Intérêt donnant qualité à agir d’une commune contre un projet d’importance d’une commune voisine

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 08LY02833 – Commune de Beaune – 01 mars 2011 – R

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 08LY02833

Numéro Légifrance : CETATEXT000024736322

Date de la décision : 01 mars 2011

Code de publication : R

Index

Mots-clés

Permis de construire, Intérêt à agir, Proximité directe, Importance du projet, Recours entre autorités administratives

Rubriques

Urbanisme et environnement, Procédure

Résumé

En l’espèce, un permis de construire a été délivré par la commune de Vignoles pour la construction de trois bâtiments collectifs à usage d’habitation, développant 3 500 m² de surface hors œuvre nette. Or, le projet litigieux se situait à proximité de zones pavillonnaires ou destinées à le devenir de la commune de Beaune et n’était séparé de son territoire que par une seule voie, sur laquelle les accès du projet étaient prévus.

Compte tenu de la relative importance du projet situé sur la commune de Vignoles et des caractéristiques des parties du territoire de la commune de Beaune situées à proximité directe de ce projet, cette commune justifie d’un intérêt à agir à l’encontre du permis de construire. Cf. 1987-06-17, Ville de Boulogne-Billancourt, p 218.

Conclusions du rapporteur public

Thomas Besson

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5858

La commune de Beaune fait appel d’un jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 octobre 2008 rejetant sa demande tendant à l’annulation du permis que le maire de Vignoles a délivré à la SA Loft, le 23 novembre 2006, pour la construction d’un ensemble de 3 immeubles représentant 63 logements sur un terrain situé à l’angle de la rue de l’Université américaine et de la rue Gaston Chevrolet.

Le tribunal administratif a considéré que la commune de Beaune ne justifiait pas d’un intérêt suffisant pour agir en se bornant à soutenir que les caractéristiques architecturales du projet le rendraient incompatible avec ses propres choix urbanistiques, alors qu’il ressort de son plan local d'urbanisme que la zone UC pavillonnaire jouxte la zone d’activités économiques diverses créée conjointement par les deux communes et que les pavillons édifiés sur cette même zone UC sont séparés du terrain d’assiette du projet par plusieurs parcelles bâties sous la forme d’habitat individuel sur le territoire de la commune de Vignoles.

Nous ne partageons pas cette analyse dans la mesure où il a au contraire déjà été jugé implicitement qu’une commune justifiait d’un intérêt suffisant pour agir contre un permis de construire délivré en vue par exemple de l'extension d’un stade – il s’agissait certes de Roland Garros - situé sur le territoire d’une commune voisine (CE, 17 juin 1987, Ville de Boulogne-Billancourt, p. 218). De même, il a été admis qu’une commune dont les captages d’eau potable se situent à proximité d’une installation qui a fait l’objet d’un permis de construire délivré par le maire d’une commune voisine justifiait de ce fait d’un intérêt lui donnant qualité pour déférer ce permis au juge de l’excès de pouvoir (CE, 2 avril 1993, 129906, SA « Michel Caugant »). Et dans un registre voisin, il a été admis qu’une commune limitrophe d'une zone industrielle située sur le territoire de la commune voisine justifiait d'un intérêt à contester la délibération du conseil municipal de celle-ci approuvant la révision de son plan d'occupation des sols en vue de procéder à une extension de ladite zone industrielle (CE, 19 mars 1993, 119147, Commune de Saint-Egrève).

Ce qui compte en la matière est la proximité du projet et son impact sur les choix de la commune voisine et la situation de sa population. Or, au cas particulier, le projet autorisé est de nature, par son volume, sa densité et la circulation qu’il induit, à avoir une incidence sur la zone pavillonnaire que la commune de Beaune entend pour sa part continuer à développer de l’autre côté de la rue de l’Université américaine séparant les deux communes et desservant le projet.

Irrégulier pour avoir rejeté la demande comme irrecevable, le jugement devra donc être annulé. Evoquant l’affaire, vous pourrez alors rapidement faire droit à deux moyens de la commune de Beaune.

