La Cour administrative d’appel de Lyon a admis qu’une commune pouvait avoir un intérêt à agir contre le permis de construire délivré par une commune voisine.
Commune de Beaune contre Commune de Vignoles, en concernant le recours d’un maire contre le permis de construire délivré par le maire d’une localité voisine, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 1er mars 2011 se situe dans le prolongement des jurisprudences admettant les recours entre autorités administratives et souligne accessoirement les inconvénients qui peuvent parfois résulter de l’existence d’un plan local d’urbanisme dont les limites sont strictement communales.
I. Les recours entre autorités administratives
Depuis l’arrêt Néris-les-Bains du 18 avril 1902 bien connu des lecteurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, aucun obstacle de principe ne s’oppose à ce qu’une autorité administrative forme devant le juge administratif un recours contre une décision émanant d’une autre autorité administrative. Constituant une illustration de l’ouverture des conditions de recevabilité du recours en excès de pouvoir dans le cadre du respect de la légalité administrative, cette jurisprudence a reçu de nombreuses applications. Dans certains cas, le caractère unitaire de l’État est mis à mal devant les exigences de la protection de la légalité administrative. Il en est notamment ainsi pour les recours entre autorités relevant d’une même personne publique (C.E., Sect., 10 mars 1993, Ministre des Finances, Rec. C.E., p. 307). Mais dans la plupart des hypothèses, cette jurisprudence s’insère parfaitement dans le mécanisme de la décentralisation qui implique la reconnaissance au titre de la personnalité publique du droit d’agir en justice pour la défense de ses intérêts. Le recours entre personnes publiques peut alors avoir une dimension verticale ou une dimension horizontale. Il a une dimension verticale lorsqu’il s’insère dans le cadre des relations de tutelle : recours d’une autorité décentralisée contre son autorité de tutelle (C.E. 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 10) ou recours d’une autorité de tutelle contre une autorité décentralisée (C.E. 24 novembre 1911, Commune de Saint-Blancard, Rec. C.E., p. 1089). Il a une dimension horizontale lorsqu’il n’implique que des autorités décentralisées.
C’est à cette dernière hypothèse que se rattache l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 1er mars 2011. Tout en rappelant que l’absence d’irrecevabilité de principe du recours entre personnes publiques ne dispense pas le requérant d’avoir à justifier d’un intérêt à agir, l’arrêt apporte des précisions sur ce que peut être l’intérêt d’une commune à attaquer le permis délivré par une commune voisine. Il n’y a pas en effet pour le recours des personnes publiques de présomption d’intérêt à agir comme celle qui bénéficie, en raison de leur qualité, aux usagers d’un service public souhaitant contester les mesures prises pour l’organisation et le fonctionnement du service (C.E. 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix de Séguey-Tivoli, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 17), aux contribuables locaux désireux d’attaquer les décisions locales ayant pour effet d’accroître une dépense (C.E. 29 mars 1901, Casanova, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 8) ou aux électeurs vis-à-vis des actes relatifs aux opérations électorales (CE, Ass., 19 octobre 1962, B., Rec. C.E., p. 533) . Si une personne publique peut parfaitement avoir l’une de ces qualités lui donnant un intérêt à agir, il a par exemple été jugé qu’une commune avait en sa qualité de contribuable départemental un intérêt à attaquer l’octroi d’une subvention par un département à une autre commune (C.E., 11 juin 1997, Département de l’Oise, R.F.D.A. 1997, p. 948, concl. L. Touvet), une personne publique ne tient pas de sa seule nature une qualité à agir contre les autres personnes publiques. Mis à part les cas qui viennent d’être indiqués, elle doit par conséquent justifier d’un intérêt à agir.
Or, en matière de contentieux du permis de construire, hors le cas des associations qui font l’objet d’un traitement à part prévu par l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme, l’intérêt à agir du requérant est apprécié au regard de deux critères (V. J. Moreau, « L’intérêt à agir dans le contentieux administratif de la légalité en matière de permis de construire », in Mélanges E. Langavant, L’Harmattan, 1998, p. 317 ; Ch. Vigouroux, « Intérêt pour agir et urbanisme : où en est la jurisprudence ? », BJDU 3/1994, p. 3) . En premier lieu, le juge administratif tient compte de la proximité du requérant avec la construction projetée, l’exigence de proximité étant plus ou moins souple en fonction de l’importance de l’ouvrage à construire. En second lieu, le juge administratif veille à ce que l’intérêt invoqué par le requérant se rattache au droit de l’urbanisme, l’intérêt purement commercial étant notamment exclu (C.E., Sect., 5 octobre 1979, S.C.I. Adal d’Arvor, Rec. C.E., p. 365) de même que l’intérêt entièrement philosophique (C.E. 29 juillet 1983, Fédération départementale des libres penseurs des Yvelines, Rec. C.E., p. 357) ou l’intérêt exclusivement social (C.E. 1er décembre 1993, Comité d’entreprise de la Société française de munitions, Rec. C.E. tables, p. 1116, BJDU 2/1994, p. 111, concl. contraires Ch. Vigouroux) .
