Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 23LY03646 – Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche – 07 novembre 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 23LY03646

Numéro Légifrance : CETATEXT000050494888

Date de la décision : 07 novembre 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Aide à la mobilité, Master, D. 612-34 du code de l’éducation, D. 636-69 du code de l’éducation, Décret n° 2017-969 du 10 mai 2017

Rubriques

Aides publiques et économie

Résumé

L’aide à la mobilité instituée par le décret n° 2017-969 du 10 mai 2017 est soumise à la condition tenant à l’inscription en première année de formation conduisant au diplôme de master. L’aide aux étudiants inscrits en quatrième année du cursus de formation d’un institut d’études politiques menant à un diplôme conférant le grade de master ne peut leur être attribuée.

Si le diplôme de fin d’études auquel prépare l’IEP, confère de plein droit le grade de master à son détenteur, en l’absence d’équivalence entre diplômes, cette reconnaissance de niveau ne saurait avoir pour effet de faire regarder ce diplôme national comme ayant des effets identiques au diplôme national de master, pour la satisfaction de la condition fixée par l’article 1er du décret n° 2017‑969 tenant à l’inscription en première année de formation conduisant au diplôme national de master.

Ainsi, l’étudiant inscrit en quatrième année du cursus de formation d’un IEP ne pouvait pas, bien que devant changer d’académie pour poursuivre ses études, se voir octroyer l’aide à la mobilité régie par ce décret1.

30-02-05-01-01-01, Enseignement et recherche, Diplômes, Questions propres aux différentes catégories d'enseignement, Enseignement supérieur et grandes écoles, Universités, Organisation des études universitaires, Diplômes

Notes

1 Rapp. CE 24 octobre 2014, n°368389, B : pour la nomination à l’auditorat de justice, absence d’équivalence entre un diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris mention " carrières juridiques et judiciaires " et une maîtrise en droit ou un master 1 en droit. Cf. CE 14 mai 2024, n° 475178 : le décret n° 2017-969 du 10 mai 2017 ne méconnaît pas le principe d’égalité pour avoir exclu du bénéfice de l’aide à la mobilité qu’il institue les étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant à un diplôme d’établissement conférant le grade de master, placés dans une situation différente des étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant au diplôme national de master bénéficiaires de cette aide.

Les diplômes délivrés par les instituts d’études politiques et par les universités justifient-ils une différence de traitement concernant l’aide sociale à la mobilité étudiante ?

Clémence Paillet-Augey

Magistrate administrative au tribunal administratif de Grenoble

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Lynda Maurice

Responsable du service juridique et contentieux de l’académie de Grenoble, docteure en philosophie

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DOI : 10.35562/alyoda.9926

Dans la décision commentée, la cour administrative d’appel de Lyon rappelle que le diplôme délivré par un Institut d’études politiques (IEP), s’il sanctionne cinq années d’études et confère le grade de master, ne constitue pas un diplôme national de master (DNM). Elle en déduit que cette différence de diplômes suffit à exclure un étudiant lauréat du concours d’accès au second cycle de l’IEP de Grenoble du dispositif d’aide à la mobilité, réservé aux seuls étudiants inscrits en DNM sans que ne soit méconnu le principe d’égalité. Cependant, cette différence de traitement, fondée uniquement sur la nature juridique du diplôme délivré et non sur la situation sociale des étudiants semble peu pertinente au regard de l’objectif social poursuivi par la norme, a fortiori dans un contexte d’harmonisation croissante des diplômes à l’échelle européenne et d’encouragement à la mobilité.

Les étudiants boursiers titulaires d’une licence inscrits en première année de master peuvent, sous certaines conditions, depuis un décret n° 2017-969 du 10 mai 2017, bénéficier d’une aide à la mobilité lorsqu’ils changent de région académique entre la licence et le master. Le montant de cette aide a été fixé à 1 000 euros par arrêté du 23 août 20171. Pour pouvoir bénéficier de cette aide à la mobilité, il faut être titulaire du diplôme national de licence (DNL) et inscrit en première année du diplôme national de master l’année qui suit immédiatement l’obtention de la licence. Enfin, les étudiants doivent être bénéficiaires d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux.

Un étudiant de l’IEP de Grenoble, admis au second cycle du diplôme, demande au CROUS la bourse d’aide à la mobilité en raison de son changement de région académique après avoir obtenu une licence de droit à l’université Aix-Marseille. S’étant vu opposer un refus, il a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en excès de pouvoir contre cette décision. Le juge grenoblois considère que le grade de master conféré au diplôme de l’IEP implique qu’il est « qualifiable de diplôme de master »2.