Les trois bâtiments prévus sont présentés comme étant composés d’un rez-de-chaussée, d’un étage d’habitation et de combles à la Mansart abritant un troisième niveau d’habitation. Une telle présentation ne correspond toutefois pas à la réalité technique des bâtiments dont les plans de coupe montrent au contraire que le troisième niveau d’habitation ne se situe pas dans les combles qui, mansardés ou non, correspondent à la superstructure du bâtiment comprenant la charpente et sa couverture, mais, sous les combles, dans le corps même du bâtiment. Il s’ensuit que ce projet, qualifié d’ailleurs de faux Mansart sur le plan le coupe paysager joint au plan de masse, méconnaît l’article UA 10 du règlement du PLU de Vignoles selon lequel « la hauteur des constructions ne peut excéder : R + 1 + C pour les constructions d’habitation ». Et comme il est également prévu de couvrir de tuiles les façades du second étage pour donner l’illusion d’un brisis de toiture à la Mansart, cet habillage méconnaît quant à lui l’article UA 11-3 du règlement du PLU prescrivant notamment la recherche d’une unité d’aspect dans le traitement de toutes les façades, les façades des bâtiments d’habitation devant être enduites, avec ou sans peinture, à l’exception des pierres destinées dès l’origine à rester visibles (encadrements, bandeaux, corniches…), les bardages devant être réalisés en bois naturel et les ouvertures des différents niveaux d’une façade devant s’harmoniser.

Ajoutons pour mémoire qu’à supposer que le dernier niveau d’habitation puisse être regardé comme mansardé, il méconnaîtrait alors les dispositions de l’article UA 11-2 du PLU prescrivant que les pentes de toiture soient comprises entre 30° et 45°, ce qui correspondrait alors au brisis étant ici quasiment vertical.

Par ces motifs, Nous concluons à l’annulation du jugement et de la décision attaqués, la commune de Vignoles versant enfin à la commune de Beaune une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Droits d'auteur

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Intérêt pour agir d'une commune contre le permis de construire délivré par une commune voisine

Hervé de Gaudemar

Agrégé de droit public, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.5859

La Cour administrative d’appel de Lyon a admis qu’une commune pouvait avoir un intérêt à agir contre le permis de construire délivré par une commune voisine.

Commune de Beaune contre Commune de Vignoles, en concernant le recours d’un maire contre le permis de construire délivré par le maire d’une localité voisine, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 1er mars 2011 se situe dans le prolongement des jurisprudences admettant les recours entre autorités administratives et souligne accessoirement les inconvénients qui peuvent parfois résulter de l’existence d’un plan local d’urbanisme dont les limites sont strictement communales.

I. Les recours entre autorités administratives

Depuis l’arrêt Néris-les-Bains du 18 avril 1902 bien connu des lecteurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, aucun obstacle de principe ne s’oppose à ce qu’une autorité administrative forme devant le juge administratif un recours contre une décision émanant d’une autre autorité administrative. Constituant une illustration de l’ouverture des conditions de recevabilité du recours en excès de pouvoir dans le cadre du respect de la légalité administrative, cette jurisprudence a reçu de nombreuses applications. Dans certains cas, le caractère unitaire de l’État est mis à mal devant les exigences de la protection de la légalité administrative. Il en est notamment ainsi pour les recours entre autorités relevant d’une même personne publique (C.E., Sect., 10 mars 1993, Ministre des Finances, Rec. C.E., p. 307). Mais dans la plupart des hypothèses, cette jurisprudence s’insère parfaitement dans le mécanisme de la décentralisation qui implique la reconnaissance au titre de la personnalité publique du droit d’agir en justice pour la défense de ses intérêts. Le recours entre personnes publiques peut alors avoir une dimension verticale ou une dimension horizontale. Il a une dimension verticale lorsqu’il s’insère dans le cadre des relations de tutelle : recours d’une autorité décentralisée contre son autorité de tutelle (C.E. 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 10) ou recours d’une autorité de tutelle contre une autorité décentralisée (C.E. 24 novembre 1911, Commune de Saint-Blancard, Rec. C.E., p. 1089). Il a une dimension horizontale lorsqu’il n’implique que des autorités décentralisées.