C’est cette jurisprudence que la Cour administrative d’appel de Lyon a appliquée au recours de la commune de Beaune contre le permis délivré par la commune de Vignoles. Pour censurer le jugement du Tribunal administratif de Dijon qui avait opposé l’irrecevabilité de la requête, la Cour a en effet estimé que la commune de Beaune justifiait d’une proximité directe de son territoire avec le projet de construction et d’un intérêt résultant de l’incompatibilité de la réglementation d’urbanisme applicable à ce territoire voisin avec la construction projetée. Si le juge administratif avait déjà eu l’occasion d’admettre la recevabilité du recours d’une commune contre un permis délivré au nom de l’État sur son territoire (C.E., Sect., 10 mars 1978, Commune de Roquefort-les-Pins, Rec. C.E., p. 126 ; C.A.A Lyon, 14 décembre 1993, Sté Cobim c./ Ministre de l’Équipement, n° 093LY00129) ou sur le territoire d’une autre commune (C.E. 17 juin 1987, Ville de Boulogne-Billancourt, Rec. C.E., p. 218), c’est la première fois qu’il est appelé à se prononcer sur la recevabilité d’un tel recours entre communes dans le cadre horizontal et non pas vertical de la décentralisation. Une banalisation du traitement de la personne publique requérante s’en ressent, les conditions de recevabilité étant aussi strictes que celles s’imposant à n’importe quel particulier. Mais quelles que soient la satisfaction de ces conditions sur le terrain du contentieux, on peut observer qu’une commune pourra toujours dans le cadre d’un recours administratif demander à une autre commune de retirer le permis de construire qu’elle a délivré. Le recours contentieux doit-il seulement être le succédané d’un recours contentieux irrecevable ? Sans doute pas. On pourrait souhaiter, à l’exemple du déféré préfectoral, que les collectivités publiques aient le réflexe de commencer par former un recours administratif avant de saisir le juge administratif d’un recours en excès de pouvoir. L’action contentieuse d’une collectivité territoriale vis-à-vis d’une autre collectivité territoriale doit être en effet subsidiaire, a fortiori lorsqu’elles font partie comme c’est le cas des communes de Beaune et de Vignoles depuis le 1er janvier 2007 d’une même structure intercommunale.
II- Les limites d’un urbanisme strictement communal
Comme le montre l’arrêt du 1er mars 2007, il n’y a qu’une route entre la zone UC pavillonnaire, de densité moyenne, de la commune de Beaune et la commune de Vignoles où la réalisation d’un vaste programme de construction de trois bâtiments collectifs d’habitation était projetée. Le permis de construire a certes été annulé par la Cour administrative d’appel de Lyon, mais il l’a été, comme il se doit, pour violation du plan local d’urbanisme de la commune de Vignoles en raison d’une méconnaissance des règles relatives aux hauteurs des constructions. L’incompatibilité du projet avec le zonage de la commune de Beaune a été pris en compte au stade de l’examen de la recevabilité du recours, elle n’a aucune incidence sur l’examen de son bien fondé. L’arrêt fait donc ressortir de manière particulièrement manifeste les difficultés de la réglementation de l’usage des sols sur les territoires adjacents de deux communes. Aux termes de l’article L. 123-6 du Code de l’urbanisme, l’élaboration des plans locaux d’urbanisme relève en effet en principe de la compétence communale.
Différents instruments permettent de pallier les limites de la planification en cas de contiguïté du territoire urbain entre plusieurs communes. Un établissement public de coopération intercommunal peut d’abord recevoir compétence pour élaborer et gérer un plan local d’urbanisme. Cette compétence est au demeurant transférée de plein droit en ce qui concerne les communautés urbaines. Si la concentration du plan local d’urbanisme est sans doute la manière la plus efficace d’améliorer la planification urbaine, elle n’est pas la plus facile à mettre en œuvre, les maires étant réticents à se dessaisir d’une compétence aussi majeure pour le développement de leur commune. De fait, les communes de Beaune et de Vignoles font partie d’une même communauté d’agglomération, la Communauté d’agglomération Beaune Côte et Sud, ne disposant pas de la compétence en matière de plan local d’urbanisme. Un autre instrument, dans lequel le législateur a placé l’essentiel de ses espoirs, passe par la coordination des plans locaux d’urbanisme dans le cadre d’un schéma de cohérence territoriale (S.C.O.T.) élaboré par un établissement public de coopération intercommunale.
Instaurés par depuis la loi Solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, les S.C.O.T sont un véritable instrument de planification de l’urbanisme dépassant le strict cadre communal. Toutefois, à la différence des anciens schémas directeurs, ils ne déterminent pas la destination générale des sols qui continue à relever du plan local d’urbanisme. Ils se bornent à définir « les orientations générales de l’organisation de l’espace ». Il n’est donc pas certain que les S.C.O.T permettraient de régler des difficultés de l’ordre de celles que l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon révèle.