Le tribunal administratif de Grenoble est venu confirmer que les élus locaux n’étaient pas soumis au principe de neutralité religieuse.
La question de la neutralité religieuse des élus vient récemment d’être abordée par le tribunal administratif de Grenoble dans le cadre d’un recours exercé contre le règlement intérieur de la commune de Voiron. En effet, par délibération en date du 18 novembre 2020, le conseil municipal de la commune de Voiron a approuvé son règlement intérieur dont l’article 15 précise que :
« Une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal ».
Cette formulation très imprécise a été soumise à la censure du juge administratif qui a ainsi eu l’occasion de revenir sur une question récurrente mais peu analysée de la neutralité religieuse de l’élu. L’application du principe de neutralité aux élus de la République n’a fait l’objet que de très peu de jurisprudences. Ce vide juridique vient sans doute de la liberté laissée aux élus dans le cadre de leur mandat. Alors même que les élus sont les garants du respect des principes de laïcité et de neutralité religieuse au sein de leurs administrations, sont-ils eux aussi soumis à la neutralité ?
Depuis l’entrée en vigueur de la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, la question est désormais clarifiée. La neutralité de l’élu local ne s’impose que lorsqu’il exerce certaines attributions au nom de l’État (I). En dehors de cette hypothèse, l’élu n’est pas soumis à une obligation de neutralité (II). C’est ce que rappelle le tribunal administratif de Grenoble.
I. Une obligation de neutralité strictement circonscrite aux fonctions exercées au nom de l’Etat
En premier lieu, lorsque l’élu local (le maire, ou, à défaut, l’adjoint au maire) agit au nom de l’État, il est strictement soumis au principe de neutralité et a interdiction de manifester ses convictions religieuses.
Il s’agit notamment de l’hypothèse dans laquelle le maire est officier d’État civil (célébration de mariage notamment). Cette obligation de neutralité a été insérée à l’article L. 2122-34-2 du Code Général des Collectivités Territoriales par la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021.
La neutralité ainsi imposée permet de garantir l’égalité et la liberté de conscience des usagers. L’élu agissant au nom de l’État est alors assimilé à l’agent public dont la neutralité est absolue. L’obligation de neutralité s’attache ici à la fonction Cette neutralité ne concerne que l’hypothèse dans laquelle l’élu agit au nom de l’État (en tant qu’officier d’état civil à titre d’exemple). Elle ne s’applique pas lorsque l’élu agit au nom de la commune. Sur le point, la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local prévoit de modifier la charte de l’élu local prévue par l’article L. 1111-1-1 du Code Général des Collectivités Territoriales en intégrant un article 1 bis précisant :
« Dans l’exercice de son mandat, l’élu local s’engage à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de dignité de la personne humaine ainsi que les lois et les symboles de la République et s’abstient de toute action portant atteinte à l’ordre public ».
L’élu est tenu de respecter le principe de laïcité mais cela ne vise pas l’obligation de neutralité.
Le juge administratif avait déjà eu à connaître de la neutralité des élus locaux dans le cadre de la célébration des mariages pour les personnes de même texte. Ainsi, une délibération autorisant les élus à ne pas célébrer des mariages de même sexe viole le principe de neutralité et encourt l’annulation (CAA Versailles, 10 décembre 2015, Cne de Montfermeil, n°14VE00629).
II. La liberté de l’élu dans l’expression de ses convictions religieuses
L’élu est libre de manifester ses croyances religieuses dans le cadre de son engagement politique. L’histoire a connu des élus qui avaient des fonctions religieuses en parallèle, comme l’abbé Pierre qui fut député de Meurthe-et-Moselle en 1945 ou plus récemment Elie Geffray qui a été maire de la commune d’Eréac de 2008 à 2014.
La liberté religieuse de l’élu dans l’exercice de son mandat se retrouve dès le stade des élections. Un élu peut porter un signe religieux et fait état de ses convictions religieuses dans le cadre de sa campagne électorale (CE, 23 décembre 2010, n°337899) :
« le grief tiré de ce que la présence sur la liste en cause d'une personne portant le voile islamique aurait fait obstacle à l'enregistrement de cette liste en raison de l'atteinte portée à la liberté de conscience, à l'égalité des droits et au droit à la sûreté, au principe de laïcité, à la loi sur la séparation des Églises et de l'État doit être écarté ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le résultat des élections ait été influencé par des incidents ayant perturbé la campagne électorale. »
Ensuite, lorsque l’élu se trouve dans l’hémicycle, il retrouve une liberté totale. C’est ce que rappelle le tribunal administratif dans le jugement commenté :
« Il ne résulte d’aucune autre disposition législative que le principe de neutralité religieuse s'applique aux élus locaux ».
Cette liberté de l’élu local est à l’opposé des contraintes pesant sur les députés au sein de l’hémicyle. En effet, aux termes de l’article 9 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale,
« la tenue vestimentaire ne saurait être, par ailleurs, le prétexte à la manifestation de l’expression d’une quelconque opinion : est ainsi notamment prohibé le port de tout signe religieux ostensible, d’un uniforme, de logos ou messages commerciaux ou de slogans de nature politique ».
La commune de Voiron s’est sans doute inspirée des règles régissant la tenue vestimentaire des députés pour interdire le port de signes religieux au sein de son conseil.
Au niveau local, c’est seulement dans le cas où le port de vêtements ou tout accessoires religieux cause un trouble à l’ordre public que le maire, pourrait, dans le cadre de ses pouvoirs de police de l’assemblée prendre les mesures strictement nécessaires pour y remédier.
À ce titre, la Cour de cassation avait déjà confirmé que le maire ne pouvait pas priver un élu de son droit de parole en raison d’un port du signe religieux.
Pour la haute juridiction judiciaire,
« aucune disposition législative, nécessaire en vertu de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour que des restrictions soient apportées à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, ne permet au maire d'une commune, dans le cadre des réunions du conseil municipal, lieu de débats et de confrontations d'idées, d'interdire aux élus de manifester publiquement, notamment par le port d'un insigne, leur appartenance religieuse ».
Une telle privation est constitutive d’un délit (Cour de cassation, 1er septembre 2010, n°10-80.584, au Bulletin).
Si la neutralité de l’élu n’est pas imposée dans l’exercice de son mandat, il n’en demeure pas moins qu’il doit respecter strictement le principe de neutralité du service public. Il ne peut ainsi pas organiser de manifestations religieuses ou introduire d’emblèmes religieux à l’intérieur d’un bâtiment public en application de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.