En 1968, la commune de Valence a délégué pour 30 ans, le service public du chauffage urbain de sa ZUP à une société aux droits de laquelle est venue par la suite la société Omnitherm. Le terme de cette délégation a ensuite été fixé au 31 décembre 2015 par un avenant de 1999.
C’était à une époque où l’on se préoccupait encore peu de pollution atmosphérique.
Mais cette préoccupation s’est depuis précisée au point de devenir l’enjeu international que vous savez, décliné à l’échelle de l’Union européenne dans un système de quotas d’émission de gaz à effet de serre dont l’archétype est le dioxyde de carbone ; ces quotas, que d’aucuns appellent droit à polluer, sont échangeables et donc valorisables depuis l’année 2005 sur des périodes dont la 1ère était de 3 années et les suivantes de 5 années.
Pourtant la convention de DSP liant depuis 1968 la commune de Valence et la société Omnitherm n’en a pas été modifiée pour intégrer les conditions et modalités de gestion de ces quotas entre les cocontractants, alors qu’évidemment l’installation de chauffage de la ZUP de Valence y était soumise, et que d’ailleurs la société Omnitherm s’était vu attribuer un quota d’émission pour la période 2005-2007 par un arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable publié au JO du 26 février 2005.
Elle ne les a pas utilisés en totalité et a vendu l’excédent.
Ce n’est qu’en 2012 que la commune de Valence se serait aperçue, au bénéfice d’un audit, que son délégataire avait monnayé cet excédent.
S’estimant propriétaire de ce qu’elle qualifiait de « bien de retour » de la DSP, elle a alors demandé le reversement du produit de la vente et a fini par émettre à l’endroit de son délégataire un titre exécutoire d’un montant de 625 753, 18 € le 12 juillet 2013.
La société Omnitherm a contesté ce titre devant le tribunal administratif de Grenoble qui l’a annulé et a déchargée la sociétété de la somme correspondante.
La commune de Valence relève régulièrement appel de ce jugement.
Pour annuler le titre, le tribunal a estimé que les quotas en litige ne présentaient pas la qualité de « biens de retour », mais étaient la propriété pleine et entière du délégataire qui pouvait donc les vendre à son profit, donc en réalité des biens propres.
Le tribunal a visité les critères de qualification des biens de retour en DSP tels que définis par la décision d’Assemblée du 21 décembre 2012 Commune de Douai que vous connaissez : ainsi il a relevé que les quotas « qui sont des biens meubles par détermination de la loi, n'ont pas été remis par le délégant au délégataire en vue de leur gestion par celui-ci ; qu’ils ne sont pas des investissements ; qu'ils ne sont pas établis sur la propriété d'une personne publique ; qu'il n'est pas contesté que la convention de délégation de service public ne contient aucune stipulation relative à ces quotas de gaz à effet de serre ; », et aussi que, si des quotas sont indispensables au fonctionnement du service public, pour autoriser les émissions de la chaufferie, ceux en litige, c'est-à-dire ceux vendus, étaient par nature des quotas excédentaires, dont le délégataire n’avait pas l’usage de sorte qu’ils n’étaient pas indispensables au fonctionnement du service public.
1) La commune persiste évidemment à défendre la qualification de « bien de retour » alors même qu’en l’espèce elle a exigé ce retour avant le terme normal qui est celui de la convention. On ne s’arrêtera toutefois pas là.
Pour qualifier les quotas de biens de retour, elle fait valoir que le code de l’environnement n’évoquant pas la notion de propriétaire, c’est le concédant qui détient initialement la propriété initiale des quotas, qui ne sont alloués au concessionnaire que pour l’exercice temporaire de sa mission.
Voyons ce qu’en disent les textes sachant que la question est apparemment inédite en jurisprudence même si la doctrine s’en est déjà saisie comme on peut le voir ici ou là ; l’impact de la réponse que vous y apporterez ne vous aura pas échappé tant il y a de délégations de service public soumises au régime des quotas et tant leur valorisation peut être significative.
Au plan national, le code de l’environnement dispose, dans la section intitulée « Quotas d'émission de gaz à effet de serre », regroupant les articles L. 229-5 à L. 229-19 notamment ce qui suit :
Pour chaque installation bénéficiant de l'autorisation d'émettre des gaz à effet de serre, l'Etat affecte à l'exploitant, pour une période déterminée, des quotas d'émission et lui délivre chaque année, au cours de cette période, une part des quotas qui lui ont été ainsi affectés. / …/ A l'issue de chacune des années civiles de la période d'affectation, l'exploitant restitue à l'Etat sous peine des sanctions prévues à l'article L. 229-18 un nombre de quotas égal au total des émissions de gaz à effet de serre de ses installations, que ces quotas aient été délivrés ou qu'ils aient été acquis en vertu de l'article L. 229-15. (L. 229-7)
La notification de l’affectation périodique est de la délivrance annuelle est faite par l’Etat à l’exploitant (L229-11).
