Refus d’autorisation environnementale : conditions non réunies pour obtenir une dérogation « espèces protégées »

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Décision de justice

CAA Lyon, 7ème chambre – N° 22LY02288 – Société Engie Green Couture du Vernois et autres – 25 juillet 2024 – C+

affaires en lien : numéros 23LY00283, 23LY00978 et 23LY00980 pourvoi en cassation n° 498120

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY02288

Numéro Légifrance : CETATEXT000050064320

Date de la décision : 25 juillet 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Autorisation environnementale, Dérogation « espèces protégées », L. 411-1 du code de l’environnement, L. 411-2 du code de l’environnement

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Saisie d’une demande de dérogation « espèces protégées », et sauf à ce que l’exploitant y renonce, l’administration ne peut se dispenser d’y répondre compte tenu des dispositions combinées des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, au besoin en indiquant qu’elle n’apparaît finalement pas nécessaire.

Si elle estime toutefois qu’une telle dérogation s’impose et que les conditions limitativement prévues pour l’accorder ne sont pas réunies, l’administration ne peut, lorsque la demande de dérogation porte sur l’ensemble du projet, délivrer l’autorisation environnementale, même en l’assortissant de prescriptions.

44-05, Nature et environnement, Divers régimes protecteurs de l'environnement

Conclusions du rapporteur public

Christophe Rivière

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9695

La société Engie Green Couture du Vernois a, le 30 avril 2019, déposé une demande d’autorisation environnementale en vue de l’installation et de l’exploitation d’une parc éolien composée de 4 quatre aérogénérateurs d’une haut en bout de pale de 180 m et d’un poste de livraison sur le territoire des communes de Lacour-d’Arcenay et Aisy-sous-Thil, dans le département de la Côte-d’Or. Cette demande intégration une demande de dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées pour le milan royal et le milan noir.

Elle a complété son dossier le 20 mai 2020.

Une enquête publique s’est déroulée du 24 août au 24 septembre 2021. Le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur ont été transmis le 25 octobre 2021 à la société pétitionnaire.

Par arrêté du 21 janvier 2022, le préfet de la Côte-d’Or a prorogé de deux mois le délai visé à l’article R. 181-41 du code de l’environnement dans lequel il doit statuer sur la demande d’autorisation environnementale déposée par la société Engie Green Couture du Vernois, ce qui a reporté le délai au 25 mars 2022.

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2022 sous le n° 22LY02288, ladite société demande à la cour l’annulation de la décision implicite née le 25 mars 2022 par laquelle le préfet de la Côte-d’Or a rejeté sa demande d’autorisation environnementale et de la décision implicite rejetant son recours gracieux et sa demande de communication des motifs du 9 mai 2022, et la délivrance de l’autorisation environnementale sollicitée, directement ou subsidiairement sous forme d’injonction au préfet, ou à titre infiniment subsidiaire, qu’il soit enjoint au préfet de statuer à nouveau sur sa demande d’autorisation environnementale.

Le préfet de la Côte-d’Or a, par un arrêté du 18 novembre 2022, accordé à la société Engie Green Couture du Vernois l’autorisation environnementale sollicitée. Relevons que cet arrêté estime que les conditions ne sont pas réunies pour délivrer la dérogation prévue par l’article L. 411-1 du code de l’environnement compte tenu de l’insuffisance des mesures pour garantir un impact résiduel non significatif du projet sur le milan royal.

Dans le dossier n° 23LY00283, ladite société demande l’annulation de cet arrêté en tant qu’il prévoir des mesures de bridages « manifestement disproportionnées » en ses articles 2.3.1.2 et 2.3.1.3 et de réformer cet arrêté en substituant à ces mesures les mesures de bridage qu’elle a proposées.

Dans le dossier n° 23LY00978, la société Château d’Arcenay, M. V. et l’association Sites & Monuments demandent l’annulation de l’arrêté préfectoral du 18 novembre 2022 en tant qu’il emporte autorisation environnementale et, semble-t-il, retrait de la décision implicite née le 25 mars 2022 rejetant la demande d’autorisation (cf article 1.5 de l’arrêté).

