Par un jugement du 22 octobre 2024, le tribunal administratif a rejeté la requête de M.X et Mme V après avoir jugé qu’à la suite de la présentation et des discussions sur le projet de budget primitif, les élus des groupes d’opposition ont été mis en mesure d’exposer oralement leurs avis sur les propositions d’amendements, avant que le maire de la commune mette au vote l’ensemble du projet initial de délibération. Ainsi, en votant en faveur de ce projet, le conseil municipal a implicitement mais nécessairement rejeté les amendements proposés par les groupes d’opposition sans qu’il ait été nécessaire de soumettre ces amendements à un vote distinct.
Selon G. Burdeau, « la majorité ne fait pas la valeur d’une décision, elle la prouve. C’est parce qu’elle clôt un débat que la majorité est respectable ; c’est la discussion qui la valorise. L’artifice qui lui permet de prévaloir n’est tolérable que dans la mesure où la minorité peut s’incliner sans déchoir, se soumettre sans ratifier pour autant son asservissement ». (Burdeau (G.), Traité de science politique, Paris, LGDJ, 3e éd., 1980, pp. 471-572).
Dans la mesure où la délibération se définit comme « un ensemble de discussions et de prises de position avant de devenir, le cas échéant, un acte exécutif » (Janicot (L.), Les droits des élus, membres des assemblées des collectivités territoriales, Paris, LGDJ, 2004, p.53), cette phase préparatoire ou pré-décisionnelle nécessite, à l’image des assemblées collégiales, la participation de tous les membres. Cette participation, à la fois déterminante et limitée, est reconnue comme « un véritable droit que les élus ont la liberté ou non d’exercer » (Ibid., p.129), permettant ainsi à l’assemblée locale d’éviter de se réduire à « une simple chambre d’enregistrement » des projets de l’exécutif (Expression utilisée par H. Toutée dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État du 29 juin 1990, Cne de Guitrancourt, à propos du droit de l’information sur les affaires soumises à la délibération, cité in Janicot (L.), op.cit., p. 130). En ce sens, le fondement d’une relation politique réside dans la discussion qui favorise la prise de parole des élus au sein des assemblées délibérantes. Entendue comme « l’acte de l’organe collégial », une délibération est « l’œuvre du conseil dans son ensemble » (Koubi (G.), « La délibération, manifestation de volonté dans le droit des collectivités locales », LPA, 12 juin 1992, n° 71, p.7). Elle « n’est pas créée instantanément du fait de la volonté de son auteur », son élaboration « est soumise à l’accomplissement de plusieurs formalités préalables ». (Janicot (L.), op. cit., p.61).
Certes, la mise en œuvre d’une culture politique au sein des assemblées locales implique la reconnaissance, au profit des membres composant ces assemblées, des mécanismes d’information, de participation et d’expression leur permettant d’adopter cet acte. La première reconnaissance de ces droits est purement prétorienne (Cf. pour le droit d’information : CE, 15 février, 1961, au recueil Lebon p.119; CE, Assemblée, 9 novembre 1973, Cne de Pointe-à-Pitre, n° 80724, au recueil Lebon ; CE, 22 mai 1987, M.T. c/Cne de Caluire -et-Cuire, n° 70085, au recueil Lebon, V. pour le droit de participation : CE, 6 novembre 1985, Maire de Viry-Châtillon, n° 68842, au recueil Lebon ; CAA Versailles, 30 décembre 2004, Cne de Taverny, n° 02VE02420). La mise en œuvre de l’ensemble de ces mécanismes répond à un double objectif ; d’une part, accroître et reconnaître les droits des élus au sein des assemblées locales, à travers un modèle aligné sur celui du modèle étatique, d’autre part, assurer un rééquilibrage interne des pouvoirs au sein de ces assemblées, fortement marquées pendant longtemps par un phénomène de « personnalisation mayorale » (Mabileau (A.), « De la monarchie municipale à la française », Pouvoirs, 1995, n°73, p.10), reflétant une prépondérance de l’exécutif sur l’assemblée.
