Le conseil municipal de la commune de Lanobre, de 1386 habitants, a été formé, jusqu’au prochain renouvellement de l’ensemble des membres du conseil municipal lors des dernières élections municipales de 2020. Les quinze sièges de son conseil municipal ont ainsi été pourvus dans les conditions suivantes : la liste conduite par M. M., qui sera ultérieurement élu maire, et dénommée « Lanobre notre priorité » a obtenu douze sièges de conseillers municipaux ; la liste conduite par M. N. « Pour Lanobre agissons ensemble » a quant à elle obtenu les trois sièges restants.
A la suite de nombreuses démissions de membres du conseil municipal et de la renonciation des candidats inscrits sur la liste d’opposition à exercer ces fonctions, dont la dernière a été reçue en mairie le 1er décembre 2023, M.X. a été appelé à siéger en qualité de conseiller municipal. Son nom figure ainsi comme onzième et dernier conseiller municipal dans le tableau du conseil municipal établi le 21 décembre 2023.
Le préfet du Cantal vous demande d’annuler cette désignation, rendue publique dans ce tableau, et de constater la vacance du onzième siège du conseil municipal de Lanobre.
La désignation d’un nouveau conseiller municipal appelé à remplacer un de ses colistiers en cours de mandat par application de l’article L. 270 du code électoral relève du contentieux électoral (CE, 28 janvier 1994, Election au conseil municipal de Saint-Tropez, n° 148595). Vous devez donc faire application des dispositions pertinentes du code électoral en ce qui concerne notamment les formalités et modalités de présentation des protestations électorales.
Il conviendra tout d’abord de faire droit à la fin de non-recevoir soulevée par le préfet, s’agissant du mémoire en défense présenté par la commune de Lanobre. En effet, en matière de contentieux électoral comme c’est le cas en l’espèce, la jurisprudence du Conseil d’Etat ne reconnaît pas à la commune la qualité de partie. Vous écarterez donc des débats le mémoire présenté par la commune de Lanobre qui ne justifie pas d’un intérêt propre dans ce contentieux électoral et n’a pas la qualité de partie, ni celle d’intervenant. Voir en ce sens, pour une illustration récente, CE, 24 juillet 2019, Préfet du Morbihan, n°427192.
En revanche, la deuxième fin de non-recevoir opposée par le préfet, tirée de ce que le mémoire présenté par M. X. l’a été après l’expiration du délai de cinq jours imparti au défendeur en application de l’article R. 119 du code électoral ne saurait être accueillie. En effet, la seule circonstance que le mémoire du défendeur soit produit après ce délai de cinq jours n’oblige pas le tribunal à écarter ce mémoire (voir notamment CE, 5 juin 1996, Elections municipales du Barp, n°174000, C)
Venons-en au fond de l’affaire.
Les dispositions de l’article L.270 du code électoral, applicables aux communes de 1000 habitants et plus, prévoient que le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer le conseiller municipal élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit. Le même texte prévoit qu’en cas de constatation de l’inéligibilité d’un ou plusieurs candidats, la juridiction annule l’élection du ou des élus inéligibles et proclame en conséquence l’élection du ou des suivants de la liste.
Il convient de noter que, pour l’application de ces dispositions, l’ordre des noms à retenir est celui figurant sur la liste déposée à la sous-préfecture, comme l’a jugé le Conseil d’Etat dans sa décision CE, Elections municipales de Moreuil, 6 mai 1985, n°61635, B).
Ces mêmes dispositions prévoient que lorsqu’il n’est plus possible de procéder au remplacement des sièges vacants, il est procédé au renouvellement du conseil municipal dans les trois mois de la dernière vacance, si le conseil municipal a perdu le tiers ou plus de ses membres.
Il résulte de l’instruction que M.X. était le treizième de la liste « Lanobre, notre priorité », qui a obtenu douze sièges lors des élections municipales de 2020. Le 10 octobre 2022, Mme S., douzième de cette liste, a démissionné de ses fonctions de conseillère municipale. M. X. aurait dû, dans ces conditions, en sa qualité de premier candidat non élu de la liste, être désigné comme son remplaçant en application de l’article L. 270 du code électoral.
