Aide juridictionnelle : la somme attribuée par l’État à l’avocat est exprimée sans référence à la TVA

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 23LY02413 – 17 octobre 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 23LY02413

Numéro Légifrance : CETATEXT000050374976

Date de la décision : 17 octobre 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Aide juridictionnelle, Frais non compris dans les dépens, Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, TVA, Statut fiscal d’avocat

Rubriques

Procédure

Résumé

De la combinaison des articles 27 et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, il résulte que, d’une part, de l’article 16 du règlement type annexé au décret n° 96-887 du 10 octobre 1996 portant règlement type relatif aux règles de gestion financière et comptable des fonds versés par l’État aux caisses des règlements pécuniaires des avocats pour les missions d’aide juridictionnelle, d’autre part, des articles 256 A et 293 B du code général des impôts, enfin, que si le montant de la rétribution due à l’avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, versée pour le compte de l’État par la caisse des règlements pécuniaires des avocats, prend en compte la situation fiscale de l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, le montant de l’unité de valeur de référence entrant dans la liquidation de la rétribution est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée.

Par suite, les dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, en ce qu’elles prévoient que la somme que le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès à payer à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, partielle ou totale, ne saurait être inférieure à la part contributive de l’État, doivent s’entendre comme faisant référence au montant de la part contributive de l’État tel qu’il est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée1. Cette somme peut être fixée par le juge sans référence à cette taxe, quel que soit le statut fiscal de l’avocat, lequel dépend uniquement de son chiffre d’affaires et de l’application de la franchise prévue par l’article 293 B du code général des impôts.

En conséquence, ne méconnaît pas ces dispositions le jugement qui alloue à l’avocate du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ayant obtenu gain de cause en première instance une somme exprimée sans référence à la taxe sur la valeur ajoutée, alors que l’activité de cette avocate est assujettie à la taxe, les droits à reverser étant compris dans ladite somme.

54-06-05-11, Procédure, Jugements, Frais et dépens, Remboursement des frais non compris dans les dépens

Notes

1 Cf CE 29 décembre 2021, n°441597, B Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Christine Psilakis

rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9797

Par deux requêtes, M. X. et Mme Y., représentés par Me Z., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler les arrêtés du préfet de la Drôme du 16 mai 2022 refusant de leur délivrer un titre de séjour et leur faisant obligation de quitter le territoire français, d’enjoindre sous astreinte au préfet de la Drôme de leur délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer leur situation après délivrance d’autorisations provisoires de séjour, et de mettre à la charge de l’État, dans chacune de ces deux affaires, la somme de 1 500 euros à verser à leur conseil en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par jugement n°2302938 et 2302939 du 16 juin 2023, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces demandes, fait droit aux demandes d’annulation, a enjoint au préfet de la Drôme de délivrer des titres de séjour à M. X. et à Mme Y., a mis à la charge de l’État une somme de 1500 euros à verser à Me Z. en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des demandes.

Mme Z. vous demande d’annuler le jugement en tant qu’en son article 3, il fixe à 1 500 euros la somme mise à la charge de l’État en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

La recevabilité de cette requête ne pose pas de problème, le Conseil d’État ayant déjà admis la contestation d’un jugement en son nom propre par le conseil d’une partie de première instance, sur la partie du dispositif statuant sur l’aide juridictionnelle : voir en ce sens CE, 11 janvier 2006, n°279878 et plus récemment, un avis de section, du 18 janvier 2017 n° 399893.

1/ L’examen de la requête de Mme Z. vous permettra de déterminer lorsqu’un conseil renonce à percevoir la part contributive à l’aide juridictionnelle, si la condamnation mise à la charge de l’État entre les mains de l’avocat doit être exprimée HT ou TTC 

Rappelons brièvement que selon l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, les avocats désignés à l’aide juridictionnelle perçoivent au titre de leur mission une « rétribution » correspondant à la « part contributive de l’État », cette « part contributive » étant une dotation versée par l’État à chaque barreau au titre des missions d’aide juridictionnelle accomplies par les avocats qui y sont rattachés.

Le montant de la rétribution de l’avocat désigné à l’aide juridictionnelle, résulte pour sa mission, du produit d'un coefficient, différent selon le type de procédure, et d'une unité de valeur de référence.

Le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, de cette unité de valeur de référence est fixé, pour les missions dont l'admission à l'aide juridictionnelle est prononcée à compter du 1e janvier 2022, à 36 €.

Aux termes de l’article 37 de loi du 10 juillet 1991, l’avocat peut renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels il peut prétendre. Dans cette configuration, le juge doit accorder une somme qu’il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Concrètement s’agissant de Me Z. pour les affaires de M. X. et Mme Y..

