Étranger conjoint de français qui n’a pas exécuté une mesure d’éloignement : consultation obligatoire de la commission du titre de séjour

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Décision de justice

TA Lyon – N° 2405133 – 21 novembre 2024 – C+

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2405133

Date de la décision : 21 novembre 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

OQTF, L. 432-1-1 du CESEDA, Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, L. 432-13 du CESEDA, Commission du titre de séjour, L. 423-1 du CESEDA

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Le refus d'un titre de séjour, pris en application des nouvelles dispositions du 1° de l’article L. 432-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) issu de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration selon lesquelles

« La délivrance ou le renouvellement d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé à tout étranger : / 1° N’ayant pas satisfait à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français dans les formes et les délais prescrits par l’autorité administrative (…) »

implique la consultation obligatoire de la commission du titre de séjour.

En l’espèce, le refus du préfet était appliqué à un étranger qui remplissait effectivement les conditions prévues aux articles L. 423-1 ou 2 du CESEDA et du droit d’asile pour obtenir un titre de séjour en qualité de conjoint de français1

Si le préfet n’est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par ces textes auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non celui de tous les étrangers qui s’en prévalent, la circonstance que l’étranger s’est soustrait à une précédente mesure d’éloignement ne le dispense pas de son obligation de saisine de la commission.

En l’espèce, pour refuser la délivrance du titre de séjour, le préfet, sans examiner s’il remplissait les conditions pour être admis au séjour sur le fondement de l’article L. 423-1 du CESEDA, s’est fondé sur ce que l’intéressé n’a pas satisfait à la décision portant obligation de quitter le territoire (OQTF), édictée à son encontre le 12 mai 2020.

Cependant, il ressort des pièces du dossier que M.X. est entré sur le territoire français muni d’un visa long séjour en qualité de conjoint de Français le 23 mars 2017 dans le cadre d’une précédente union, qu’après avoir divorcé, il a contracté mariage le 13 janvier 2024 avec Mme V., devant l’officier d’état civil de la commune de N. que la communauté de vie n’a pas cessé depuis et qu’il n’est pas contesté que Mme V. a conservé la nationalité française. Dans ces conditions, M. X. est réputé remplir les conditions fixées par l’article L. 423-1 du CESEDA, et est fondé à soutenir que la préfète de l’Ain a refusé de l’admettre au séjour au terme d’une procédure irrégulière en ne saisissant pas la commission du titre de séjour2.

335-01-03-02, Étrangers, Séjour des étrangers, Refus de séjour, Procédure

Notes

1 Comp. pour un étranger remplissant les conditions de délivrance de plein droit d’un titre de séjour en vertu de l’article L. 432-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dont la présence est considérée comme constituant une menace pour l’ordre public CE, 10 août 2005, n° 258044. Retour au texte

2 Comp. pour un étranger régulièrement entré en France, l’existence d’une mesure d’éloignement non exécutée ne remet pas en cause le caractère régulier de l’entrée en France, y compris lorsqu’une entrée irrégulière est régularisée par l’octroi d’un premier titre de séjour CE, 26 juillet 2018, n°412558. Retour au texte

L’atteinte à un droit procédural substantiel d’un ressortissant étranger conjoint de Français visé par une OQTF

Nelly Géraldine Solange Nyia Engon

Docteure en droit, chargée de cours, faculté des sciences juridiques et politiques, département du droit privé fondamental, université de Douala Cameroun

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DOI : 10.35562/alyoda.9922

Par jugement du 21 novembre 2024, le tribunal administratif de Lyon a annulé un arrêté de refus de délivrance de titre de séjour assortie d’une mesure d’éloignement du territoire français prise par le préfet de l’Ain à l’encontre d’un étranger conjoint d’une ressortissante française. Il censure l’absence de saisine de la commission de séjour des étrangers. D’après le tribunal administratif de Lyon, lequel protège par ce jugement le droit à la vie privée et familiale de l’étranger visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), le préfet ne peut pas prendre une mesure d’éloignement sans convoquer au préalable le requérant dans un échange contradictoire devant une commission de titre de séjour.

