Qualité d’intervenant à l’instance dirigée contre un refus de régularisation de permis de construire

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 22LY01107 – Société HPL Bizeaudun – 04 mars 2025 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY01107

Date de la décision : 04 mars 2025

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Régularisation d’une autorisation d’urbanisme, L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, Sursis à statuer, Qualité de partie, Qualité d’intervenant, R. 612-5-1 du code de justice administrative, R. 431-11 du code de justice administrative

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Sursis à statuer en vue de la régularisation d'une autorisation d'urbanisme (art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme) - Absence de notification au juge d'une mesure de régularisation - Conséquences – 1) Annulation de l'autorisation de construire - 2) Contestation du refus de régularisation possible uniquement dans le cadre d'une nouvelle instance portant sur le refus d'autoriser le projet dans son ensemble - 3) Litige contre ce refus – Reconnaissance de la qualité de partie à l’instance des demandeurs de première instance – Absence – qualité d’intervenants.

À compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, si aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l'autorisation. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter1.

Les demandeurs de première instance qui avaient obtenu l’annulation du permis de construire initial à défaut de régularisation du vice relevé par le tribunal n’ont pas qualité de partie à l’instance d’appel portant sur le jugement du tribunal administratif ayant rejeté la demande de la société pétitionnaire d’annuler le refus de permis de régularisation opposé par l’autorité compétente après un jugement avant-dire-droit, alors même qu’ils avaient été appelés comme observateurs dans la première instance. Ils justifient en revanche d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions tendant au rejet de la demande d’annulation du jugement du tribunal administratif rejetant la demande d’annulation de ce refus présentée par la société pétitionnaire.

Requérant dont l’avocat s’est déconstitué – Invitation à constituer un nouvel avocat non suivie d’effet – Demande de confirmation du maintien des conclusions (article R. 612-5-1 du CJA) – Absence – Courrier de confirmation du maintien des conclusions adressé par un tiers dont la qualité à représenter le requérant n’est pas précisée ni établie – Désistement d’office sans qu’ait d’incidence la circonstance que le juge n’a pas, à nouveau sollicité du requérant, qu’il se fasse représenter par un mandataire (article R.  431-11 du CJA).

Un requérant, qui n’est plus représenté par le ministère d’un avocat et qui n’a pas répondu à l’invitation qui lui a été faite de se faire représenter, ne peut valablement confirmer le maintien de sa requête, à la suite de l’invitation faite par le juge sur le fondement de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative, par l’envoi d’un courrier présenté par un tiers dont la qualité à le représenter n’est pas indiquée ni précisée à la suite d’une demande de la juridiction, sans qu’il y ait lieu pour le juge de lui demander, à nouveau, de régulariser sa requête en vertu des exigences de l'article R. 431-11 du code de justice administrative.

54-05-03-01, Procédure, Incidents, Intervention, Recevabilité
54-05-04-03, Procédure, Incidents, Désistement, Désistement d’office
68-06, Urbanisme et aménagement du territoire, Règles de procédure contentieuse spéciales

Notes

1 Cf CE 9 novembre 2021, Société civile de construction vente Lucien Viseur, n° 440028, B.

Quand l’administration dit non à la régularisation

Emilie Barbin

Professeure de droit public – Université de Grenoble – Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes

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DOI : 10.35562/alyoda.10032

La décision de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 4 mars 2025 apporte des précisions relatives au contentieux du refus de régulariser, faisant suite à une invitation juridictionnelle à corriger un permis de construire illégal formulée dans le cadre de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Dans la mesure où elle ne procède pas à un examen au fond de l’affaire, elle laisse encore en suspens un certain nombre de questions, en particulier celle relative à la latitude dont dispose l’administration pour réaliser les mesures de régularisation requises.

