Demande de reconnaissance d’accident de service mettant en cause la collectivité et respect du principe d’impartialité

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 22LY02345 – 20 juin 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY02345

Numéro Légifrance : CETATEXT000049789257

Date de la décision : 20 juin 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Obligations des fonctionnaires, Impartialité, Impartialité des décisions administratives, Reconnaissance d’accident de service, Imputabilité au service

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Le principe d’impartialité, rappelé par l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s’impose à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique.

Si le respect de ce principe commande à l’autorité hiérarchique compétente personnellement mise en cause par un agent de s’abstenir de statuer sur la demande présentée par cet agent et qui tendrait à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite nécessitée par cette mise en cause personnelle, il en va différemment lorsque la même autorité doit statuer sur une demande mettant en cause la collectivité ou le service que cette autorité représente.

Dans ce cas, elle peut régulièrement statuer et l’impartialité à laquelle elle est tenue doit s’apprécier, dans les circonstances de l’espèce, en fonction de l’attitude qu’elle aura manifestée au cours de l’instruction puis dans la prise de la décision1.

La demande de reconnaissance d’accident de service présentée par un fonctionnaire territorial mettant en cause la commune où il est affecté, non son maire, alors même que les causes de l’accident l’impliqueraient, la décision litigieuse n’est pas entachée de partialité au motif qu’il ne s’est pas abstenu d’y statuer.

Dans les circonstances de l’espèce, le maire s’est borné à consulter la commission départementale de réforme et à s’en approprier le sens, sans manifester de parti pris au cours de l’instruction ou à l’occasion de la rédaction de la décision.

Dans ces conditions, le refus de reconnaissance d’imputabilité de l’accident au service n’a pas méconnu le principe d’impartialité des décisions administratives2.

01-03-01, Actes législatifs et administratifs, Validité des actes administratifs, Forme et procédure, Questions générales

Notes

1 Cf CE, Section, 30 décembre 2010, Société M6, n°338273, Rec p 544 Retour au texte

2 Cf CE, 29 juin 2020, n°423996, Rec p 237 Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Bertrand Savouré

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

DOI : 10.35562/alyoda.9709

M.X. attaché principal, a été détaché dans l’emploi fonctionnel de directeur général des services (DGS) de la commune de Meylan (Isère) à compter du 1er octobre 2018.

À l’issue des élections municipales du mois de juin 2020, une nouvelle majorité a été élue. Avant même le premier conseil municipal qui devait l’élire maire le 3 juillet 2020, M.V., auparavant conseiller d’opposition, a adressé un courriel le 30 juin 2020 demandant la publication d’une offre d’emploi pour le DGS « au plus vite ».

Le lundi 6 juillet, soit le premier jour ouvrable suivant son élection comme maire, il a annoncé lors d’une réunion son intention de mettre fin aux fonctions de DGS de M. X.. Il a été remplacé par une nouvelle DGS mais il ne pouvait néanmoins pas être mis fin à son détachement en application de l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984, interdisant de mettre fin aux fonctions des personnes occupant certains emplois fonctionnels avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la désignation de l'autorité territoriale.

Alors que M. X. expose qu’on lui aurait demandé de ne plus se présenter au service, il s’est plaint de ce que la première adjointe lui avait demandé de régulariser ses absences. Il se plaignait également qu’on lui ait demandé de réaliser un audit pendant l’été, sans l’appui des services.

M. X. a été arrêté à compter du 8 août 2020 pour dépression consécutive à une souffrance au travail et a déclaré un accident du travail.

Par une décision du 19 avril 2021, la commune a cependant refusé faire droit à sa demande d’imputabilité au service de l’arrêt maladie en opposant l’article 37-3 du décret du 30 juillet 1987 suivant lequel la déclaration d’accident de service doit être adressée dans le délai de 15 jour suivant l’accident ou la constatation médicale de l’accident. La décision indique également que les faits mentionnés par l’intéressés ne peuvent être qualifiés d’accident de service.

M. X. a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Grenoble.

Parallèlement, il a saisi le juge des référés de ce tribunal qui a suspendu la décision. À cette occasion, la commission de réforme a été saisie mais a rendu un avis défavorable. Deux expertises médicales ont cependant par la suite conclu à un lien entre son état et la réunion du 6 juillet 2020.

Par un arrêté du 11 août 2021, le maire de Meylan a alors décidé de placer M. X. à titre provisoire en congé d’invalidité temporaire imputable au service à compter du 1er avril 2021 jusqu’au 31 août 2021. Mais suite à l’avis défavorable de la commission de réforme du 2 septembre 2021, le maire de Meylan, par décision du 22 octobre 2021, a finalement refusé de faire droit à sa demande et lui a indiqué que les revenus versés au titre de l’admission provisoire seraient régularisés.

