Action de groupe en matière de discrimination imputable à l’employeur public : condition de la recevabilité

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Décision de justice

CAA Lyon, 7ème chambre – N° 23LY02907 – Syndicat UNSA services judiciaires – 20 juin 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 23LY02907

Date de la décision : 20 juin 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Action de groupe, Discrimination directe ou indirecte, Discrimination imputable à l’employeur, Rupture d’égalité, Greffiers des services judiciaires, Régime indemnitaire, L. 77-10-1 du code de justice administrative, L. 77-11-2 du code de justice administrative, Loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, L. 131-1 à L. 131-13 du code de la fonction publique

Rubriques

Procédure

Résumé

Action de groupe en matière de discrimination imputable à l’employeur - Articles L. 77-11-2 et s. du code de justice administrative – 1) Recevabilité - Condition tenant à ce que la discrimination, directe ou indirecte, soit qualifiée de discrimination au sens de la loi du 27 mai 2008 ou des dispositions législatives en vigueur – 2) Application - Différence de traitement à raison de la date d’accès à un grade – Absence

Il résulte de la combinaison des articles L. 77-10-1 et L. 77-11-2 et suivants du code de justice administrative et des articles 1er et 10 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, que l’action de groupe en matière de discrimination imputable à l’employeur, prévue par le chapitre XI du titre VII du livre VII du code de justice administrative, qui a pour objet de permettre à une organisation syndicale représentative de saisir le juge administratif afin d’établir que plusieurs agents publics font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur et de lui demander de faire cesser ce manquement, constitue, tout comme l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail, une déclinaison spécifique pour les fonctionnaires, dans le champ des relations du travail, de l’action ouverte sur le fondement de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Comme l’action de groupe en matière de discrimination, visée au I de l’article 10 de la loi du 27 mai 2008 et au 1° de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur, visée au II de l’article 10 de la loi du 27 mai 2008 et au 2° de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, ne peut avoir pour objet que de faire constater une discrimination directe ou indirecte au sens de la loi du 27 mai 2008 ou des dispositions législatives en vigueur.

La différence de traitement fondée sur la date d’accès de certains agents à leur grade d’avancement et la rupture d’égalité qui résulterait du traitement différencié appliqué en matière de régime indemnitaire selon cette date d’avancement ne constitue pas une discrimination fondée sur l’un des motifs limitativement énumérés par la loi du 27 mai 2008. Il n’apparaît pas non plus que cette différence de traitement constituerait une discrimination au sens d’autres dispositions législatives en vigueur, et notamment des articles L. 131-1 à L. 131 13 du code de la fonction publique.

54-01, Procédure, Introduction de l’instance

Conclusions du rapporteur public

Christophe Rivière

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9612

Par une note du 2 aout 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice a fixé les modalités de gestion du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnels (RIFSEEP) pour le corps des directeurs des services de greffe judiciaires et le corps des greffiers des services judiciaires.

L’Union nationale des syndicats autonomes pour les services judiciaires (UNSA-SJ) a, par un courrier du 30 septembre 2021, sur le fondement de l’article L. 77-10-5 du code de justice administrative, saisi le garde des Sceaux, ministre de la justice d’une mise en demeure préalable à l’introduction d’une action de groupe, tendant à ce que celui-ci fasse cesser les manquements résultant de la rupture d’égalité que sa note de gestion du 2 août 2021 génèrerait entre greffiers principaux et directeurs des services de greffe principaux, selon qu’ils aient été promus au grade d’avancement avant le 1er janvier 2021 ou après cette date, les agents promus plus récemment bénéficiant, malgré une ancienneté inférieure, d’une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) supérieure aux agents promus antérieurement, et de procéder, en conséquence, à la révision du montant des socles indemnitaires applicables au 1er janvier 2021 à l’ensemble des greffiers principaux et des directeurs principaux, pour chacun des groupes de fonctions de rattachement.

Par un courrier en date du 16 mars 2022, le garde des Sceaux, ministre de la justice n’a pas réservé une suite favorable à cette demande, en indiquant que la rupture d’égalité de traitement qu’induirait selon l’UNSA-SJ la note du 2 août 2021 ne saurait constituer une discrimination imputable à l’administration dans la mise en œuvre du RIFSEEP à l’égard des greffiers et des directeurs des services de greffe, justifiant la recevabilité d’une action de groupe au sens de l’article L. 77-11-2 du code de justice administrative, en rappelant que le Conseil d’État, par deux décisions du 30 décembre 2021 (n°s 457745 – 458145 et 457589), concernant la note de service du garde des sceaux, ministre de la justice n° SJ-21-224-RGH3 du 2 août 2021 portant sur les modalités de gestion du régime indemnitaire du corps des directeurs des services de greffe judiciaires et greffiers des services judiciaires, a notamment jugé que la fixation par le ministre de la justice d’un « socle indemnitaire », qu’il définit comme le montant minimum d’IFSE garanti à un agent en raison des fonctions exercées, pour chacun des quatre groupes de fonctions des directeurs des services de greffe judiciaires et des trois groupes de fonctions des greffiers des services judiciaires, ne fait pas obstacle à ce que le montant de l’IFSE attribué aux membres d’un même groupe de fonctions soit différent entre ces agents pour tenir compte de l’expérience et de la technicité acquise par chacun dans l’exercice de ces fonctions, sous réserve de ne pas dépasser le plafond annuel de cette indemnité fixé par arrêté interministériel, en précisant également que le principe du réexamen du montant de l’IFSE n’implique pas une revalorisation automatique, et en relevant que, compte tenu de la sensibilité de la problématique soulevée afin d’assurer l’égalité de traitement des agents, il a demandé à ses services, en particulier à la sous-direction des ressources humaines des greffes, d’envisager, en lien avec la DGAFP, que la situation des greffiers principaux et directeurs des services de greffe principaux promus avant le 1er janvier 2021 puisse être prise en compte, dans les meilleurs délais, sous réserve des disponibilités budgétaires du programme et qu’une demande budgétaire sera ainsi portée par la direction des services judiciaires dans le cadre de la prochaine loi de finances.

