Groupe fiscal intégré : en cas de rectification du résultat d’une filiale, nécessité d’informer la société mère

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 22LY01178 – SAS Financière CBL – 01 février 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY01178

Numéro Légifrance : CETATEXT000049155961

Date de la décision : 01 février 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Groupe fiscal intégré, Intégration fiscale, Article 223 A du code général des impôts, R. 256-1 du livre des procédures fiscales, Articles 223 C et 223 E du code général des impôts

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Il résulte des dispositions de l’article 223 A du code général des impôts qu'alors même que la société mère d'un groupe fiscal intégré s'est constituée seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats des différentes sociétés du groupe, celles-ci restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats et que c'est avec ces dernières que l'administration fiscale mène la procédure de vérification de comptabilité et de redressement, dans les conditions prévues aux articles L. 13, L. 47 et L. 57 du livre des procédures fiscales.

Les redressements ainsi apportés aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent cependant les éléments d'une procédure unique conduisant d'abord à la correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom. Pour informer, préalablement à cette mise en recouvrement, la société mère des conséquences des redressements notifiés aux sociétés membres du groupe, aucune disposition n'impose à l'administration fiscale de suivre les règles procédurales prévues à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

Toutefois, dans le cas où les conséquences de la rectification des résultats d’une société membre du groupe se traduisent par l’absence d’établissement d’imposition supplémentaire au titre de l’exercice concerné, compte tenu notamment de son caractère déficitaire, et qu’elles ont vocation à affecter le résultat d’ensemble du groupe lorsque celui-ci redevient bénéficiaire au titre d’un exercice postérieur, l’administration fiscale est tenue d’adresser à la société mère du groupe la proposition de rectification prévue par les dispositions de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, afférente au premier exercice au cours duquel le résultat d’ensemble est redevenu bénéficiaire.

Rectification du résultat d’une filiale – Information devant être donnée à la société mère (R. 256-1 du livre des procédures fiscales)1 – Principe – Fourniture avant la notification de l’avis de mise en recouvrement – Imputation des reports déficitaires sur le résultat d’ensemble ( ) au titre d'un exercice ultérieur correspondant au premier exercice bénéficiaire de l'entreprise – Nécessité d’adresser à la société tête de groupe la proposition de rectification par les dispositions de L. 57 du livre des procédures fiscales au titre de ce premier exercice bénéficiaire2 – Privation d’une garantie3

19-04-01-04-03, Contributions et taxes, Impôts sur les revenus et bénéfices, Règles générales, Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales, Détermination du bénéfice imposable, Groupes fiscalement intégrés

Notes

1 Rappr., s’agissant du droit de la société mère fiscalement intégrée à être informée des conséquences, pour le groupe, des redressements dont a fait l'objet sa filiale, CE, 7 février 2007, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ société Weil Besançon, n° 279588, p. 52. Retour au texte

2 Solution appliquée dans un cas de figure similaire : seule la proposition de rectification la proposition de rectification afférente au premier exercice au cours duquel le résultat d’ensemble est redevenu bénéficiaire et nécessairement adressée à la société tête de groupe doit être regardée comme arrêtant les intérêts de retard au sens de l’article 1727 du code général des impôts CE, 5 novembre 2021, SA Elior Group c\ ministre de l’économie, des finances et de la relance, n°431747, B Retour au texte

3 Cf. CE, Section, 16 avril 2012, n° 320912, p. 149. Retour au texte

Groupe fiscal intégré : l’obligation d’engager la procédure de rectification contradictoire avec la société mère en cas d’apparition d’un supplément d’impôt au titre d’un exercice ultérieur

Marwa Mzati

Elève avocate au barreau de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9556

« Forte du caractère régalien de sa mission, l’administration fiscale a traditionnellement entretenu avec des usagers qualifiés ‘d’assujettis’ des relations fortement teintées d’unilatéralisme » (Les relations entre les contribuables et l’administration fiscale, Conseil des impôts, 20ème Rapport au Président de la République, 1er novembre 2002, p.9.). Malgré les évolutions juridiques fiscales et les « tentatives de réconciliation de ce couple désuni », (Louit (C.), « Les relations entre l’administration fiscale et le contribuable », Études offertes à Pierre Kayser, t.2, PUAM, 1979, p. 177.), ce constat n’a guère changé.