Dans le dossier n° 23LY00980, l’association Lacour des mirages, les associations « Chazelle L’Echo Environnement » et « Sites & Monuments », les communes de Dompierre-en-Morvan, Juillenay, Thoste et Val-Larrey, et autres et les sociétés civiles immobilières Château de Lacour et Château Villars demandent également l’annulation de ce même arrêté.

I) S’agissant d’abord de la contestation du refus implicite d’autorisation environnementale (requête n° 22LY02288)

Comme le fait valoir le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, vous pourrez juger que cette requête est devenue sans objet et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur celle-ci compte tenu de l’arrêté du 18 novembre 2022 octroyant à la société Engie Green Couture du Vernois l’autorisation environnementale sollicitée et ce alors même que cet arrêté comprend des prescriptions qui ne conviennent pas à ladite société et qu’il est par ailleurs contesté. Ledit arrêté se substituant aux décisions implicites contestées. D’ailleurs, à son article 1.5, l’arrêté retire la décision implicite de rejet du 25 mars 2022.

Or, il appartient au juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement de se prononcer sur l'étendue des obligations mises à la charge des exploitants par l'autorité compétente au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue. Il en résulte que si l'acte attaqué, pris pour l'application de la législation relative aux installations classées, est rapporté par l'autorité compétente avant que le juge ait statué, il n'y a pas lieu pour celui-ci, que ce retrait ait ou non acquis un caractère définitif, de se prononcer sur le mérite de la demande dont il est saisi. Il en va de même lorsque ce retrait intervient au cours de l'instance de cassation (Voyez CE, 5 juillet 2006, SARL Entreprise X., n° 259061, au recueil).

Il n’y a pas lieu à statuer sur le recours de l’exploitant contre le refus d'autorisation du simple fait de la délivrance de l'autorisation (CE, 16 janvier 1987, SARL Socopy, n°27317).

II) S’agissant ensuite de la contestation du retrait de la décision implicite rejetant la demande d’autorisation (requête n° 23LY00978)

Les requérants invoquent l’illégalité du retrait par l’arrêté attaqué du 18 novembre 2022 (article 1.5) de la décision implicite rejetant la demande d’autorisation née le 25 mars 2022 en application de l’article R. 181-42 du code de l’environnement, créatrice de droits pour eux, en raison du non-respect du délai de 4 mois prévu par l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Vous pourrez ainsi considérer qu’ils ont entendu demander l’annulation de cette décision de retrait, bien que dans les conclusions finales de leurs écritures, ils demandent formellement uniquement l’annulation de l’arrêté du 18 novembre 2022 en ce qu’il emporte autorisation environnementale.

Toutefois, vous relèverez que ces conclusions sont dépourvues d’objet et par suite irrecevables compte tenu de l’office du jugement du plein contentieux des ICPE tel que précédemment rappelé.

Comme l’a indiqué Xavier de Lesquen, rapporteur public, dans ses conclusions sur CE, 17 décembre 2014, Société Gravières du Maroni, n° 365632, « le juge du plein contentieux des installations classées étant le juge de la situation légale de l’installation à la date à laquelle il se prononce, on peut considérer qu’il n’y a pas d’intérêt à ce qu’il se prononce sur une décision qui fonde l’état des droits et obligations de l’exploitant à un état antérieur de l’exploitation. C’est la théorie des séquences initiées par chaque décision nouvelle présentée par Mattias Guyomar dans ses conclusions sur l’affaire CE du 5 juillet 2006 n° 25906. Chaque décision administrative ouvre une nouvelle séquence qui porte en elle-même l’ensemble du contentieux relatif au droit à exploiter : ainsi, le recours contre le retrait de la mesure prise par le préfet à l’encontre de l’exploitant porte à juger la nécessité des mesures à la date à laquelle le juge statue. ».