La création de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a considérablement élargi les possibilités de régularisation d’actes administratifs illégaux, jusqu’alors principalement déployées au sein du contentieux des actes détachables d’un contrat administratif1. La perspective ouverte par l’article L. 600-5-1 d’un sursis à statuer, complétant la technique de l’annulation partielle déjà existante2, devait faire – assez classiquement – du contentieux de l’urbanisme le véritable laboratoire de la régularisation. Outre la reconnaissance de ce pouvoir aux mains du juge administratif, l’introduction d’un possible sursis à statuer laissait toutefois en suspens un certain nombre de questions3 relatives au cadre de l’instance, aux moyens invocables, à la contestation des mesures de correction, etc. La plupart d’entre elles trouvent progressivement des réponses au gré des litiges soumis à la juridiction, d’autres naissent à l’épreuve de la pratique. Car, fondamentalement, la régularisation éprouve le rapport au temps – contentieux, notamment –, puisqu’elle suppose un retour en arrière, une suspension du temps présent et se projette dans un futur incertain. Conjugué au temps de l’instance, celui de la régularisation invite régulièrement le juge à en préciser les modalités, bâtissant ainsi un régime contentieux propre.

À cet égard, la décision rendue par la cour administrative d’appel de Lyon le 4 mars 2025 s’inscrit dans la continuité de la solution dégagée par l’arrêt Société civile de construction vente Lucien Viseur4, selon laquelle la contestation de la légalité du refus de régulariser l’acte administratif ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une nouvelle instance, tout en apportant d’utiles éclairages sur le statut des demandeurs initiaux lors du nouveau recours. L’occasion lui a été donnée par la requête initialement déposée par M. D. et autres demandant l’annulation du permis de construire délivré par la commune de Ville-la-Grand le 31 mai 2019 et complété par un permis modificatif le 16 juillet 2020 à la société HPL Bizeaudun pour la construction de soixante-dix logements collectifs et d’un parking en sous-sol, ainsi que la décision du 22 septembre 2019 portant rejet de leur recours gracieux. Après avoir relevé que le permis de construire méconnaissait les articles R. 111-2 du Code de l’urbanisme et UC 3 du plan local d’urbanisme, le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 15 février 2021, a considéré que ces vices étaient régularisables. Sur le fondement de l’article L. 600- 5-1 du Code de l’urbanisme, il a d’abord sursis à statuer, laissant un délai de trois mois à la société civile de construction vente HPL Bizeaudun et à la commune de Ville-la-Grand pour notifier au tribunal un permis de construire modificatif apportant les corrections requises. Le maire a toutefois refusé d’adopter les mesures de régularisation nécessaires à la légalité du permis de construire par un arrêté en date du 1er juillet 2021 ; celui-ci devait logiquement aboutir à un jugement d’annulation des permis de construire, rendu par le tribunal administratif le 9 février 20225, lequel, du fait de la non-admission du pourvoi en cassation, est devenu définitif. Si le premier recours est éteint, l’affaire ne devait pas en rester là puisque la société Bizeaudun souhaitait contester le refus du maire d’adopter les mesures de régularisation sollicitées. Elle a, pour cela, déposé un nouveau recours contre l’arrêté municipal du 1er juillet 2021, rejeté par un jugement du 9 février 20226 objet de l’appel.

Si elle rappelle le cadre général dans lequel doit intervenir la contestation d’un refus de régularisation, la cour administrative d’appel de Lyon n’a toutefois pas eu à se prononcer sur le fond de l’affaire, constatant le désistement d’office de la requête d’appel de la société Bizeaudun. Cette décision s’explique en deux temps. En premier lieu, après la décision de l’avocat de la société de mettre un terme au mandat de représentation, la cour administrative d’appel avait demandé au requérant de régulariser la procédure. L’absence de réponse demeurait toutefois sans effet sur la suite de la procédure dès lors que, dans les recours où la représentation est obligatoire7, il existe une règle de procédure selon laquelle les obligations professionnelles de l’avocat ne s’éteignent que lorsque celui-ci est remplacé8. Toutefois, en second lieu, le requérant a ensuite été invité à confirmer le maintien de ses conclusions9. La seule réponse apportée a consisté en un courrier par lequel le service juridique de la société Alila déclarait maintenir les conclusions de la requête de la société HPL Bizeaudun. Ce courrier ne pouvait toutefois être assimilé à une confirmation de requête, dès lors que, la qualité de ce tiers pour représenter la société n’étant pas précisée, il était présenté sans ministère d’avocat. Aussi la cour administrative d’appel de Lyon a-t-elle pu, sans formuler une nouvelle demande de régularisation, donner acte du désistement d’office de la requête d’appel. En dépit du rejet de la requête indépendamment de son examen au fond, cette décision offre une nouvelle occasion de se pencher sur les invitations juridictionnelles à régulariser un acte administratif (I), tout en précisant le cadre contentieux du refus de régularisation (II).