Dans cette perspective, le tribunal administratif de Lyon a enjoint à l’administration d’accorder un récépissé valant autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’administration ait statué dans la procédure. Dans cette affaire, le litige était né du refus du requérant d’exécuter volontairement l’arrêté d’expulsion qui l’obligeait à quitter le territoire français pour son pays d’origine suivant un délai de 30 jours.

Le tribunal administratif de Lyon juge que bien que le requérant ne se soit pas conformé à la mesure d’éloignement, la décision de refus du titre de séjour est irrégulière à défaut par l’autorité administrative d’examiner la situation personnelle du requérant ayant fait la demande d’une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale ». En effet, la situation de l’étranger présentait des éléments nouveaux de sa vie matrimoniale avec une Française justifiant un droit au séjour au titre de cette nouvelle union.

Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 21 novembre 2024 est une décision qui rend effectif les mesures de protection contre l’éloignement et l’interdiction de retour (I) et qui participe avec pertinence à la consolidation du droit au respect de la vie privée et familiale de l’étranger (II).

I. Les mesures de protection contre l’éloignement et l’interdiction de retour

Du point de vue des droits de la défense du requérant, l’objet du recours auprès du tribunal administratif de Lyon consistait à dénoncer une procédure administrative irrégulière prise sur la base d’une situation personnelle erronée du ressortissant étranger. Le tribunal administratif de Lyon a censuré sur un plan procédural l’absence de saisine de la commission du titre de séjour en relevant que l’étranger remplissait les conditions fixées par l’article L. 423-1 du CESEDA au regard de sa qualité de conjoint de Français.

En principe, le droit au séjour de conjoint de Français bénéficie d’une protection contre les arrêtés d’éloignement et l’interdiction de retour en raison de l’union maritale ou de la relation filiale établie dans le pays de résidence. La personne étrangère, conjoint de Français, bénéficie d’une protection de principe contre les arrêtés portant obligation de quitter le territoire français sauf lorsqu’il commet des faits passibles de trouble à l’ordre public1.

Le conseil du requérant est fondé à démontrer que la décision prise par l’autorité administrative est une décision illégale parce qu’il est formellement garanti au requérant, conjoint de Français visé par une obligation de quitter le territoire, le droit d’être auditionné par la commission de séjour avant la prise de décision de l’autorité administrative sur sa demande de titre de séjour.

En effet, au regard de l’article L. 423-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile 2dont les dispositions permettent de garantir le droit au respect de la vie privée et familiale codifié à l’article 8 de la CEDH3, les alinéas 1 et 2 de l’article L. 423-23 du CESEDA disposent que l’autorité administrative doit examiner les liens personnels et familiaux de l’intéressé au regard de « leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ».

Le tribunal administratif de Lyon a ordonné à l’autorité administrative d’examiner la situation personnelle du requérant en saisissant la commission du titre de séjour et, dans l’attente, à délivrer une autorisation provisoire de séjour. Cette décision du juge administratif de Lyon se fonde sur les garanties de la procédure. L’intérêt de cette mesure est de respecter les droits de la défense de l’intéressé et, en particulier, son droit d’être entendu.

La commission doit recueillir tout élément de droit et de fait sur la situation personnelle du requérant qui bénéficie aussi du droit d’être assisté d’un conseil4. À contrario, l’absence de saisine de la commission constitue un vice de procédure susceptible de priver le requérant d’une garantie substantielle5. Concrètement, le travail de la commission est d’auditionner l’intéressé en l’invitant à s’expliquer sur sa situation personnelle et à produire des pièces justificatives pour une décision favorable au droit au séjour en France.

Néanmoins, on peut s’étonner du déroulement dans lequel s’effectue l’entretien du ressortissant étranger devant les fonctionnaires composant la commission de séjour, notamment au regard de la nature des questions posées sur la réalité de liens affectifs entretenus avec leur partenaire et sur la constance résurgence du passé administratif ou judiciaire de l’étranger lorsqu’il a été condamné.