Vous pourrez même considérer, comme vous en avez informé les parties sur le fondement de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que cette décision de retrait est superfétatoire, la décision d’autorisation se substituant nécessairement à la décision implicite rejetant la demande d’autorisation et cette autorisation étant seule susceptible d’être contrôlée par le juge du plein contentieux des ICPE.

Les conclusions de la requête n° 23LY0978 tendant à l’annulation de la décision de retrait pourront donc être rejetées comme irrecevables.

III) S’agissant de la contestation de l’autorisation environnementale dans son ensemble (requêtes n°s 23LY00978 et 23LY00980) :

À titre liminaire, sur la recevabilité de ces requêtes : rappelons que pour pouvoir contester une décision prise au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement, les tiers personnes physiques doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux (CE, 13 juillet 2012, Société Moulins Soufflet et ministre chargé de l'écologie, n° 339592 340356, aux tables). La même solution a été retenue pour les personnes morales (CE, 30 janvier 2013, Société Nord Broyage, n° 347347, aux tables, concernant un établissement commercial, jugeant qu’un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de " tiers ", au sens des dispositions de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, recevable à contester devant le juge une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) délivrée à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1 du même code sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial. Il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux). Concernant les associations, l’intérêt à agir se rapporte pour sa part à leur objet statutaire, selon une analyse désormais classique (voyez par exemple CE, 15 septembre 2004, SARL Lecouffe Darras, n°  230665, aux tables ou encore CE, 22 mars 1996, Groupement agricole d'exploitation en commun du Vieux  Bougy, n° 128923, aux tables), qu’il faut recouper avec le ressort géographique de son champ d’action, (voyez  à ce propos, s’agissant du décret de démantèlement d'une centrale nucléaire, faisant également  l’objet d’un recours de plein contentieux : CE, 25 juin 2012, Collectif anti-nucléaire 13 et autres, n° 346395, au recueil Lebon).

En l’espèce, vous pourrez, dans le dossier n° 23LY00978, admettre l’intérêt à agir de la société château d’Arcenay, propriétaire de ce château, et de M.V., qui habite dans ce château en tant que locataire de ladite société et est l’associé unique de cette société, compte tenu de la visibilité des éoliennes du projet depuis le parc dudit château, inscrit au titre des monuments historiques, distant de 1,5 km de celui-ci. Il en va de même de l’association Sites et Monuments, anciennement société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France, en raison de l’agrément dont elle bénéficie sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’environnement et de son objet social, ayant pour objet de défendre sur le territoire métropolitain de toute atteinte, notamment le patrimoine paysager, rural et environnemental, bâti et architectural.

Rappelons qu’en vertu de l’article L. 142-1 de ce même code :

« Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (…) justifie (…) d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ».

Dans le dossier n° 23LY00980, vous pourrez admettre l’intérêt à agir de l’association « Lacour des mirages », eu égard à l’article 2 de ses statuts en vertu duquel « l’association a pour objet de veiller à la protection de la faune, de la flore, des paysages et du patrimoine historique et architectural et, pour ce faire, d’engager toutes actions, notamment juridictionnelles, contre les projets de construction, entre autres les parcs éoliens, susceptibles de porter atteinte à l’environnement naturel et au patrimoine culturel » et l’action de l’association s’étend notamment sur les communes de Lacour-d’Arcenay et Aisy-sous-Thil, ce qui suffira, s’agissant d’une requête collective, à rendre celle-ci recevable sans qu’il soit besoin d’examiner l’intérêt à agir des autres requérants.

Vous pourrez donc écarter les fins de non-recevoir opposées en défense et tirées du défaut d’intérêt à agir des requérants dans les deux dossiers 23LY00978 et 23LY00980.

Venons-en au fond.

Vous avez, par courrier du 17 mai 2024, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, informé les parties dans ces deux dossiers que la cour est susceptible de relever d’office le moyen d’ordre public tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi, tenant à ce que le refus opposé à la demande de dérogation « espèces protégées », dont l’exploitant avait saisi l’administration, faisait obstacle à la délivrance d’une autorisation environnementale et que, même en admettant que l’administration n’a pas entendu opposer un tel refus mais seulement constater que les conditions pour accorder la dérogation ainsi demandée n’étaient pas réunies, elle ne pouvait pallier cette situation et délivrer l’autorisation en se bornant à fixer elle-même des prescriptions.

