« L’application nuancée du principe d’égalité a permis que soient élaborées certaines différenciations entre les usagers de services publics. La matière tarifaire paraît ainsi justifier le relevé des différences de situations, non pas à l’égard des coûts, mais bien des prix du service public. Ces approches modifient substantiellement la teneur du principe d’égalité, dans ses applications concrètes devant et dans le service public, sans pour autant le transformer fondamentalement sur le plan juridique » (GUGLIELMI (G. J.), KOUBI (G.), LONG (M.), Droit du service public, Paris, Montchrestien, 2016, p. 532).
Le principe d’égalité, qualifié fréquemment de « principe gigogne » (MICLO (J-F) « Le principe d’égalité et la constitutionnalité des lois », AJDA, 1982, p. 115), est l’un des principes fondamentaux de la trilogie traditionnelle des règles régissant le service public (lois dites de Rolland : égalité, continuité et adaptabilité). Corollaire du principe d’égalité devant la loi – consacré par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – principe à valeur constitutionnelle (CC, n° 79-107 DC du 12 juillet 1979, Loi sur les ponts à péage ; CC, n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974 ; CC, n° 79-107 du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales et départementales ; CC n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse), l’égalité « régit le fonctionnement des services publics » comme l’affirme l’arrêt Société des concerts du Conservatoire (CE, Section 9 mars 1951, n° 92004, au recueil Lebon). Bien qu’il ne soit nullement propre au service public, le principe d’égalité devant le service public a été élevé par la jurisprudence administrative au rang de principe général de droit : Voir aussi CE, Assemblée 1er avril 1938, « L’alcool dénaturé de Coubert », RDP, 1939, p. 487 ; CE, 29 décembre 1911, recueil Lebon p. 1265 ; CE, 10 février 1928, Chambre syndicale des propriétaires marseillais, recueil Lebon p. 222 ; CE, 6 mai 1931, recueil Lebon p. 477), et constitue ainsi une norme de référence pour les juges constitutionnel et administratif.
Appliqué au service public, ce principe traduit l’idée d’une égalité de traitement ou d’accès des usagers qui suppose que lorsque ceux-ci se trouvent dans la même situation, relevant de la même catégorie, ils doivent être soumis aux mêmes règles régissant le service concerné (CE, Assemblée, 28 mars 1997, Sté Baxter, nos 179049, 179050, 179054 au recueil Lebon). Or, l’acception formelle de l’égalité semble paraître rédhibitoire dans ses applications concrètes. La prise en considération de la variété des réalités économiques et sociales a pu, à tout le moins en partie, justifier un glissement vers l’acception rawlsienne de l’égalité selon laquelle « une société juste n’est pas une société indifférenciée » (Cf. Théorie de la justice, John RAWLS, 1971). On retrouve ici une coloration plus subjective qui correspond aux réalités sociales impliquant une prise en compte des inégalités « de fait » et rompant ainsi avec la notion de « l’usager abstrait » pour laisser une place à l’usager « situé » conçu non seulement « par son appartenance à un type abstrait, mais par les particularités qu’il doit à la situation dans laquelle il se trouve placé » (BURDEAU (G.), Les libertés publiques, LGDJ, 4e éd, 1972, p. 17-18). La matière tarifaire s’inscrit parfaitement dans cette nouvelle approche renouvelée de l’égalité.
À ce titre, il est possible d’inférer que la multiplication de mesures de différenciation, marquant une adhésion à l’idée d’une égalité réelle et concrète, n’excluait toutefois pas l’obligation pour le juge administratif de demeurer vigilant quant à la nature et le bien-fondé de telles discriminations. Ce dernier demeure, depuis longtemps, prudent et parfois rétif à la systématisation d’une telle approche. Ainsi, la matière tarifaire s’inscrit dans une appréhension fine de situations concrètes pouvant justifier des adaptations à l’application uniforme de la règle juridique. Le jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble en est une illustration en tant qu’il enserre cette fois-ci la modélisation tarifaire à partir de la prise en compte de faits, réfutant ainsi le droit à une égalité concrète en faveur des usagers situés mais « mal identifiés ».
