Un principe de l’estoppel inversé ?

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Décision de justice

TA Grenoble – N° 2000370-2000372 – 23 février 2024 – C+

Juridiction : TA Grenoble

Numéro de la décision : 2000370-2000372

Date de la décision : 23 février 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Procédure administrative contentieuse, Procédure contradictoire de la procédure, Contradiction d’une partie en cours d’instance

Rubriques

Procédure

Résumé

Aucun principe général n’impose au juge administratif de faire droit à une demande d’une partie tendant à écarter des débats, les mémoires ainsi que les pièces qu’elle a présentés valablement au contradictoire avant qu’elle ne se contredise.

Le tribunal administratif de Grenoble a été saisi de conclusions d’une partie défenderesse tendant à ce qu’il soit donné acte de son acquiescement aux conclusions et aux faits tels que présentés par le requérant et, par voie de conséquence, à ce que son précédent mémoire en défense par lequel elle avait initialement conclut au rejet de la requête et les pièces produites soient écartés de la procédure.

Il a jugé que s’il n’existait pas, dans le contentieux de la légalité, de principe général en vertu duquel une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d’une autre partie, à l’inverse, aucun principe général n’imposait au juge administratif, à qui il appartient de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l’examen d’une affaire, d’écarter des débats les mémoires et les pièces produits par cette partie et valablement soumis au contradictoire avant qu’elle ne se contredise.

Dès lors, le premier mémoire de la partie défenderesse et les pièces qui l’accompagnaient pouvaient être pris en compte par le tribunal pour apprécier la légalité des actes attaqués.

1135-01, Collectivités territoriales, Dispositions générales
39-08, Marchés et contrats administratifs, Règles de procédure contentieuse spéciales
54-04-03-01, Procédure, Instruction, Caractère contradictoire de la procédure, Communication des mémoires et pièces

Notes

1 Rappr, CE, 1er avril 2010, n°334465, A, absence de principe de l’estoppel en contentieux fiscal ; CE, 2 juillet 2014, n°368590, A, absence de principe de l’estoppel en contentieux de la légalité. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Mathieu Heintz

rapporteur public au tribunal administratif de Grenoble

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DOI : 10.35562/alyoda.9470

Par une délibération du 17 mai 2010, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a décidé de l’acquisition d’un terrain bâti de près de 7,81 hectares accueillant un village vacances « Vallée Haute » dit « E. » pour un montant de 5 763 670 euros.

Par une délibération du 1er mars 2012, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé le principe d’une cession de ce terrain à hauteur de 6 000 000 d’euros.

Par une délibération du 25 juin 2015, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé le compromis de vente à passer avec la société d’aménagement de la Savoie, société d’économie mixte, pour la vente de 7,7 hectares de ce tènement au prix de 6 000 000 d’euros net afin que des constructions de divers types, pour une surface bâtie de 7 400m², soient réalisées dans la continuité de la zone d’aménagement concerté des Alpins.

Le compromis de vente du 30 juin 2015 prévoit le versement d’acomptes à la charge de la société d’aménagement de la Savoie à hauteur de 450 000 euros, six mois après la signature du compromis de vente, de 1 100 000 euros un an après la signature du compromis de vente, de 2 225 000 euros en 2017 et le solde à la fin de l’opération le 30 décembre 2019.

Par une délibération du 2 août 2018, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a, d’une part, approuvé des modifications au compromis de vente, dont une réduction de la surface du tènement vendu à 7,43 hectares et, d’autre part, acté de la participation de la commune à hauteur de 1 500 000 d’euros aux frais de démolition et de désamiantage évalué à hauteur de 3 000 000 d’euros à la suite de la réalisation de diagnostics.

Cette délibération a été abrogée par une délibération du 1er août 2019 au motif que la « collectivité souhaite modifier en profondeur le projet du quartier du Renouveau afin de ne pas compromettre la commercialisation des logements programmés dans la ZAC du quartier des Alpins. Ce projet doit, par conséquent, être complétement revu en prévoyant une part de logements individuels beaucoup plus importante ».

