M. X. et Mme Y. épouse X., ressortissants arméniens, sont entrés en France le 27 août 2013 avec leurs deux enfants mineurs nés les 14 août 2006 et 12 octobre 2010 en Arménie.
Ils ont présenté chacun une demande d’asile, qui ont été rejetées respectivement par une décision du 29 juillet 2013 et une décision du 4 septembre 2013 de, confirmées par des décisions du 6 février 2024 de la Cour nationale du droit d’asile.
Par un arrêté en date du 27 septembre 2013, le préfet de la Drôme a refusé de leur accorder un titre de séjour et les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours tout en fixant le pays de destination. Cet arrêté a été confirmé par un jugement du 16 juillet 2014 du tribunal administratif de Grenoble.
Le 27 septembre 2018, M. et Mme X. ont déposé une demande d’admission exceptionnelle au séjour qui a été complétée le 10 janvier 2019.
Il se sont vus délivrer à compter du 15 janvier 2020 une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » au titre de l’admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l’article L. 313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) devenu l’article L. 435-1 de ce code et ces titres ont ensuite été régulièrement renouvelés.
Souhaitant bénéficier des prestations familiales pour leurs deux enfants nés en Arménie, ils ont demandé aux services du préfet de la Drôme l’attestation prévue au 5° de l’article D. 512-2 du code de la sécurité sociale.
Un refus leur a été opposé par une décision du 3 août 2022 du préfet de la Drôme sous forme d’attestation mentionnant que M. et Mme X. ont été admis au séjour au titre de l’article L. 435-1 du CESEDA (admission exceptionnelle au séjour) mais qu’aucune attestation ne sera délivrée pour leurs enfants dans la mesure où les intéressés n’ont pas été régularisés au titre de l’article L. 423-23 (anciennement L. 313-11, 7° du CESEDA).
M. et Mme X. ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler cette décision.
Par un jugement du 23 janvier 2024, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leur demande, après avoir auparavant suspendu l’exécution de cette décision par une ordonnance du 17 octobre 2022 de son juge des référés.
Le préfet de la Drôme relève appel de ce jugement.
S’agissant de la recevabilité de l’appel
M. et Mme X. font valoir que la requête est irrecevable dès lors que son appel ne portant sur aucune des matières visées par l’article R. 811-10-1 du code de justice administrative, et notamment pas sur une question relative à l’entrée, au séjour, mais sur la délivrance d’un document permettant d’obtenir le bénéfice des prestations familiales auprès d’une caisse d’allocations familiales (CAF) en application de l’article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, le ministre était compétent pour faire appel en vertu de l’article R. 811-10 du code de justice administrative, d’autant que le préfet ne soutient pas qu’en l’espèce il disposait d’une telle délégation de signature à la date d’introduction de sa requête en appel.
Toutefois, il nous semble que l’intervention du préfet au titre des dispositions des articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale entre dans le cadre d’un litige relatif à l’entrée et au séjour des étrangers en France puisqu’il s’agit pour le préfet, dans le cadre de la police spéciale des étrangers qui lui incombe, de vérifier si l’un des parents d’étranger est titulaire de la carte de séjour prévu par ces dispositions, en l’occurrence celle fondée sur l’article L. 423-23 du CESEDA, pour délivrer l’attestation litigieuse, qui justifie de la régularité de l’entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire des prestations familiales (du moins l’étranger qui en demande le bénéfice) a à charge. C’est ce qui justifie d’ailleurs la compétence de la juridiction administrative sur une tel litige, qui ne relève pas d’un pur litige relatif à l’application de législations et règlementations de sécurité sociale, qui relèverait de la compétence du juge judiciaire en vertu des dispositions du 1° de l’article L. 142-1 et de l’article L. 142-8 du code de la sécurité sociale pour connaître des litiges relatifs à l’application des législations et réglementations de sécurité sociale. Il ne s’agit pas de se prononcer sur l’octroi des prestations familiales mais sur l’attestation précitée.
S’agissant du bien-fondé de l’appel
Le préfet soutient que c’est à tort que le tribunal a annulé sa décision en considérant qu’il a méconnu le 5° de l’article D. 512-2 du code de la sécurité sociale en refusant à M. et Mme X. l’attestation en litige au seul motif que les intéressés ne disposeraient pas de cartes de séjour temporaire délivrées sur le fondement de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors qu’il résulte des dispositions de cet article que le droit aux prestations familiales et par conséquent à la délivrance de l’attestation préfectorale est subordonné à la condition que les parents aient été admis au séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du CESEDA.