I. L’invitation juridictionnelle à régulariser

S’il existe des hypothèses dans lesquelles le juge administratif exerce directement un pouvoir de régularisation en corrigeant directement les actes administratifs illégaux (par substitution de base légale ou de motifs, principalement), il est aussi titulaire d’un pouvoir juridictionnel d’initiative10. Dans cette hypothèse, après avoir constaté l’existence d’une irrégularité qu’il estime susceptible de correction, le juge invite l’auteur (ou les auteurs) de l’acte à procéder aux modifications requises. Né en contentieux contractuel11, ce pouvoir d’initiative trouve un important terreau d’épanouissement en contentieux de l’urbanisme et, particulièrement, en matière de permis de construire, par le biais des annulations conditionnelles12 ou du sursis à statuer. Ouvert par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, ce dernier suppose que

« le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoi[e] à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux ».

Particulièrement bien adapté à la logique de la régularisation, ce « dispositif de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge »13 à statuer confère au juge administratif un rôle pivot dans le processus de correction, d’autant plus qu’il peut être mis en œuvre en l’absence de conclusions en ce sens14.

Le recours au sursis à statuer suppose d’une part une unité d’instance et d’autre part un recentrage du contentieux autour de la mesure de régularisation envisagée. Aussi comme le rappelle la cour administrative d’appel de Lyon,

« à compter de la décision par laquelle le juge recourt à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. A ce titre, les parties peuvent contester la légalité d’un permis de régularisation par des moyens propres et au motif qu’il ne permet pas de régulariser le permis initial ».

Cette formulation désormais classique15, reprenant une solution dégagée par le Conseil d’État peu de temps après l’adoption de l’article L. 600-5-1 16et désormais gravée dans le marbre législatif17, s’explique aisément au regard des objectifs d’efficacité et de sécurité juridique sous-tendus par la régularisation. Ces précisions autour du cadre contentieux du sursis à statuer pour régulariser ont été dirigées, de prime abord, à l’égard du demandeur initial, lequel demeure le principal facteur de « risque » (contentieux) pour les bénéficiaires du permis de construire. Dans cette relation triangulaire qui lie le bénéficiaire de l’acte, l’administration autrice de l’acte et le tiers, il existe pourtant une autre configuration – sans doute plus inhabituelle – susceptible de donner prise à la contestation : celle du refus, opposé par l’administration, de régulariser l’acte litigieux.

II. Le cadre contentieux du refus de régularisation

Lorsqu’elle est invitée par le juge administratif à régulariser un acte administratif, l’administration dispose d’une alternative : soit elle procède à la correction demandée, ce qui aura pour effet de faire basculer l’acte administratif du bon côté de la légalité ; soit elle refuse d’adopter la mesure de régularisation, ce qui entraînera la disparition de l’acte administratif. Si, a priori, l’intérêt de l’administration se situe plutôt du côté du maintien de l’acte – scellant une alliance contentieuse objective entre le bénéficiaire et l’auteur de l’acte –, il peut aussi se manifester par une préférence pour sa disparition, supposant alors de refuser la régularisation. Plusieurs éléments – contextuels et juridiques – peuvent expliquer ce choix (changement de majorité politique, restrictions budgétaires ou, tout simplement, « changement de pied de l’administration »18), mais tous permettent-ils de justifier un refus de régulariser ? Autrement dit, la décision de ne pas procéder à la correction d’un acte administratif illégal est-elle libre ? En l’espèce, le vice identifié par le tribunal administratif de Grenoble avant de surseoir à statuer, tenant à l’insuffisance de la route d’accès aux futurs logements, n’avait, selon la commune, pas été corrigé par les modifications incluses dans la demande de permis modificatif formulée par la société HPL Bizeaudun. C’est justement contre le refus opposé par la commune de délivrer un permis de régularisation que la société bénéficiaire a dès lors intenté un recours par excès de pouvoir, rejeté en première instance par le tribunal administratif de Grenoble. Portée devant la cour administrative d’appel de Lyon, cette affaire représentait l’occasion, plutôt rare, d’affiner le cadre contentieux du recours contre le refus de régularisation.