À la suite de cette réponse, l’UNSA-SJ a saisi le Conseil d’État, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Lyon, d’une action de groupe, sur le fondement des articles L. 77-10-1, 2° et L. 77-11-1 et suivants du code de justice administrative, afin, à titre principal, que soient constatés les manquements résultant de la rupture d’égalité induite par cette note de gestion entre greffiers principaux et entre directeurs des services de greffe principaux, selon qu’ils ont été promus dans leur grade avant ou après le 1er janvier 2021, que soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de faire cesser cette discrimination, de réviser le montant des socles indemnitaires et de régulariser pour le passé la situation indemnitaire des greffiers principaux et des directeurs principaux affectés par le manquement discriminatoire constaté, à titre subsidiaire, dans le cas où il ne serait pas fait droit à la demande de régularisation pour le passé, de réparer les préjudices subis nés à compter du 4 octobre 2021, date de notification de la mise en demeure préalable à l’introduction de l’action de groupe.

Par un jugement n° 2300189 du 7 juillet 2023, dont l’UNSA-SJ relève appel, ce tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable.

S’agissant de la régularité du jugement attaqué

En premier lieu, si l’UNSA-SJ soutient que jugement qui lui a été notifié n’est pas signé en méconnaissance de l’article R. 741-7 du code de justice administrative, il ressort du dossier de première instance que la minute de ce jugement comporte, conformément à cet article, qui n’exige pas que la copie du jugement notifiée aux parties comporte ces signatures, la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d’audience.

En second lieu, le jugement attaqué est, contrairement à ce que soutient l’union syndicale requérante, suffisamment motivé concernant le rejet de la demande de l’UNSA-SJ pour irrecevabilité, et ce au regard de la teneur de l’argumentation soumise au tribunal. Voyez sur la jurisprudence constante selon laquelle le tribunal n’est pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties : par exemple : CE, 16 juin 2010, n°311840 et sur l’obligation que le juge se prononce, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l’argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l’exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l’adoption d’une solution différente de celle qu’il retient, notamment, CAA Versailles, 11 avril 2024, n°23VE00832.

S’agissant de la recevabilité de la demande

L’UNSA-SJ soutient que contrairement à ce qu’a jugé le tribunal sa demande était recevable dans la mesure où l’action de groupe visée au 2° de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative est relative à une discrimination imputable à un employeur sur le fondement du chapitre XI du titre VII du livre VII du code de justice administrative, et non, comme l’action de groupe visée au 1° de cet article, à une discrimination fondée sur un motif énuméré par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 et qu’ainsi, le champ d’application de l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur ne saurait être restreint aux seules discriminations fondées sur un motif énuméré par la loi de 2008, d’autant que cela conduirait à méconnaître le sens et la portée des dispositions applicables et a privé de toute portée l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur.

Elle estime que son action de groupe portant sur une discrimination imputable au ministre de la justice en qualité d’employeur public, en particulier une rupture d’égalité entre les fonctionnaires d’un même grade et d’un même groupe de fonctions en ce que l’application de la note de gestion du 2 août 2021 permet que leur soient appliqués des socles indemnitaires différents en fonction de la date d’obtention du principalat est recevable, en application des dispositions du 2° de l’article L. 77-10-1 et des articles L. 77-11-1 et suivants du code de justice administrative, alors même qu’elle ne porte pas sur l’un des motifs de discrimination énumérés par la loi de 2008.

Le tribunal administratif a estimé que la demande présentée par le syndicat requérant ne relève pas du champ d’application des dispositions des articles L. 77-11-2 et suivants du code de justice administrative dès lors que la différence de traitement fondée sur la date d’accès de certains agents à leur grade d’avancement et la rupture d’égalité qui résulterait du traitement différencié appliqué en matière de régime indemnitaire selon cette date d’avancement ne constitue pas une discrimination fondée sur l’un des motifs limitativement énumérés par l’article 1er de la loi du 2008. Autrement dit, il a considéré que l’action de groupe ne concerne que les seules discriminations fondées sur l’un des critères prohibés par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Étant précisé que l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, inclus dans le chapitre X relatif à l’action de groupe, distingue à ses 1° et 2°, l’action ouverte sur le fondement de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations de l'action ouverte sur le fondement du chapitre XI du présent titre et que ce dernier chapitre est relatif à l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur et comprend notamment l’article L. 77-11-1 qui prévoit que :

« Sous réserve du présent chapitre, le chapitre X du présent titre s'applique à l'action de groupe prévue au présent chapitre »

et l’article L. 77-11-2 qui dispose que :

« Une organisation syndicale de fonctionnaires représentative au sens du III de l'article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou un syndicat représentatif de magistrats de l'ordre judiciaire peut agir devant le juge administratif afin d'établir que plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation ou plusieurs agents publics font l'objet d'une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur. Une association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap peut agir aux mêmes fins en faveur de plusieurs candidats à un emploi ou à un stage. ».