Par une délibération n°5.1 du 14 novembre 2019, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a constaté la caducité du compromis de vente du 30 juillet 2015 du fait de l’absence de réalisation des conditions suspensives, en particulier de celle portant sur l’obtention des autorisations administratives définitives, et autorisé le maire à restituer à la société d’aménagement de la Savoie les deux acomptes versés d’un montant total d’1 550 000 euros. Par une délibération n°1.9 du même jour, le conseil municipal a approuvé la décision modificative n°3 du budget principal pour l’exercice 2019 afin notamment d’intégrer ce montant de 1 550 000 euros dans les dépenses d’investissement.

Par une délibération n°5.2, également du 14 novembre 2019, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé la convention de portage financier des travaux de démolition et de désamiantage réalisés par la société d’aménagement de la Savoie et a autorisé le maire à la signer.

Par deux requêtes, M.A. qui était alors conseiller municipal d’opposition avant de devenir maire de la commune, vous demande l’annulation de ces trois délibérations.

Nous prononcerons des conclusions communes sur ces deux requêtes.

Au titre des questions préalables, et tout d’abord, vous devrez rejeter comme étant irrecevables les conclusions de la requête n° 2000372 dirigées contre la délibération autorisant le maire de la commune à signer la convention de portage, délibération qui n’aurait pu être contestée que par la voie du recours en contestation de validité du contrat postérieurement à sa signature.

Vous savez que par son arrêt d’Assemblée n° 291545 du 16 juillet 2007, société Tropic travaux signalisation Guadeloupe, le Conseil d’Etat a admis le recours direct de certains tiers contre les contrats administratifs.

Vous savez également que par son arrêt d’Assemblée n° 358994 du 4 avril 2014, Département du Tarn-et Garonne, le Conseil d’Etat a parachevé l’évolution amorcée par l’arrêt Tropic Travaux signalisation Guadeloupe, en ce qui concerne le recours en invalidation du contrat administratif ouvert aux tiers. Alors que le recours en contestation de validité avait été ouvert aux seuls concurrents évincés par l’arrêt Tropic, la décision Tarn-et Garonne ouvre ce recours explicitement au préfet et aux élus locaux ainsi qu’à tous les tiers – non nécessairement concurrent évincé – sous réserve d’un intérêt lésé.

Symétriquement, l’arrêt Tarn-et-Garonne a eu pour effet de fermer aux tiers (sauf pour le préfet) le recours pour excès de pouvoir contre les principaux actes détachables de la passation du contrat. En effet, cette décision prévoit expressément que les décisions relatives au choix du cocontractant, la délibération autorisant la conclusion du contrat et la décision de le signer ne peuvent être contestées qu’à l’occasion du recours en contestation de validité du contrat, une fois celui-ci signé. A défaut, les conclusions en excès de pouvoir contre l’une de ces décisions sont irrecevables (pour illustrer, cf. TA de Toulouse, 24 février 2020, n° 1802259 : irrecevabilité des conclusions aux fins d’annulation de la délibération autorisant le maire à signer une convention de servitudes).

Il convient de préciser que le champ d’application matériel du recours en contestation de validité du contrat concerne les contrats administratifs et non les seuls contrats de la commande publique.

Aussi, les tiers restent recevables à attaquer les actes détachables des contrats de droit privé dès lors qu’ils ne disposent pas d’une voie de recours devant le juge administratif contre ces contrats (CE, 27 octobre 2015, n° 386595, n° 390657, B).

En l’espèce, il y a donc lieu d’examiner si la convention de portage objet de la délibération attaquée est un contrat administratif.

Vous savez que la qualification d’un contrat administratif peut résulter soit de la loi, soit de l’application de critères jurisprudentiels.

Sont des contras administratifs au titre de la loi – principalement – les contrats de la commande publique, c’est-à-dire ceux passés en application ou qui auraient dû être conclus en application du code de la commande publique.

Parmi les contrats de la commande publique, un marché public est aux termes de l’article L. 1111-1 du code de la commande publique, un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent. Un marché public suppose donc la réunion :

- d’un critère organique : la présence d’une personne publique ;

- d’un critère lié à l’objet du contrat ;

- d’un critère financier : le contrat doit être conclu à titre onéreux.

