La Cour administrative d’appel de Lyon a précisé trois obligations relatives à la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre s’imposant à la fois au jury de concours, assistant la collectivité publique dans le choix de son cocontractant, et à la collectivité publique elle-même, en l’occurrence un établissement public local. D’une part, lorsqu’une qualification professionnelle est exigée du candidat au marché, le jury doit être composé d’un tiers de membres disposant de cette qualification professionnelle. Cependant, les membres du jury, nommés par le Président, présentant un intérêt particulier au regard de l’objet du concours ne peuvent pas être comptabilisés dans le décompte des membres qualifiés, quand bien même ils disposeraient de la qualification professionnelle requise. D’autre part, la motivation des avis du jury doivent contenir les considérations de nature technique et financière afin que la collectivité publique puisse faire un choix éclairé. Enfin, le directeur général d’un établissement public local ne peut se substituer à l’assemblée délibérante pour prendre la décision d’attribution d’un marché public. Prononçant la résiliation du contrat, le juge a cependant estimé qu’il n’y avait pas de lien direct entre les irrégularités de la procédure et le préjudice subi par le candidat évincé. Par conséquent, il n’a doit à aucune indemnisation.
L’établissement public local Mâcon Habitat a conclu avec le cabinet Robin, un contrat de maîtrise d’œuvre en vue de réaliser une opération de création de quarante logements, de boutiques et de parkings. La SARL Tekhne Architecture, concurrent évincé, a formé un recours Tropic devant le Tribunal administratif de Dijon. Ce recours, permettant d’invoquer, dans un délai de deux mois après la conclusion du contrat, toute irrégularité liée à la procédure de passation, était en effet plus intéressante que le référé contractuel, dont l’accès est limité aux seuls candidats susceptibles d’être lésés par les irrégularités de la procédure (C.E., 3 octobre 2008, SMIRGEOMES). A double détente, le recours Tropic permet, dans un premier temps, de demander l’annulation du contrat, et dans un second, la réparation du préjudice subi.
Le Tribunal de Dijon a prononcé, par un jugement en date du 11 octobre 2012, la résiliation du contrat et la condamnation de l’établissement Mâcon Habitat au versement d’une indemnité de plus de 31 600 euros à la société évincée. L’établissement public, par la voix de son directeur général a porté l’affaire devant la Cour administrative d’appel. Le juge lyonnais s’est prononcé le 27 mars 2014 en confirmant la résiliation du contrat mais en annulant la condamnation pécuniaire de l’établissement public local.
Quels sont les éléments ayant conduit le juge lyonnais à résilier ce contrat ? La Cour identifie trois irrégularités entachant la passation du contrat de maîtrise d’œuvre. Deux concernent l’organisation du concours visant à permettre à la collectivité publique de se déterminer sur le choix d’un cocontractant. Le dernier, d’ordre public, est un vice de compétence de l’établissement public lui-même, pour l’attribution du marché public (I). La Cour a cependant annulé le jugement du Tribunal administratif de Dijon concernant la réparation du préjudice du candidat évincé. Estimant qu’il n’existait aucun lien de causalité entre les irrégularités de la procédure et le préjudice subi, le juge lyonnais a refusé d’indemniser la société SARL Tekhne Architecture (II).
I) Précisions sur les obligations afférentes à la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre
Aux termes de l’article 74 du Code des marchés publics, les marchés de maîtrise d’œuvre, lorsqu’ils excèdent les seuils de l’article 26, donnent lieu à l’organisation d’un concours pour choisir le meilleur candidat. Le cabinet Robin et la SARL Tekhne Architecture ont tous deux fait acte de candidature pour obtenir le contrat de maîtrise d’œuvre concernant la réalisation d’un complexe immobilier. Le jury est alors chargé d’évaluer les offres au regard de critères précis portés à la connaissance des candidats. Cependant, la Cour, a relevé trois irrégularités dans la procédure d’attribution du contrat de maîtrise d’œuvre. La première concerne la composition du jury. Lorsque qu’une qualification professionnelle est exigée, l’article 24 e) du Code des marchés publics dispose qu’un tiers des membres du jury doivent avoir cette qualification ou une qualification équivalente. Cependant, la Cour a précisé que les membres du jury, nommés au titre de l’article 24 d) du Code par le Président, présentant un « intérêt particulier au regard de l’objet du concours », ne pouvait être comptabilisé comme membres qualifiés du jury, quand bien même ces derniers disposent de la qualification professionnelle exigée. En l’espèce, le jury était composé de treize membres dont quatre membres qualifiés. Sa composition n’était donc pas conforme aux obligations du Code. Il en résulte donc que chaque membre du jury est comptabilisé dans la catégorie au titre de laquelle il a été nommé. Il ne peut, tel un transfuge, rejoindre une autre catégorie de membre au cours de la procédure quand bien même il satisferait les exigences requises pour intégrer une autre catégorie. Le choix du président des membres par le président du jury est donc d’une importance capitale.