D’une part, la cour administrative d’appel rappelle que le refus de régulariser entraîne le permis de construire illégal, mettant fin à l’instance. Reprenant le considérant dégagé par le Conseil d’État dans son arrêt Société civile de construction vente Lucien Viseur19, elle énonce que, « si aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il appartient au juge de prononcer l’annulation de l’autorisation de construire litigieuse, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l’autorisation. » En somme, l’instance étant bornée par l’objet du litige, à savoir la contestation du permis, elle se termine par l’absence de correction à l’issue du délai fixé par le juge. Dans le cadre d’une relation triangulaire, cette issue contentieuse laissera sans doute insatisfait le bénéficiaire de l’acte, lequel pourra s’engager dans un nouveau recours, dirigé cette fois-ci contre le refus de régulariser. Réitérant toujours la solution dégagée par le Conseil d’État, la cour administrative d’appel mentionne qu’« une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d’une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d’autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu’il était envisagé d’y apporter. » La présence de cette incise, sur proposition du rapporteur public, constitue une précaution, visant à éloigner le risque de rejet pour non-lieu qui pouvait planer sur un litige concernant des permis modificatifs privés de base légale, dès lors que le permis original était annulé20. Bien que l’ouverture d’une nouvelle instance paraisse contrevenir à l’objectif d’efficacité qui commande l’ensemble du droit du contentieux de l’urbanisme, augurant une exception à la logique de « tunnels » ou de « corridors » qui prévaut en la matière, elle permet néanmoins au pétitionnaire de disposer d’une voie de recours contre le refus de régulariser.

D’autre part, la décision commentée renseigne sur le statut des demandeurs originels. Ceux-ci étant à l’origine du recours dirigé contre le permis de construire désormais annulé, conservent-ils un rôle dans la nouvelle instance ouverte par le recours dirigé, cette fois-ci, contre le refus de régularisation ? La cour administrative d’appel estimant que leurs « droits n’étaient pas susceptibles d’être affectés par la décision de refus de régularisation », ils ne bénéficient pas de la qualité de partie, et ne sont, par conséquent, pas recevables à relever appel du jugement21. Toutefois, dans la mesure où leur point de vue peut apparaître utile, ils ont été « appelés à présenter des observations dans le cadre de l’instance dirigée contre le refus de permis de régularisation ». L’appel en cause peut, comme en l’espèce, ouvrir la voie de l’intervention en appel, dès lors que le demandeur initial présente un intérêt suffisant. En revanche, ce dernier ne serait qualifié de partie à l’instance que s’il avait eu qualité pour former tierce opposition22. Cette mise en lumière inédite du statut du demandeur initial peaufine encore les contours du recours contre le refus de régulariser, de manière a priori conforme à la distinction entre les recours formés, le cas échéant, contre la décision positive de régulariser (instance initiale dans laquelle le demandeur initial est partie) et contre la décision négative du refus de régulariser (instance dans laquelle le demandeur initial n’est plus partie). On peut toutefois s’interroger sur l’exclusion de cette qualité à l’égard du tiers à l’origine de la contestation du permis de construire, car, dans l’hypothèse où la demande d’annulation du refus de régularisation est accueillie, elle peut avoir pour conséquence de raviver le projet de construction.