L’affaire objet de ce jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon le 22 octobre 2024, nous fournira l’occasion de revenir sur des questions, à la fois classiques et importantes, caractérisant la vie politique et le fonctionnement intérieur des assemblées locales. Ces questions demeurent particulièrement révélatrices d’une appréciation libérale et parfois restrictive du juge administratif, notamment en matière budgétaire.
La participation aux délibérations des assemblées locales s’illustre à travers le droit de proposition. À ce titre, la délibération suppose « le droit pour tous les élus, y compris ceux de l’opposition, de soumettre à l’assemblée des propositions dont ils ont l’initiative ». (Janicot (L.), préc., p.133). D’inspiration parlementaire, reflétant ainsi le phénomène du « parlementarisme local », « la reconnaissance d’un droit de proposition constitue une contribution essentielle à l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif local et l’assemblée délibérante » (Ibid). Ce droit s’exerce sous deux formes : le droit d’initiative et le droit d’amendement (CE, 22 juil. 1927, Bailleul, Lebon, p. 823, CE, 10 fév. 1954, Recueil Lebon, cités par la doctrine administrative : Rép. Min à la QE écrite n°09457, publiée au JO Sénat du 7 janvier 2010, p.29,; CAA Marseille, 24 novembre 2008, n°07MA02744).
Considéré comme « corollaire de l’initiative législative », selon la formule utilisée par la Conseil Constitutionnel (Décision CC n° 90-274 DC du 29 mai 1990 ), et « un droit inhérent au pouvoir de délibération » d’une assemblée (CAA Paris, Plénière, 12 février 1998, n°96PA01170), le droit d’amendement est le droit de proposer et de présenter, lors des débats, des modifications au projet de texte préparé et présenté à l’examen de l’assemblée. Appliqué au niveau local, il concerne les propositions de modifications des projets de délibérations soumises au conseil délibérant. Le Code général des collectivités territoriales reste toutefois muet sur ce droit, renvoyant ainsi au règlement intérieur de ces conseils le soin d’en déterminer et d’en fixer la présentation et les modalités d’exercice. Dès lors, en l’absence d’un encadrement législatif, le juge administratif devait toujours trouver le point d’équilibre entre le respect du droit d’amendement et le bon fonctionnement des assemblées délibérantes.
Dans les faits, les élus du groupe « Demain A. Respire » avaient transmis au maire de la commune A. sept propositions d’amendements au budget primitif de l’année 2023 le 16 mars puis, à nouveau, le 22 mars 2023, en le priant de bien vouloir les diffuser à l’ensemble des conseillers municipaux. Le maire n’a pas donné une suite favorable à leur demande. De plus, le maire n’a pas soumis au vote distinct l’ensemble des propositions d’amendements. Dès lors, les requérants ont saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande tendant à l’annulation de la délibération du 30 mars 2023 adoptée par le conseil municipal de la commune A. en tant qu’elle a approuvé le budget primitif de l’année 2023 sans mettre au vote distinct l’ensemble des amendements présentés par le groupe « Demain A. Respire ». Les requérants soutenaient que la délibération était intervenue à l’issue d’une procédure irrégulière, dès lors que les conseillers municipaux n’avaient pas été informés suffisamment des amendements proposés, et que le maire n’avait pas invité le conseil municipal à se prononcer sur le sort à réserver à ces amendements, en méconnaissance des dispositions de l’article 25 du règlement intérieur du conseil municipal.
Dans un premier temps, pour juger infondé le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article L. 2121-13 du Code général des collectivités territoriales selon lequel « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération », le juge de première instance devait s’assurer si les élus disposaient bien d’une information suffisante leur permettant d’exercer utilement leur mandat.