La seconde irrégularité relevée par le juge lyonnais concerne le défaut de motivation de l’avis du jury destiné à l’établissement public local. Le rôle du jury est de permettre à la collectivité publique de choisir en toute connaissance de cause, c'est-à-dire, selon les termes du juge, de manière « éclairée » son cocontractant. Elle doit donc, au titre de l’article 70 du Code, fournir un avis motivé puisque « l’assemblée délibérante n’est pas tenue de suivre l’avis émis par le jury et peut porter son choix sur un candidat qui n’a pas été classé premier » (Dreyfus (J.-D.), note sous TA Strasbourg, 12 avril 2001, M. Girold c. Ville de Strasbourg, RDI 2001, p. 374). Le jury doit donc délivrer tous les éléments permettant à la collectivité publique de se prononcer sur le candidat qu’elle souhaite retenir pour réaliser la maîtrise d’œuvre. Parmi ces éléments, les évaluations techniques et financières des candidatures, ayant permis au jury de se déterminer, doivent être portées à la connaissance de la collectivité publique. Ces considérations sont en effet d’une importance primordiale puisqu’elles sont au cœur de l’expertise des candidatures réalisée par le jury. En l’espèce, ni le procès-verbal, ni le document fourni à l’établissement Mâcon Habitat intitulé « bilan du jury » ne contiennent ces éléments d’information. La motivation de la décision du jury est essentielle puisqu’elle permet « aux candidats évincés de vérifier qu’ils ne l’ont pas été arbitrairement » (Richer (L.), note sous CE, 23 oct. 1992, Bourdiel, AJDA 1993, p. 69).
La troisième irrégularité concerne cette fois la conclusion du contrat de maîtrise d’œuvre par la collectivité publique. En effet, le directeur général de l’établissement Mâcon Habitat s’était estimé compétent pour attribuer, lui-même, le marché au cabinet Robin au titre de l’article R. 421-18 du Code de la construction et de l’habitat. Cet article énonce que le directeur général « passe tous actes et contrats au nom de l’office ». Cependant, l’article 70 du Code des marchés publics dispose que « pour les établissements publics locaux […] c’est l’assemblée délibérante qui attribue le marché ». La précision de l’article 70 du Code prime donc sur le caractère général de l’article R. 421-18 du Code de la construction et de l’habitation qui, comme l’affirme le juge « n’évoque pas la décision d’attribution d’un marché ». Le directeur général n’avait donc pas compétence pour attribuer seul le marché de maîtrise d’œuvre au cabinet Robin. Ces trois vices affectant la validité du contrat sont jugés non régularisables par le juge lyonnais qui insiste plus particulièrement sur l’irrégularité de la composition du jury ainsi que l’incompétence de l’attributaire du marché qui affecte, dès lors, « l’existence du consentement » de l’établissement Mâcon Habitat.
II) L’absence d’indemnisation du candidat évincé malgré la résiliation du contrat
Lorsque la validité de la passation d’un contrat est viciée, le juge dispose, de plusieurs options énoncées par l’arrêt Société Ophrys (C.E., 21 févr. 2011, Société Ophrys) . Il peut résilier le contrat ou prononcer son annulation rétroactivement sous réserve que cela ne porte pas atteinte à l’intérêt général. L’incompétence de l’autorité administrative signataire peut entraîner la résolution du contrat (C.E., 26 mars, 1999, Société X. France) . Cependant, le juge lyonnais, au regard de l’opération de construction du complexe immobilier envisagée par l’établissement Mâcon Habitat et impliquant la création de logements sociaux, a estimé que l’annulation rétroactive du contrat, porterait une atteinte trop grande à l’intérêt général. Par conséquent, la Cour a préféré prononcer la résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre qui ne vaut dès lors que pour l’avenir.
Cependant, et c’est là un point très intéressant de l’arrêt, le candidat évincé a demandé à être indemnisé de son préjudice, lié, selon lui, au choix d’un autre candidat par l’autorité adjudicatrice. En première instance, le Tribunal administratif de Dijon avait condamné l’établissement public Mâcon Habitat à indemniser la SARL Tekhne Architecture à hauteur de 31 666, 63 euros en raison du préjudice subi du fait de son éviction. Comme on le sait, toute illégalité commise par une personne publique est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité (C.E., 26 janv. 1973, Ville de Paris c/ Driancourt) . La victime doit alors démontrer que le préjudice subi est la conséquence directe de cette illégalité. Il appartenait donc à la SARL Tekhne Architecture de prouver que les irrégularités ayant vicié la procédure avaient conduit au rejet de son offre. Comme l’écrit Daniel Tasciyan (Tasciyan (D.), Le droit à réparation du candidat évincé, AJDA 2014, p. 542), trois cas de figure peuvent alors se présenter : soit le candidat n’avait aucune chance de remporter le contrat et il n’a alors droit à aucune indemnisation (C.E., 10 juill. 2013, Compagnie martiniquaise de transports), soit le candidat n’était pas dépourvu de toute chance d’obtenir le contrat et il pourra être indemnisé des frais engagés pour présenter son offre (C.E., 23 déc. 2011, Société Jean-Claude Decaux), soit, enfin, le candidat avait une chance sérieuse d’obtenir le contrat et il a normalement droit à l’indemnisation de l’intégralité de son préjudice (C.E., 8 févr. 2010, Commune de La Rochelle) . En l’espèce, la société SARL Tekhne Architecture semblait avoir de sérieuses chances d’obtenir le contrat puisqu’elle avait été classée en tête, devant le cabinet Robin, par le jury du concours.