Dans les faits, la commune de Bourg-Saint-Maurice a, par une délibération du 30 juin 2022, décidé une tarification différenciée des forfaits de remontées mécaniques au profit « des gens du pays », en retenant le critère du résident fiscal depuis plus ou moins de cinq ans, ou de celui « d’employés de la station et de travailleurs indépendants ». Le maintien d’une telle différenciation semble révélateur de l’oscillation de la commune entre deux solutions : accepter la fin de ces tarifs (notamment suite aux différentes positions des chambres régionales des comptes et à la circulaire du préfet de la Savoie du 5 juillet 2022) et cogérer avec l’État leur remplacement par « des systèmes de contournement complexes voir à leur tour illégaux », ou, toujours selon la délibération attaquée, « s’opposer à leur disparition en invoquant des arguments de bon sens qui parlent aux gens […] et des arguments juridiques ». Sur le plan juridique, la commune n’a malheureusement pas su convaincre.
Usant de la possibilité prévue par l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales, le préfet de la Savoie a déféré ladite délibération devant le juge administratif à fin d’annulation, en estimant que celle-ci méconnaissait le principe d’égalité devant un service public industriel et commercial. Plus précisément, le préfet alléguait que la notion « d’employés de la station et de travailleurs indépendants » en elle-même ne saurait justifier une catégorie d’usagers se retrouvant dans une situation similaire en lien avec le service concerné et que la nature industrielle et commerciale du service concerné ne permettrait pas d’instaurer une différenciation tarifaire fondée sur le critère de la résidence ou du lieu d’emploi.
À cet égard, il est à noter que, dans le cadre de son contrôle en matière d’égalité et sous l’influence du juge européen, le juge administratif est tenu de vérifier non seulement l’existence des justifications d’un traitement différencié et la différence de situations au regard du service concerné, mais aussi l’adéquation de ce traitement et la qualification dont il fait l’objet, c’est-à-dire son ampleur et son étendue. Il devra porter son attention sur les disproportions manifestes entre le traitement différencié et les différences de situations ou sur les motifs d’intérêt général (CE, 10 juillet 1981, Syndicat Union pour la promotion des professions comptables libérales, nos 11065 11777 11785, recueil Lebon ; CE, Assemblée, 28 juin 2002, n° 220361, au recueil Lebon ; CE, 30 mai 2007, n° 251144 au recueil Lebon). L’étendue du contrôle du juge ne semble toutefois pas rendre caduque l’approche de l’adaptation de la règle aux faits. C’est peut-être ce dernier point qui explique pourquoi la primeur sera donnée à l’égalité formelle.
La première difficulté soulevée par la présente affaire consistait à savoir si la qualité d’employés de la station et de travailleurs indépendants était de nature à caractériser l’existence d’une catégorie différente d’usagers pouvant justifier une différenciation tarifaire à leur profit sans méconnaitre le principe d’égalité devant le service public (I). Dans la négative, la seconde question revenait à déterminer si le critère de différenciation par la qualité du contribuable, résident permanent, était possible, notamment au regard du régime d’exploitation d’un service public à caractère industriel et commercial (II). Or, ce n’est pas la voie qu’a empruntée le juge. Ainsi se justifie, en l’espèce, à une grille de lecture limitée au fonctionnement des services publics, la restriction du champ de possibilités différentialistes.
I. Si le critère de « situations différentes » peut sembler des plus naturels pour justifier une différenciation tarifaire, l’indétermination de catégories d’usagers pourrait faire obstacle à une telle dérogation
Ainsi qu’il a été dit, le contentieux du principe de l’égalité met en exergue un contrôle in concreto exercé par le juge sur la situation du requérant et la nature des mesures adoptées. Sans opter pour « un droit de la différence », l’admission d’une différenciation tarifaire fondée sur le critère de « situations différentes » concourt ainsi à la promotion d’une égalité façonnée à partir du concret.