La rétribution au titre de la part contributive de l’État dont elle aurait pu bénéficier était de 856, 80 euros (en prenant en compte 14 UV par dossier, d’un montant de 36 euros, soit 504 euros, avec application d’une réduction de 30 % sur la seconde affaire puisqu’elle a défendu un couple, soit : 504 + 352,80 au titre de la part contributive de l’État pour ces deux affaires ;

Mme Z. a demandé à ce que lui soit appliqué l’article 37 et à bénéficier d’émoluments en lieu et place de la rétribution correspondant à la part contributive de l’État. La somme plancher à laquelle elle pouvait prétendre était de 1285,20 euros (soit 856, 80 euros + 50%) et elle a obtenu 1 500 euros de la part du tribunal.

Le litige porte sur cette somme allouée par le tribunal. Mme Z. soutient que les premiers juges ne pouvaient, en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, mettre à la charge de l’État une somme inférieure à 1 542,24 euros TTC, cette somme résultant de la part contributive minimale majorée de la TVA à 20%. Les 1 500 euros qui lui ont été alloués par le tribunal et dont il n’est pas précisé s’ils sont HT ou TTC sont donc insuffisants, sauf à considérer qu’ils sont exprimés HT, ce que ne précise pas le jugement.

Son raisonnement repose sur le constat que la part contributive de l’État à l’aide juridictionnelle qui forme la rétribution de l’avocat prévue à l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 est calculée sur la base d’une valeur d’UV de référence qui est exprimée en un montant HT.

Mme Z. en déduit que cette rétribution exprimée HT, doit être corrigée de la TVA, pour former le montant plancher de l’indemnité à laquelle elle peut prétendre au titre de l’article 37 lorsqu’elle renonce à la part contributive.

Et si ce raisonnement n’aboutit pas, elle estime que la somme retenue par le juge doit s’entendre hors TVA, afin d’éviter une rupture d’égalité entre les avocats selon qu’ils sont ou non assujettis à la TVA.

2/ La jurisprudence a déjà statué sur la question de la TVA s’agissant de la rétribution d’un avocat par l’aide juridictionnelle

En effet, dans sa décision CE, 29 décembre 2021, n°441597, B aux Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a estimé :

« que si le montant de la rétribution due à l’avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, qui est versée pour le compte de l’État par la caisse des règlements pécuniaires des avocats, prend en compte la situation fiscale de l’avocat au regard des dispositions législatives et réglementaires relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, le montant de l’unité de valeur de référence pour la détermination de la part contributive de l’État au financement des missions d’aide juridictionnelle accomplies par les avocats est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée. ».

Le rapporteur public, M. Chambon, sous cette affaire précise que le montant de la part contributive perçue au titre de l’AJ varie selon le statut fiscal de l’avocat en bénéficiant c’est-à-dire selon que l’avocat est assujetti ou non à la TVA :

  • lorsqu’il n’est pas assujetti, l’avocat perçoit la somme hors TVA résultant des dispositions déjà citées ;

  • mais lorsqu’il est assujetti, il perçoit la somme majorée de la TVA (au taux normal de 20%), étant précisé qu’il devra bien entendu reverser le montant de la TVA au fisc.

Ce mécanisme de prise en compte de la situation fiscale de l’avocat découle de l’article 16 du règlement-type annexé au décret du 10 octobre 1996 (portant règlement type relatif aux règles de gestion financière et comptable des fonds versés par l’État aux caisses des règlements pécuniaires des avocats pour les missions d’aide juridictionnelle et pour l’aide à l’intervention de l’avocat prévue par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991) ; il implique évidemment que les avocats déclarent leur statut fiscal auxdites caisses.

Ce texte ne s’applique pas aux émoluments perçus par les avocats en vertu de l’article 37, Mme Z. le sait et ne s’en prévaut pas.

Ce qu’elle souhaite c’est que lorsqu’un avocat bénéficie des frais non compris dans les dépens au titre des dispositions de l’article 37, ces frais précisent s’ils sont facturés HT ou TTC, c’est-à-dire, que le juge qui les alloue se positionne explicitement sur la TVA imputable sur cette somme pour qu’ensuite, l’avocat assujetti qui touche ces frais puisse déduire sa TVA.

3/ La réponse aux moyens de Mme Z.

Et, selon elle, le juge peut prendre en compte la TVA de deux façons :

soit le juge intègre de son propre fait la TVA à la somme minimale à laquelle l’avocat peut prétendre pour fixer forfaitairement l’indemnité versée en application de l’article 37.

Malheureusement cette possibilité est compromise par la lecture de la jurisprudence n°441597 du 29 décembre 2021 classé sur ce point, le Conseil d’État rappelle que :

« les dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, en ce qu’elles prévoient que la somme que le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à payer à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, partielle ou totale, ne saurait être inférieure à la part contributive de l’État, doivent s’entendre comme faisant référence au montant de la part contributive de l’État tel qu’il est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée ».