L’article 27 de l’ordonnance n°2004-181 du 25 mars 2004 relative à des mesures de simplification en matière fiscale, complétée par les décrets n°2004-282 et 2004-283 du 25 mars 2004, a opéré un changement « terminologique » en substituant aux intitulés relatifs à la « notification de redressement » et à « la procédure de redressement contradictoire » les termes de « proposition de rectification » et de « procédure de rectification contradictoire ». Devrait-on se réjouir de cette fausse évolution ? La réponse devrait être nécessairement nuancée car il s’agit d’un changement réduit à « néant » dès lors qu’il est précisé dans le Bulletin Officiel des Impôts le concernant que « ces modifications terminologiques n’emportent pas d’incidence sur le déroulement et le contenu des procédures de contrôle fiscal. Elles s’inscrivent dans le cadre des engagements pris par la Direction Générale des Impôts d’améliorer l’acceptation des contrôles par les usagers. La formulation retenue traduit plus fidèlement la volonté de l’administration d’engager un dialogue avec le contribuable ». (NOR : ECO L0400069 J/ N°84 du 18 mai 2004). L’ouverture du dialogue entre la DGI et les contribuables n’est toutefois envisagée que par le prisme de la proportionnalité de l’action de l’administration au but recherché. L’on revient ici sur le point d’équilibre – très souvent inatteignable – entre les garanties accordées aux contribuables, d’une part, et les moyens employés par l’administration publique au nom de l’intérêt général et de la protection de l’ordre public, d’autre part. Il s’agit là d’une affaire de mise en balance.

On l’aura compris, l’exigence du dialogue reste relative. La mise en place d’un contrôle « pondéré » a toujours été entamée sous l’emprise d’une procédure contraignante. Il est certain que quand l’administration fiscale décide de procéder à des rehaussements, elle se contente de modifier la situation financière du contribuable. Dans ce cadre, le droit à « l’expression » lui permet de faire valoir ses arguments. En principe, tout rehaussement doit faire l’objet d’une procédure de rectification contradictoire, qu’il s’agisse de la constatation d’une insuffisance, d’une inexactitude, d’une omission ou d’une dissimulation. La nature des manquements constatés et les circonstances de leur découverte n’ont aucune incidence sur l’obligation de respecter la procédure de rectification contradictoire (BOI-CF-IOR-10-10. 31/01/2020). Lorsque la procédure contradictoire est appliquée, l’administration fiscale doit informer le contribuable du montant des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications réalisées. Le manquement à cette obligation d’information entache d’irrégularité l’intégralité de la procédure d’imposition, par voie de conséquence, une telle irrégularité entraîne la décharge des impositions mises à la charge du contribuable. Ce processus se complexifie d’autant plus lorsqu’il s’agit des relations nées d’une pluralité de liens à raison d’un même objet fiscal, tel est le cas par exemple du régime des sociétés de personnes ou comme le cas d’espèce, du régime de l’intégration fiscale.

Le régime de l’intégration fiscale est un régime d’optimisation fiscale. Il permet à une société mère et ses filiales de former un groupe fiscal unique, et de bénéficier d’avantages fiscaux, dont l’un des plus importants est celui de la compensation des bénéfices et des pertes entre les membres du groupe, ouvrant ainsi les possibilités d’une réduction de la charge fiscale globale. Les sociétés intégrées sont considérées comme des sujets fiscaux à part entière, dans la mesure où elles doivent déclarer leurs résultats propres. À ce titre, les procédures de vérification de comptabilité doivent être menées avec elles, selon les règles posées par l’article L. 57 du Livre des procédures fiscales (LPF). Par ailleurs, c’est le résultat d’ensemble du groupe, issu de l’agrégation de l’ensemble des résultats des sociétés intégrées, qui est soumis à l’impôt sur les sociétés. C’est dans ce cadre que le présent arrêt nous apporte quelques précisions portant essentiellement sur les garanties procédurales offertes à la société tête du groupe fiscal intégré.