Dans l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel de Lyon censure le jugement n° 2100987 du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble, en rappelant tout d’abord la règle selon laquelle le diplôme délivré par un IEP, même s’il sanctionne cinq années d’études conférant le « grade de master » (selon le b) du 4° de l’article D. 612-34 du Code de l’éducation), ne constitue pas un diplôme universitaire de master. Il en résulte que, dans le cas d’espèce, un étudiant ayant validé une licence de droit à l’université Aix-Marseille et qui continue son parcours en intégrant en 4e année l’Institut d’études politiques de Grenoble par la voie sélective d’un concours, similaire à la sélection universitaire pour l’accès à un master, ne peut bénéficier de l’aide à la mobilité (I).

Amenée ensuite à s’interroger sur l’existence d’une éventuelle rupture d’égalité devant le service public entre les étudiants disposant d’une licence et inscrits à l’IEP et ceux inscrits dans un diplôme national de master à l’université, la cour juge qu’un étudiant inscrit en master à l’IEP ne se trouve pas dans la même situation qu’un étudiant inscrit à l’université : dans ces conditions, en réservant l’aide à la mobilité instituée aux étudiants inscrits en diplôme national de master, le décret n° 2017-969 du 10 mai 2017 n’a pas méconnu le principe d’égalité. Dans un contexte d’européanisation croissante des diplômes, où la mobilité étudiante est de plus en plus fréquente, le fait que ces deux catégories d’étudiants ne soient pas placées dans la même situation et puissent, de ce fait, faire l’objet d’une différence de traitement, ne parait pas justifié (II).

I. Le diplôme de l’IEP et le diplôme national de master constituent des diplômes distincts conférant toutefois fois le même grade, celui de master, dans la logique d’harmonisation du processus de Bologne

En France, l’enseignement supérieur se partage entre les grandes écoles et les universités3. Cette spécificité est un héritage de la fin de l’Ancien Régime4 et la Convention thermidorienne, à qui l’on doit la fondation de grandes écoles, telles l’École polytechnique5 ou l’École normale supérieure6, destinées à former une élite au service de l’État dans un contexte postrévolutionnaire. Les Instituts d’études politiques, quoique fondés bien plus tard7, sont le fruit de cet état d’esprit8. Leur mission première, définie à l’article D. 741-10 du Code de l’éducation est de « contribuer, tant en formation initiale qu’en formation continue, à la formation des cadres supérieurs des secteurs public, parapublic et privé de la nation, et notamment des fonctions publiques de l’État et des collectivités territoriales ».

Lancé en 1999, le processus intergouvernemental de Bologne a permis de construire un espace européen de l’enseignement supérieur (EESS), dont l’objectif premier est de faire converger les systèmes d’enseignement supérieur. Concrètement, il incite les États à mettre en place des outils destinés à harmoniser l’ensemble des diplômes pour les rendre lisibles et comparables et donc à en atténuer leurs différences en s’accordant sur la notion de grade, attestant, au-delà de la nature ou du type de diplôme, d’un niveau ou socle commun de compétences (A). Le cas d’espèce illustre toutefois les limites du processus de Bologne (B).

A. Une volonté d’harmonisation des diplômes à l’échelle européenne

Le processus de Bologne9 a mis en place des mesures concrètes pour objectiver les niveaux de référence des différents titres et diplômes de l’enseignement supérieur, notamment un système « licence – master – doctorat » dit « LMD », de même la notion de crédits « ECTS » (European Credit Transfer System). Ces crédits permettent non seulement de tenir compte des heures de cours dispensées mais également de la charge de travail induite et des compétences et connaissances ainsi acquises10. Par ailleurs, cumulables, ils permettent d’objectiver et de comptabiliser les enseignements suivis dans un autre système universitaire, ou de postuler dans un autre cursus universitaire selon le seuil de crédits déterminé pour être admis, facilitant ainsi la mobilité étudiante en France comme à l’international.