Puis, dans le dossier n° 23LY00978 uniquement, vous avez apporté des précisions à ce moyen d’ordre public en informant les parties, par courrier du 25 juin 2024, que la cour est susceptible de relever d’office le moyen d’ordre public tiré de ce que le préfet ne pouvait, sans méconnaître le champ d’application des dispositions combinées des articles L. 181-3 4° et L. 181-4 2° du code de l’environnement, autoriser un projet qui ne remplissait pas les conditions prévues pour faire droit à la demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées présentée par l’exploitant, même en fixant des prescriptions.

Dans le dossier n° 23LY00980, vous avez, par courrier du 28 juin 2024, informé les parties que la cour est susceptible de soulever d’office le moyen tiré de ce qu’en conséquence de l’annulation de l’autorisation du préfet de la Côte-d’Or du 18 novembre 2022, il n’y aurait plus lieu de statuer sur les conclusions de l’association Lacour des Mirages et autres dirigées à son encontre, annulation qui est envisagée dans le dossier 23LY00978.

L’arrêté attaqué vise une demande de dérogation espèces protégée déposée le 30 avril 2019 par la société pétitionnaire et complétée le 20 mai 2020, soit en même temps que la demande d’autorisation environnementale, en vue de la préservation des milans royaux et des milans noirs dans le cadre de son projet de parc éolien.

Concernant cette demande, l’arrêté indique,

« que les conditions ne sont pas réunies pour délivrer la dérogation prévue par l’article L. 411-1 du code de l’environnement » et « qu’en l’absence de mesures adaptées par le demandeur, seule la mise en place d’un arrêt diurne des éoliennes (une heure après le lever du soleil et une heure avant le coucher du soleil) est de nature à éviter les impacts vis-à-vis du risque de collision des milans royaux avec les éoliennes et est de nature à répondre aux exigences de protection de l’espèce en l’absence de l’obtention de la dérogation prévue par l’article L. 411-1 du code de l’environnement ».

En réalité l’article L. 411-2 puisque l’article L. 411-1 est relatif à l’interdiction de destruction des espèces protégées et de leurs habitats.

S’il est permis de s’interroger sur sa réelle portée, l’arrêté doit être regardé comme emportant refus de dérogation à une telle interdiction.

Certes, il ne se fonde pas sur l’une des conditions cumulatives légales pour ce faire, qui sont l’absence de solution alternative satisfaisante, la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et  la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés  au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement (cf CE, 24 juillet 2019, société PCE et autres, n° 414353, aux tables ; CE, 28 décembre 2022, société La Provençale, n° 449658, aux tables).

En effet, pour estimer que les conditions ne sont pas réunies pour délivrer la dérogation, le préfet s’est borné à relever que :

« les mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par la société Green Couture du Vernois dans son dossier de demande d’autorisation environnementale et dans sa demande de dérogation espèces protégées sont insuffisantes pour garantir la préservation du milan royal, en ce qu’elle ne sont ni acceptables ni suffisantes pour garantir un impact résiduel non significatif »

et s’est ainsi placé d’avantage sur le terrain du critère en vertu duquel le pétitionnaire doit obtenir une dérogation "espèces protégées", qui, comme vous le savez, est en réalité que  le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé en prenant en compte  uniquement les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire (CE, avis, Section, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement et autres, n° 463563, au Recueil, avis qui, il est vrai, est postérieur à l’arrêté contesté).

Il s’est fondé sur le rapport de l'inspection des installations classées du 13 septembre 2022, qui a estimé que :

« en l'absence de mesure de réduction permettant de ramener le risque résiduel pour les espèces à un niveau nul ou non significatif, alors que l'étude d'impact considère que ce risque est modéré à fort, la seule mesure d'évitement réellement efficiente et techniquement réalisable consiste en un bridage diurne des machines pendant les périodes d'activités de l'espèce, pour assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ».