Il souligne que dès lors que M. et Mme X. ont été admis au séjour sur le fondement de l’article L. 313-14 du CESEDA devenu l’article L. 435-1, conformément à leur demande, cette attestation ne pouvait leur être délivrée.
En vertu de l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale : « […] Bénéficient […] de plein droit des prestations familiales […) les étrangers non ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, titulaires d’un titre exigé d’eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. Ces étrangers bénéficient des prestations familiales sous réserve qu’il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l’une des situations suivantes : […] - leur qualité d’enfant d’étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée à l’article L. 423-23 du même code à la condition que le ou les enfants en cause soient entrés en France au plus tard en même temps que l’un de leurs parents titulaires de la carte susmentionnée […] ».
L’article D. 512-1 du même code prévoit que « L’étranger qui demande à bénéficier de prestations familiales justifie la régularité de son séjour par la production d’un des titres de séjour ou documents suivants en cours de validité : […] 2° Carte de séjour temporaire […] ».
L’article D. 512-2 de ce code dispose que « La régularité de l’entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production de l’un des documents suivants : […] 5° Attestation délivrée par l’autorité préfectorale, précisant que l’enfant est entré en France au plus tard en même temps que l’un de ses parents admis au séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile […] ».
L’application littérale des textes va dans le sens de la position du préfet : pour bénéficier de l’attestation litigieuse et donc des prestations familiales, il faut que l’un des parents ait été admis au séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du CESEDA et l’admission au séjour sur le fondement de l’article L. 313-14 du CESEDA devenu l’article L. 435-1 de ce code n’ouvre pas droit au bénéfice de ces prestations et ainsi à l’attestation.
La Cour de cassation applique d’ailleurs strictement les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale. Voyez Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-20.124 et Cass. civ 2, 17 mars 2022, n° 20-22.917, cités par le requérant, et portant sur la suppression du versement des prestations familiales décidées par la CAF et le refus d’octroi de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé par une telle caisse, sans pour autant qu’elle se soit prononcée sur le point de savoir si un titre de séjour délivré sur le fondement de l’article L. 313-14 désormais L. 435-1 du CESEDA permet le bénéfice des prestations familiales.
C’est dans ce même sens que s’est positionnée la CAA de Marseille, qui a jugé qu’il résulte des dispositions des articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale « qu’il appartient au préfet lorsqu’il est saisi d’une demande d’attestation permettant d’ouvrir le droit aux prestations familiales d’un étranger parent d’enfants à charge, d’une part, de vérifier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que les enfants sont ceux de l’étranger dont il s’agit, que cet étranger est titulaire de la carte de séjour temporaire “vie privée et familiale” prévue au 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (devenu article L. 423-23 du CESEDA) et que les enfants sont entrés en France au plus tard en même temps que l’un ou l’autre de ses parents titulaire d’un tel titre de séjour et, lorsque ces conditions sont remplies, de délivrer l’attestation prévue au 5° de l’article D. 512-2 du code de la sécurité sociale » (CAA Marseille, 22 mars 2016, Préfet de l’Hérault, n° 15MA01402).
Le jugement attaqué ayant d’ailleurs repris ce considérant de principe mais en estimant que dès lors que les cartes de séjour temporaire successives délivrées à compter de 2020 par le préfet de la Drôme à au moins l’un des deux membres du couple portent toutes la mention « vie privée et familiale », il y a lieu de considérer qu’elles relèvent de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, quand bien même l’examen des conditions d’admission au séjour des requérants se fonderait sur l’article L. 435-1 de ce code. Et les premiers juges ont ajouté qu’« au demeurant, il ne ressort d’aucune pièce du dossier contemporaine de la délivrance des cartes de séjour “vie privée et familiale” que le préfet de la Drôme aurait privilégié l’examen de la situation des intéressés au regard de leur demande d’admission exceptionnelle au séjour, alors qu’il avait tout loisir de procéder d’office à un examen directement fondé sur les dispositions de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. ».
Le tribunal administratif ayant au préalable indiqué que l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 423-23 de ce code, soit au titre d’une activité salariée ou d’une situation de travailleur temporaire sur le fondement des articles L. 421-1 à 4, reprenant en ce sens une solution dégagée par le Conseil d’État qui a relevé que « portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l’article L. 313-14 n’institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d’une activité salariée » (CE, 31 janvier 2014, Ministre de l’Intérieur, n° 367306, aux tables, concernant la non-invocabilité de l’article L. 313-14 du CESEDA par un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d’une activité salariée dès lors que l’article 3 de l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987 prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d’une activité salariée. Rappr., pour l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988, CE, 2 mars 2012, n° 355208, aux tables ; pour l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, CE, avis, 22 mars 2010, n° 333679, au recueil, aux conclusions de Mattias Guyomar, qui rappelle que l’admission exceptionnelle au séjour constitue « l’institutionnalisation, encadrée par des critères de droit, d’une fraction du pouvoir de régularisation qui a été toujours été reconnu, même en dehors des conditions légales, à l’autorité préfectorale au titre de son pouvoir de police spéciale des étrangers » pour citer Frédéric Lenica, dans ses conclusions sur l’avis contentieux du 30 novembre 2007 p. 454).
