Résumé de l’affaire : La location par une entreprise à ses salariés des véhicules de service mis à leur disposition pour leur permettre de les utiliser à des fins privées a le caractère d’une activité économique passible de la TVA, nonobstant le caractère modique des loyers perçus.
De nombreux employeurs octroient un véhicule de fonction comme avantage salarial à un ou plusieurs collaborateurs. L’utilisation à des fins personnelles ou l’utilisation pour les déplacements du domicile au lieu de travail sont considérées comme usage privé du véhicule. Il est parfois difficile de faire une différence claire entre les déplacements professionnels et les déplacements du domicile au lieu de travail.
La gestion de flotte, plus particulièrement dans le cadre d’activités de location ou leasing est marquée par des aspects assez spécifiques en matière de TVA, sur lesquels les juges de la cour administrative d’appel de Lyon reviennent dans la présente espèce.
Les faits soumis à la Cour sont les suivants :
La SARL B. exerce dans la vente de gros de consommables et de produits de fixation dans les domaines du bâtiment, de l'automobile et de l'industrie. Elle met à la disposition de ses salariés pour les besoins du service, des véhicules de son parc automobile dont elle dispose dans le cadre d'une location longue durée. Toutefois, la société offre la possibilité au salarié qui en fait la demande, d’utiliser le véhicule à des fins privatives en échange d’une participation financière de 95 euros ou de 100 euros par mois selon le modèle du véhicule.
La SARL B soutient avoir collecté à tort la TVA sur la participation financière versée par le salarié en contrepartie de l’utilisation du véhicule à des fins privatives.
À l’appui de sa demande en restitution de la TVA indument payée, elle soutient devant l’administration que l’opération telle qu’exposée n’entre pas dans le cadre des dispositions des articles 256 et 256 A du Code général des Impôts qui définit le champ d’application de la TVA. Elle soutient notamment que l'activité de location de véhicules à ses salariés n’est pas assimilable à une activité économique et qu’elle ne peut être regardée comme un assujetti agissant en tant que tel.
Cette dernière s’est vue déboutée en première instance par les juges du Tribunal administratif de Dijon, qui estiment que l’activité de mise à disposition de « véhicules de service » à ses salariés lui assure des revenus à caractère de permanence. Selon les juges du tribunal administratif de Dijon, cette activité ne relevait pas de la simple gestion du patrimoine de la société et était exercée de manière indépendante. Dès lors, elle devait être regardée comme une activité économique et être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.
En appel, la société maintient sa demande en restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée.
Les juges lyonnais se devaient de répondre à la question de savoir si l’opération de location de véhicule aux salariés en contrepartie d’une participation financière représentait une activité économique au sens des dispositions des articles 256 et 256 A du Code général des Impôts et si dès lors la société se comportait comme un assujetti agissant en tant que tel relevant du champ d’application de la TVA.
La Cour administrative d’appel, dans le même sens que les décisions de l’administration et du Tribunal administratif de Dijon, fait une stricte application des critères d’assujettissement d’une activité « économique » à la TVA tel qu’il en relève des dispositions des articles 256 et 256 A du Code général des Impôts (I). Toutefois, cette application stricte des dispositions au cas d’espèce appelle quelques réserves lorsqu’on s’intéresse au cadre spécial dans lequel s’effectuent lesdites opérations de location (II).
I- La « location » de véhicules à ses salariés : une activité économique assujettie à la TVA
Les juges d’appel ont estimé que la location par une entreprise à ses salariés de véhicules de service mis à leur disposition pour leur permettre de les utiliser à des fins privées a le caractère d’une activité économique passible de la TVA, nonobstant le caractère modique des loyers perçus. Ces derniers ont repris les critères posés par les jurisprudences antérieures (CAA Lyon, 7 juin 2007, n° 03LY01569, Ministre c/ SA Garage Rocle, C+ - 1; CAA Lyon, 12 avril 2016, n° 14LY01742, 2° chambre, SAS Poulat Viallet immobilier, C+ - 1 ; CAA Lyon, 26 mai 2016, n° 14LY01777, 5° chambre, C+ - 1 ; CAA Lyon, 26 mai 2016, n° 14LY01777, 5° chambre, C+). En effet, ils se sont basés sur les dispositions de l’article 256-1 du Code général des impôts qui dispose que « sont soumises à la TVA les livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ».