Par un jugement du 10 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que la décision attaquée l’ayant été seulement en tant que le maire avait refusé d’instruire la demande initiale, les décisions suivantes, qui constituent une mise à l’instruction de sa demande, devaient être regardées comme ayant privé d’objet son recours quand bien même la décision a abouti à un refus. Il a ainsi prononcé un non-lieu à statuer.

Par un second jugement du même jour, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 22 octobre 2022.

M. X. interjette appel de ces deux jugements.

M. X. conteste tout d’abord le non-lieu à statuer opposé à sa première demande.

Rappelons que les critères classiques de la décision CE, 19 avril 2000, n° 207469 sont que le retrait en cours d’instance de l’acte attaqué ne constitue une cause de non-lieu qu’à condition que la décision de retrait, faute d’avoir été critiquée dans le délai de recours contentieux, ait acquis un caractère définitif.

Or, en l’espèce, contrairement à ce qu’a affirmé le tribunal en tordant un peu la requête, c’est bien le refus d’imputation au service de l’arrêt maladie qui était contesté dans la première demande.

La décision lui octroyant provisoirement le bénéfice du congé d’invalidité temporaire imputable au service, qui ne lui donnait pas intégralement satisfaction et a au demeurant été retirée dans le délai légal de quatre mois ne constituait pas un retrait de la décision attaquée initialement et ne peut être regardé comme ayant acquis un caractère définitif.

Enfin, si l’arrêté du 22 octobre 2021 ne fait que réitérer la décision initiale, il procède également au retrait de l’arrêté du 11 août 2021 et pouvait donc être contesté.

Même si le moyen est soulevé un peu maladroitement, notamment en ne contestant pas explicitement la prémisse erronée du raisonnement du tribunal, il indique cependant clairement que l’arrêté du 11 août 2021 n’a pas fait disparaître rétroactivement la décision du 19 août 2021 ce qui est vrai.

Vous pourrez donc annuler ce jugement. Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du fait que l’essentiel de l’argumentaire a déjà été ex aminé par le tribunal dans la requête concernant l’arrêté du 22 octobre 2021, il nous paraît opportun de statuer par voie d’évocation.

En revanche, s’agissant du second jugement, vous écarterez le moyen tiré de l’insuffisance de motivation en ce qu’il aurait insuffisamment répondu au moyen tiré de l’insuffisance de motivation de l’arrêté attaqué.

En effet, s’il est vrai que la réponse du tribunal est lapidaire et stéréotypée, le moyen invoqué comportait très peu de précisions factuelles et n’appelait pas, selon nous, une réponse plus développée. Lorsqu’il est soutenu que la motivation est dépourvue d’élément factuel et que le juge constate que c’est faux, il n’y a pas à argumenter outre mesure mais simplement à le constater.

Vous pourrez donc traiter ce dossier dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.

Au fond, pour le même motif, vous pourrez écarter le moyen contre les deux décisions attaquées.

Le moyen le plus délicat du litige est tiré du défaut d’impartialité du maire.

Ce moyen est sans aucun doute opérant. Dans ses conclusions très complètes sur le sujet prononcées sur la décision CE, 29 juin 2020, n° 423996, M. Polge rappelait que l'exigence d'impartialité n'est pas limitée aux concours de recrutement et au droit disciplinaire. Elle revêt une portée générale comme le confirment les décisions rendues à propos d'un organisme chargé de présenter des candidats à un emploi public (CE, 5 octobre 1955, Lebon 463), de l'examen de la notation d'un fonctionnaire membre d'une commission administrative paritaire (CE, 1er avril 1998, n° 136091, recueil Lebon Tables p.98).

En revanche, contrairement à son application aux juridictions, c’est dans sa seule dimension subjective que le principe d’impartialité peut conduire à remettre en cause une décision administrative. Pour M. Polge, le défaut d’impartialité pourrait être constitué lorsque sont réunies des circonstances mettant sérieusement en cause un intérêt personnel de l’autorité administrative de nature à influer sur sa décision.

C’est donc logiquement que le Conseil d’État a jugé en matière de protection fonctionnelle que lorsque celle-ci est demandée par un agent au titre d’actes allégués de son supérieur hiérarchique qui, par leur nature ou leur gravité, seraient insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, alors cette autorité hiérarchique ne peut statuer sur la décision même si elle en a normalement la compétence (CE 29 juin 2020, n° 423996 A). M. Polge, évoquant le cas d’une commune, estimait alors que le maire devrait donner sa délégation à un adjoint.

Mais le cas d’une demande de protection fonctionnelle ciblant l’autorité hiérarchique devant elle-même statuer sur cette demande est un cas chimiquement pur de défaut d’impartialité. Dans notre espèce, même si les relations se sont tendues, l’objectif final du maire est de se séparer du DGS pour en recruter un qui soit conforme à ses orientations. L’imputabilité ou non de l’arrêt maladie de l’intéressé au service n’avait aucune incidence sur la réalisation de cet objectif. Même si sa façon de procéder a pu être maladroite, nous ne voyons pas dans les pièces du dossier d’intérêt personnel du maire à refuser l’imputabilité au service de la maladie de l’agent. Nous vous proposons d’écarter le moyen.