La notion de « situations différentes » n’est pas clairement définie par les textes législatifs, la jurisprudence a apporté quelques précisions. Dans sa décision du 12 juillet 1979 le Conseil constitutionnel a considéré que « si le principe d’égalité devant la loi implique qu’à des situation semblables il soit fait application de solutions semblables, il n’en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l’objet de solutions différentes » (CC, n° 79-107 du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales et départementales). Cette formule a été complétée ultérieurement par une autre décision du 16 janvier 1982 : (CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi relative de nationalisation) : « mais il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n’est pas incompatible avec la finalité de la loi ». En ce sens, l’égalité du traitement suppose un traitement identique des situations identiques et, inversement, un traitement différent des situations différentes. Il en résulte donc que si une catégorie d’usagers se trouve, par rapport à une autre catégorie, dans une situation différente, rien n’exclurait l’application de règles différentes. Il semble bien, à travers cette définition, que lorsque le législateur – ceci vaut aussi pour l’administration – établit une différenciation, celle-ci ne doit pas se justifier seulement par rapport aux différentes catégories qu’il établit, mais il doit distinguer, si des situations différentes existent, les catégories des personnes concernées par de telles situations. Bien que marquante, cette exception n’est qu’une veine « exceptionnelle » soumise à un contrôle rigoureux du juge. Ce dernier demeure vigilant quant à l’existence d’une différence de situations en écartant, le plus souvent, un tel motif. La justification permise par les circonstances n’octroie nullement un blanc-seing aux autorités locales pour régler différemment des situations différentes ni à ce qu’elles dérogent au principe de l’égalité de manière systématique. (CAA, Lyon 13 avril 2000, Cne de Saint-Sorlin-d’Arves, n° 96LY02472 ; CAA Versailles, 2 février 2006, Syndicat d’équipement et d’aménagement des pays de France et de l’Aulnoy, n° 04VE02928).
En matière tarifaire, la ligne jurisprudentielle trouve sa source dans la décision de principe Denoyez et Chorques (CE, Section, 10 mai 1974, nos 88032, 88148, recueil Lebon) par laquelle, la haute juridiction administrative s’est prononcée sur le tarif réduit au profit des habitants de l’île de Ré en fixant trois critères permettant de justifier une telle différenciation : « la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, a diverses catégories d’usagers d’un service ou d’un ouvrage public implique, à moins qu’elle ne soit la conséquence nécessaire d’une loi, soit qu’il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu’une nécessite d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service ou de l’ouvrage commande cette mesure ». Sur ce fondement, une différenciation tarifaire doit être fondée sur une série d’éléments objectifs ou sur un motif d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service concerné. Comme l’a rappelé ultérieurement le Conseil d’État, « la différence de traitement qui résulte de cette différence de situation devra toujours être en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit » et ne pas être « manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier » (CE, Assemblée, 11 avril 2012, GISTI, n° 322326, au recueil Lebon). Ainsi, des différenciations tarifaires pouvaient être admises par le juge administratif sur le fondement des critères objectifs tels que le lien avec la personne publique responsable du service concerné, le domicile, le lieu du travail, la zone géographique… (CE 9 mars 1998, n° 158334, au recueil Lebon ; CE, 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle, n° 95863, au recueil Lebon, CE, 18 mars 1994, n° 140870 au recueil Lebon ; CE, 16 février 1996, Syndicat de la copropriété de la résidence La Balme, n° 141485, au recueil Lebon ; TA Versailles 10 avril, 1998 n° 97654…). Dans d’autres cas, par exemple en matière de redevance pour enlèvement des ordures ménagères, le juge administratif a jugé illégal le critère de calcul de la redevance fondé sur le montant des impôts locaux acquittés par les contribuables de la commune (CE, 8 juillet 1991, Cne de L’Écaille, n° 77622, au recueil Lebon). De même, est illégale une différenciation tarifaire entre anciens et nouveaux élèves d’une école de musique (CE, 2 décembre 1987, Cne de Romainville, n° 71028, au recueil Lebon). Pour résumer, la détermination d’une catégorie d’usagers doit, nécessairement, se fonder sur des critères objectifs. Cela dit, il était question dans le présent jugement de savoir si les employés de la station et les travailleurs indépendants pouvaient constituer une catégorie d’usagers à laquelle il serait possible d’appliquer un tarif différencié.