L’action de groupe a été introduite d’abord en matière de consommation seulement, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon. La loi de 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle l’a étendue à d’autres matières et a créé un cadre légal commun aux différentes actions de groupe. Elle a ainsi ouvert la possibilité d’introduire de telles actions devant le juge administratif, conformément notamment aux conclusions du rapport publié par le Conseil d’État en 2009 sur « L’action collective en droit administratif » issu du groupe de travail présidé par M. Philippe Belaval, chef de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives, qui préconisait l’ouverture d’une action de groupe dans le domaine du droit administratif pour mieux traiter les contentieux sériels, tant pour la réparation de préjudices que pour la reconnaissance de droits individuels.

Une action de groupe peut désormais être introduite en matière de consommation, d’environnement, de santé ou de protection des données à caractère personnel, et dans le domaine de la lutte contre les discriminations, avec une procédure spéciale pour les discriminations imputables à un employeur.

L’action de groupe se définit comme une voie de droit permettant à une ou plusieurs personnes d’exercer une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes non identifiées, sans avoir reçu un mandat de leur part au préalable (voyez l’étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle).

Elle est distincte de l’action en reconnaissance de droits individuels en faveur d'un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt prévue par les articles L. 77-12-1 et suivants du code de justice administrative (CJA), et peut poursuivre une visée simplement réparatrice, en vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices générés par les dommages causés par un même manquement de la personne publique, ou une visée correctrice, en vue d’obtenir la cessation du manquement à l’origine du dommage subi par les personnes concernées, ces finalités n’étant pas exclusives l’une de l’autre. Dans le premier cas, le juge procède en deux temps, en statuant d’abord sur la responsabilité du défendeur à l’égard du groupe de personnes qu’il doit définir et les préjudices susceptibles d’être réparés, et dans un second temps seulement, sur la réparation individuelle ou collective de ces préjudices.

Quelle que soit la finalité poursuivie par l’action de groupe devant le juge administratif, ce contentieux, par nature subjectif, relève du plein contentieux de la responsabilité.

Il ne s’agit ainsi ni plus ni moins que d’obtenir pour un groupe de personnes ce que la jurisprudence en matière de responsabilité de la puissance publique permet d’obtenir à une échelle individuelle.

Tout au plus l’action de groupe permet-elle, à la différence des litiges individuels, de demander la cessation du manquement même en l’absence de conclusions indemnitaires.

Il s’agit d’une action sérielle visant à faciliter le traitement procédural de litiges individuels, et elle n’a pas pour objet de modifier les règles de fond du droit de la responsabilité, ainsi qu’il ressort clairement de l’étude d’impact du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Voyez les conclusions de Esther de Moustier, rapporteure publique, sous CE, Assemblée, 11 octobre 2023, Amnesty International France et autres, n° 454836, au recueil Lebon.

Il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, titre V « coordonner l’accès collectif au juge », que ce projet propose de donner un cadre général à l’action de groupe, :

« susceptible de s'adapter à tous les types de contentieux auxquels le législateur choisira de l'ouvrir. Ce dispositif entend assurer la garantie de l'égalité des armes et éviter les mises en cause injustifiées qui pourraient fragiliser l'activité économique. C'est à partir de ce socle commun ainsi constitué, qu'est aussi mise en place une action collective en matière de discrimination. » et « ouvre l'action de groupe en matière de discrimination avec les adaptations nécessaires au contentieux en cette matière. A cette fin, ces articles s'intègrent au sein de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui constitue le corpus de référence en la matière. Sont aussi concernées les personnes publiques, dès lors que la loi de 2008 s'applique également à elles en vertu de son article 5. Ainsi les actions concernent tant le juge civil que le juge administratif. ».

Le projet de loi renforce la protection des droits et la lutte contre les discriminations par la création, d’une part, d’un cadre légal commun aux actions de groupe en matière judiciaire et administrative, et d’autre part, d’une action de groupe en matière de discrimination (voyez le communiqué de presse du Conseil des ministres du 31 juillet 2015).

L’étude d’impact de ce projet souligne dans le titre V relatif à l’action de groupe, concernant les articles 44 et 45 relatifs à la déclinaison de l’action de groupe dans le domaine des discriminations que le projet de loi poursuit en ce domaine trois objectifs majeurs :

- assurer l’effectivité de la législation anti-discrimination existante ;

- surmonter les limites de la réponse pénale pour lutter contre les discriminations directes ou indirectes, ayant un effet collectif ;

- obtenir un bénéfice au-delà des personnes concernées par le procès.

Et que l’action de groupe sera possible dès lors que la discrimination atteignant plusieurs personnes porte sur l’un des champs visés par la loi de 2008.

Il ressort du rapport n° 121 (2015-2016) de M. Yves Détraigne, sénateur, fait au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2015 que la commission a souhaité simplifier et clarifier le dispositif proposé en distinguant clairement une action de groupe « discrimination » à vocation généraliste et une action de groupe « discrimination » limitée au champ de l'emploi privé ou public.