En l’espèce, la société Badeyloc – une société fiscalement intégrée dont la société mère est la SAS Financière CBL – qui exerce une activité de location de longue durée du matériel industriel, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur l’ensemble de ses déclarations fiscales sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, et jusqu’au 31 août 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l’issue de cette vérification, elle a fait l’objet d’une rectification au titre de l’exercice 2015 dont seul reste en litige un rehaussement de 166 860 euros de son résultat imposable à l’impôt sur les sociétés, en raison de la remise en cause de la déductibilité de charges à payer correspondant aux loyers de crédit-bail. Au titre de l’année 2015, aucun supplément d’impôt n’a été dû au niveau de l’intégration fiscale du fait des déficits constatés. Les cotisations supplémentaires de d’impôt sur les sociétés en découlant ont été mises à la charge de la SAS Financière CBL, société mère d’intégration fiscale, au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2017, premier exercice bénéficiaire. Par un courrier du 11 septembre 2018, l’administration fiscale a informé la SAS Financière CBL des rectifications dont la société Badeyloc avait fait l’objet et du montant des droits de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés dont elle était redevable, en sa qualité de société mère du groupe fiscal intégré. Un avis de mise en recouvrement a été notifié à la société mère le 16 octobre 2018 pour un montant en droits de 61 095 euros. La SAS Financière CBL a contesté les impositions supplémentaires mises à sa charge. Sa réclamation ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Lyon, qui, par un jugement du 1er mars 2022 a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses. Dès lors, elle a soumis le litige à la cour administrative d’appel de Lyon. En appel, la SAS Financière CBL a soulevé un moyen nouveau, tiré de l’irrégularité de l’opération d’imposition. Elle soutenait que les impositions litigieuses devaient faire l’objet de la proposition de rectification contradictoire, prévue à l’article L. 57 du LPF et non de la simple lettre d’information prévue à l’article R. 256-1, alinéa 4 du LPF.

La question posée par cet arrêt apparaît classique s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur l’administration à l’égard d’une société mère d’un groupe fiscal intégré, néanmoins, elle est problématique s’agissant de la procédure de rectification poursuivie en cas de l’apparition des suppléments d’impôt au titre d’un exercice ultérieur. Faudrait-il informer tout simplement la société mère, étant seule redevable de l’impôt sur les sociétés, et faire application pure et simple des dispositions de l’article R. 256-1 du LPF ? Ou, faudrait-il considérer qu’au vu du particularisme du mécanisme du report en avant des déficits, qui conduit à des suppléments d’impôt sur des exercices ultérieurs, la procédure de rectification contradictoire doit être menée avec la société mère ? Plus simplement, l’administration fiscale était-elle tenue, dans ces conditions, d’adresser une lettre d’information ou d’engager une procédure de rectification contradictoire avec la société tête du groupe ?

Pour la cour, aucune lecture ne s’imposait d’emblée au vu de la lecture de ces deux articles. Il fallait rechercher par le biais des lumières offertes par la jurisprudence et d’adopter une solution par analogie. Assurément, la solution empruntée par la cour administrative d’appel de Lyon devrait être originale sur le plan procédural.

Par un arrêt du 1er février 2024, coté C+, la cour administrative d’appel de Lyon a accueilli la demande de la SAS Financière CBL en prononçant la décharge totale des impositions litigieuses. La cour, après avoir rappelé les dispositions encadrant le régime de l’intégration fiscale et le régime du report en avant des déficits (I.), a estimé que lorsque le rehaussement du résultat d’une filiale ne se traduit pas par l’établissement d’un supplément d’impôt au titre du même exercice mais au titre d’un exercice ultérieur, la proposition de rectification afférente au premier exercice au cours duquel le résultat d’ensemble est devenu bénéficiaire doit être adressée à la société tête du groupe (II.). Inédit, l’arrêt commenté a réussi le prodige de concilier les deux fronts de bataille : rigueur procédurale et préservation des garanties offertes aux contribuables leur permettant de contester utilement le bien-fondé des impositions mises à leur charge.