D’une manière générale, le juge administratif semble toujours faire preuve de pragmatisme en la matière. Rappelons tout d’abord que le droit d’information prévu à l’article L. 2121-13 du CGCT concerne bien la phase préparatoire de la prise de décision. Cela pourrait concerner toute information et/ou tout document préparatoire de la délibération. Le refus de communication de ces documents porte atteinte aux droits et aux prérogatives dont disposent les élus qu’ils tiennent de leur qualité de membre du conseil municipal (CE, 29 juin 1990, Cne de Guitrancourt, n° 68743, au Lebon). En revanche, le juge a estimé que les élus locaux doivent avoir pris l’initiative de demander toutes informations complémentaires (CE, 26 juin 1996, SARL Rossi Frère, n°148711, au recueil Lebon, CAA Bordeaux, 29 octobre 2002, n° 98BX00284). Il ne s’agit pas d’une communication spontanée qui incombe obligatoirement à l’exécutif communal. En contrepartie, depuis la décision d’assemblée du 27 mai 2005, le maire dispose d’une marge de liberté, qu’il exerce sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, lui permettant d’apprécier si cette communication se rattache à une affaire de la commune qui fait l’objet d’une délibération, et de s’assurer qu’aucun motif d’intérêt général n’y fait obstacle (CE, 27 mai 2005, Cne de l’Yvetot, n° 265494 au recueil Lebon, CE 27 mai 2005, Dpt de l’Essonne, n°268564, au Lebon, CE, 5 avril 2019, n°416542 au recueil Lebon). Au-delà des demandes de communication, le juge administratif a considéré par exemple qu’une communication en début ou en cours de séance permet une information suffisante avant le vote (CAA Douai, 11 mai 2000, Cne Sangatte, n°96DA0550). En somme, le juge s’assure que l’élu dispose d’une information suffisante lui permettant d’exercer utilement son mandat.
Sur ce premier moyen, la position des juges de première instance ne semble pas surprenante. En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier que, d’une part, les six des sept propositions d’amendements avaient fait l’objet d’une présentation lors des commissions qui se sont tenues les 14, 15 et 16 mars 2023, et, d’autre part, que ces propositions d’amendements, adressées par le groupe « Demain A. Respire », trente minutes avant la séance et glissées dans leur « sous-mains », avaient fait l’objet d’une présentation circonstanciée en séance. Dans ces conditions, le juge a estimé que les conseillers devaient être regardés comme ayant reçu, en temps utile, une information suffisante sur les propositions en cause.
Dans un second temps, le juge administratif devait statuer sur le second moyen tiré de l’omission du maire de soumettre au vote distinct l’ensemble des amendements proposés. Sur ce point, il est à noter que l’article 25 du règlement intérieur du conseil municipal de la commune A. prévoyait que : « Les amendements peuvent être proposés sur toutes affaires en discussion soumises au conseil municipal. Ils doivent être présentés par écrit au maire. Ils peuvent également être présentés oralement au Président en séance. Le conseil municipal décide si ces amendements sont mis en délibération, rejetés ou renvoyés à la commission compétente ». L’exercice d’un tel droit appelle quelques précisions.
Tout d’abord, comme précédemment évoqué, le Code général des collectivités territoriales demeure muet sur les modalités d’exercice du droit d’amendement renvoyant ainsi au règlement intérieur des conseils le soin de déterminer sa mise en œuvre (CAA Nancy, 4 juin 1988, Ville de Metz, n° 97NC02102).Toutefois, il est important de noter que le règlement intérieur du conseil municipal ne doit comporter que des mesures concernant le fonctionnement intérieur des conseils (CE, 28 janvier 1987, n° 83097, au Lebon ; CE, 18 novembre 1987, Cne de Mainvilliers, n°75312, au Lebon). En l'occurrence, il ne saurait porter atteinte aux droits des élus (CAA Bordeaux, 3 mai 2011, Cne d'Espalion, n° 10BX02707), et parmi les droits des élus figure la liberté d'expression et de proposition (CE, 22 mai 1987, n° 70085 au Recueil Lebon; CE, 28 janvier 2004, Cne du Pertuis, n° 256544). Sur ce point, la cour administrative d’appel de Paris a rappelé dans son arrêt Tavernier que « s’il appartient au conseil général de réglementer ce droit, c’est sous réserve de ne pas porter atteinte à son exercice effectif » (CAA Paris, 12 février.1998, n°96PA01170). À relire les dispositions du règlement intérieur de la commune A, il ne semble pas que celles-ci soient restrictives ou qu’elles portent une atteinte à l’exercice effectif du droit d’amendement des élus.