En France, ce système permet ainsi d’accéder, après un concours, à l’IEP de Grenoble en 4e année11, à condition pour l’étudiant d’être, soit titulaire d’une licence obtenue à l’université, soit – sans être diplômé – de justifier de l’obtention de 180 crédits ETCS – seuil reconnu pour le grade européen de fin de premier cycle et qui correspond par ailleurs aux étudiants réussissant la troisième année du diplôme de l’IEP. Une fois intégrés dans un IEP, les étudiants ne peuvent valider leur diplôme qu’après avoir obtenu une totalité de 300 crédits ECTS. Ce nombre correspond également au nombre total de crédits nécessaire pour valider le diplôme national de master (DNL) après avoir obtenu les 180 crédits ECTS du premier cycle.

B. Le cas d’espèce montre les limites de cette harmonisation

En vertu de l’article L. 613-1 du Code de l’éducation, l’État a le monopole de la délivrance des grades et des titres universitaires. Les diplômes nationaux délivrés par les établissements sont ceux qui confèrent l’un des grades ou titres universitaires dont la liste est établie par décret pris sur avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.

L’article D. 613-1 du Code de l’éducation précise que : « Les grades et titres universitaires sanctionnent les divers niveaux de l’enseignement supérieur communs à tous les domaines de formation / Les grades correspondent aux principaux niveaux de référence définis dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur. Les titres correspondent aux niveaux intermédiaires ».

En ce qui concerne les grades, l’article D. 612-32-2 du Code de l’éducation indique que : « Le grade de licence est conféré de plein droit aux titulaires : 1° D’un diplôme de licence […] ». L’article D. 613-3 précisant que : « Les grades sont le baccalauréat, la licence, le master et le doctorat ».

L’article D. 612-34 du même Code dispose quant à lui que : « Le grade de master est conféré de plein droit aux titulaires : 1° D’un diplôme de master / […] / 4° Des diplômes délivrés : […] b) Par les instituts d’études politiques, en application de l’article D. 741-10 et figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé de l’enseignement supérieur ».

En vertu de l’article 1er de l’arrêté du 16 juillet 2018, le grade de master est conféré de plein droit aux titulaires du diplôme de fin d’études des instituts d’études politiques, dont celui de Grenoble. Il s’ensuit que si un tel diplôme bénéficie d’une reconnaissance de niveau officiel bac +5 au niveau européen, dans une logique de rapprochement des systèmes d’enseignement supérieur européens, cela n’équivaut pas à un diplôme national de master. Partant, les effets du grade de master conféré de plein droit à ces deux diplômes ne doivent pas nécessairement être considérés comme identiques. C’est pourtant ainsi que, procédant à une confusion entre titres et grades, le tribunal administratif de Grenoble a, à tort, considéré que l’obtention d’un même grade impliquait une similitude de titres, le diplôme de l’IEP étant selon lui « qualifiable de diplôme national de master »12.

Le diplôme de fin d’études de l’IEP de Grenoble est un diplôme d’établissement, prévu par le premier alinéa de l’article L. 613-2 du Code de l’éducation qui permet aux établissements d’« organiser, sous leur responsabilité, des formations conduisant à des diplômes qui leur sont propres ou préparant à des examens ou des concours ». Ces diplômes d’établissement peuvent, certes, être reconnus par l’État comme conférant le grade de licence ou de master (v. article D. 612-32-2 s’agissant du grade de la licence et article D. 612-34. s’agissant du grade de master), mais ils ne sauraient pour autant être assimilés aux diplômes nationaux, dont ils ne peuvent légalement porter l’intitulé au regard du monopole de l’État sur la collation des titres universitaires (v. article D. 613-3).

Il en résulte que les instituts d’études politiques délivrent des « diplômes propres » qui ne revêtent pas la qualification de diplôme national de master au sens de l’article 1er du décret n° 2017-969 du 10 mai 2017 relatif à l’aide à la mobilité master. Ces diplômes d’établissement ne donnent pas lieu à l’obtention d’un diplôme national de master pour autant, lequel est délivré principalement par les universités.

Le diplôme d’établissement délivré par l’IEP de Grenoble et la formation qui y conduit est ainsi bien distinct du diplôme national de master, quand bien même l’article D. 612-34 du Code de l’éducation lui confère de plein droit le grade de master, le grade étant défini par l’article D. 613-1 du Code de l’éducation comme correspondant uniquement « aux principaux niveaux de référence définis dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur ».

Tirant les conséquences de cette différence, la cour administrative d’appel juge que la délivrance du diplôme de master de l’IEP de Grenoble ne pouvant être qualifiée de diplôme national de master, l’aide à la mobilité étudiante ne bénéficie qu’aux étudiants inscrits en diplôme national de master.