Alors que le gouvernement avait proposé, dans le projet de loi initial, que l’article 44 crée une nouvelle action de groupe en matière de discrimination ainsi que ses déclinaisons lorsque la discrimination est le fait d’un employeur privé ou public, le Sénat a revu l’organisation du projet de loi en retenant, dans l’article 44, les seules dispositions relatives à l’action de groupe générale en matière de discrimination, et en traitant de ses déclinaisons, lorsque la discrimination est le fait d’un employeur, à l’article 45 du présent projet de loi, quand la procédure relève du juge judiciaire, et dans un nouvel article spécifique (article 45 bis), lorsque le contentieux relève de la compétence du juge administratif. L’Assemblée nationale a confirmé cette clarification. Ainsi, introduit par le Sénat, à l’initiative de sa commission des Lois, cet article 45 bis a pour objet de créer une action de groupe spécifique en matière de discrimination causée par un employeur dont les relations avec ses employés relèvent du droit public (voyez le rapport n° 3904 déposé le 30 juin 2016 de MM. Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonec, députés, au nom de la commission des lois sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle).

Les discriminations au travail sont ainsi prises en compte dans le régime spécifique prévu aux articles 45 et 45 bis du projet de loi. Introduit par le Sénat en première lecture, à l'initiative du rapporteur, l'article 45 bis du projet de loi constitue le pendant, dans le code de justice administrative, pour les employeurs publics, de l'action de groupe en matière de discrimination prévue à l'article 45. Il s'agissait de distinguer plus clairement les procédures selon que l'employeur est privé ou public (voyez le rapport n° 839 M. Yves Détraigne, sénateur, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 septembre 2016)

Ainsi, compte tenu de ces travaux parlementaires, il résulte de la combinaison des dispositions de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, introduit dans ce code par l’article 85 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui constitue le premier article du chapitre X relatif à l’action de groupe, de l’article L. 77-11-1 du même code en vertu duquel « Sous réserve du présent chapitre, le chapitre X du présent titre s'applique à l'action de groupe prévue au présent chapitre », de l’article L. 77-11-2 du même code, introduits par l’article 88 de la loi du 18 novembre 2016 et inclus dans le chapitre XI relatif à l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur, et de l’article 10 de la loi du 27 mai 2008, introduit dans cette loi par l’article 86 de la loi du 18 novembre 2016 précitée, article faisant partie de la section 1 « dispositions générales » du chapitre III « l’action de groupe en matière de discrimination » de ladite loi, que l’action de groupe, prévue par le chapitre XI du titre VII du livre VII du code de justice administrative introduit par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, qui a pour objet de permettre à une organisation syndicale représentative de saisir le juge administratif afin d’établir que plusieurs agents publics font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur et de lui demander de faire cesser ce manquement, constitue une déclinaison spécifique, dans le champ des relations de travail, de l’action ouverte sur le fondement de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, ainsi qu’une adaptation au droit de la fonction publique de l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail. Ces deux actions se distinguent par les conditions dans lesquelles elles peuvent être mises en œuvre, le législateur ayant entendu, dans les relations du travail, prévoir des conditions spécifiques favorisant notamment le dialogue social.

Ainsi, comme l’action de groupe en matière de discrimination, visée au I de l’article 10 de la loi du 27 mai 2008 et au 1° de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur, visée au II de l’article 10 de la loi du 27 mai 2008 et au 2° de l’article L. 77-10-1, ne peut avoir pour objet que de faire constater une discrimination directe ou indirecte, au sens de la loi du 27 mai 2008 ou des dispositions législatives en vigueur. Cette action de groupe, prévue au 2° de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, n’est donc recevable que si elle vise à établir que plusieurs agents publics font l’objet d’une telle discrimination.

En l’espèce, la différence de traitement fondée sur la date d’accès de certains agents à leur grade d’avancement et la rupture d’égalité qui résulterait du traitement différencié appliqué en matière de régime indemnitaire selon cette date d’avancement ne constitue pas une discrimination fondée sur l’un des motifs limitativement énumérés par la loi du 27 mai 2008, en particulier son article 1er.

Il n’apparait pas non plus que cette différence de traitement constituerait une discrimination au sens d’autres dispositions législatives en vigueur, et notamment des articles L. 131-1 à L. 131-13 du code de la fonction publique.

Ainsi, comme que l’a estimé à juste titre le tribunal administratif, la requête présentée par le syndicat requérant ne relève pas du champ d’application des dispositions des articles L. 77-11-2 et suivants du code de justice administrative de sorte que le syndicat UNSA services judiciaires n’est pas fondé à soutenir que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice en défense devant le tribunal ne pouvait être accueillie.

Par ces motifs, nous concluons au rejet au fond de la requête.

Droits d'auteur

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À la poursuite de la modernisation de la justice : la recevabilité d’une action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public

Élisa Lamiaux

Docteure en droit public, Université Jean Monnet, Saint-Étienne

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DOI : 10.35562/alyoda.9818

Le code de justice administrative ne prévoit pas les motifs de discrimination sur lesquels doit se fonder une action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public pour être recevable. Le 20 juin 2024, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé qu’une action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public doit avoir pour objet de faire constater une discrimination directe ou indirecte au sens des dispositions législatives en vigueur. La cour a interprété les dispositions du code de justice administrative en combinaison avec celles de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et celles de la loi du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice du XXIe siècle afin de déterminer cette condition de recevabilité.