Néanmoins, en l’espèce, le rejet de la requête sur le terrain de la recevabilité ne permet pas de savoir si, au fond, le refus de régulariser le permis de construire est légal. Il faut toutefois mentionner que, dans le cadre des pouvoirs qu’il tire de l’article L. 600-5-1, le juge administratif ne possède que l’initiative23 : il propose la régularisation, l’administration dispose. Il ne formule pas d’obligation à régulariser, mais ouvre les deux voies à la restauration de la légalité : la correction ou l’annulation. En maintenant ces options, le Conseil d’État a, dans son arrêt Société civile de construction vente Lucien Viseur, exclu l’existence d’un droit à régularisation au profit du pétitionnaire24. Ainsi, le juge des référés a par exemple rejeté une demande d’annulation de refus de régularisation fondé sur « le caractère trop imprécis des dossiers de demande de permis en litige pour permettre aux services instructeurs de s’assurer du respect des prescriptions du plan local d’urbanisme » et sur l’atteinte susceptible d’être portée à la salubrité ou à la sécurité publique à laquelle renvoie l’article R. 111 -2 du Code de l’urbanisme25. En revanche, dans un arrêt du 9 mars 202326, le Conseil d’État qualifie l’arrêté de refus de régulariser de « décision de retrait d’un permis de construire ». D’une part, cette qualification intervient dans le cadre d’un recours en référé suspension, avant que le juge ayant prononcé le sursis à statuer prévu par l’article L. 600-5-1 n’ait pu tirer les conséquences du refus de régulariser. D’autre part, elle emporte pour conséquence majeure l’inscription du refus de régulariser dans le champ de l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration ; dès lors, le moyen tiré de l’absence de procédure contradictoire préalable au refus de régulariser est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Les conséquences de l’annulation d’un refus de régulariser un acte administratif illégal restent incertaines et l’office du juge de l’excès de pouvoir devra encore être précisé. Reste en effet à envisager l’hypothèse dans laquelle le juge sera saisi de conclusions visant à enjoindre à l’administration d’adopter la mesure de régularisation demandée, après que le refus a été jugé illégal. Si cette perspective, envisagée dans le cadre d’une instance unique, représentait pour le rapporteur public sur la décision Société civile de construction vente Lucien Viseur « plus qu’un glissement par rapport à ce que permettent les textes »27, on voit difficilement comment elle pourrait être écartée dans un nouveau recours dirigé contre le refus de régulariser. Le dernier pas à franchir vers la consécration d’un véritable droit à régularisation des autorisations d’urbanisme n’est sans doute plus très loin. Preuve que l’arbre de décisions qui se dresse devant le juge administratif est encore en pleine croissance28.

Notes

1 V. surtout CE, 8 juin 2011, Commune de Divonne-les-Bains, n° 327515, recueil Lebon p. 278 ; concl. B. DACOSTA ; obs. R. SCHWARTZ, BJCP, 2011, n° 78, p. 381 ; note F. BRENET, Dr. adm., 2011, n° 8-9, p. 35 ; note J.-D. DREYFUS, AJDA, 2011, n° 29, p. 1685 ; note A. BRETONNEAU, RJEP, 2012, n° 693, p. 37.

2 Art. L. 600-5 du Code de l’urbanisme.

3 Pressenties dès le travail mené par le groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle sur le sujet : « le groupe de travail n’a pas prétendu régler à l’avance toutes les questions – elles sont nombreuses – qui ne manqueront pas de se poser dans l’application de cette disposition » (« Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre », rapport du 25 avril 2013, Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 2013, n° 5720).

4 CE, 9 novembre 2021, n° 440028, recueil Lebon T., p. 979-983 ; AJDA, 2021, p. 2306 ; obs. P. SOLER-COUTEAUX, RDI, 2022, p. 122 ; concl. Ph. RANQUET, BJDU, 2022, p. 72 ; note F. POLIZZI, JCP Adm., 2021, n° 2392.

5 N° 1907480.

6 N° 2104494.

7 Art. R. 431-11 du Code de justice administrative.

8 CE, Section, 23 mars 2018, Société Patrice Parmentier, n° 406802, recueil Lebon p. 89 ; AJDA, 2018, p. 653.

9 Art. R. 612-5-1 du Code de l’urbanisme.

10 É. BARBIN, La régularisation des actes administratifs. Étude de droit français à la lumière du cas brésilien, LGDJ, 2023, Bibliothèque de droit public, p. 329 et s.

11 CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, recueil Lebon p. 509-528, concl. E. GLASER ; GAJA, 21e éd., 2017, n° 110, p. 859-881 ; GACA, 6e éd., 2018, n° 8, p. 187 ; obs. Ch. MAUGÜÉ, BJCP, 2010, n° 69, p. 138 ; chron. S.-J. LIÉBER et D. BOTTEGHI, AJDA, 2010, n° 3, p. 142 ; note F. LINDITCH, JCP A, 2010, n° 8, p. 21 ; puis CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, recueil Lebon p. 70 ; GAJA, 21e éd., 2017, n° 114, p. 901-912 ; concl. B. DACOSTA, RFDA, 2014, n° 3, p. 425 ; comm. P. DELVOLVÉ, RFDA, 2014, n° 3, p. 438 ; obs. Ph. TERNEYRE, BJCP, 2014, n° 94, p. 205 ; chron. A. BRETONNEAU et J. LESSI, AJDA, 2014, n° 18, p. 1035 ; comm. J.-Fr. SESTIER, JCP A, 2014, n° 20, p. 33 ; note Ph. REES, CMP, 2014, n° 5, p. 7 ; obs. F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX, CMP, 2014, n° 5, p. 1.