Au demeurant, la décision de la commission a la force juridique d’un avis consultatif auprès de l’autorité administrative qui a un pouvoir d’appréciation sur les éléments caractérisant la vie privée d’un étranger. Par ailleurs, dans la mesure où il est un ressortissant marocain, le requérant peut également se prévaloir de l’accord bilatéral franco-marocain en matière de séjour et d’emploi du 9 octobre 1987 s’il justifie d’une activité professionnelle.

Le tribunal administratif de Lyon, qui ne s’est pas prononcé sur le fond, a relevé l’intégralité de la situation personnelle du requérant. En l’espèce, l’étranger ressortissant marocain est entré en France le 23 mars 2017. À la date du dépôt de son dossier de demande de titre de séjour conjoint de Français, le 4 mars 2024, il vit depuis 7 ans sur le territoire français. Le requérant était en mesure de remplir les conditions d’attribution de plein droit d’un droit au séjour mention vie privée et familiale6.

II. Le droit au respect à la vie privée et familiale

Le tribunal administratif de Lyon a précisé le droit au respect à la vie privée et familiale de l’étranger en séjour illégal sur le territoire français à dessein de garantir un droit social fondamental des étrangers en adoptant un raisonnement exclusivement basé sur la réalité de la situation matrimoniale du requérant. Ce raisonnement est intrinsèque au titre de séjour sollicité par le requérant qui est une carte de séjour mention « vie privée et familiale ». Le tribunal administratif de Lyon affirme que ce droit doit être respecté même dans le cas d’une personne étrangère faisant l’objet d’une mesure d’éloignement.

Le tribunal administratif de Lyon, par ce jugement du 21 novembre 2024, annule une décision administrative qui tend à fragiliser le droit au respect à la vie privée et familiale de la personne étrangère. D’une part parce que le cadre légal dans lequel il est tenu de solliciter son droit au séjour est dénoncé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme comme « une omniprésence administrative dans l’intimité et la vie privée des étrangers »7.

D’autre part, parce que l’édiction d’une mesure d’éloignement contre la personne étrangère peut être perçue comme une double peine sanctionnant un divorce et la fin du droit au séjour sur le territoire français, alors que la personne étrangère traverse une période qui peut être humainement délicate8. En tout état de cause, cette position du préfet apporte une restriction sensible au projet d’intégration républicain d’étrangers issus de l’immigration légale parce qu’elle favorise une non-conformité par rapport aux fondements sur lesquels est bâti le droit au respect de la vie privée et familiale de la personne étrangère.

En effet, le droit au respect à la vie privée et familiale a été érigé en principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans le préambule de 1946, aux termes duquel « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement »9. D’après la Convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti par l’article 8 qui dispose à l’alinéa 1er que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». L’article 8 de la CEDH protège le droit à l’épanouissement personnel et recouvre le droit pour tout individu d’aller vers les autres afin de nouer et développer les relations avec ses semblables et le monde extérieur pour son développement ou son autonomie personnels10.

L’effet direct attaché à l’article 8 de la CEDH est l’examen in concreto de la situation personnelle de l’étranger en séjour irrégulier. La Cour européenne réalise un contrôle de proportionnalité entre la mesure d’éloignement et l’atteinte à la vie privée et familiale11. Suivant une évolution récente, la Cour européenne analyse la protection de l’ordre public au regard de la nature et de la gravité de l’infraction commise12. Dans les faits, le requérant faisant l’objet d’une mesure d’éloignement était en droit de dénoncer l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français par la démonstration d’une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale parce qu’il s’est remarié à une ressortissante française.

Le tribunal administratif de Lyon déclare irrégulière la procédure administrative parce qu’il existe une atteinte aux garanties légales entourant la protection de la vie privée et familiale de la personne étrangère consacrée à l’article L. 423-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Sur ce point, le jugement du tribunal administratif de Lyon emporte une conviction à laquelle il est pertinent d’adhérer parce qu’il se réfère de manière objective aux conditions requises pour l’admission du requérant à un titre de séjour temporaire du fait de son mariage avec un ressortissant français dès lors que le mariage octroie aux personnes étrangères, un droit au séjour sous certaines conditions.