Le rapport publié par le Conseil d’État le 5 mai 2009 relatif à l’action collective en droit administratif et rédigé par le groupe de travail présidé par M. Philippe Belaval, alors chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives, plaidait en faveur d’une action de groupe en droit administratif en ce qu’elle est un moyen d’améliorer l’action de tous à la justice1. Selon lui, l’action de groupe présenterait l’avantage de réduire significativement le contentieux sériel devant les juridictions administratives et la majorité des actions de groupe donnerait lieu à des décisions de rejet qui n’impliquent pas de difficulté d’exécution2. L’arrêt commenté, rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 20 juin 2024, montre la pertinence de ce propos en apportant certaines limites à la mise en œuvre de l’action de groupe en droit administratif maintenant qu’elle bénéficie d’un cadre légal3.

En l’espèce, la cour rejette la requête du syndicat UNSA services judiciaires, présentée par la voie de l’action de groupe, afin que soient constatés les manquements résultant d’une rupture d’égalité induite par une note de gestion du ministre de la Justice en date du 2 août 2021. Cette note prévoit un régime indemnitaire différent entre les greffiers principaux et les directeurs des services de greffe principaux selon qu’ils ont été promus dans leur grade avant ou après le premier janvier 2021. Selon le syndicat, la mise en œuvre de la note de gestion litigieuse constitue un manquement discriminatoire.

Ce contentieux est une conséquence de l’adoption de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice du XXIe siècle en ce qu’elle a étendu l’action de groupe, prévue initialement en matière de consommation par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, à d’autres matières que celles-ci à l’instar de l’environnement, de la protection des données à caractère personnel ou encore, comme c’est le cas en l’espèce, de la discrimination. Cette action peut être définie comme « une voie de droit qui permet à une ou plusieurs personnes d’exercer une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes non identifiées, sans avoir reçu un mandat de leur part au préalable »4.

De l’adoption de cette loi résulte la création d’un cadre légal pour les actions de groupe et notamment l’entrée en vigueur des articles L. 77-10-1 à L. 77-10-25 et L. 77-11-1 à L. 77-11-6 du code de justice administrative. Ils visent à encadrer, pour les premiers, l’action de groupe en droit administratif et, pour les seconds, l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public.

Selon l’article L. 77-10-3 du code de justice administrative, l’action de groupe peut être exercée afin d’obtenir la cessation d’un manquement de la personne publique et/ou en vue de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices subis. L’article L. 77-11-3 du code de justice administrative prévoit quant à lui que l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public doit tendre à la cessation du manquement et, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis. Les conclusions d’Estelle de Moustier sur l’arrêt d’Assemblée « Amnesty International France et autres » rendu par le Conseil d’État le 11 octobre 2023 indiquent, comme celles de Christophe Rivière sur l’affaire du 20 juin 2024, qu’il s’agit d’un contentieux qui est « par nature subjectif, [qui] relève du plein contentieux de la responsabilité »5 et qui comporte un certain nombre de conditions de recevabilité à respecter.

C’est au sujet de ces conditions que l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 20 juin 2024 présente un intérêt particulier puisqu’il vient préciser, au-delà des questions de délai et d’intérêt à agir déjà prévues par le code de justice administrative, les motifs de discrimination sur lesquels doit reposer l’action de groupe afin d’être recevable. Avant elle, le tribunal administratif de Lyon avait également tenté de préciser dans quelles mesures une action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public était recevable.

En effet, le syndicat a d’abord mis en demeure le ministre de la Justice de faire cesser le manquement résultant de la rupture d’égalité que la note de gestion litigieuse générerait entre greffiers principaux et directeurs des services de greffe principaux selon la date de leur promotion. Le syndicat a par la suite saisi le Conseil d’État qui a transmis au tribunal administratif de Lyon sa demande de faire constater le manquement résultant de la discrimination litigieuse et d’enjoindre au ministre de la Justice de faire cesser celle-ci.

Par un jugement n°2300189 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon rejette la requête du syndicat. Le tribunal administratif précise que l’action de groupe prévue par l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative est recevable dans le cas où elle vise à établir que plusieurs agents publics font l’objet d’une discrimination au sens et pour l’application de l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations6.

La différence de traitement qui résulterait de la note de gestion prévoyant une différence d’indemnités selon la date d’accès de certains agents publics à leur grade d’avancement ne constitue donc pas une discrimination fondée sur l’un des motifs limitativement énumérés par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, à savoir par exemple l’origine, le sexe, le handicap ou encore l’état de santé de la personne concernée7. En conséquence, la requête du syndicat est irrecevable.

Le syndicat a donc saisi la cour administrative d’appel de Lyon puisque, selon lui, le jugement rendu par le tribunal administratif était irrégulier en ce que la copie du jugement notifiée aux parties ne comportait pas les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d’audience et en ce qu’il n’était pas suffisamment motivé. En outre, il soutenait que l’action de groupe introduite était recevable dès lors qu’elle était relative à une discrimination imputable à un employeur sur le fondement du chapitre 6 du titre 7 du livre sept du code de justice administrative et non à une discrimination fondée sur un motif énuméré par la loi du 27 mai 2008.

