à agir contre l’arrêté attaqué du 16 mars 2017 constatant le classement de communes en zone de revitalisation rurale et vous retiendrez la fin de non-recevoir opposée en défense.
Aussi si vous nous suivez, vous devrez rejeter la requête sur le terrain de la recevabilité en raison de l’absence d’intérêt à agir des deux collectivités requérantes
Intervention de la communauté d’agglomération de Moulins
Nous revenons à l’intervention de la communauté d’agglomération de Moulins.
Si vous nous avez suivis et si vous jugez que les deux requérants que sont le département et la communauté d’agglomération de Montluçon sont irrecevables à agir, l’intervention de la communauté d’agglomération de Moulins suivra le même sort et l’intervention ne sera pas admise, par voie de conséquence.
Voir CE, 10 novembre 1989, Syndicat national des inspecteurs du travail, n°48932 ;
Sur le fond vous auriez également constaté que la communauté d’agglomération de Moulins ne justifiait pas davantage de son intérêt à agir ce qui la rendait également irrecevable. Intervention non admise.
Sur le fond
Sur le fond, les deux moyens invoqués par les requérants n’auraient pu qu’être écartés, ce qu’ils savent déjà, car des litiges identiques avaient été engagés par d’autres départements et ont déjà été jugés par d’autres tribunaux administratifs.
Voir : TA d’Orléans du 31 mai 2018 Département du Loir et Cher n° 1701795 et TA de Calons en champagne du 12 février 2019 département de la Haute Marne n° 1701053
Nous en disons néanmoins un mot rapide.
Incompétence des signataires de l’arrêté
Les requérants font valoir que l’arrêté attaqué est illégal dès lors qu’il a été signé par des autorités incompétentes, seul le Premier ministre étant compétent à la date de sa signature.
Ce moyen de légalité externe a été écarté par les deux tribunaux précités et vous pourrez reprendre leur raisonnement.
L’arrêté attaqué a été pris par les ministres l’économie et des finances, le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et le secrétaire d’Etat chargé du budget et des comptes publics, le 16 mars 2017 et publié au journal officiel le 29 mars 2017.
Si l’article 1645 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au jour de la signature de cet arrêté, donnait compétence au seul Premier ministre pour constater le classement de communes en zone de revitalisation rurale, l’arrêté du 16 mars 2017 n’est entré en vigueur que le 1er juillet 2017, date à laquelle les dispositions de l’article 1645A du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi 2015-1786 du 29 décembre 2015, donnaient compétence aux ministres et au secrétaire d’Etat signataires de l’acte.
En second lieu, la circonstance que le gouvernement auquel appartenaient les ministres et le secrétaire d’Etat qui ont signé l’arrêté attaqué a démissionné après l’élection présidentielle du 7 mai 2017 est également sans influence sur sa légalité dès lors qu’ils étaient en fonction à la date de sa signature.
Le moyen de l’incompétence des signataires de l’arrêté aurait donc été écarté.
Question prioritaire de constitutionnalité (QPC): la conformité de l’article 1465 A du code général des impôts à la Constitution
Le deuxième moyen invoqué était celui de la conformité de l’article 1465 A du code général des impôts, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
Le Département de l’Allier et la communauté d’agglomération de Montluçon soutenaient que ces dispositions méconnaissaient, d’une part, le principe d’égalité des territoires qui constitue une composante du principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 1er de la Constitution et, d’autre part, les dispositions du cinquième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution.
Le moyen, qui était une QPC, présenté par mémoire distinct, a été transmis par ordonnance du 20 septembre 2017 au Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat, par une décision nos 412997 et 414472 du 25 octobre 2017, a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité que la communauté d’agglomération de Montluçon et les départements de l’Allier et des Pyrénées Atlantiques ont soulevée à l’encontre de cette disposition législative.
Le moyen aurait donc été écarté.
L’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Compte tenu de la solution d’irrecevabilité proposée, les deux requérants : le département de l’Allier et la communauté d’agglomération de Montluçon seront condamnés à payer une somme de 1000 euros chacun à l’Etat, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par ces motifs, nous concluons :
À ce que l’intervention de la communauté d’agglomération de Moulins ne soit pas admise ;
Au rejet, pour irrecevabilité de la requête (défaut d’intérêt à agir) ;
Et à la condamnation du département de l’Allier et la communauté d’agglomération de Montluçon à payer une somme de 1000 euros chacun à l’Etat au titre L. 761-1 du code de justice administrative.