Ensuite, l’exercice du droit d’amendement doit permettre aux élus d’être mis à même de présenter leurs propositions et de s’exprimer sur le contenu de leurs amendements. Le juge administratif veille de manière assez rigoureuse au respect de cette garantie. De ce fait, les amendements des élus peuvent dès lors être déposés avant la séance ou en cours de la séance, ils sont recevables à tous les stades de délibération, et doivent faire l’objet d’un examen avant le vote du projet de délibération concernée (CAA Nancy, 4 juin 1998, Ville de Metz, n°97NC02102), de même, les amendements doivent faire l’objet d’une présentation orale et de justifications (CAA Paris, 12 janvier 2012, Ville de Paris, n°10PA06066), il est aussi possible de déposer des sous amendements (CAA Paris, 12 février. 1997, Conseil général de l’Essonne, n°96PA01170). En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier qu’à la suite de la présentation et des discussions sur le projet de budget primitif, les élus du groupe « Demain A. Respire » avaient été mis en mesure d’exposer oralement leurs sept propositions d’amendements, la parole avait été ensuite donnée aux membres du groupe « Vivre A », qui avaient pu faire état des raisons pour lesquelles ils soutenaient ces propositions, à l’exception de la proposition n°4. Ce faisant, il n’est guère discutable alors qu’il ait été porté atteinte au droit des élus de s’exprimer oralement sur leurs amendements et de les présenter.
Enfin, si les élus disposent d’un droit à ce que l’ensemble des amendements fassent l’objet d’un vote de l’assemblée délibérante, il est admis selon une jurisprudence constante, que l'adoption d'une délibération par un conseil municipal n'est pas subordonnée à l'intervention d'un vote effectif, dès lors que l'assentiment de la totalité ou de la majorité des conseillers présents a pu être constaté (CE, 22 janvier 1960, n° 45689, au Lebon, ; CE, 16 décembre 1983, Élection des adjoints au maire de La Baume-de-Transit, n° 51417, au recueil Lebon T.. ; CE, 18 mars 1994, Cne de Cestas, n° 138446, au recueil Lebon ).
En l’espèce, après s’être assuré qu’aucun autre élu ne souhaitait prendre la parole, le maire avait mis au vote l’ensemble du projet initial de délibération. Dès lors, le juge a estimé qu’en votant en faveur de ce projet, le conseil municipal a implicitement mais nécessairement rejeté les amendements proposés sans qu’il ait été nécessaire de soumettre ces amendements à un vote distinct. Dans ces conditions, il est clair que le projet avait été présenté dans toutes ses composantes et avait fait l’objet d’une discussion générale, de même, il avait été adopté dans son ensemble, et enfin aucun des conseillers présents n'avait demandé qu'il soit procédé à un vote distinct sur une ou plusieurs des propositions présentées. En allant dans le sens du rejet de la requête, le juge administratif a demeuré fidèle à son pragmatisme garantissant ainsi l’exercice des droits inhérents au processus délibératif et au bon fonctionnement des assemblées collégiales. Cette attitude s’explique généralement par une volonté d’éviter tout risque de dilution de l’expression des conseillers, exercée très souvent dans un contexte plus ou moins conflictuel, notamment en matière budgétaire.
In fine, il est à noter qu’en matière budgétaire, hormis les cas de suspension de délibération approuvant le budget, ce type de contentieux demeure stérile et insensé. En effet, du fait des délais de jugement excessivement longs et inadaptés au principe de l’annualité budgétaire, au moment où le juge prononce l’annulation de la délibération approuvant le budget, l’exercice budgétaire est d’ores et déjà écoulé. La seule incidence d’une telle annulation est l’obligation de régularisation rétroactive, mise à part la victoire « symbolique et éphémère » du requérant.