L’article L. 313-14 aliéna 1er du CESEDA prévoyait alors que « La carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 313-2. ». Cet article ayant été abrogé le 1er mai 2021 par l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui a créé l’article L. 435-1 (en vigueur donc depuis le 1er mai 2021), lequel, à son alinéa 1er, ne renvoie pas à la carte de séjour temporaire mentionnée au désormais article L. 423-23 du CESEDA mais prévoit directement que « L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié”, “travailleur temporaire” ou “vie privée et familiale”, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. ».
Mais, pour autant, ce renvoi à l’article L. 313-11 pour juste prévoir que l’étranger qui remplit les conditions de l’article L. 313-14 du CESEDA peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », comme le prévoit désormais directement l’article L. 435-1 dans un souci de rédaction simplifiée, ne signifie pas que le titre de séjour octroyé puisse être regardé comme l’ayant été sur le fondement de l’article L. 313-11, 7° devenu L. 423-23 du CESEDA.
À cet égard, M. et Mme X. ne sont pas fondés à soutenir que les cartes de séjour qui leur ont été délivrées l’ont été en application des dispositions combinées des articles L. 313-14 et L. 313-11 7° du CESEDA, et non seulement du seul article L. 313-14 du CESEDA, et s’ils font valoir que le préfet n’apporte pas la preuve que les titres de séjours qui leur ont été délivrés en janvier 2020 l’étaient sur le seul fondement des dispositions de l’article L. 313-14 et non sur celles de l’article L. 313-11 7° du CESEDA, cette preuve résulte au contraire des décisions du 4 avril 2019 du préfet délivrant aux intéressés une autorisation provisoire au séjour tout en rappelant qu’ils ont sollicité la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » au titre de l’admission exceptionnelle au séjour et des circonstances que les intéressés n’établissent pas avoir demandé la délivrance d’un titre de séjour sur un autre fondement et de ce que lorsqu’il est saisi d’une demande de délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’une des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet n’est pas tenu, en l’absence de dispositions expresses en ce sens, d’examiner d’office si l’intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d’une autre disposition de ce code, même s’il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l’intéressé (voyez CE, 28 novembre 20, n° 307036, au recueil Lebon).
La portée de l’admission exceptionnelle au séjour ne doit pas nous écarter de l’application des articles L. 512-2 et D. 512-2 du Code de la sécurité sociale qui ayant un sens clair, ne méritent pas d’être interprétés.
Seule une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » délivrée sur le fondement de l’article L. 423-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (anciennement 7° de l’article L. 313-11) permet la délivrance de l’attestation litigieuse et donc l’octroi des prestations familiales, et non une telle carte délivrée sur le fondement de l’article L. 435-1 de ce code (anciennement L. 313-14).
Relevons que les travaux parlementaires ne sont guère éclairants, la disposition en cause de l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale résultant de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 étant issue d’un amendement n° 287 présenté le 16 novembre 2005 par le Gouvernement ayant ajouté un article 54 bis (article additionnel après l’article 54) au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (voyez notamment le rapport déposé le 22 novembre 2005 au nom de la commixtion mixte paritaire par M. Jean-Pierre Door, député, sous le n° 2683 à l’Assemblée nationale et par M. Alain Vasselle, sénateur, sous le n° 90 au Sénat).
Vous pourrez donc, si vous nous suivez, accueillir le moyen et partant annuler le jugement attaqué. Le préfet était même en situation de compétence liée, étant tenu de rejeter la demande d’attestation en l’absence de titre de séjour octroyé sur le fondement de l’article L. 423-23 du CESEDA (ancien article L. 313-11, 7°) sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l’espèce (voyez CE, Section, 3 février 1999, n° 149722, au recueil).
Dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, vous pourrez écarter le seul autre moyen soulevé par M. et Mme X. tiré de l’incompétence du signataire de la décision contestée, qui est inopérant en raison de la compétence liée du préfet et est, en tout état de cause, infondé eu égard à la délégation de signature régulièrement publiée produite par le préfet (voyez l’arrêté préfectoral du 19 juillet 2021, article 4, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la Drôme).
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par M. et Mme X. devant le tribunal administratif de Grenoble.