Or, il s’avère que c’est la quatorzième de la liste conduite par M. M., Mme F., qui a alors été désignée, le 12 octobre 2022, pour remplacer Mme S.. Nous ne disposons pas d’informations précises sur les conditions qui ont conduit la collectivité à procéder à une telle désignation. En particulier, il n’est pas fait état d’une éventuelle renonciation de M. X. à être désigné membre du conseil municipal à cette date. Il nous semble donc que la désignation du 12 octobre 2022 de Mme V. était irrégulière. Toutefois, il apparait manifeste que cette désignation n’a pas été contestée en temps utile et, en outre, un autre élu de la liste « Lanobre, notre priorité », M. E., a ultérieurement démissionné le 18 novembre 2022 et a été remplacé par le quinzième et dernier de la même liste, M. Y..
Une cascade de démissions et de refus de désignation au conseil municipal a ensuite eu lieu au cours de l’année 2023. Ces démissions et refus de désignation concernent en particulier tous les élus et les candidats de la liste d’opposition « Pour Lanobre agissons ensemble ». Si bien qu’il a été constaté, au cours du dernier trimestre 2023 que le conseil municipal avait perdu le tiers de ses membres et que seul le recours à la désignation de M. X. comme conseiller municipal permettait de pallier à la dernière vacance, sans devoir procéder au renouvellement du conseil, comme le prescrit l’article L. 270 du code électoral1.
Il convient à cet égard de souligner que M. X. n’a été désigné qu’à la suite de la démission d’élus de la liste d’opposition et des refus de candidats de la même liste d’être désignés membres du conseil municipal, ce qui a eu pour effet de diminuer d’un tiers l’effectif de l’assemblée délibérante, et non lors des démissions survenues en août et septembre 2023 de deux élus municipaux colistiers, à savoir Mme F. et M.V..
Quels que soient les motifs qui ont conduit à ne pas désigner M. X. pour le remplacement de Mme S., force est de constater que ce dernier ne pouvait légalement être désigné comme conseiller municipal puisqu’il ne peut pas être regardé comme ayant la qualité de candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu au sens de l’article L. 270 du code électoral. C’est M. Y., quinzième de la liste, qui avait, en dernier lieu, cette qualité, et sa désignation comme conseiller municipal en novembre 2022 a, selon nous, fermé les portes à toute possibilité de remplacement d’un siège vacant d’un élu de la liste « Lanobre, notre priorité ». Juger le contraire, comme vous invite à le faire M. X. et la commune, reviendrait à admettre le principe d’une réserve de remplaçant, ce qui n’est absolument pas prévu par le texte. D’autre part, juger que M. X., qui n’a pas été désigné lorsqu’il devait l’être, pouvait l’être ultérieurement, dans les circonstances que nous venons de rappeler, reviendrait nécessairement à contrevenir aux dispositions de l’article L. 270 du code électoral qui ne souffrent d’aucune ambiguïté sur la détermination du candidat d’une liste pouvant être désigné membre du conseil municipal en cas de vacance d’un siège.
Nous vous proposons donc de juger que M. X. n’avait pas la qualité de candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu au sens et pour l’application de l’article L. 270 du code électoral et d’accueillir les conclusions du déféré tendant à l’annulation de sa désignation en qualité de conseiller municipal.
En revanche, il nous semble qu’il n’y aura pas lieu de faire droit à la demande du préfet tendant à ce que le tribunal constate la vacance du onzième siège puisque vous ne pouvez opérer ces constats que dans l’hypothèse où le renouvellement du conseil municipal n’est pas prescrit. (voir en ce sens CE, 13 décembre 1989, Elections municipales de Vaires-sur-Marne, n° 108265, A, et les conclusions de M. Salat- Baroux, commissaire du gouvernement, dans CE, 29 janvier 1999, n° 197371). Or, en l’espèce, il est constant que le conseil municipal de la commune de Lanobre a perdu le tiers de ses membres, de sorte qu’il doit être procédé à son renouvellement dans les trois mois de la dernière vacance en vertu de l’article L. 270 du code électoral.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation de la désignation de M. X. en qualité de conseiller municipal de la commune de Lanobre.