Toutefois, le refus de dérogation opposé par le préfet n’est pas contesté.

À cet égard, la société Engie Green Couture du Vernois ne saurait utilement soutenir que le projet n’était pas soumis à une telle dérogation, d’autant qu’elle a elle-même déposé une demande de dérogation...

Il s’avère que le préfet a imposé dans son arrêté, aux articles 2.3.1.2 relatif aux chiroptères et 2.3.1.3 relatif à l’avifaune et en particulier au milan royal, des mesures de bridages particulièrement contraignantes et selon nous excessives, qui sont d’ailleurs contestées par la société pétitionnaire dans le dossier n° 23LY00283, qui aboutissent à un arrêt des éoliennes en période diurne toute l’année et en période nocturne du 1er avril au 31 octobre dans certaines conditions de vent et de température, ce qui a pour effet de limiter le fonctionnement des machines sans restriction à la période nocturne du 1er novembre au 31 mars…ce qui remet sérieusement en cause l’utilité et la viabilité du projet et vide de sa substance l’autorisation environnementale accordée qui semble en réalité être un refus d’autorisation « déguisé ».

Le préfet a imposé ces mesures afin en particulier que l’impact résiduel du projet sur le milan royal soit non significatif, comme s’il avait voulu en amont rendre dépourvue d’objet la demande de dérogation dont pourtant il était saisi…

Reste qu’il a accordé une autorisation environnementale après avoir refusé d’accorder une dérogation.

Pouvait-il le faire et procéder comme il vient d’être dit ?

En vertu de l’article L. 181-2, I, 5° du code de l’environnement, l’autorisation environnementale, créée par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 et entrée en vigueur le 1er mars 2017 en application de l’article 15 de cette ordonnance, tient lieu de dérogation au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 du même code lorsque le projet y est soumis ou la nécessite.

Ainsi qu’il ressort du rapport au président de la République relatif à cette ordonnance et du communiqué de presse du Conseil des ministres du 25 janvier 2017, l’objectif en créant l’autorisation environnementale unique rassemblant plusieurs autorisations dont la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, est de simplifier les procédures pour faciliter la vie des entreprises sans régression de la protection de l’environnement.

La dérogation espèces protégées s’incorpore à l’autorisation principale comme le souligne Nicolas Agnoux dans ses conclusions sur CE, 30 avril 2024, Association Belle Normandie, n° 468297, aux tables.

Comme l’indique Olivier Fuchs dans ses conclusions sous CE, 22 juillet 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire c/ M.S., n° 429610, aux tables du recueil Lebon,

« Les autorisations ne peuvent donc plus être délivrées de façon autonome mais sont fondues dans le même acte. […] l’autorisation environnementale agrège au sein d’un même acte juridique plusieurs décisions qui sont divisibles les unes des autres et […] cette autorisation peut donc faire l’objet d’une annulation partielle. ».

Rappelons que dans cette affaire, le Conseil d’État a jugé que le motif tiré de ce qu’une autorisation environnementale n’incorpore pas de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, alors qu’une telle dérogation est requise pour le projet éolien en cause, ne vicie l'autorisation environnementale en litige qu'en tant qu'elle n'incorpore pas cette dérogation, ce qui est divisible du reste de l'autorisation et ne justifie donc pas son annulation dans son ensemble.

Voyez aussi CE, 22 septembre 2022, Ligue pour la protection des Oiseaux de l'Aude et autres, n° 443458, aux tables.