L'article 256 A précise que sont assujetties en tant que telles à la taxe sur la valeur ajoutée, les personnes qui effectuent de manière indépendante une activité économique et qu’est notamment considérée comme une activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
En l’espèce des véhicules de fonction sont mis à la disposition des salariés contre une contrepartie financière mensuelle. Ils peuvent en jouir dans le cadre de leur activité professionnelle et pour leur usage personnel. On parle d’usage mixte. Il est utile de revenir sur les conséquences fiscales et comptables pour comprendre la position des juges. L’usage privé du véhicule constitue une forme de rémunération, sous la forme d’un avantage en nature. Cette rémunération en nature est « ajouter » au salaire brut versé au salarié, sur option de l’employeur, soit sur la base des dépenses effectivement supportées qui comprennent l’amortissement du prix d’acquisition du véhicule TTC sur 5 ans ou du coût global annuel de location du véhicule, le coût de l’assurance TTC, les frais d’entretien et les frais de carburant. L’employeur a aussi la possibilité de partir d’une base forfaitaire annuelle estimée en pourcentage du coût d’achat du véhicule ou du coût global annuel dans l’hypothèse d’une location longue durée. Par ailleurs, la rémunération en nature fera l’objet d’une imposition au titre de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales pour le salarié.
L’utilisation mixte du véhicule entraîne quant à elle une limitation de la déductibilité́ de la TVA afférente au véhicule mis gratuitement à disposition du salarié ou du dirigeant d’entreprise. Toutefois, dans le cas d'espèce les juges ont pu considérer l'option d'utilisation à titre privatif comme une prestation de service faisant bénéficier l'employeur de recettes ayant un caractère de permanence. Ainsi, l'opération a pu être regardée indépendamment du lien de subordination comme ayant cours entre dans des conditions normales du marché.
Cet article met en exergue deux notions clés, à savoir la notion d’indépendance et le critère d’activité économique. Le cinquième alinéa de l'article 256 A du CGI précise que les activités économiques se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Les questions préjudicielles confrontent une nouvelle fois la Cour à la question de l'interprétation de la notion d'activité économique et de prestation à titre onéreux au sens de la sixième directive TVA (La Cour de justice des Communautés européennes a clarifié, le 7 octobre dernier, la notion d’« activité économique » de la sixième directive TVA (CJCE, SPÖ Landesorganisation Kärnten, aff. C-267/08, JOCE n°L.145, 13 juin 1977, p. 1) et permettent de déterminer la solution de l'arrêt. Selon les juges, les deux conditions ne seraient pas remplies. Or, en l’espèce cette mise à disposition de ces véhicules, conformément au contrat CAR POLICY en vertu duquel la société loue ses véhicules en longue durée, constitue une activité économique puisqu’elle comporte l'exploitation d'un bien meuble corporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Ici, les juges ont fait une application stricte des dispositions législatives en matière de TVA et ont suivi le courant de la jurisprudence (CE, 31 décembre 2008, Société Iridiés Nord, N°306091, B.).
Cette problématique n’est pas un cas isolé, le cas d’espèce s’inscrit dans une jurisprudence analogue. En effet, dans un arrêt du 7 juin 2007, (CAA, n°03LY01569, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie / SA Garage Rocle), la Cour administrative d'appel avait d’ailleurs jugé qu’un concessionnaire automobile qui affecte aux besoins privés des membres du personnel de l’entreprise des véhicules neufs se trouvant dans ses stocks après avoir bénéficié de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée d’amont grevant l’acquisition de ce véhicule doit soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée cette opération d’affectation. Elle ajoutait qu’est assimilée à une prestation de services à titre onéreux l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel.
Malgré la position constante des juges, des réserves peuvent être apportées quant à leur décision dans le cas d'espèce.
II/ Une décision suscitant quelques réserves
La requérante fait valoir deux arguments. Tout d’abord, le contrat de travail la liant aux salariés crée un lien de subordination ou un « lien de dépendance » et conditionne l’avantage qu’elle procure à ses salariés en leur mettant à disposition une option d’utilisation privative des véhicules de société, de sorte qu’elle ne peut être regardée comme exerçant une activité de manière indépendante. Il ne s’agit que d’un avantage en nature mis en œuvre dans le cadre de la relation salariale. Ensuite elle revient sur la notion d’activité économique. Selon la requérante, la mise à disposition de ces véhicules n’est pas réalisée dans l’intention d’en tirer un profit (vu la participation financière à prix minoré demandée) mais relève uniquement de la gestion de son patrimoine « en bon père de famille », son activité étant la vente directe de consommables et de produits de fixation dans le domaine du bâtiment, de l’automobile et de l’industrie. Si ces arguments n'ont su retenir l'attention des juges lyonnais, la décision de la Cour mérite néanmoins quelques observations.