M. X. conteste ensuite la tardiveté de la demande qui lui a été initialement opposée mais, contrairement à ce qu’a jugé le juge des référés, cette demande était bien tardive au regard du I de l’article 37-3 du décret du 30 juillet 1987 qui prévoit en substance que la demande doit être adressée soit dans les quinze jours de l’accident, soit dans les quinze jours de sa constatation médicale survenue dans le délai de deux ans à compter de l’accident.

La déclaration du 28 août 2020 qui mentionnait un harcèlement moral sans plus de précision ne peut être regardée comme invoquant un accident de service.

Quoi qu’il en soit, même si on admettait qu’il s’agissait là d’une déclaration de l’accident du 6 juillet 2020, il nous paraît difficile d’y voir une imputabilité au service.

Pour les affections psychiatriques, le Conseil d’État a mis en place une jurisprudence nuancée permettant à la fois de reconnaître que certains évènements au travail peuvent avoir de sérieuses répercussions conduisant à des arrêts maladie imputables au service, tout en évitant que les répercussions psychiques inévitables d’évènements négatifs pouvant survenir dans le monde du travail puissent systématiquement y donner lieu.

Le Conseil d’État a ainsi jugé que :

« Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l’agent » (CE 27 septembre 2021, Ministre des armées, n° 440983 B).

Une affection psychiatrique survenant après l’exercice du pouvoir hiérarchique n’est donc un accident de service que si ce pouvoir hiérarchique a été exercé dans des conditions anormales.

La situation de M. X. nous paraît pouvoir être traitée par analogie avec ce précédent. Il est assez habituel dans une collectivité que le DGS soit remercié lors d’un changement de majorité. Même si on peut reconnaître une certaine rudesse dans la façon dont le maire a décidé de se séparer de M. X. et même si on peut constater qu’il y a eu un certain malaise sur la façon dont M. X. devait être occupé alors que la loi imposait un délai de six mois avant de mettre fin au détachement, ce qui peut expliquer la dégradation de l’état de santé du requérant qui en est résulté, nous ne considérons pas que le comportement du pouvoir hiérarchique ait, dans les circonstances de l’espèce, excédé son exercice normal. Nous vous proposons donc d’écarter le moyen.

Vous écarterez comme inopérant les moyens tirés du défaut de consultation du dossier par l’agent, la décision attaquée n’étant pas au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l’intéressé ait été mis à même de prendre connaissance de son dossier. Elle n’est pas davantage au nombre des décisions nécessitant la mise en œuvre d’une procédure contradictoire, alors qu’elle a été prise sur demande de l’agent.

En ce qui concerne la décision du 22 octobre 2021, vous écarterez également comme manquant en fait le défaut de motivation, de même que le moyen tiré de l’absence d’expertise médicale ou d’enquête administrative, lesquelles ne sont pas obligatoire.

Si le maire s’est prononcé après l’expiration du délai d’un mois prévu par l’article 37-5 du décret, ce délai n’est pas prescrit à peine d’irrégularité et n’a au demeurant privé l’intéressé d’aucune garantie.

La requérante fait aussi valoir que la commission de réforme a été saisie alors qu’on ne se trouve pas dans les cas de saisine prévus par l’article 37-6 du décret, à savoir, avant le décret n° 2022-353 du 11 mars 2022 celui d’une faute personnelle rendant l’accident détachable du service.

Mais l’administration peut recueillir tout avis qu’elle estime utile avant de prendre une décision, sauf lorsqu’un texte fixe la procédure de manière complète (CE, Section, 8 janvier 1982, SARL Chocolat de régime Dardenne, n°17270, au recueil ; CE, 18 juin 2014, Communauté urbaine du Creusot-Montceau, n°369377, B , recueil Lebon Tables pp. 496-535-713).

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. X., il ressort du rapport de saisine établi par le maire de Meylan le 19 juillet 2021 et dont la commission de réforme départementale de l’Isère a bien été rendue destinataire, ainsi que des termes mêmes de l’avis de la commission du 2 septembre 2021, que le maire avait précisément indiqué l’objet de sa saisine. Elle disposait, notamment, du certificat médical initial du 7 août 2020 ainsi que des deux lettres d’observations par lesquelles l’agent a pu faire valoir ses observations.

Le maire ne s’est pas senti en situation de compétence liée et n’a pas méconnu son obligation de loyauté.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement qui a statué sur la décision du 19 avril 2021, au rejet des conclusions présentées par voie d’évocation et au rejet de la requête concernant l’arrêté du 22 octobre 2021.

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