C’est à cette dernière hypothèse que se rattache l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 1er mars 2011. Tout en rappelant que l’absence d’irrecevabilité de principe du recours entre personnes publiques ne dispense pas le requérant d’avoir à justifier d’un intérêt à agir, l’arrêt apporte des précisions sur ce que peut être l’intérêt d’une commune à attaquer le permis délivré par une commune voisine. Il n’y a pas en effet pour le recours des personnes publiques de présomption d’intérêt à agir comme celle qui bénéficie, en raison de leur qualité, aux usagers d’un service public souhaitant contester les mesures prises pour l’organisation et le fonctionnement du service (C.E. 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix de Séguey-Tivoli, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 17), aux contribuables locaux désireux d’attaquer les décisions locales ayant pour effet d’accroître une dépense (C.E. 29 mars 1901, Casanova, G.A.J.A., Dalloz, 2009, 17e éd., n° 8) ou aux électeurs vis-à-vis des actes relatifs aux opérations électorales (CE, Ass., 19 octobre 1962, B., Rec. C.E., p. 533) . Si une personne publique peut parfaitement avoir l’une de ces qualités lui donnant un intérêt à agir, il a par exemple été jugé qu’une commune avait en sa qualité de contribuable départemental un intérêt à attaquer l’octroi d’une subvention par un département à une autre commune (C.E., 11 juin 1997, Département de l’Oise, R.F.D.A. 1997, p. 948, concl. L. Touvet), une personne publique ne tient pas de sa seule nature une qualité à agir contre les autres personnes publiques. Mis à part les cas qui viennent d’être indiqués, elle doit par conséquent justifier d’un intérêt à agir.

Or, en matière de contentieux du permis de construire, hors le cas des associations qui font l’objet d’un traitement à part prévu par l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme, l’intérêt à agir du requérant est apprécié au regard de deux critères (V. J. Moreau, « L’intérêt à agir dans le contentieux administratif de la légalité en matière de permis de construire », in Mélanges E. Langavant, L’Harmattan, 1998, p. 317 ; Ch. Vigouroux, « Intérêt pour agir et urbanisme : où en est la jurisprudence ? », BJDU 3/1994, p. 3) . En premier lieu, le juge administratif tient compte de la proximité du requérant avec la construction projetée, l’exigence de proximité étant plus ou moins souple en fonction de l’importance de l’ouvrage à construire. En second lieu, le juge administratif veille à ce que l’intérêt invoqué par le requérant se rattache au droit de l’urbanisme, l’intérêt purement commercial étant notamment exclu (C.E., Sect., 5 octobre 1979, S.C.I. Adal d’Arvor, Rec. C.E., p. 365) de même que l’intérêt entièrement philosophique (C.E. 29 juillet 1983, Fédération départementale des libres penseurs des Yvelines, Rec. C.E., p. 357) ou l’intérêt exclusivement social (C.E. 1er décembre 1993, Comité d’entreprise de la Société française de munitions, Rec. C.E. tables, p. 1116, BJDU 2/1994, p. 111, concl. contraires Ch. Vigouroux) .