Cette solution se justifie en l’absence d’une équivalence expressément prévue et organisée par le décret du 10 mai 2017. La cour s’inscrit, ce faisant, dans le cadre d’une jurisprudence déjà bien établie13, qui trouve son origine dans un arrêt du Conseil d’État du 24 octobre 2014, selon lequel un diplôme de second cycle d’un IEP n’est pas un diplôme universitaire de master et, surtout, alors qu’il n’est pas possible de se prévaloir d’une équivalence de diplôme sans texte (CE, 24 octobre 2014, n° 368389).

II. Une décision qui interroge au regard de l’interprétation du principe d’égalité

Dans la décision commentée, la cour a écarté le moyen tiré d’une rupture d’égalité entre étudiants au motif que les étudiants disposant d’une licence et inscrits dans un diplôme de master ne se trouvent pas dans la même situation que les étudiants titulaires d’une licence et inscrits en IEP, lesquels délivrent des diplômes de fin d’études propres à leur établissement, en conformité avec les conclusions de la rapporteure publique, Cécile Cottier (que les auteurs remercient pour la transmission de ses conclusions).

La motivation – succincte – de l’arrêt semble faire de la nature de la formation suivie (à l’université ou en dehors de l’université) le fondement d’une différence de situation.

Il est vrai que, saisi quelques mois auparavant d’une demande d’abrogation du décret du 10 mai 2017, le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt rendu en chambres réunies pourtant classé en C du 14 mai 2024, que le pouvoir réglementaire pouvait, sans méconnaitre le principe d’égalité, « regarder les étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant au diplôme national de master comme placés dans une situation différente de celle des étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant à un diplôme d’établissement conférant le grade de master »14.

Il semble cependant curieux d’opposer ainsi la nature du diplôme national de master et des autres diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur, alors que cette distinction intéresse seulement la politique de la délivrance des diplômes nationaux et qu’elle est sans lien avec l’objet de l’aide à la mobilité, qui bénéficie aux étudiants boursiers changeant de région à l’occasion de l’entrée en second cycle de l’enseignement supérieur (A).

La différence de traitement ainsi instituée aboutit à laisser de côté les enjeux pratiques que soulève l’aide à la mobilité du point de vue des étudiants et parait de ce fait sans rapport avec l’objet de la norme, au regard du droit à bénéficier d’aides à caractère social (B).

A. Le critère de distinction retenu, selon que les étudiants suivent ou non un parcours sanctionné par un diplôme national de master, n’est pas suffisant pour fonder à lui seul une différence de situation

Le critère tenant à la nature de la formation suivie conduit à ce que seul l’étudiant titulaire d’une licence et inscrit à l’université pourra obtenir l’aide à la mobilité. A contrario, cette aide sera refusée à un étudiant inscrit en IEP, alors que cette filière, tout aussi sélective, prépare à l’obtention d’un diplôme d’établissement sanctionnant les mêmes compétences qu’un diplôme national de master.

De plus, elle serait accordée dans le cas où ce même étudiant, en plus du diplôme d’IEP, serait inscrit dans un diplôme national de master à l’université de Grenoble ou dans une autre université, car il remplirait alors le critère lié à la nature de la formation suivie. Ce critère ne permet pas non plus de prendre en compte le cas d’un étudiant contraint de quitter l’académie dans lequel il a obtenu sa licence, pour intégrer un IEP, et qui aurait plutôt souhaité intégrer un diplôme national de master sans y parvenir.

En revanche, un dispositif prenant en compte de la même façon diplôme national de master et diplôme « équivalent master » serait plus juste et permettrait de prendre en compte de manière uniforme tous les projets professionnels des étudiants et le degré de diversité des candidatures que ceux-ci présentent, sans distinguer entre les étudiants inscrits à l’université et ceux inscrits en IEP, afin de prendre uniquement en considération leur mobilité académique.

B. À supposer qu’il existe une différence de situation, la différence de traitement instituée entre les étudiants inscrits en IEP et les étudiants inscrits à l’université est sans rapport avec l’objet de la norme, au regard du droit à bénéficier d’aides à caractère social

Le principe d’égalité induit deux types d’obligations : l’interdiction de certaines discriminations et l’application uniforme de la règle de droit. « Le maniement du principe d’égalité n’est pas aisé lorsque le juge est saisi d’une situation individuelle, qu’il examine en opérant un contrôle de l’acte au regard des seuls motifs qui le fondent, sans entrer dans une logique de comparaison des situations »15.