Les quotas délivrés au cours de la première période triennale débutant le 1er janvier 2005 l’étaient à titre gratuit (abrogé au 23 octobre 2010), mais une partie de ceux délivrés au cours de la période de cinq ans débutant le 1er janvier 2008 le sont à titre onéreux, dans la limite de 10 % de ces quotas. (L229-10)
Les quotas restitués chaque année à l'Etat par les exploitants en application de l'article L. 229-7 sont annulés. (L229-14)
« I. - Les quotas d'émission de gaz à effet de serre délivrés aux exploitants d'installations autorisées à émettre ces gaz [ou aux exploitants d'aéronef] sont des biens meubles exclusivement matérialisés par une inscription au compte de leur détenteur dans le registre national …. Ils sont négociables, transmissibles par virement de compte à compte et confèrent des droits identiques à leurs détenteurs. Ils peuvent être cédés dès leur délivrance sous réserve des dispositions de l'article L. 229-18 »
II. - Les quotas d'émission peuvent être acquis, détenus et cédés par tout exploitant d'une installation au titre de laquelle a été délivrée par un Etat membre de la Communauté européenne une autorisation d'émettre des gaz à effet de serre, par toute personne physique ressortissante d'un Etat membre de la Communauté européenne, par toute personne morale y ayant son siège et par les Etats membres eux-mêmes. » (L. 229-15)
Jusqu’à une ordonnance du 28 juin 2012, donc postérieure au faits de notre espèce, l’article L. 229-15 que nous venons de citer, disposait aussi que « Le transfert de propriété des quotas résulte de leur inscription, par le teneur du registre national, au compte du bénéficiaire à la date et dans les conditions définies par décret. » ; le rapport au Pt de la République ne vous éclairera nullement sur les motifs de cette suppression ; peut-être l’avis du CE « entendu » le ferait-il, mais nous ne l’avons pas. Cette suppression a peut-être été dictée simplement par la considération que si véritable propriété il y a en matière de quotas, c’est celle de l’Etat ou de l’Union, les acteurs n’en étant que détenteurs temporaires, un peu comme la monnaie.
Il résulte clairement des dispositions que nous venons de citer ou de synthétiser que c’est l’exploitant de l’installation, et non pas son propriétaire, qui détient et dispose légalement des quotas avec la faculté de vendre ceux excédentaires.
On peut même en percevoir une confirmation, par analogie, dans les dispositions de l’article L. 229-5 résultant d’une ordonnance du 21 octobre 2010 applicables aux émissions de gaz par les aéronefs ; nous citons : « un exploitant d'aéronef est la personne qui exploite un aéronef au moment où il effectue une activité aérienne, ou le propriétaire de l'aéronef lorsque cette personne n'est pas connue ou n'est pas identifiée par le propriétaire de l'aéronef lui-même ; ainsi le propriétaire de l’aéronef n’intervient dans l’affectation et la gestion des quotas que par défaut d’identification de l’exploitant, hypothèse improbable en DSP.
Ceci confirme que le terme d’« exploitant » utilisé en permanence par les textes n’est pas un terme générique qui pourrait tout autant désigner le propriétaire de l’installation, ici le délégant d’un service public.
A cet égard d’ailleurs vous noterez que la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 établissant le système d’échange de quotas, définit elle-même l’exploitant comme « toute personne qui exploite ou contrôle une installation ou, lorsque la législation nationale le prévoit, toute personne à qui un pouvoir économique déterminant sur le fonctionnement technique de l’installation a été délégué. ». On ne saurait être plus clair pour désigner le délégataire de service public.
Il n’est pas non plus sans intérêt, même si ce n’est pas ici d’un usage particulier, de constater que, saisie d’une question préjudicielle, la CJUE a jugé que la ville de Lyon, souhaitant dans le cadre de la renégociation d’une convention, accéder à des fins comparatives aux données du registre national des quotas concernant les 209 sites de chauffage urbain en France, ne pouvait le faire que dans les conditions d’accès différé et très restreintes du grand public ; c’est une décision C-524/09 du 22 décembre 2010 ; ainsi un délégant qui n’est pas lui-même titulaire d’un compte au dit registre comme c’était le cas de la ville de Lyon, est tenu à l’écart des opérations du marché des quotas.
Dans notre affaire, c’est bien à la société Omnitherm elle-même qu’un arrêté du 25 février 2005, publié au JO, a affecté les quotas afférents à l’installation de chauffage urbain de Valence pour la période en litige.
Comme l’a relevé le Tribunal, ces biens ne lui ont pas été remis par la commune mais directement par l’Etat.
Pour autant ils l’ont bien été au titre de l’exploitation déléguée dont ils constituent une contrainte dans laquelle doit obligatoirement s’inscrire le fonctionnement du service public.
A cet égard, on peut, comme l’appelante, discuter la pertinence de la distinction opérée par le Tribunal entre quotas utilisés et quotas excédentaires au regard de leur caractère indispensable au fonctionnement du service public car on sait aujourd’hui que si certains biens ne sont plus indispensables à ce fonctionnement, cela ne suffit pas en soi à leur retirer la qualification de « biens de retour » : CE 26 février 2016 syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense n° 384424 aux Tables.