En l’espèce, la commune de Bourg-Saint-Maurice a fixé le prix du forfait à tarif réduit pour les « employés de la station et les travailleurs indépendants ». Ce critère était voué au rejet dès lors que l’imprécision des notions employées ne permettait pas d’identifier une quelconque catégorie d’usagers, à laquelle il serait possible d’appliquer une dérogation tarifaire. Pour répondre à ce moyen, le juge administratif a considéré, dans un premier temps, que la station « ne désigne aucune entité juridique ou personnalité morale ». Autrement dit, la station ne dispose d’aucun statut juridique qui lui est propre, seule la collectivité organisatrice du service public des remontées mécaniques ou l’exploitant, en cas de gestion déléguée, pouvaient être considérés comme employeurs. Sur ce point, il convenait aussi de différencier la station de la collectivité compétente, qui est la seule compétente pour fixer les tarifs. Pour autant, à bien lire la circulaire du préfet, force est de constater qu’il avait été déjà précisé que « les personnes intervenant dans le fonctionnement du domaine skiable (pistes, employés des remontées mécaniques) peuvent avoir, dans le cadre de leurs fonctions, un accès permanent et gratuit aux remontées mécaniques du domaine skiable ». Pour les salariés des remontées, « ils peuvent avoir, en dehors de leur service, un accès préférentiel au domaine skiable dans lequel ils exercent », dans le cadre de la convention du 27 septembre 2019 établie entre DSF et l’ACOSS. De même, les professionnels de la montagne (guides de haute montagne et moniteurs de ski) peuvent bénéficier, s’ils s’impliquent de manière importante dans la vie et le fonctionnement du domaine skiable, d’un tarif préférentiel pour l’exercice de leurs missions professionnelles. Une telle série de dérogations (reprise d’une réponse ministérielle à une question écrite n° 3366 du 28 novembre 2017, publiée au JOAN du 3 avril 2018, p. 2803) peut ainsi inviter à la confusion. Dans un second temps, le juge a relevé l’ambiguïté de la notion de « travailleurs indépendants » considérant qu’une telle notion est susceptible de désigner une multitude de situations sans lien nécessaire avec le service public industriel et commercial des remontées mécaniques. Pour résumer, la catégorie d’usagers devait être fixée au regard du service rendu. Le lien avec le service concerné est un élément indispensable pour justifier une différenciation tarifaire. Ainsi, la commune n’a pas pu valablement identifier la catégorie des travailleurs indépendants et des employés de la station, ni le lien avec le service public des remontées mécaniques. Faisant preuve d’une interprétation restrictive des critères établis par la commune en n’y voyant aucune justification permettant d’admettre une telle différenciation, le tribunal a jugé que la délibération contestée ne définissait pas avec une précision suffisante la catégorie des « employés de la station et des travailleurs indépendants qui est dès lors susceptible de s’appliquer de façon aléatoire ». La motivation est amplement suffisante : les différences de situations doivent être « de nature à justifier » la création d’une catégorie juridique d’usagers. Dit autrement, si différence de situations existait, cela n’implique pas nécessairement l’existence de catégories différentes d’usagers.
II. L’inopérance du critère du contribuable local, un obstacle lié à la nature commerciale et industrielle du service public des remontées mécaniques
Le deuxième moyen soulevé par le préfet de la Savoie pose le problème des différences de traitement fondées sur le critère de la qualité du contribuable local. La problématique n’a rien d’inédit et la difficulté qu’elle pose est bien connue.