Quant à la détermination du contrat administratif par des critères jurisprudentiels, elle suppose la réunion de deux critères :

- un critère organique qui réside dans la présence d’au moins une personne publique en tant que partie au contrat ;

- et un critère matériel qui résulte soit du caractère exorbitant des clauses du contrat, soit de la relation étroite du contrat avec le service public, ou enfin du lien entre le contrat et l’exécution de travaux publics.

En l’espèce, nous pensons que l’opération de désamiantage-démolition qui a été conduite en 2017 par la société d’aménagement de la Savoie (SAS) devait être regardée comme un marché public, qui dans les faits a été alors conclu oralement entre la commune de Bourg-Saint-Maurice et cette société.

Le critère organique ne pose pas de difficulté en soi, puisque le contrat est conclu par la commune de Bourg-Saint-Maurice. Quant à l’objet du contrat, il s’agissait alors de répondre aux besoins de la commune : la démolition et le désamiantage de biens dont elle est propriétaire, et la nécessité de protéger la salubrité publique en raison du risque de diffusion de l’amiante présente dans l’isolation extérieure des constructions. Et pour cela, la commune a confié oralement à un prestataire, la SAS, la réalisation de ces travaux. Et contrairement à ce qui est soutenu en défense, ce n’était pas le compromis de vente de 2015 qui fondait l’intervention de la SAS puisque celui-ci, en son article 6, lui interdisait expressément d’effectuer des travaux de quelle que nature que ce soit.

Cependant, aucune modalité financière n’avait été alors expressément prévue ou en tout cas ne ressort des pièces du dossier. C’est finalement l’objet de la convention litigieuse, dont l’article 2 et la note de présentation de la délibération qui autorise sa signature, disposent que la commune remboursera à la société le portage financier effectué par la SAS, soit lors de la revente des terrains, soit au plus tard, au terme de la convention. Autrement dit, sous couvert de remboursement, il s’agit en réalité du paiement différé à la SAS de l’ensemble des frais qu’elle a supportés pour les travaux de désamiantage et de démolition des constructions édifiées sur les parcelles communales.

Toutefois, compte tenu de la dissociation dans le temps du règlement financier de la prestation réalisée en 2017 et du caractère strictement financier de la convention litigieuse, plutôt que de requalifier l’opération globale en marché public, comme vous pourriez le faire, nous serions plutôt enclins à requalifier le contrat objet de la délibération attaquée en convention financière portant sur l’exécution de travaux publics, soit un contrat administratif par application des critères jurisprudentiels.

La jurisprudence définit le travail public comme un travail immobilier exécuté pour le compte d’une personne publique dans un but d’intérêt général (CE, 10 juin 1921, commune de Monségur, n° 45681 , Lebon p. 573, aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA); CE, 9 décembre 2016, ERDF, n° 395228, B).

Trois conditions doivent être réunis :

- la présence d’une personne publique ;

- des travaux immobiliers ;

- un but d’intérêt général.

Les travaux immobiliers doivent porter sur tout ou partie d’un immeuble appartenant à une personne publique ou devant lui revenir. Etant précisé que la domanialité, notamment privée, du bien en cause est indifférente à la qualification de la nature des travaux (CE, 4 mai 1988, commune de Villeneuve, n° 78403). Et le fait d’apporter une contribution financière pour l’exécution de travaux publics satisfait à cette condition (CE, 13 novembre 1981, n° 16504, A).

S’agissant du but d’intérêt général, l’acception de cette notion est large. Par exemple, des travaux réalisés dans l’intérêt de la sécurité publique répondent à un but d’intérêt général (CE, 28 octobre 1977, n° 000791, A). En revanche, n’ont pas ce caractère des travaux réalisés dans le seul intérêt commercial de la personne privée (CE, 2 octobre 1970, n° 74296, A).

En l’espèce, il s’agit bien de travaux immobiliers qui ont été réalisés pour le compte d’une personne publique.

Si un compromis de vente a été conclu en 2015 entre la commune de Bourg-Saint-Maurice et la SAS, en l’absence de réitération de la vente, les biens sont restés la propriété de la commune. Par ailleurs, les travaux de désamiantage et de démolition des constructions sont incontestablement des travaux immobiliers, et peu importe, comme nous l’avons dit, que les travaux soient effectués sur le domaine privé communal.