I.Le régime de l’intégration fiscale et le mécanisme du report en avant des déficits : le déploiement d’une approche compensatrice des résultats fiscaux

Institué par l’article 68 de la loi de finances pour 1988, le régime de l’intégration fiscale permet à une société mère à se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés à raison du résultat d’ensemble réalisé par le groupe qu’elle forme avec les filiales dont elle détient directement ou indirectement au moins 95% du capital. Ce régime est encadré par les articles 223A à 223 U du Code général des impôts. Les sociétés membres du groupe ne dégagent aucun résultat imposable et ne sont redevables d’aucun impôt. Toutefois, chaque filiale composant le groupe reste tenue de calculer et de déclarer son résultat fiscal, comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 223 A du CGI. Celui-ci fera l’objet par la suite d’une imposition au niveau de la société tête du groupe. ( CE, 7 février 2007, Min. c. Sté Weil Besançon, n° 279588, au Recueil Lebon.). À ce stade, il convient de préciser que dans le cadre de l’intégration fiscale, le résultat d’ensemble du groupe est déterminé en application de deux principes : d’une part, l’ agrégation des résultats dégagés par les sociétés membres, c’est-à-dire, la société mère détermine un résultat d’exploitation du groupe, égal à la somme algébrique des résultats présentés par chaque société, et une plus ou moins-value nette d’ensemble calculée selon les mêmes modalités ; d’autre part, la neutralisation de certaines opérations internes au groupe, c’est-à-dire, celles réalisées par une société figurant dans le périmètre d’intégration et qui trouvent leur contrepartie dans le résultat, ou au bilan d’une autre société (à titre d’exemple : les cessions d’immobilisations ‘plus-values’, certains abandons de créances, les distributions de dividendes ‘quote-part de frais et charges’…). Dans cette chaîne, la société mère supporte au regard des droits et pénalités les conséquences des infractions commises par les sociétés membres du groupe.

Revenons à la détermination des résultats imposables soumis à l’impôt sur les sociétés. Si le résultat d’ensemble est bénéficiaire, celui-ci est soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions du droit commun. Au cas contraire, si le résultat est déficitaire, la société tête du groupe bénéficie des mécanismes du report en avant ou en arrière (Carry back) des déficits. Nous nous limiterons nos précisions au premier cas. Selon les dispositions de l’article 209 du CGI, le déficit subi pendant un exercice est considéré comme « une charge de l’exercice suivant » et déduit du bénéfice réalisé pendant cet exercice. En cas du bénéfice insuffisant permettant de procéder intégralement à la déduction, l’excédent du déficit sur le bénéfice peut être reporté sur les exercices suivants. Depuis la suppression de la prescription quinquennale des déficits par la loi de finances pour 2004 (Loi de finances n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 pour 2004, article 89.), les déficits issus d’un exercice antérieur sont reportables sans limite de temps. Dans ce cadre, lorsque le résultat d’ensemble d’un exercice est déficitaire, le déficit d’ensemble est reportable sur le bénéfice d’ensemble des exercices postérieurs selon les modalités précisées respectivement au deuxième alinéa de l’article 223 C du CGI et à l’article 223G du même code. (BOI-IS-GPE-30-10 du 11/08/2021.). Autrement dit, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sur lesquels s’opère l’imputation des déficits sont déterminés selon les règles applicables en matière de bénéfices industriels et commerciaux (article 209-I-al. 1 du CGI). Plus précisément, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par l’entreprise. Dans ce sens, l’article 39 du CGI prévoit que le bénéfice net servant d’assiette d’impôt sur les sociétés est établi sous déduction de toutes les charges. (BOI-IS-DEF-10-30 du 10/04/2013.).