La Cour a rappelé que le système de la TVA ne s’applique qu’aux activités économiques, lesquelles, en matière de prestation de services, supposent un lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue. Ici, il était utile de souligner que la contrepartie financière des salariés était minime, quatre-vingt-quinze euros à cent euros sont versés par mois selon le type de véhicule. Ainsi selon les dispositions de la Cour de Justice de l'Union européenne dans l’affaire Gemeente Borsele, (CJUE, 12 mai 2006, aff. C-520/14) un prix négligeable peut être l’indice de l’absence d’une activité́ économique. De même, il a pu être jugé, par ailleurs, que les locations de locaux nus ne relèvent pas du champ des activités économiques lorsque le loyer demandé par le bailleur, ou celui versé par le preneur avec l'accord du bailleur, est non seulement sensiblement inférieur au cours de référence du marché immobilier locatif, mais encore tellement faible qu'il ne couvre pas le coût de revient du local (TA Grenoble, 18 déc. 1997, no 94-2967: Dr. fisc. 1998. 593. Dans le même sens, s'agissant de la location d'un immeuble à usage culturel dont, eu égard au coût de sa construction et aux frais qui incombent au propriétaire, notamment pour assurer son entretien, le montant du loyer révèle de la part du bailleur une libéralité au bénéfice du preneur (convention conclue moyennant un prix dont le montant correspond à une rentabilité de 2, 39 % du capital investi pour construire l'immeuble loué: TA Lyon, 3 mars 2003, no 98-5583, Sté civile «Mosquée de Lyon»: Dr. fisc. 2003. 509; RJF 2003. 705) .
En outre, l'appréciation de la notion d'assujetti agissant en tant que tel à la TVA suppose que l'exploitation du bien meuble corporel vise à retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
Dans le cas d'espèce, certes, une contrepartie modique est versée à la requérante, mais ces sommes mensuelles ne présentent pas un caractère de recettes pour la société de par la nature même du type de contrat en cause: en l'espèce un contrat de location longue durée ou leasing. Ce qui suppose donc logiquement qu'une partie ou la totalité de la participation versée par le salarié est par la suite reversée au bailleur. Il y a en quelque sorte en l'espèce une « sous-location » qui semble ne pas entrainer d’enrichissement pour la société requérante.
Ce dernier point appelle une observation dans l'appréciation de la notion d'activité réalisée à titre indépendant, longuement discutée par les parties. Sur ce point, la doctrine administrative apporte une précision importante. Selon la doctrine administrative (Inst. 15-2-1979, 3 CA-79 ; D. adm. 3 A-1121 n° 2, 20-10-1999 ; BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 n° 20), les personnes qui agissent de manière indépendante sont celles qui exercent une activité sous leur propre responsabilité et jouissent d'une totale liberté dans l'organisation et l'exécution des travaux qu'elle comporte. En l'espèce, la société requérante n'est pas le propriétaire des véhicules, elle n'est juste que locataire, donc liée au bailleur par un contrat limitant sa "totale liberté" dans l'organisation et l'exécution des travaux qu'elle comporte, notamment, dans la mise à disposition privative des véhicules. La notion d'indépendance paraît discutable sur ce dernier point.
Enfin il convient de s’intéresser à l’imputation de la charge de la preuve. En la matière, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un redevable qui a été imposé sur les bases qu’il a lui-même indiquées et qui s’est acquitté spontanément de la taxe supporte la charge de la preuve de ce qu’il remplit les conditions légales de l’exonération qu’il revendique tel que l'a relevé la Cour administrative d'appel en l'espèce (CE, 28 mai 2014 N° 328713 Société Crédit lyonnais ou CE du 30 mars 2011 N° 322934 Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Association Pyrénées Club de France).
Cette affaire a mis en lumière la complexe limitation du droit à déduction de TVA qui ne cesse et qui continuera certainement à faire couler beaucoup d’encre.