L’examen du respect du principe d’égalité nécessite de vérifier si la différence de traitement n’apparait pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier et si elle est en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit (CE, 11 avril 2012, GISTI, n° 322326, A). Pour apprécier le caractère non disproportionné d’une différence de traitement au regard de la différence de situation lorsqu’est en cause une aide ou une charge, le Conseil d’État prend en compte son montant (CE, 13 mars 2020, X. c\ ministre des Solidarités et de la Santé, n° 430371, B pour les conditions de versement de l’allocation veuvage).

En l’espèce, la cour, à supposer qu’elle ait suivi dans son raisonnement la méthodologie du Conseil d’État en s’interrogeant sur la justification de la différence de traitement contestée au regard de l’objet de la mesure, n’en a pas fait part dans la motivation de son arrêt.

Pourtant, l’aide à la mobilité en master a pour but de faciliter la mobilité géographique des étudiants les plus précaires, boursiers et titulaires d’une licence, contraints de changer de région en raison de la procédure sélective introduite dès le master 1 par la réforme législative de 2016, et qui pourraient donc avoir des frais supplémentaires à engager. Il s’agit donc, au premier chef, d’encourager ces étudiants à changer si besoin de région académique, en leur accordant une aide pour compenser l’incidence financière d’un éventuel déménagement.

Dans ces conditions, subordonner le versement de l’aide à la mobilité, dont le montant de 1 000 euros n’est pas négligeable pour un étudiant boursier, à la distinction entre le diplôme national de master et les autres diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur « n’apparait pas en rapport avec la situation sociale des étudiants et les mesures d’aide mises en place pour les soutenir »16.

Le contentieux bien connu Mme D.17 fournit une bonne illustration de ce raisonnement. Dans cette affaire, était en cause un décret différenciant les revenus à prendre en compte pour évaluer le droit à bénéficier de l’aide juridictionnelle. Ce décret conduisait à ne pas tenir compte des revenus tirés de l’allocation de logement familiale, alors qu’il prenait en considération ceux tirés de l’aide personnalisée au logement. Le Conseil d’État juge que la différence de traitement instituée, qui n’était pas justifiée par la situation sociale des personnes, mais par un régime juridique, en l’espèce le régime de propriété du logement occupé, et l’existence ou non d’une convention entre le bailleur et l’État, est manifestement disproportionnée au regard de la finalité sociale poursuivie par l’aide juridictionnelle, qui participe à l’efficacité du droit à un recours effectif.

Les auteurs regrettent que la cour n’ait pas retenu le moyen tiré d’une rupture d’égalité entre étudiants, guidée en outre par un contexte favorable à un assouplissement de cette notion. Ainsi, si pendant longtemps la différence existante entre les différents corps de fonctionnaires justifiait une différence de traitement du point de vue de la rémunération ou de leur carrière18, le Conseil d’État ne s’en tient désormais plus à cette seule différence de statut juridique : il juge que le décret instituant une prime à des personnels de l’éducation nationale exerçant leurs missions dans des zones REP et REP+, en tant que les assistants d’éducation en sont exclus, méconnait le principe d’égalité (CE, 12 avril = 2022, Fédération Sud éducation, n° 452547, A). Dans cette affaire, le juge de cassation a tenu compte des sujétions particulières justifiant l’octroi d’une prime, qui étaient identiques pour les assistants d’éducation, quel que soit la différence de leur statut juridique par rapport aux autres personnels exerçant dans les mêmes lieux19.

Dans ces conditions, la différence de traitement des étudiants souhaitant bénéficier de l’aide à la mobilité en fonction de la nature du diplôme délivré est très artificielle et n’est pas aisée à justifier.

Notes

1 Arrêté du 21 août 2017 fixant le montant de l’aide à la mobilité accordée aux étudiants qui changent de région académique pour s’inscrire en première année de master après l'obtention de leur diplôme national de licence.

2 Tribunal administratif de Grenoble, 21 septembre 2023, n° 2100987.

3 La dualité évoquée n’est toutefois pas une donnée de départ, puisque la création des grandes écoles et celle des universités au sens moderne du terme n’a pas été simultanée. Les premières grandes écoles ont été fondées au XVIIIe siècle à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution française tandis que l’université en son sens contemporain, issue des écoles de droit et de médecine et des facultés, est intervenue plus tardivement sous la IIIe République (Ezra N. Suleiman, Les élites en France. Grands corps et grandes écoles, Paris, Le Seuil, 1979, 282 p.).