En l’espèce, la société Badeyloc, société membre de l’intégration fiscale, a inscrit en comptabilité au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2015 une charge intitulée « charges à payer début de contrat », d’un montant de 166 860 euros, correspondant en réalité aux mensualités futures de loyers de crédit-bail dont elle devra s’acquitter les années ultérieures. Sans entrer dans les détails de la nature d’une telle charge, dès lors que ce moyen n’a pas fait l’objet d’un examen particulier par la cour administrative d’appel de Lyon du fait de l’irrégularité de la procédure d’imposition, conduisant ainsi la cour à prononcer la décharge totale des impositions litigieuses, cette charge a été réintégrée par l’administration fiscale dans le résultat d’ensemble imposable au titre du même année, suite aux opérations du contrôle. Cette réintégration a eu pour conséquence de réduire le déficit reportable dont disposait la SAS Financière CBL, société mère de l’intégration fiscale, à la clôture des exercices clos en 2015 et 2016, et de faire apparaître un bénéfice imposable au titre de l’exercice clos en 2017, premier exercice devenu bénéficiaire. Ce saut temporel dû à l’application du mécanisme du report en avant des déficits a conduit la cour, dans le présent arrêt, à regarder d’un œil neuf l’obligation d’information qui pèse sur l’administration à l’égard de la société tête du groupe fiscal intégré, en cas de rectification de la base imposable de l’une de ses filiales. L’unification de l’impôt au sein du régime de l’intégration fiscale, mise à la charge de la société mère seule redevable de cet impôt, ne saurait occulter la complexité des procédures du contrôle fiscal. Cette complexité n’est pas inconnue de la jurisprudence administrative.

II.La société mère du groupe fiscal intégré bénéficiaire de la proposition de rectification en cas d’apparition d’un supplément d’impôt portant sur un exercice ultérieur

L’article R. 256-1 prévoit que « l'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsqu'en application des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts la société mère d'un groupe est amenée à supporter les droits et pénalités résultant d'une procédure de rectification suivie à l'égard d'une ou de plusieurs sociétés du groupe, l'administration adresse à la société mère, préalablement à la notification de l'avis de mise en recouvrement correspondant, un document l'informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle est redevable. L'avis de mise en recouvrement, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document ». Cet article prévoit l’obligation d’adresser à la société tête du groupe, à la suite d’une rectification dont a fait l’objet l’une des sociétés membres de ce même groupe et préalablement à la notification de l’avis de mise en recouvrement correspondant, « un document l’informant du montant global par impôt des droits et pénalités et des intérêts de retard…».Le défaut d’information de la société mère entraîne la décharge des suppléments d’impôt. Le document établi par l’administration doit mentionner le montant des droits résultant des rehaussements. Cette communication n’a pas la nature d’une proposition de rectification, l’administration n’est donc pas tenue de respecter la procédure contradictoire.

Le document visé par l’article R. 256-1, concerne notamment le montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard. Il faut bien en déduire, dans un premier temps, que l’application dudit article ne concerne que les seuls cas des rehaussements qui ont pour conséquence d’opérer un supplément d’impôt. Ce constat est d’ailleurs discutable plus que convaincant. Toutefois, le comble de la complexité de cette affaire est de préciser l’articulation des obligations procédurales du dialogue et d’information lorsque les suppléments d’impôt portent sur un exercice ultérieur. Sur cette question, un pas supplémentaire a été franchi par la cour.