Rappelons brièvement qu’une différence de traitement pourrait être tirée non seulement de la différence de situations entre les usagers du service public concerné mais aussi du motif de l’intérêt général, à condition qu’une telle différence soit en rapport avec les conditions d’exploitation du service (CE, 26 juillet 1996, Association Narbonne liberté 89, nos 130363, 130450, au recueil Lebon ; CE, 13 mai 1994, Cne de Dreux, n° 116549, au recueil Lebon). Cette jurisprudence est inspirée de celle de la jurisprudence constitutionnelle depuis la décision du 12 juillet 1979 (CC, n° 79-107 du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales et départementales) laquelle a fait référence à « des considérations d’intérêt général ». Ainsi, le Conseil constitutionnel a précisé dans sa décision du 7 janvier 1988 (CC, n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole) que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur déroge à la légalité pour des raisons d’intérêt général ». Sur ce point, notons que n’importe quel motif d’intérêt général ne pourrait justifier une différence de traitement. Dans sa décision des 19-20 juillet 1983 (CC, n° 83-162 DC des 19-20 juillet 1983, Loi relative à la démocratisation du secteur public), le Conseil constitutionnel a estimé qu’il faut « un lien nécessaire entre la règle discriminatoire et l’intérêt général poursuivi par l’objet de la loi ». Et dans la décision du 9 avril 1996, (CC n° 96-375 DC du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier), il a précisé qu’il est indispensable que « les raisons d’intérêt général soient en rapport direct avec l’objet de la loi ». Quant aux juridictions administratives, il a été admis que des raisons d’intérêt général avec la vocation sociale de certains services publics permettent de justifier une différenciation tarifaire (pour les crèches : CE, 20 janvier 1989, Centre communal d’action sociale de La Rochelle, n° 89691, au recueil Lebon ; TA Marseille 15 février 1991, M. R. c/ ville de Marseille n° 88-2979 ; pour les cantines scolaires : CE, 10 février 1993, Ville de La Rochelle, n° 95863 au recueil Lebon ; pour les centres de Loisirs : n° 140870, au recueil Lebon). Examiné très souvent en second lieu par le juge administratif, le critère de l’intérêt général n’est qu’un critère « supplétif », qui n’est pas de nature à justifier, seul, la création d’une catégorie juridique d’usagers. Il apparaît que la commune défenderesse n’a pas su bâtir un tel raisonnement bien que ses chances de succès paraissent faibles sur ce terrain.
À ce titre, il est à noter que la préservation de la cohérence du système fiscal peut être considérée comme un motif d’intérêt général justifiant une différenciation tarifaire s’il n’existe pas un lien direct entre l’avantage tarifaire accordé à une catégorie d’administrés et les impôts versés par ces derniers (CJCE, 28 janvier 1992, nº° C -204/90 et nº° C -300/90). La Cour de justice des Communautés européennes a jugé qu’une discrimination tarifaire fondée sur le critère de résidence était contraire au principe d’égalité lorsque aucune raison d’intérêt général n’était susceptible de la justifier (CJCE, 16 janvier 2003, n ° C -20388/01). Quant au juge administratif, ce dernier a admis des discriminations tarifaires en fonction du lieu de résidence en ce qui concerne les services publics locaux (à caractère administratif) facultatifs (CE, 5 octobre 1984, n° 47875, au recueil Lebon). En effet, du fait de leur qualité de contribuables locaux, les résidents peuvent bénéficier d’un tarif réduit dans la mesure où celui-ci constitue la contrepartie de la prise en charge du service par le budget de la collectivité. En revanche, l’on se trouve face à un écueil juridique si la question se pose à l’égard d’un service public à caractère industriel et commercial. Le mode de financement des SPIC devient alors une limite véritable à l’admission d’une telle exception.