Vous avez compris en examinant ce dossier, que le statut législatif très particulier des quotas d’émission peine à s’inscrire dans le schéma de qualification des biens, dégagé par la jurisprudence en matière de DSP.
Un rattachement forcé à l’une de ces qualifications, particulièrement à celle des biens de retour, risquerait de dévoyer le dispositif communautaire en ce que l’exploitant ne serait plus totalement responsable et donc véritablement maître des émissions de l’installation qu’il doit pourtant gérer au mieux des intérêts poursuivis.
Dans cette mesure ce rattachement forcé aux conditions du triptyque jurisprudentiel des biens en DSP heurterait la hiérarchie des normes.
Dans ces conditions, nous inclinons à penser que les quotas sont en quelque sorte des biens sui generis.
Sans aller jusque qu’à poser formellement une telle qualification, vous pourriez leur ménager un sort particulier et ce ne serait plus totalement innovant puisque, comme vous l’avez bien vu, le CE lui-même vient précisément de le faire à propos de biens mutualisés entre plusieurs concessions, en conséquence des spécificités du régime légal des concessions en cause, qui trouvait à s’appliquer concurremment : CE 11 mai 2016 Commune de Douai n° 0375533 aux Tables. Dans cette affaire (en quelque sorte un Douai II), le Conseil a jugé que les biens affectés, en vertu de ces dispositions spécifiques, concurremment à plusieurs concessions de service public de distribution d’électricité, ne sauraient être la propriété des différentes collectivités territoriales concédantes, mais des biens propres du concessionnaire ; ils n’étaient donc pas des biens de retour comme l’avait initialement estimé le Tribunal administratif.
Dans notre affaire vous êtes bien également en présence de spécificités prégnantes d’un régime légal qu’il faut nécessairement prendre en compte et même faire prévaloir.
Si vous nous suivez, vous jugerez que les quotas ne sont pas la propriété de la commune et ne sont donc pas susceptibles d’être qualifiés de biens de retour ; il ne sera pas nécessaire de porter ici quelque autre qualification qui pourrait se révéler hasardeuse ; vous écarterez donc le moyen de la commune, mais par une approche différente de celle du tribunal.
2) La commune soutient aussi que les quotas non émis étaient indisponibles, car potentiellement mobilisables ; mais, pour autant que nous ayons bien compris la portée de cette argumentation, c’est faire abstraction de leur caducité au terme de leur période de validité. Et si la commune devait en encaisser le produit en cours de délégation, ils seraient encore moins mobilisables au sein de la DSP !
3) La commune fait ensuite valoir que l’équilibre du contrat serait rompu par la rémunération substantielle que tire son délégataire de la vente de l’excédent de quotas ; mais à supposer qu’un déséquilibre caractérisé s’instaure ainsi, il appartiendrait au délégant de renégocier sa convention, voire de la résilier, mais en en aucun cas d’émettre unilatéralement un titre pour se faire justice tout seul en dehors de toute clause le prévoyant.
Au demeurant si une telle exploitation comporte en effet par nature un risque pour le délégataire, la commune semble penser que ce dernier ne doit pas en revanche bénéficier d’une occurrence favorable inverse. C’est une approche particulière.
Et si elle vous fait observer que les soldes liés aux quotas seraient désormais déficitaires, ce serait précisément l’affaire de son délégataire comme cela aurait été le cas si cette situation s’était produite pendant la période en litige. On distingue mal la difficulté si le produit des ventes reste bien au sein de la délégation.
4) La commune soutient encore que son délégataire a fait preuve de déloyauté contractuelle en encaissant des sommes qui ne lui appartenaient pas et qui n’avaient pas vocation à être récupérées par lui.
Si vous nous avez suivis pour constater le droit du délégataire, c’est inopérant.
Et la commune nous paraît mal venue à se plaindre de ce qu’elle n’a pas été informée par son délégant du changement de circonstance de fait et de droit, ce qui aurait permis d’engager une renégociation des clauses financières du contrat ; le dispositif en cause n’est en effet pas passé inaperçu et elle est tout de même censée exercer un contrôle régulier de sa délégation.
5) Enfin, mais à titre subsidiaire, la commune fait valoir que l’encaissement par le délégataire des sommes issues de la cession de quotas constitue un enrichissement sans cause, la société n’ayant pas investi dans des équipements moins polluants mais profité d’une surestimation par l’Etat du quota d’émission initialement attribué, alors que la collectivité s’est corrélativement appauvrie.
Il n’est guère douteux que le délégataire s’est enrichi, encore que cela dépende de l’affectation privative ou non qu’il fera au final du produit des ventes ; mais il est certain, dans la logique qui est la nôtre, que la commune ne s’est pas appauvrie dès lors que les quotas n’étaient pas sa propriété et aussi, de toute façon, que l’enrichissement supposé de la sociétété n’était pas sans cause puisque légalement organisé.
Ainsi nous vous invitons à confirmer le sens du jugement et donc à rejeter la requête de la commune de Valence qui supporterait en outre une somme de 1 500 € au titre des frais d’instance exposés par la société Omnitherm.