Un magistrat ne peut juger une demande au fond, sans méconnaître le principe d’impartialité, lorsqu’il a préalablement accordé une provision pour la même affaire dès lors qu’il a pris parti sur le caractère non sérieusement contestable de l’obligation dans le cadre d’un référé provision.
Par une convention, une société immobilière s’est vue confier la réalisation d’une ZAC. Cette convention prévoyait que la société, aménageur, devait verser à la commune un fond de concours.
La commune a tenté à plusieurs reprises d’obtenir le versement du fond de concours.
Dans le cadre d’une première affaire, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a condamné la société, sur demande de la commune, à verser une provision à valoir sur le règlement du fonds de concours. Cette ordonnance est devenue définitive.
Dans le cadre d’une seconde affaire, la société a engagé une action sur le fondement de l’article R541-4 du code de justice administrative qui prévoit que : « si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ». Le tribunal administratif de Lyon a fixé le montant définitif de la dette de la société.
La société a relevé appel de ce jugement et a demandé la diminution de ce montant. Elle conteste la régularité du jugement en ce que le magistrat qui a statué en référé sur la provision présidait la formation de jugement.
Ainsi, la cour administrative d’appel de Lyon a dû déterminer si un magistrat qui a accordé une provision pouvait légalement présider la formation de jugement appelée à statuer sur la fixation définitive du montant de la dette.
Le Conseil d’Etat ne s’est pas directement prononcé sur l’impartialité du juge du référé provision statuant ultérieurement en qualité du juge du principal. Néanmoins plusieurs positions ont été prises à propos du respect du principe d’impartialité par le juge du référé suspension (I) et du juge du référé provision (II) guidant la cour administrative d’appel de Lyon dans l’édiction de son arrêt (III).
I) L’impartialité du juge du référé suspension ayant préjugé l’issue du litige
Le Conseil d’Etat a rendu un avis selon lequel le juge du référé suspension peut se prononcer en qualité du juge du fond, sous réserve qu’il ne ressorte pas de son ordonnance, qu’allant au-delà de son office, il aurait préjugé de l’issue du litige (Avis, CE 12 mai 2004 commune de Rogerville, n° 265184).
Par un arrêt récent, le Conseil d’Etat a estimé que le juge du référé a préjugé de l’issue du litige en rejetant une demande de suspension en raison de la tardiveté de la requête au fond et a ensuite annulé pour ce motif la requête au fond comme irrecevable. (CE 30 janvier 2017 M. Colombo, n° 394206 B). Le rapporteur public Xavier Domino avait expliqué l’arrêt en rappelant que la question de recevabilité est « jumelle de celle de la requête au fond » (conclusions de M. Xavier Domino, sous CE 30 janvier 2017, n° 394206).
Ce dernier arrêt confirme la position de la cour administrative d’appel de Lyon qui avait jugé que le principe d’impartialité est méconnu lorsque le même magistrat, statuant en qualité de juge des référés, rejette la demande de suspension au motif que la demande d’annulation est irrecevable et rejette ultérieurement, en des termes identiques, la demande au fond (CAA Lyon 2 août 2016 M. Roubinet, n° 15LY01533).
II) L’impartialité du juge du référé provision ayant pris parti sur le caractère non sérieusement contestable de l’obligation
Concernant le juge du référé provision, dans ses conclusions, le rapporteur public Gilles Pellissier s’est penché sur la question de l’impartialité et selon lui : « s’il ne fait à nos yeux aucun doute que le juge qui a accordé une provision ne peut ensuite juger la demande au fond, puisqu’il a pour ce faire pris parti sur le caractère non sérieusement contestable de l’obligation, il est moins évident qu’il ne puisse juger de la demande au fond lorsqu’il a rejeté la demande de provision au motif qu’elle ne lui paraissait pas, en l’état de l’instruction, non sérieusement contestable » (conclusions sous CE, 5 juillet 2017, M. Ménec, n° 402481) .
Plusieurs cours avaient adopté ce raisonnement en jugeant, par exemple que « le principe d’impartialité fait obstacle à ce que le juge du référé ayant statué sur l’existence de l’obligation invoquée siège à nouveau lors du jugement au fond de l’affaire » (CAA Bordeaux, 3 novembre 2015, Association Saint-Sauveur, 14BX01020, voir également CAA Bordeaux, 7 novembre 2013, Mme Dupros, 13BX00807 ; CAA Paris, 6 février 2007, Société Swisslog France, 04PA03147).
L’ensemble de ces références ont permis à la première chambre de la cour administrative d’appel de Lyon de répondre à la question posée par la situation d’espèce.
III) La portée de l’arrêt : l’impartialité du président de la formation de jugement ayant préalablement statué sur l’existence de l’obligation du débiteur
Dans l’arrêt d’espèce de la cour administrative d’appel de Lyon, pour accorder la provision le juge des référés avait considéré que l’existence de l’obligation de la société de verser une somme à la commune devait être regardée comme non sérieusement contestable. Or, ce même magistrat, président de la formation de jugement, s’est de nouveau prononcé sur l’existence de l’obligation du débiteur pour fixer le montant définitif de sa dette dans le cadre de la procédure par l’article R. 541-4 du code de justice administrative.
La cour en conclut, qu’en l’espèce, le principe d’impartialité a été violé. Le jugement du tribunal administratif est alors annulé pour irrégularité.
En conclusion, le principe d’impartialité fait obstacle à ce que le juge des référés, se prononçant en matière de provision, qui statue sur l’existence de l’obligation préside la formation de jugement au fond de la même affaire.