Dans un second temps, nous rappelons qu’avant que l’article R. 256-1 ne soit modifié par le décret 2004-1469 relatif au contenu des avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2004, aucune disposition ne prévoyait cette obligation d’information. L’administration fiscale n’avait pas opté pour une approche excessivement formaliste quant à cette obligation d’information préalable. Sur ce point, et avant 2004, dans sa doctrine, l’administration fiscale considérait que les services fiscaux ne sont pas tenus d’informer la société mère des redressements notifiés aux filiales, et qu’elle disposait de la faculté de mettre en recouvrement directement l’imposition établie au nom de la société mère sans lui adresser une notification (BOI-13L-2-95, 3 mars 1995, Doc. Adm. 13 L-143, 17, 1er juillet 2002). En ce sens, l’administration fiscale semble avoir opéré une application très souple des obligations prévues par l’article R.256-1 du LPF. Cette démarche a été remise en cause par le Conseil d’État depuis 1999 (CE, 18 juillet 1999, min c/ SARL « F.F.A. Azan n° 175786 au Recueil Lebon.). Même avant cette date, la procédure de notification des avis de mise en recouvrement (titres exécutoires) et leur contenu, ont fait l’objet d’une jurisprudence constante. À titre d’exemple, si les éléments du calcul des redressements avaient été largement modifiés en cours de procédure, l’AMR devait renvoyer à la réponse aux observations du contribuable (CAA Paris, 29 septembre 1995, n° 95PA00779). Dans un autre cas, l’AMR a été jugé irrégulier lorsque le document auquel il faisait référence était sans rapport avec les éléments du calcul et le montant des droits et pénalités mis en recouvrement ; soit parce qu’il a été largement modifié dans la suite de la procédure (CAA Lyon, 21 janvier 1998, n° 95LY01588.), soit parce qu’il a fait référence pour l’ensemble des impositions à une notification qui ne visait qu’une période d’imposition (CAA Paris, 10 juin 1997, n° 96PA00495, CE, 28 juillet 1999, n° 175786, Recueil Lebon, CAA Lyon, 9 juin 1997, n°94LY01544). Afin de combler cette lacune, le Conseil d’État est entré de plain-pied dans le contrôle des procédures d’information et du dialogue entre le contribuable et l’administration fiscale. De manière plus spécifique, le juge administratif a imposé à l’administration fiscale d’informer la société tête du groupe des conséquences des procédures de rectification sur le résultat d’ensemble. Ce mouvement a été initié par deux décisions des 7 février 2007 (CE, 7 fevrier 2007, Min. c/ Sté Weil Besançon, n° 279588, au Recueil Lebon.), et 19 novembre 2008 (CE, 19 novembre 2008, min c/Sté Tipiak, n° 279588, au Recueil Lebon.). Dans ces décisions, il avait été rappelé dans les considérants de principe la dichotomie qui sous-tend l’article 223 A du CGI : seule la société tête du groupe est redevable de l’impôt sur les sociétés, mais les procédures de vérification de comptabilité et de rectification doivent être conduites avec chacune des sociétés concernées du groupe, dans les conditions prévues aux articles L. 13, L. 47 et L. 57 du LPF. Si ces décisions sont notables, ne serait-ce que parce que le juge administratif est allé bien au-delà des exigences de l’article R. 256-1 du LPF, même dans sa version issue du décret de 2004 qui n’exige qu’une information minimale de la société mère portant sur le montant global par impôt des droits, pénalités et intérêts de retard dont elle est redevable. Dans sa décision SA Financière Snop Dunois, le Conseil d’État a estimé que la procédure est irrégulière et entraîne la décharge des redressements lorsque l’administration fiscale se contente de porter à la connaissance de la société mère les modifications apportées aux résultats déclarés par la société intégrée vérifiée, dès lors qu’elle ne récapitule pas les conséquences sur le résultat d’ensemble des redressements notifiés (CE, 9° et 10° ss-sect., 12 octobre 2011, Sté Financière Snop Dunois, n° 325619, au Recueil Lebon.). Une application particulièrement poussée avait été appliquée lorsque sont en cause les pénalités de retard (CE, 10 décembre, 2021, min c/ SA BNP Paribas, n°449637, au Recueil Lebon). Cette posture/position adoptée par le juge administratif, dans le cadre de son contrôle des procédures d’imposition, s’explique par sa volonté de rester fidèle à une approche protectrice des droits du contribuable et d’offrir de garanties complémentaires à celles prévues par la voie législative ou réglementaire. Dans le régime du groupe fiscal intégré, la procédure de rectification contradictoire se déroule avec la société intégrée et c’est principalement elle qui est appelée à présenter ses observations sur les impositions mises à sa charge. L’information donnée ensuite à la société tête du groupe a pour seul objectif de la mettre à même de présenter une réclamation contentieuse, après la mise en recouvrement. Ce n’est pas ce qu’envisage appliquer la cour administrative d’appel de Lyon au cas d’espèce. Par le présent arrêt, le juge administratif s’est engagé d’offrir une garantie supplémentaire à la société tête du groupe qui ne participe pas aux procédures de rectification de ses filiales, et qui demeure redevable des rappels et des suppléments d’impôt. Une garantie de nature à tempérer le particularisme du régime de l’intégration fiscale, et la difficulté d’articuler le rôle des sociétés intégrantes avec celui des filiales.