La divisibilité de la dérogation au sein de l’autorisation environnementale va dans le sens de l’absence d’impact d’un rejet de la première sur la légalité de la seconde. Olivier Fuchs citait l’avis « Association Novissen et autres » du CE du 22 mars 2018, n° 415852, au recueil concernant les pouvoirs du juge au titre de l’article L. 181-18 du code de l'environnement en cas d’annulation partielle de l’autorisation, qui a notamment considéré que :

« En tant qu'il prévoit l'annulation d'une partie de l'autorisation environnementale, le 1° du I de l'article L. 181-18 a pour objet de rappeler la règle générale selon laquelle le juge administratif, lorsqu'il constate une illégalité qui n'affecte qu'une partie divisible de la décision qui lui est déférée, se borne à annuler cette partie. Elle permet de prononcer des annulations limitées soit à une ou plusieurs des anciennes autorisations désormais regroupées dans l'autorisation environnementale, soit à certains éléments de ces autorisations à la condition qu'ils en soient divisibles. ».

Olivier Fuchs soulignait :

« qu’il ne faut pas perdre de vue que l’autorisation environnementale comporte plusieurs parties correspondant aux décisions qui antérieurement étaient délivrées par  des actes distincts et que ces parties sont divisibles ».

Il s’agissait néanmoins dans les affaires précitées « Ministre de la transition écologique et solidaire c/ M.S. » et « Ligue pour la protection des Oiseaux de l'Aude et autres » respectivement d’une autorisation délivrée au titre de la police de l’eau et d’un permis de construire qui sont devenues des autorisations environnementales à compter du 1er mars 2017 par l’effet de l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 et de l’absence d’incorporation de dérogation dans ces actes, autrement dit, en amont, de demande de dérogation, et non de refus de dérogation en aval, comme en l’espèce.

C’est l’omission de solliciter du préfet une dérogation au titre des espèces protégées qui entraîne, si la dérogation était requise, l’annulation partielle de l’autorisation.

Certes, l’annulation de la dérogation accordée pour un projet n’entraîne pas nécessairement l’annulation de l’autorisation environnementale.

Lorsqu’une dérogation est annulée, l’autorisation environnementale est annulée partiellement en tant qu'elle porte dérogation aux interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 et délivrée en vue de permettre l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), ou la partie de l'autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l'objet d'une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 171-7 en mettant l'exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu'à la suspension de l'exploitation de l'installation en cause jusqu'à ce qu'il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d'une telle demande, il lui appartient d'y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d'annulation et de l'autorité de chose jugée qui s'y attache, le cas échéant en abrogeant l'autorisation d'exploiter ou l'autorisation environnementale en tenant lieu. Dans l'hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement avant qu'elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu'elle existe au moment où l'autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d'une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l'exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l'exploitant, par la voie d'une décision modificative de l'autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires (CE, 28 avril 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire c/ Société Maillard, n° 440734, aux tables).

Comme l’indique Olivier Fuchs dans ses conclusions sur cette affaire, dans laquelle il rappelle que les autorisations ne peuvent plus être délivrées de façon autonomes mais sont fondues dans le même acte (l’autorisation environnementale) et, par ailleurs, ces différentes parties de l’autorisation sont entre elles divisibles et peuvent faire  l’objet d’une annulation ciblée, en l’absence des autorisations suiveuses nécessaires, ici en raison de l’annulation de la  dérogation à la protection des espèces, l’autorisation est donc incomplète et, par conséquent,  ne peut recevoir application, la situation dans laquelle l’autorisation environnementale est dépourvue d’une de ses autorisations suiveuses doit nous semble-t-il  être assimilée à celle dans laquelle l’exploitation fonctionne sans avoir fait l’objet de l’autorisation environnementale requise, c’est-à-dire à la situation donnant lieu au régime prévu à l’article L. 171-7 du code de l’environnement en vertu duquel le préfet met en demeure l’exploitant de déposer un nouveau dossier de dérogation.

Cf., sur le fait que l'annulation d'une autorisation place l'exploitant dans une situation d'exploitation sans autorisation, CE, 15 octobre 1990, Province de la Hollande septentrionale et autres, n° 80523, au recueil, p. 277 ; sur les pouvoirs du préfet dans un tel cas, CE, 13 février 2012, Société Terreaux Service Varonne, n° 324829, au recueil, p. 39.