Par un arrêt du 20 juin 2024, la cour administrative d’appel a considéré, d’une part, que le jugement du tribunal administratif de Lyon était régulier puisque le code de justice administrative n’exige pas que la copie du jugement notifiée aux parties comporte les signatures demandées et puisqu’il est suffisamment motivé au regard de l’argumentation soumise au juge. D’autre part, et pour ce qui va retenir notre attention, la cour considère que l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public n’est recevable que lorsqu’elle a pour objet de faire constater une discrimination directe ou indirecte, au sens de la loi du 27 mai 2008. À la différence du tribunal administratif de Lyon qui n’admettait pas cette possibilité, la cour reconnaît que l’objet de l’action de groupe peut également être de faire constater une discrimination au sens des autres dispositions législatives en vigueur. Puisque la rupture d’égalité résultant de la note de gestion litigieuse et dénoncée par le syndicat ne constitue pas une discrimination au sens des lois en vigueur, la cour considère que la requête du syndicat n’est pas recevable.

Autrement dit et, comme le constate également Sophie Lesieux dans sa note sous cette affaire, aucune disposition du code de justice administrative ne précise les motifs qui peuvent constituer une discrimination et fonder une action de groupe en matière de discrimination imputable à l’employeur public8. Par son arrêt du 20 juin 2024, la cour administrative d’appel de Lyon s’efforce ainsi de clarifier les conditions de recevabilité d’une telle action en répondant précisément à la question de savoir dans quelle mesure une telle action est recevable et, ainsi, de préciser les motifs de discrimination qui doivent la fonder.

Elle fait du motif de discrimination une condition de recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination dirigée contre un employeur public, c’est-à-dire qu’il doit être prévu par les lois en vigueur (I). Cette condition découle de l’objectif de modernisation de la justice au sens de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (II).

I. Le motif de discrimination comme condition de recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination dirigée contre un employeur public

Au-delà des conditions de délai et d’intérêt à agir prévues par le code de justice administrative, la cour administrative d’appel de Lyon ajoute que l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au sens des lois en vigueur est une condition de recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination dirigée contre un employeur public (A). Partant, elle exclut la différence de traitement fondée sur la date d’accès d’agents publics à leur grade d’avancement des motifs de discrimination recevables (B).

A. L’existence d’une discrimination directe ou indirecte au sens des lois en vigueur

Selon la cour administrative d’appel de Lyon, l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public prévue par le code de justice administrative permet à une organisation syndicale représentative de saisir le juge administratif afin d’établir que plusieurs agents publics font l’objet d’une discrimination fondée sur un même motif et imputable à un même employeur. Son objet est de faire cesser cette discrimination. Autrement dit et toujours selon la Cour, il s’agit d’une déclinaison spécifique pour les fonctionnaires de l’action ouverte sur le fondement de la loi du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations9. Dès lors, l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public peut seulement avoir pour objet de faire constater une discrimination directe ou indirecte au sens de la loi du 27 mai 2008 et des dispositions législatives en vigueur10.

La cour administrative d’appel de Lyon fait donc de l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, au sens des lois en vigueur, une condition de recevabilité de l’action de groupe prévue à l’article L. 77-10-1 2° du code de justice administrative. C’est-à-dire qu’au sens de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, la discrimination doit être directe, ce qui correspond au cas où un individu est traité de manière moins favorable qu’un autre en raison notamment de son origine, de son sexe, de son apparence physique, de son lieu de résidence, de son expression, de son âge ou encore de son orientation sexuelle. Elle peut aussi être indirecte et, dans ce cas, elle correspond à une situation où une disposition, un critère ou une pratique sont susceptibles d’entraîner un désavantage particulier pour une personne par rapport à d’autres.

La cour administrative d’appel de Lyon considère que le motif de la discrimination directe ou indirecte peut être l’un de ceux prévus par la loi du 27 mai 2008 mais également l’un de ceux prévus par les autres lois en vigueur en général. Une telle démarche étend, dans une certaine mesure, les motifs de discrimination possibles ou a minima les dispositions sur lesquelles les syndicats représentatifs peuvent faire reposer leurs prétentions.

En posant comme condition de recevabilité à une telle action de groupe la discrimination directe ou indirecte au sens des lois, la cour administrative d’appel de Lyon confirme que l’action de groupe est loin d’être une nouvelle voie procédurale potentiellement plus avantageuse que d’autres. Elle relève du contentieux de la responsabilité et est donc soumise, en toute logique, à des conditions de recevabilité qu’il revient au juge administratif, une fois n’est pas coutume, de préciser.

B. L’exclusion de la différence de traitement fondée sur la date d’accès des agents publics à leur grade d’avancement

La cour administrative d’appel de Lyon juge que la rupture d’égalité résultant de la différence de traitement en matière de régime indemnitaire fondée sur la date d’accès d’agents publics à leur grade d’avancement ne constitue pas une discrimination fondée sur l’un des motifs énumérés par la loi du 27 mai 2008. Puisqu’elle considère que le motif de discrimination est recevable dans le cadre de l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public lorsqu’il est fondé sur les dispositions législatives en vigueur, elle vérifie si la différence de traitement invoquée ne constitue pas une discrimination au sens de celles-ci. Se fondant sur les articles L. 131-1 à L. 131-13 du code de la fonction publique relatifs à la protection des fonctionnaires contre les discriminations, la cour poursuit son raisonnement en considérant que la différence de traitement dénoncée ne constitue pas une discrimination au sens de ces dispositions. Partant, la requête n’est pas recevable puisqu’elle ne relève pas du champ d’application des articles L. 77-11-2 et suivants du code de justice administrative11.

En conséquence, la cour administrative d’appel de Lyon exclut la différence de traitement fondée sur la date d’accès d’agents publics à leur grade d’avancement des motifs de discrimination recevables dans le cadre d’une action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public.