En l’espèce, la société SAS financière CBL soutenait en appel que la procédure d’imposition était irrégulière dès lors que l’information de la réduction du déficit d’ensemble de l’exercice clos le 31 décembre 2015, ayant conduit à une cotisation supplémentaire de l’impôt sur les sociétés au niveau du groupe au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2017, soit deux ans plus tard, ne pouvait relever des seules dispositions de l’article R. 256-1 du LPF, mais aurait dû faire l’objet d’une proposition de rectification en application des dispositions de l’article L. 57 du même livre. Dans ce cadre, la solution prônée par la jurisprudence Weil-Besançon selon laquelle : « alors même que la société mère d’un groupe fiscal intégré s’est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés du sur le résultat d’ensemble du groupe (…), les société membres du groupe, qui restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats, conservent leur personnalité fiscale et c’est avec elle que l’administration fiscale mène les opérations de contrôle et de rectification. Les rectifications apportées aux résultats des sociétés intégrées constituent toutefois les éléments d’une procédure unique, qui conduit d’abord à la correction du résultat d’ensemble du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d’impôt établis au nom de la société mère sur les rehaussements de ce résultat » a été écartée par la cour. Le moyen soulevé par l’appelante tiré de l’irrégularité de la procédure d’imposition a été accueilli sur la base d’une argumentation empruntant pour partie, à la décision Elior Groupe, quelques précisions. Dans cette décision, la Rapporteure publique, Mme É. Bokdam- Tognetti avait précisé que : « lorsque le rehaussement du résultat d’une filiale – qu’il soit bénéficiaire ou déficitaire – au titre d’un exercice N-3 ne se traduit pas par l’établissement d’un supplément d’IS dû par la mère du groupe au titre de ce même exercice, le résultat d’ensemble demeurant déficitaire après la rectification, ce rehaussement ne donne lieu au paiement d’aucun intérêt de retard par la tête de groupe au titre de cet exercice. En pareil cas, des intérêts de retard ne seront dus, le cas échéant, par la société mère du groupe qu’au titre de la créance d’IS de l’exercice ultérieur (par exemple N-1) au cours duquel le résultat d’ensemble redevient bénéficiaire. Ces intérêts, qui s’appliquent à compter de la date qui était impartie à la mère pour la déclaration et le paiement de l’IS de cet exercice, doivent alors courir, non pas jusqu’à la date à laquelle la rectification du résultat individuel de l’exercice N-3 avait été notifiée à la fille, mais jusqu’à la date à laquelle l’administration fiscale adresse à la tête de groupe la proposition de rectification lui notifiant le rehaussement du résultat d’ensemble N-1 redevenu bénéficiaire et se traduisant par un supplément d’impôt ou, si ce paiement intervient avant l’envoi de cette proposition de rectification, jusqu’à la date à laquelle la mère régularise sa situation par le paiement effectif de l’insuffisance d’impôt initiale  ». Par conséquent, « compte tenu de ces règles, il n’existe, en principe, qu’une seule proposition de rectification, celle adressée à la société dont le bénéfice est rectifié. C’est donc cette proposition qui marquera le terme du décompte des intérêts de retard mis à la charge de la société tête de groupe. Mais, cette règle ne peut trouver à s’appliquer que lorsque les conséquences de la rectification sont tirées au niveau du groupe au titre du même exercice. Lorsque, comme au cas d’espèce, la rectification réduisant le bénéfice d’une des sociétés intégrées ne se traduit par une imposition supplémentaire au niveau du groupe que 2 ans plus tard, l’administration devra notifier une nouvelle proposition de rectification. Dans ce cas, comme l’a fait valoir le rapporteur public, cette proposition ne peut être adressée qu’à la société tête de groupe, seule directement concernée par la mise en recouvrement de l’imposition supplémentaire ». (É. Bokdam- Tognetti, Commentaire 205, Revue Droit Fiscal, n° 16, 21 avril 2022. CE, 5 novembre 2021, n°431747, au Recueil Lebon.). Dans cette décision, bien que la question posée soit portée sur les règles de computation des intérêts de retard, elle a apporté une pierre à l’édifice en rappelant les règles applicables en cas de redressements apportés aux résultats déclarés en application du mécanisme du report des déficits. Dans une telle hypothèse, si la rectification au titre d’un exercice clos N n’a entrainé aucun supplément d’impôt sur les sociétés au niveau du résultat d’ensemble du même exercice, l’administration fiscale est tenue d’adresser une proposition de rectification à la société mère, au titre de l’exercice clos en N+2 ou N+x, premier exercice devenu bénéficiaire. Un raisonnement cohérent avec celui dégagé par cette décision a été adopté par la cour.