Pour déterminer le montant plancher de la somme allouée au titre de l’article 37, le juge doit rester sur la part contributive exprimée en HT majorée de 50%. Ce faisant, il se conforme strictement à la loi et n’entache sa décision d’aucune erreur de calcul.

Et cette position, récente, puisqu’elle date de 2021 ne nous semble pas devoir être remise en cause pour les raisons que nous allons aborder en examinant la seconde voie invoquée par Mme Z..

Soit le juge impute la TVA dans sa condamnation en mentionnant les montants en HT et TTC dans le dispositif de sa décision.

Malheureusement ce raisonnement ne nous paraît pas pertinent.

En effet, aller sur ce terrain implique de considérer que lorsqu’il condamne en matière de frais non compris dans les dépens au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, le juge condamne au versement de sommes soumises à la TVA.

Or, nous ne le croyons pas.

En effet, l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne fait que décliner la possibilité d’indemniser les frais non compris dans les dépens régis par l’article L. 761-1 du CJA directement entre les mains de l’avocat, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’État. Et vous le savez, le fondement de l’article L. 761-1 du CJA (et de son pendant dans le code civil, l’article 700 du code de procédure civile) est de permettre un droit d’accès à la justice tempéré par des considérations d’équité.

Dans ces conditions, la nature indemnitaire des frais non compris dans les dépens ne fait pas de doute, à ce titre, ils sont susceptibles de porter intérêts moratoires dès le prononcé du jugement, comme toute indemnité allouée et, ce, de plein droit voir en ce sens : CE, 30 mars 1994, n° 142026 au Recueil Lebon et CE, 26 octobre 1994, n° 128413 au recueil Lebon.

Ils ont en outre un caractère forfaitaire dans le but de prendre en charge une partie des frais exposés par la partie gagnante à l’instance juridictionnelle : pour les fixer, le juge tient compte des circonstances de l'espèce, de la complexité du litige et de considérations d'équité, sans exiger ni s'en tenir aux factures ou notes d'honoraires versées aux débats (CE 13 mars 1991, Min. des Affaires sociales, n° 121636).

Par ailleurs, selon le jurisclasseur Procédure civile Frais irrépétibles Article 700 :

« l'indemnité pour frais irrépétibles n'est pas assujettie à la TVA, car elle n'a pas la nature juridique de rémunération. La partie gagnante a dû payer des honoraires avec ou non -possibilité de déduction de la TVA, si elle y est elle-même assujettie. Elle reçoit une somme forfaitaire destinée à faire face à la dépense. Il y a rupture de continuité juridique entre les deux sommes. ».

Certes, comme nous le rappelle Mme Z., la configuration de l’article 37 est particulière car elle permet que l’avocat recouvre lui-même tout ou partie de sa prestation auprès de la partie condamnée.

Certes, les frais de procès recouvrés par un avocat auprès de la partie condamnée aux dépens sont imposables à la TVA, car ils constituent alors la rémunération de sa prestation d’avocat (cf. Instruction fiscale BOI-TVA-BASE-10-20-40-30, points 143, 145 et 148).

Mais par souci de clarté, et compte tenu de ce qui a été dit sur la nature « d’indemnité » de ces frais auparavant, nous pensons que malgré cette configuration particulière où l’avocat se rémunère d’une prestation, le juge n’a pas à assortir sa condamnation de TVA.

En réalité la solution du litige revêt un aspect pratique plus que juridique : elle implique que, pour permettre à l’avocat, surtout celui assujetti à la TVA ce que le juge ignore toujours avant de statuer, d’exercer pleinement son arbitrage entre d’une part, sa rétribution au titre de la part contributive de l’État à l’AJ pour laquelle sa situation d’assujetti est pleinement prise en compte et, d’autre part, une condamnation au titre des frais non compris dans les dépens qui n’est pas assortie d’une condamnation à la TVA, elle implique, donc, que le juge tienne compte au titre de l’équité de l’augmentation de la valeur de l’UV HT dans le temps et actualise les montants forfaitaires qu’il octroie en conséquence. Mais cela ferait naître une situation particulièrement avantageuse pour les avocats non assujettis…et pèserait plus sur les finances de l’État.

Ces considérations nous amènent directement au second moyen tiré de la rupture d’égalité entre avocats assujetti ou non à la TVA ; précisément ces deux catégories de professionnels ne sont pas dans la même situation objective, l’un réalisant un chiffre d’affaires moins important que l’assujetti. Ils peuvent donc faire l’objet d’un traitement distinct. En tout état de cause, le Conseil d’Etat a admis implicitement cette différence de traitement dans l’arrêt précité.

Si vous nous avez suivie, vous considérerez qu’en l’espèce, la somme de 1 500 euros allouée par le tribunal administratif, n’est entachée d’aucune erreur.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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