4 L’École nationale des ponts et chaussées a été fondée en 1747 et l’École nationale des mines par une ordonnance de Louis XVI en 1783.

5 Décret, proposé par les comités de Salut public, d’Instruction publique et des Travaux publics concernant l’organisation de l’École centrale des travaux publics, lors de la séance du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794). In: Archives parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome XCVIII - Du 3 vendémiaire au 17 vendémiaire an III (24 septembre au 8 octobre 1794) Paris, CNRS éditions, 1994. p. 122-123.

6 Décret de la convention nationale du 9 brumaire an III.

7 Sciences Po Paris a été initialement fondée par Émile Boutmy en 1871. Établissement d’enseignement privé, alors appelé École libre des sciences politiques, elle est réformée au sortir de la guerre avec la création de la Fédération nationale des sciences politiques, chargée de sa gestion. Sur ce modèle, l’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 créé les autres instituts d’études politiques et l’École nationale d’administration.

8 À préciser que l’École libre des sciences politiques a d’abord été fondée en contrepoint des facultés de droit sous la IIIe République, et que c’est après la seconde guerre mondiale que les instituts d’études politiques, tout comme l’ENA, ont été mis en place sur ce modèle dans le but de fonder les cadres supérieurs de la nation.

9 « Les implications du processus de Bologne dans le paysage universitaire français » de Nicole Belloubet-Frier, in La revue française d’administration publique, 2005, n° 114, p. 241-252.

10 European Commission: Directorate-General for Education, Youth, Sport and Culture, ECTS users' guide 2015, Publications Office of the European Union, 2015, https://data.europa.eu/doi/10.2766/87192

11 Selon l’article 7 du règlement des concours.

12 Tribunal administratif de Grenoble, 21 septembre 2023, n° 2100987 : « Il résulte des dernières dispositions citées au point précédent que le diplôme de fin d’études de l’Institut d’études politiques de Grenoble confère à son titulaire le grade de master. Il est, par suite, qualifiable de “diplôme national de master” au sens de l’article L. 613-1 du Code de l’éducation. »

13 Tribunal administratif de Paris, 6 juin 2024, n° 2301579, à propos d’un étudiant inscrit en master, spécialité Sécurité et défense, proposée au sein de l’école d’affaires publiques de l’Institut d’études politiques de Paris.

14 CE, 14 mai 2024, 4e et 1re chambres réunies, n° 475178, classé en C, aux conclusions favorables de Jean-François de Montgolfier, disponibles sur Ariane web. Dans le même sens que la CAA de Lyon, plus ancien : TA Paris, 26 avril 2023, n° 2124111, considérant 6.

15 Cécile Barrois de Sarigny, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État », Titre VII, n° 4, 2020, p. 18-25.

16 Jean-François de Montgolfier, dans ses conclusions sur l’arrêt du CE, 14 mai 2024, n° 475178, précité.

17 CE, Section, 18 décembre 2002, no 233618, Mme D., recueil Lebon 403, concl. Fombeur ; GAJA, 24e éd., no 97.

18 CE, 5 mars 2012, n° 344518, mentionné aux tables (« le principe d’égalité de traitement dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires n’est susceptible de s’appliquer qu’entre agents appartenant à un même corps »)

19 L’arrêt indique : «  Il ressort des pièces du dossier que, au regard de la nature de leurs missions et des conditions d'exercice de leurs fonctions, les assistants d’éducation servant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ et REP sont exposés à des sujétions comparables à celles des personnels titulaires et contractuels bénéficiant de l’indemnité de sujétions en application des décrets du 28 août 2015 et du 29 août 2016 et qu’ils participent, de par leur mission d’assistance des équipes éducatives, à l’engagement professionnel collectif de ces équipes. Les circonstances, avancées par le ministre en défense, tenant à la particularité de leur statut, à leurs conditions de recrutement, effectué directement par l’établissement, et à la durée maximale de leur période d’engagement, qui reste, en l’état des dispositions applicables à la date de la présente décision, limitée à six années, ne sont pas de nature, eu égard à l’objet de l'indemnité instituée par le décret du 28 août 2015, à justifier de les exclure du bénéfice de l’indemnité en cause. ».

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