Cet article L. 171-7 du code de l’environnement concerne néanmoins le cas où le parc éolien est exploité ou a été réalisé sans l’autorisation requise.

Vous ne pourrez pas, selon nous, tirer de la jurisprudence précitée « société PCE et autres » la conclusion que le refus de dérogation rend illégale l’autorisation environnementale dans son ensemble, le Conseil d’État lorsqu’il évoque l’autorisation à titre dérogatoire n’évoquant que la dérogation et cette jurisprudence ayant uniquement pour objet de fixer les conditions d’octroi d’une telle dérogation.

En réalité, la réponse à la question posée résulte d’articles du code de l’environnement insérés dans la section 1 « champ d’application et objet » du chapitre unique « autorisation environnementale ».

En effet, l’article L. 181-3, II, 4° du code de l’environnement, qui précise les conditions nécessaires à la délivrance de l'autorisation environnementale, prévoit que :

« L’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent (…) le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation »

et l’article L. 181-4, 2° du même code dispose que :

« Les projets soumis à autorisation environnementale en application de l'article L. 181-1 restent soumis, sous réserve des dispositions du présent titre, aux législations spécifiques aux autorisations […] dont l'autorisation environnementale tient lieu lorsqu'ils sont exigés et qui sont énumérés par l'article L. 181-2, ainsi que, le cas échéant, aux autres dispositions législatives et réglementaires particulières qui les régissent. ».

Cet article précise ainsi que les projets soumis à autorisation environnementale restent soumis aux dispositions de fond prévues par les législations attachées aux décisions dont l'autorisation environnementale tient lieu (voyez le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance du 26 janvier 2017).

Or, le refus d’octroi de la dérogation décidée par le préfet présuppose que les conditions de l’article L. 411-2, I, 4° du code de l’environnement ne sont pas remplies et qu’en conséquence, l’interdiction de destruction des espèces protégées édictée par l’article L. 411-1 du même code doit prévaloir, faisant ainsi obstacle à ce que le projet soit autorisé.

Le préfet ne pouvant pallier à ce refus en instaurant des prescriptions, comme en l’espèce des mesures de bridage, afin de rendre non nécessaire la dérogation. En procédant ainsi, il détournerait le dispositif protecteur des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.

Vous avez d’ailleurs implicitement jugé que des prescriptions complémentaires en vue de limiter les impacts sur la faune protégée ne peuvent en principe suppléer l'absence de dérogation lorsqu'elle est nécessaire (CAA Lyon, 15 décembre 2022, Association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres, n°s 21LY00407 et 22LY00073, C+, concernant l’opérance du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement à l’encontre d’un arrêté préfectoral fixant des prescriptions complémentaires en vue de limiter les impacts sur la faune protégée (chiroptères) d'une installation (parc éolien) fonctionnant sous couvert d'une autorisation aujourd'hui définitive accordée sans la dérogation prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement à l'interdiction de destruction ou de perturbation d'animaux protégés posée par l'article L. 411-1 du même code).

Si en vertu de l’article L. 181-14 in fine du code de l’environnement, le préfet peut, à tout moment, imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées et à ce titre, lorsque le défaut de prise en compte des risques que présente l’installation sur certaines espèces protégées est constaté après la délivrance de l’autorisation,  soit par suite d’un changement de circonstances (arrivée de nouvelles espèces absentes lors de  l’instruction de la demande), soit à raison d’une mauvaise évaluation initiale des risques ou  d’une erreur d’appréciation sur les conséquences à en tirer, édicter des prescriptions complémentaires propres à supprimer ou  diminuer le risque au point qu’il ne soit plus regardé comme suffisamment caractérisé et ne  nécessite plus la délivrance d’une dérogation (voyez sur ce point les conclusions précitées de Nicolas Agnoux sur CE, 30 avril 2024, Association Belle Normandie, n° 468297, aux tables), il ne peut, à notre avis, exercer ce pouvoir lorsqu’il a refusé au préalable d’accorder une dérogation en raison de conditions non réunies et doit se prononcer sur la délivrance de l’autorisation environnementale sollicitée par le pétitionnaire, autrement dit lorsqu’il se situe en amont, l’article L. 181-14 étant inséré dans une section 4 relatif à la mise en œuvre du projet, qui suppose que le projet a déjà été autorisé et est en cours d’exploitation.