En l’espèce, la problématique concerne le service public des remontées mécaniques de la station des Arcs de la commune de Bourg-Saint-Maurice. La loi montagne de 1985 qualifie les remontées mécaniques de service public industriel et commercial (article 47 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 codifié à l’article L. 342-13 du Code de tourisme), qualification reprise ensuite par la jurisprudence (TC, 7 décembre 1998, n° C-03126, TC 24 février, 2003, X. c. Société Deux-Alpes loisirs, n° 03340, CE, 19 février 2009, n° 293020). Quant au mode de financement d’un service public industriel et commercial, celui-ci tire ses ressources principalement des redevances perçues auprès des usagers pour un montant correspondant au coût réel de l’exploitation de son activité et dans le respect du principe d’égalité des usagers devant le service public. En outre, conformément aux dispositions de l’article L. 2224-1 du Code général des collectivités territoriales, les budgets annexes des SPIC doivent être votés en équilibre : « Les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial exploités en régie, affermés ou concédés par les communes, doivent être équilibrés en recettes et en dépenses ». L’article L. 2224-2 du même code fait interdiction aux communes de prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre des SPIC : « Il est interdit aux communes de prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre des services publics visés à l’article L. 2224-1 ». Il en résulte donc que, contrairement aux services publics administratifs, un SPIC ne peut pas être financé par l’impôt. En l’occurrence, si la qualité de contribuable local est susceptible de constituer une différence de situation lorsqu’un équipement public est financé par le budget communal, il en va différemment pour le service public industriel et commercial, soumis à l’obligation de l’équilibre budgétaire et financé par les redevances des usagers et non pas par le produit d’impôt des contribuables. En effet, la fixation de tarifs différents entre résidents et non-résidents a été jugée comme n’étant justifiée par aucune considération d’intérêt général en rapport avec l’exploitation d’un service public industriel et commercial ni par des différences objectives de situations des usagers concernés, en tenant compte des conditions d’utilisation du service concerné (CE, 12 juillet 1995, Commune de Maintenon, n° 147947, au recueil Lebon). Sur ce point, le tribunal administratif de Grenoble se faisait l’écho d’un précédent arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, celui de la Commune de Saint-Sorlin-d’Arves (CAA Lyon, 13 avril 2000, n° 96LY02472) dans lequel la cour avait jugé que « le seul fait que les résidents permanents sont contribuables à titre principal dans la commune n’est pas constitutif, en ce qui concerne l’accès au service des remontées mécaniques, d’une différence de situation justifiant une exception au principe d’égalité qui régit l’accès au service public ; que si la commune fait valoir que ses habitants sont en contact avec les clients de la station de sports d’hiver et contribuent à la qualité de l’accueil qui leur est réservé et à l’essor commercial de la station, ces motifs ne répondent pas à une nécessité de nature à justifier une discrimination dans les tarifs des forfaits ; que les discriminations ainsi opérées notamment entre les résidents permanents de la commune et les autres usagers du service de remontées mécaniques sont contraires au principe d’égalité entre les usagers d’un service public ». S’inspirant de l’arrêt de la cour, le tribunal administratif de Grenoble a écarté l’hypothèse d’une différenciation tarifaire sur le fondement du lieu de résidence et du motif de l’intérêt général. Le juge a estimé que la qualité de contribuable local n’est pas constitutive d’une différence de situation justifiant qu’il soit dérogé au principe de l’égalité d’accès à ce service. En l’espèce, la commune aurait pu raisonner de manière plus orthodoxe. Sa thèse reposait sur le coût de la vie dans les secteurs touristiques plutôt que sur le coût d’exploitation d’un SPIC, sur le coût de l’immobilier, sur l’enclavement et les difficultés de transports, sur le mode de financement. Ces hypothèses demeuraient fragiles et infondées et ne résistaient pas à l’application restrictive par le juge des dérogations au principe de l’égalité.