Cependant, « la circonstance que des irrégularités aient été commises lors de la procédure d'attribution d'un contrat ne saurait suffire à entraîner l'indemnisation du candidat évincé » (C.E., 10 juill. 2013, Compagnie martiniquaise de transports) . L’office du juge administratif imposait, par conséquent, et comme le rappelle la Cour, qu’il vérifie quelle était « la cause directe de l’éviction du candidat » et s’il existait, dès lors, un lien de causalité entre l’irrégularité de la procédure et le préjudice allégué par la société Tekhne Architecture. Le choix de l’établissement Mâcon Habitat s’est porté sur le cabinet Robin, après des négociations conduites avec les deux candidats proposés par le jury. Ce n’est donc pas, selon le juge, l’irrégularité de la procédure qui aurait conduit à l’éviction de la SARL candidate. La cause de l’éviction serait exclusivement liée à la diminution consentie sur le prix de la prestation par le cabinet Robin lors des négociations. Examinant les autres arguments du candidat évincé, le juge estime que, malgré des « maladresses de pure forme » les vices ayant entachés la procédure ne permettent pas d’établir l’existence d’irrégularité qui « soit la cause directe » de l’éviction de la SARL Tekhne Architecture. Dès lors, le candidat évincé n’a droit à aucune indemnisation.
Cette décision est particulièrement sévère. L’appréciation du lien de causalité par la Cour est très stricte par rapport au jugement du Tribunal administratif de Dijon. Elle l’est d’autant plus que l’un des vices de la procédure pouvait fort bien être regardé comme la cause directe du préjudice du candidat évincé. En effet, la motivation de l’avis du jury est d’une importance capitale pour l’autorité attribuant le contrat, lui permettant de sélectionner les candidats avec lesquels elle souhaite négocier. Celle-ci continue de s’y référer durant les négociations. Or, l’absence de considérations de nature technique ou financière dans l’avis du jury a pu peser sur le choix du candidat. En effet, l’élément dirimant ayant conduit au choix du cabinet Robin par rapport à la SARL Tekhne Architecture semble être, comme c’est souvent le cas, de nature financière, lié au prix de la prestation. Or, la réalisation de la maîtrise d’œuvre d’une opération de création d’un ensemble urbain exigeait sans doute certaines qualités techniques, à mettre en regard avec le prix de la prestation. Si le jury, composé de professionnels, devait avoir connaissance de ces éléments lorsqu’il a classé premier le candidat évincé, l’établissement public, quant à lui, n’en disposait pas, du fait du défaut de motivation de la décision du jury, lorsqu’il a attribué le contrat au cabinet Robin après avoir négocié une diminution du coût de la prestation.
La Cour administrative de Nancy avait, elle aussi, dénié tout droit à indemnisation à un candidat évincé estimant que l’irrégularité de la procédure d’appel d’offres en vue d’attribuer un marché public n’avait eu aucune influence sur le choix de l’attributaire du marché puisque la société évincée ne justifiait « d’aucune référence professionnelle » (C.A.A. Nancy, 5 août 2010, Communauté de communes du pays de Lure) . Cependant, la situation semblait bien différente concernant la société SARL Tekhne Architecture, classée première par un jury de concours. Si la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon peut donc paraître contestable, elle confirme la méthode de raisonnement qu’utilise le juge administratif dans le cadre d’un recours Tropic. Se prononçant, dans un premier temps, sur la légalité de la procédure d’attribution du contrat, ce n’est que dans un second temps que le juge apprécie, après une analyse approfondie et parcimonieuse, la réparation du préjudice du candidat évincé. Si le recours Tropic n’est aujourd’hui plus seulement ouvert au candidat évincé, mais permet aussi aux tiers d’agir contre un contrat (C.E., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne), c’est parce qu’il permet, d’abord et avant tout le rétablissement de la légalité. Dans cette optique, on regrettera cependant, que ce recours ne soit ouvert qu’au tiers « susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine » par la conclusion du contrat.