Aux termes de l’article L. 423-1 du CESEDA13, le requérant doit établir un mariage avec un ressortissant français suivant un certain nombre de critères relatifs à la détention d’un visa de long séjour, à la communauté de vie des conjoints, à la transcription du mariage sur les actes d’état civil et à la nationalité française du conjoint14. À cet égard, la situation administrative du requérant était conforme au formalisme de l’article L. 423-1.

Dans ces conditions, l’autorité administrative ne saurait légalement édicter une décision portant OQTF en l’absence d’un examen de la situation personnelle de l’étranger sur le territoire français. À cet égard, la loi du 26 janvier 2024 institue au bénéfice de l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement une protection légale contre la mesure d’éloignement lorsqu’il remplit les conditions pour obtenir de plein droit une carte de séjour.

Le Conseil d’État a reconnu l’existence d’une protection spécifique à l’étranger qui remplit les modalités pour un droit au séjour en raison de la nature et de l’ancienneté de ses liens en France15. D’après une jurisprudence relativement ancienne, le Conseil d’État a déjà relevé dans l’affaire M.C. du 18 novembre 1988, n° 78602 que l’autorité préfectorale doit considérer les éléments nouveaux pour délivrer un récépissé valant autorisation provisoire de séjour à l’étranger16.

La prise en compte des éléments nouveaux a également été soulignée par la cour administrative de Douai qui a estimé que « lorsqu’un étranger a fait l’objet d’une décision de refus de titre de séjour assortie d’une mesure d’éloignement qu’il n’a pas exécutée, cette circonstance s’oppose à ce qu’un nouveau récépissé lui soit délivré, sauf si des éléments nouveaux conduisent l’autorité préfectorale à l’autoriser à former une nouvelle demande »17. De plus, comme le précise le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 13 juillet 2023, n° 2206464, le dossier administratif doit contenir des éléments nouveaux précis permettant d’exercer une influence auprès de l’autorité administrative pour ouvrir un droit au séjour18.

Notes

1 D. LOCHAK, Fasc. 735 : Droits et libertés des étrangers. Vie privée et familiale. WACHSMANN, Patrick ; PICOD, Fabrice. Juris-classeur libertés, LexisNexis, 2007, hal-03696968. Retour au texte

2 Article L. 423-23 du CESEDA. Retour au texte

3 CE, 6 décembre 2012, n° 346741. Retour au texte

4 V. Tchen, Droit des étrangers, op. cit., p. 589 et s. Retour au texte

5 V. Tchen, op. cit. Retour au texte

6 CE, 23 juin 2000, n° 213584 ; CE, 28 juillet 2000, n° 215874 ; CE, 28 novembre 2007, n° 307036. Retour au texte

7 CNCDH, Avis sur la réforme du droit des étrangers, (assemblée plénière, 21 mai 2015), p. 15. Retour au texte

8 K. Parrot, Carte blanche. L’État contre les étrangers, La Fabrique éditions, 2019, p. 124. Retour au texte

9 CE, 8 décembre 1978, Gisti et an°10097-10677-10679, recueil Lebon 1978, p. 493 ; Rev. Dr. soc. 1979, p. 57, concl. Dondoux. Retour au texte

10 CEDH, 5 septembre 2017, n° 61496/08, B. c. Roumanie. Retour au texte

11 CEDH, 24 avril 1996, n° 22070/93, B. c/ France ; CEDH, 13 juillet 1995, n° 19465/92, N. c/ France.. Retour au texte

12 Dictionnaire permanent droit des étrangers, n° 348-349, novembre-décembre 2024, p. 795. Retour au texte

13 Article L. 423-1 du CESEDA. Retour au texte

14 V. Tchen, Droit des étrangers, LexisNexis, 2e édition, 2022, p. 505 et s., n° 3°. Retour au texte

15 CE, 23 juin 2000, n° 213584. Retour au texte

16 CE, 18 novembre 1988, n° 78602, recueil Lebon. Retour au texte

17 CAA Douai, 1er février 2018, n° 17DA00775, AJDA, 2018, p. 1072. Retour au texte

18 G. Barraud, « Le refus de titre de séjour opposé au conjoint de Français sous le coup d’une OQTF », AJDA, 2023, p. 1949 et s. Retour au texte

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