12 Art. L. 600-5 du Code de l’urbanisme.

13 B. SEILLER, « Sécurité juridique et office du juge », RDP, 2016, n° 3, p. 773.

14 CE, Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, recueil Lebon p. 381 ; concl. J. BURGUBURU, note R. NOGUELLOU, RFDA, 2018, n° 2, p. 357-369 ; X. DE LESQUEN, BJDU, 2018, n° 2, p. 137-150 ; note S. DEYGAS, Procédures, 2018, n° 3, p. 35-37 ; note P. SOLER-COUTEAUX, RDI, 2018, n° 3, p. 175-179 ; chron. G. ÉVEILLARD, JCP G, 2018, n° 25, p. 1225-1231.

15 V. CE, 28 mai 2011, n° 437429, recueil Lebon T. p.852 ; AJDA, 2021, p. 1119 ; obs. P. SOLER-COUTEAUX, RDI, 2021, p. 436 ; concl. V. VILLETTE, BJDU, 2021, p. 297 ; CE, 21 septembre 2022, Société Nexity IR Programmes Domaines, n° 450674 ; CE, 5 novembre 2024, Association Protection de l’environnement et du citoyen, n° 470578.

16 CE, avis, 18 juin 2014, Société Batimalo, n° 376760, recueil Lebon p. 164 ; concl. X. DE LESQUEN, BJDU, 2014, n° 4, p. 317-319 ; comm. J. ANDREANI, Dr. adm., 2014, n° 8, p. 47-48 ; note S. DEYGAS, Procédures, 2014, n° 8, p. 30-31 ; note D. GILLIG, Constr.-Urb., 2014, n° 9, p. 24-25 et JCP A, 2014, n° 43, p. 34-36 ; note G. ÉVEILLARD, JCP G, 2014, n° 38, p. 1636-1640.

17 Art. L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme.

18 Ph. RANQUET, concl. sur CE, 9 novembre 2021, n° 440028, préc.

19 CE, 9 novembre 2021, préc.

20 CE, 29 décembre 1997, SCI Résidence Isabella, n° 104903.

21 Ce droit est ouvert aux parties à l’instance en vertu d’une règle générale de procédure (CE, 16 décembre 1977, V. et autres, n° 04895, recueil Lebon, p. 508 ; art R. 811-1 du Code de justice administrative).

22 CE, 10 janvier 2005, Association Quercy-Périgord contre le projet d’aéroport de Brive-Souillac et ses nuisances, no 265838, recueil Lebon, p. 1052 ; concl. Y. AGUILA, AJDA, 2005, p. 332.

23 Qui peut néanmoins être contrainte s’il existe des conclusions en ce sens ; v. art. L. 600-5-1 du Code l’urbanisme ; CE, 2 octobre 2020, n° 438318, recueil Lebon, p. 337 ; chron. C. MALVERTI et C. BEAUFILS, AJDA, 2020, p. 2016 ; obs. M. REVERT, RDI, 2021, p. 51 ; obs. H. BOUILLON, AJCT, 2021, p. 51 ; concl. O. FUCHS, RFDA, 2021, p. 146 ; note J. LEPLANOIS, JCP Adm., 2020, n° 2272.

24 Ph. RANQUET, concl. préc.

25 CE, 21 septembre 2022, Société Nexity IR Programmes Domaines, n° 450674.

26 CE, 9 mars 2023, Société Bobigny Indépendance, n° 465241, recueil Lebon T., p. 553, 997.

27 Ph. RANQUET, concl. préc.

28 En référence aux conclusions prononcées par M. SIRINELLI, pour qui « l’office de régularisation, en droit de l’urbanisme, revêt aujourd’hui une ampleur et une complexité sans précédent, au risque parfois de placer le juge devant un arbre de décision qui le dépasse, voire menace de l’écraser, fruit d’un haricot magique produisant autant de prodiges que de difficultés. » (concl. sur CE, 10 octobre 2022, n° 452955, recueil Lebon, p. 305 ; obs. J.-M. PASTOR, AJDA, 2022, p. 1926).

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