Par deux décisions du 30 décembre 202112, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de la note de gestion du 2 août 2021 qui prévoit la différence de traitement dénoncée par le syndicat UNSA services judiciaires. Selon lui, la note en cause ne méconnaît pas le principe d’égalité puisqu’elle n’interdit pas que l’expérience et la technicité d’un agent public promu avant la mise en œuvre du nouveau régime d’indemnités « soient prises en compte par l’attribution, par son gestionnaire, d’un montant d’indemnité au moins égal au montant attribué aux agents promus à compter de [la date de mise en œuvre du nouveau régime] »13.

La différence de traitement potentielle fondée sur la date d’accès d’agents publics à leur grade d’avancement n’est pas une discrimination au sens des lois en vigueur, conduisant à ce que l’action de groupe menée par le syndicat soit irrecevable. En outre, le Conseil d’État juge que le principe d’égalité n’est pas méconnu par la note de gestion qui, en conséquence, n’implique pas de manquement discriminatoire. La requête du syndicat, irrecevable en tous les cas, n’avait que peu de chance de succès au fond.

En faisant du motif de la discrimination directe ou indirecte au sens des lois en vigueur une condition de recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination imputable à l’employeur public, il apparaît que la cour administrative d’appel de Lyon poursuit l’objectif de modernisation de la justice au sens de la loi du 18 novembre 2016.

II. Une condition de recevabilité découlant de l’objectif de modernisation de la justice au sens de la loi du 18 novembre 2016

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, visée par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, a été adoptée afin de poursuivre l’objectif de modernisation de la justice. Les conclusions du rapporteur public indiquent que cette loi et les travaux préparatoires de celle-ci fondent le raisonnement mené par la cour administrative d’appel de Lyon (A). En conditionnant comme elle l’a fait la recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public, la cour poursuit à la fois un objectif de modernisation de la justice et de respect de conditions procédurales inhérentes au contentieux de la responsabilité (B).

A. Un raisonnement fondé sur la loi du 18 novembre 2016 et ses travaux préparatoires

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice envisage différentes mesures pour une justice plus efficace et plus protectrice, notamment le renforcement de la protection des discriminations par la création d’un cadre légal commun aux actions de groupe en matière judiciaire et administrative et plus particulièrement d’une action de groupe en matière de discrimination.

En conséquence, pour interpréter les dispositions pertinentes du code de justice administrative relatives à l’action de groupe, le rapporteur public Christophe Rivière s’en remet aux motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle14. Ce faisant, il considère que « compte tenu des travaux parlementaires »15 relatifs à la loi du 18 novembre 2016, l’action de groupe relative à une discrimination imputable à un employeur public ne peut avoir pour objet que de faire constater une discrimination directe ou indirecte au sens de la loi du 27 mai 2008 et des dispositions législatives en vigueur. C’est également la solution apportée par la cour administrative d’appel dans son arrêt.

Partant, le raisonnement mené et la solution apportée par la cour découlent de la loi du 18 novembre 2016 et de ses travaux préparatoires. Dans l’étude d’impact précité du projet de loi, il est expliqué que les voies judiciaires existantes sont insuffisantes pour protéger les citoyens des discriminations16. Encouragée en ce sens par les travaux de la Commission européenne, l’étude d’impact envisage une action de groupe en matière de discrimination imputable aux employeurs privés qui implique la compétence du juge judiciaire et aux employeurs publics, impliquant la compétence du juge administratif17. En outre, l’étude d’impact précise bien que l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur doit être possible lorsque le motif de la discrimination est l’un de ceux prévus par la loi du 27 mai 200818.

L’arrêt du 20 juin 2024 rendu par la cour administrative d’appel de Lyon est une conséquence pratique de la loi du 18 novembre 2016. Le raisonnement de la cour est fondé sur cette loi et sur ses travaux préparatoires, conduisant à ce qu’effectivement une action de groupe soit ouverte en matière de discrimination imputable à un employeur public tout en la conditionnant au fait que la discrimination dénoncée rentre dans le champ d’application de la loi du 27 mai 2008 et, de manière plus générale que ce qui est prévu par la loi du 18 novembre 2016 et ses travaux préparatoires, des lois en vigueur.

La recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public telle que précisée par la cour administrative d’appel est le résultat d’un équilibre subtil entre modernisation de la justice et le respect, plus traditionnel, de conditions procédurales.

B. La recevabilité de l’action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur public : entre modernisation de la justice et respect de conditions procédurales

Bien qu’elles soient différentes de l’action de groupe prévue par le code de justice administrative, il convient de noter que les requêtes dites collectives répondent à des conditions strictes de recevabilité devant le juge administratif.

Il existe en effet un principe de droit processuel que nous pouvons résumer par l’adage nul ne plaide par procureur, et qui consiste pour un syndicat à ne pouvoir intervenir au nom d’intérêts personnels que lorsqu’ils y sont autorisés par un mandat spécial19. Toujours est-il que les conditions de recevabilité des requêtes collectives devant le juge administratif ont été assouplies20 afin de simplifier le contentieux en la matière, avant que l’action de groupe ne bénéficie d’un cadre légal en droit interne. C’est ainsi que, s’agissant de l’action de groupe en droit de la consommation, le Conseil constitutionnel considère qu’une telle procédure prévue par la loi est conforme à la Constitution sous réserve que les personnes concernées – ici les consommateurs – soient averties au préalable et puissent agir individuellement21. L’action de groupe a alors été étendue à différents domaines dont celui de la discrimination afin de « faciliter le traitement procédural de litiges individuels »22 sans pour autant modifier les règles de fond du droit de la responsabilité.