En l’espèce, la société intégrante s'est vu notifier, en sa qualité de société mère du groupe et seule redevable de l'impôt sur les sociétés, une lettre n°751 en date du 11 septembre 2018, l'informant des conséquences du contrôle de la société Badeyloc, société membre, sur son résultat d'ensemble qui a conduit à la réduction des déficits reportables au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, premier exercice bénéficiaire déclaré par l’appelante. Une proposition de rectification a été adressée à la société Badeyloc au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2015, aucun droit ni pénalité n'ayant été notifiés au titre de l'exercice, déficitaire, clos en 2015. Dans la même lettre d’information, il avait été indiqué le montant des droits dus par la société mère du groupe fiscal intégré, au titre du résultat d’ensemble de l’exercice clos au 31 décembre 2017. Par des motifs explicites, la cour a estimé que la réduction du déficit d'ensemble de l'exercice clos au 31 décembre 2015 a conduit à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2017, premier exercice au cours duquel le résultat d'ensemble du groupe est redevenu bénéficiaire. Après avoir rappelé dans son point 4 la jurisprudence Weil-Besançon, elle a estimé que dans le cas où les conséquences de la rectification des résultats d’une société membre du groupe se traduisaient par l’absence de l’établissement d’impositions supplémentaires au titre de l’exercice concerné, compte tenu de son caractère déficitaire, et qu’elles ont vocation à affecter le résultat d’ensemble du groupe lorsque celui-ci redevient bénéficiaire au titre d’un exercice postérieur, l'administration fiscale était tenue, en application des dispositions de l'article L. 57 du Livre des procédures fiscales, d'adresser à la société mère une proposition de rectification concernant les rectifications qui ont concerné le résultat du groupe au titre de l'exercice clos en 2017. Il n’était pas contesté que l'administration n'a pas adressé une telle proposition de rectification à la société appelante. Dans ces conditions, la cour ne pouvait pas conclure à la régularité de la procédure de vérification conduite en matière de l’impôt sur les sociétés en application de l’article R. 256-1 du LPF. Elle a estimé que la société appelante était fondée à soutenir qu'elle a été privée d'une garantie justifiant la décharge des impositions et pénalités en litige.

Il est clair que l’administration fiscale s’est trompée d’arme. À supposer même que le juge administratif ait parfois fait preuve du pragmatisme en matière de la régularité de la notification d’actes de procédures en matière fiscale, la position de la cour administrative d’appel de Lyon semble rester fidèle à une approche plutôt protectrice des garanties accordées aux contribuables soumis aux régimes d’imposition complexes et superposés. Cela renforce, du point de vue de l’examen des procédures d’imposition, les garanties apportées par le législateur quant aux obligations qui pèsent sur l’administration et qui visent essentiellement à garantir les droits de défense du contribuable dans la mesure où le défaut d’information est de nature à le priver de garanties lui permettant de contester utilement les impositions mises à sa charge. Une telle irrégularité n’était pas susceptible d’être neutralisée (en application de la jurisprudence : CE, 16 avril, 2012, n° 320912, au Recueil Lebon), et a conduit par conséquent d’entacher d’irrégularité la procédure d’imposition. Si l’hésitation était permise, la solution adoptée par la cour paraît amplement justifiée et n’a pas manqué de rigueur sur les conséquences à tirer des violations des garanties procédurales lors du contrôle fiscal. Cela ouvre au contribuable la possibilité de discuter et de contester utilement le bien-fondé des impositions mises à charge.

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