C’est cette jurisprudence que la Cour administrative d’appel de Lyon a appliquée au recours de la commune de Beaune contre le permis délivré par la commune de Vignoles. Pour censurer le jugement du Tribunal administratif de Dijon qui avait opposé l’irrecevabilité de la requête, la Cour a en effet estimé que la commune de Beaune justifiait d’une proximité directe de son territoire avec le projet de construction et d’un intérêt résultant de l’incompatibilité de la réglementation d’urbanisme applicable à ce territoire voisin avec la construction projetée. Si le juge administratif avait déjà eu l’occasion d’admettre la recevabilité du recours d’une commune contre un permis délivré au nom de l’État sur son territoire (C.E., Sect., 10 mars 1978, Commune de Roquefort-les-Pins, Rec. C.E., p. 126 ; C.A.A Lyon, 14 décembre 1993, Sté Cobim c./ Ministre de l’Équipement, n° 093LY00129) ou sur le territoire d’une autre commune (C.E. 17 juin 1987, Ville de Boulogne-Billancourt, Rec. C.E., p. 218), c’est la première fois qu’il est appelé à se prononcer sur la recevabilité d’un tel recours entre communes dans le cadre horizontal et non pas vertical de la décentralisation. Une banalisation du traitement de la personne publique requérante s’en ressent, les conditions de recevabilité étant aussi strictes que celles s’imposant à n’importe quel particulier. Mais quelles que soient la satisfaction de ces conditions sur le terrain du contentieux, on peut observer qu’une commune pourra toujours dans le cadre d’un recours administratif demander à une autre commune de retirer le permis de construire qu’elle a délivré. Le recours contentieux doit-il seulement être le succédané d’un recours contentieux irrecevable ? Sans doute pas. On pourrait souhaiter, à l’exemple du déféré préfectoral, que les collectivités publiques aient le réflexe de commencer par former un recours administratif avant de saisir le juge administratif d’un recours en excès de pouvoir. L’action contentieuse d’une collectivité territoriale vis-à-vis d’une autre collectivité territoriale doit être en effet subsidiaire, a fortiori lorsqu’elles font partie comme c’est le cas des communes de Beaune et de Vignoles depuis le 1er janvier 2007 d’une même structure intercommunale.

II- Les limites d’un urbanisme strictement communal

Comme le montre l’arrêt du 1er mars 2007, il n’y a qu’une route entre la zone UC pavillonnaire, de densité moyenne, de la commune de Beaune et la commune de Vignoles où la réalisation d’un vaste programme de construction de trois bâtiments collectifs d’habitation était projetée. Le permis de construire a certes été annulé par la Cour administrative d’appel de Lyon, mais il l’a été, comme il se doit, pour violation du plan local d’urbanisme de la commune de Vignoles en raison d’une méconnaissance des règles relatives aux hauteurs des constructions. L’incompatibilité du projet avec le zonage de la commune de Beaune a été pris en compte au stade de l’examen de la recevabilité du recours, elle n’a aucune incidence sur l’examen de son bien fondé. L’arrêt fait donc ressortir de manière particulièrement manifeste les difficultés de la réglementation de l’usage des sols sur les territoires adjacents de deux communes. Aux termes de l’article L. 123-6 du Code de l’urbanisme, l’élaboration des plans locaux d’urbanisme relève en effet en principe de la compétence communale.

Différents instruments permettent de pallier les limites de la planification en cas de contiguïté du territoire urbain entre plusieurs communes. Un établissement public de coopération intercommunal peut d’abord recevoir compétence pour élaborer et gérer un plan local d’urbanisme. Cette compétence est au demeurant transférée de plein droit en ce qui concerne les communautés urbaines. Si la concentration du plan local d’urbanisme est sans doute la manière la plus efficace d’améliorer la planification urbaine, elle n’est pas la plus facile à mettre en œuvre, les maires étant réticents à se dessaisir d’une compétence aussi majeure pour le développement de leur commune. De fait, les communes de Beaune et de Vignoles font partie d’une même communauté d’agglomération, la Communauté d’agglomération Beaune Côte et Sud, ne disposant pas de la compétence en matière de plan local d’urbanisme. Un autre instrument, dans lequel le législateur a placé l’essentiel de ses espoirs, passe par la coordination des plans locaux d’urbanisme dans le cadre d’un schéma de cohérence territoriale (S.C.O.T.) élaboré par un établissement public de coopération intercommunale.

Instaurés par depuis la loi Solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, les S.C.O.T sont un véritable instrument de planification de l’urbanisme dépassant le strict cadre communal. Toutefois, à la différence des anciens schémas directeurs, ils ne déterminent pas la destination générale des sols qui continue à relever du plan local d’urbanisme. Ils se bornent à définir « les orientations générales de l’organisation de l’espace ». Il n’est donc pas certain que les S.C.O.T permettraient de régler des difficultés de l’ordre de celles que l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon révèle.

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