Comme cela est précisé par l’étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, l’objectif avec l’action de groupe n’est pas de créer une nouvelle voie procédurale mais davantage de rationaliser le contentieux « en permettant son unification par le biais d’une action collective »23.

Avec l’arrêt du 20 juin 2024, la cour administrative d’appel de Lyon poursuit la recherche d’un équilibre subtil entre l’ouverture de l’action de groupe pour simplifier le contentieux administratif en ce qu’elle est une action sérielle et le respect de conditions de recevabilité strictes, propres au droit de la responsabilité. En effet, cette action contribue à faciliter l’appréhension et la preuve de manquements en matière de discrimination. Elle permet également, selon les termes de Christophe Rivière « d’obtenir pour un groupe de personnes ce que la jurisprudence en matière de responsabilité de la puissance publique permet d’obtenir à une échelle individuelle » et de demander la cessation du manquement, même en l’absence de conclusions indemnitaires24. Le syndicat demande effectivement la cessation du manquement qu’il dénonce au juge administratif qui examine sa demande.

Une telle action doit respecter des conditions procédurales et donc des conditions précises de recevabilité. Les règles du droit de la responsabilité restent inchangées dès lors qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle voie procédurale mais d’une tentative de simplification d’un contentieux administratif complexe à bien des égards.

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon le 20 juin 2024 illustre le fragile équilibre à atteindre entre la simplification du contentieux administratif et le respect des exigences procédurales qui lui sont propres. Pour l’heure, les décisions du juge administratif relatives à l’action de groupe en matière de discrimination aboutissent davantage au rejet des demandes des requérants25. Cela fait écho au rapport de 2009 relatif à l’action de groupe en droit administratif qui défendait l’idée qu’une telle action simplifierait le contentieux administratif tout en aboutissant souvent à des décisions de rejet26.

Les arrêts et décisions à venir permettront de déterminer s’il est davantage question, avec l’action de groupe, de simplification du contentieux administratif, de stratégie contentieuse, de maintien d’un contentieux administratif complexe pour les administrés ou, à l’image de l’arrêt rendu le 20 juin 2024 par la cour administrative d’appel de Lyon, d’une recherche d’équilibre entre ces différents aspects.

Notes

1 BELAVAL P., L’action collective en droit administratif, rapport publié par le Conseil d’État le 5 mai 2009, p. 2. Retour au texte

2 Ibid., p. 33-34. Retour au texte

3 CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, n°23LY02907. Retour au texte

4 Étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle en date du 31 juillet 2015, p. 142. Retour au texte

5 DE MOUSTIER E., concl. sur CE, Ass., 11 octobre 2023, Amnesty International France et autres, n°454836, rec. p. 279 ; RIVIÈRE C., concl. sur CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, §. 16. Retour au texte

6 TA Lyon, 7 juillet 2023, Syndicat UNSA services judiciaires, n°2300189, considérant n°4. Retour au texte

7 TA Lyon, 7 juillet 2023, Syndicat UNSA services judiciaires, n°2300189, considérant n°5. Retour au texte

8 LESIEUX S., note sous CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, AJDA, 2024, p. 1530-1533. Retour au texte

9 CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, n°23LY02907, cons. n°9. Retour au texte

10 Ibid. Retour au texte

11 Ibid., cons. n°10. Retour au texte

12 CE, 30 décembre 2021, n°457589 et n°457745, inédits. Retour au texte

13 LESIEUX S., note sous CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, AJDA, 2024, p. 1530-1533. Retour au texte

14 RIVIÈRE C., concl. sur CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, §. 21. Retour au texte

15 Ibid., §§. 27-29. Retour au texte

16 Étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle en date du 31 juillet 2015, p. 163. Retour au texte

17 Ibid., p. 146. Retour au texte

18 Étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle en date du 31 juillet 2015, p. 163. Retour au texte

19 CE, 28 décembre 1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges, n°25521, rec. p. 977. Retour au texte

20 CE, Section, 30 mars 1973, n°80717, recueil Lebon p. 265. Retour au texte

21 CC, Décision n°2014-690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, JORF n°0065 du 18 mars 2014, p. 5450. Retour au texte

22 RIVIÈRE C., concl. sur CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, §. 18. V. également DE MOUSTIER E., concl. sur CE, Assemblée, 11 octobre 2023, Amnesty International France et autres, n°454836, recueil Lebon p. 279. Retour au texte

23 Étude d’impact du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle en date du 31 juillet 2015, p. 153. Retour au texte

24 RIVIÈRE C., concl. sur CAA Lyon, 20 juin 2024, Syndicat UNSA services judiciaires, §. 18. V. également DE MOUSTIER E., concl. sur CE, Assemblée, 11 octobre 2023, Amnesty International France et autres, n°454836, recueil Lebon p. 279. Retour au texte

25 En ce sens, CE, Assemblée, 11 octobre 2023, Amnesty International France et autres, n°454836, recueil Lebon p. 279. Retour au texte

26 BELAVAL P., L’action collective en droit administratif, rapport publié par le Conseil d’État le 5 mai 2009, p. 33. Retour au texte

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