D’ailleurs, dans ses conclusions sous CE, 8 mars 2024, Société Engie Green Doussay, n° 463249, aux tables, Maïlys Lange estime que le juge de l’autorisation environnementale doit annuler totalement l’autorisation sans autre possibilité de régularisation s’il apparaît au vu des pièces du dossier que la dérogation ne peut être obtenue (le CE n’ayant, il est vrai, pas tranché ce point dans sa décision, laquelle sous-tend que le vice tiré de ce que l'autorisation n'incorpore pas de dérogation est un vice régularisable).

Nicolas Agnoux a également estimé que lorsque la dérogation n'est pas susceptible d'être délivrée car l'une des conditions n'est pas remplie, il n’est possible ni d’annuler partiellement l’arrêté d’autorisation, ni, contrairement à  ce que soutient encore la société pétitionnaire, de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation alors que la base même du projet était viciée, seule une implantation dans un  autre lieu pouvant être envisagée (voyez ses conclusions sur CE, 27 décembre 2022, Société Ferme éolienne du Bois Bodin, ministre de l’écologie, n° 456293, affaire dans laquelle le Conseil d’État a jugé que la ministre de la transition écologique n’est pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en annulant l’autorisation environnementale attaquée dans son ensemble au seul motif que celle-ci ne comporte pas cette dérogation dès lors que la cour avait annulé l'autorisation en raison de l’atteinte que le parc projeté est susceptible de porter à l’espèce protégée menacée d’extinction de la cigogne noire, en méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l’environnement, et non parce que cet arrêté ne comportait pas la dérogation prévue par l’article L. 411-2 du même code).

Au final, vous pourrez donc juger qu’en accordant une autorisation environnementale après avoir refusé d’octroyer une dérogation « espèce protégée », le préfet a méconnu le régime protecteur des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement et édicté une décision qu’il ne pouvait pas prendre en vertu des dispositions précitées des articles L. 181-3, II, 4° et L. 181-4, 2° du code de l’environnement, et a donc méconnu le champ d’application de la loi.

Vous pourrez donc annuler l’arrêté préfectoral du 18 novembre 2022, qui, vous l’avez compris, ne brille pas par sa cohérence. C’est la solution que nous vous proposons dans les deux dossiers n°s 23LY00978 et 23LY00980, même si, dans ce dernier dossier, vous pourrez être tenté de prononcer un non-lieu à statuer en conséquence de l’annulation dudit arrêté prononcée dans le dossier n° 23LY00978.

Cette annulation impliquera selon nous que le préfet réexamine la demande d’autorisation de la Société Engie Green Couture du Vernois, en remettant justement de la cohérence.

IV) S’agissant de la contestation des mesures de bridage prévues aux articles 2.3.1.2 et 2.3.1.3 de l’arrêté préfectoral du 18 novembre 2022 (requête n° 23LY000283) :

Comme vous en avez informé les parties en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, en conséquence de l’annulation de l’arrêté préfectoral portant autorisation environnementale du 18 novembre 2022 que nous vous proposons de prononcer, vous pourrez juger que les conclusions tendant à l’annulation des mesures de bridages prévues par les articles 2.3.1.2 et 2.3.1.3 de cet arrêté sont devenues sans objet et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions et donc la requête n° 23LY000283.

Par ces motifs, nous concluons :

  • dans le dossier n° 22LY02288, au non- lieu à statuer sur la requête.

  • dans les dossiers n°s 23LY00978 et 23LY00980, à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 18 novembre 2022 et au rejet des conclusions de la requête n° 23LY00978 tendant à l’annulation du retrait de la décision implicite rejetant la demande d’autorisation.

  • dans le dossier n° 23LY00283, au non-lieu à statuer sur la requête.

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