Sur le but d’intérêt général, la note de présentation de la délibération litigieuse expose que les bâtiments du centre de vacances « Le Renouveau » acquis par la commune étaient fortement pollués par l’amiante, notamment au niveau des enduits de façade. Elle précise également que, afin de permettre l’engagement du projet de construction et pour prévenir le risque de dispersion de l’amiante et de dégradation du site, il était nécessaire d’engager sans délai la démolition et le désamiantage complet des constructions, dont la société d’aménagement de la Savoie a assumé la responsabilité et le coût des travaux. S’il pouvait y avoir un intérêt commercial de la SAS à procéder rapidement à la démolition des constructions pour pouvoir revendre le terrain, l’engagement rapide des travaux de désamiantage et de démolition – qui n’étaient pas prévus ni même autorisés dans le compromis de vente – répondaient à un but de sécurité et de salubrité publique et donc à un but d’intérêt général.

Enfin, nous l’avons dit, le caractère strictement financier de la convention ne fait pas obstacle à sa qualification en contrat administratif dès lors que la contribution en cause porte sur l’exécution de travaux publics. Ce qui est le cas en l’espèce, comme nous venons de le démontrer.

En définitive, nous pensons que la convention litigieuse, malgré sa qualification et l’apparence qu’ont voulu en donner les parties, doit être regardée comme un contrat administratif conclu entre la commune de Bourg-Saint-Maurice et la société d’aménagement de la Savoie, portant sur l’exécution financière de travaux publics. Aussi, la délibération autorisant le maire de la commune à signer la convention de portage ne pouvait être contestée que par la voie du recours en contestation de validité du contrat postérieurement à sa signature. Les conclusions aux fins d’annulation de la délibération sont donc irrecevables et vous les rejetterez pour ce motif.

Nous allons examiner à présent les questions préalables à l’examen de la requête n° 2000370.

Pour mémoire, dans cette requête, M.A. vous demande d’annuler :

- d’une part, la délibération n° 5.1 du 14 novembre 2019 par laquelle le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint Maurice a autorisé le maire à restituer à la société d’aménagement de la Savoie deux acomptes pour un montant total de 1 550 000 euros ;

- d’autre part, la délibération n° 1.9 du 14 novembre 2019, par laquelle le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé la décision modificative n° 3 du budget principal pour l’exercice 2019 afin notamment d’intégrer ce montant de 1 550 000 d’euros dans les dépenses d’investissement.

Ces deux délibérations font suite au constat de la caducité du compromis de vente du 30 juillet 2015 entre la commune et la société d’aménagement de la Savoie en raison de la non réalisation de l’une de ses conditions relatives à l’obtention des autorisations administratives.

La société d’aménagement de la Savoie oppose une première fin de non-recevoir tirée de ce qu’aucune de ces deux délibérations ne ferait grief au requérant.

Cependant, il a été jugé que la délibération par laquelle l’assemblée délibérante d’une collectivité locale décide d’inscrire une dépense à son budget a le caractère d’une décision faisant grief (CE, 5 septembre 2001, n° 210778 ; CE 18 juin 2008, n° 289848, B). De même la décision d’une collectivité publique attribuant une dotation à une personne déterminée est un acte susceptible de faire grief (CE, 26 juin 1996, département de l’Yonne, n° 161283).

Dès lors, vous pourrez considérer sans hésitation que les deux délibérations attaquées sont des décisions qui font grief et donc susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Vous écarterez donc cette fin de non-recevoir.

En second lieu, la commune a produit au cours de l’instance, le 5 mars 2021, un second mémoire en acquiescement aux faits exposés par le requérant et à ses conclusions et vous demande d’écarter son premier mémoire en défense ainsi que les pièces qu’elle a produites à l’instruction.

Ce changement de stratégie contentieuse s’explique par le fait que M.A. a été élu maire de la commune à la suite des élections municipales du printemps 2020.

Selon la société d’aménagement de la Savoie ce mémoire en acquiescement serait irrecevable en l’absence d’autorisation de M.A. pour représenter la commune en justice.

L’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales dispose que « Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (…) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal ».

Et il a été jugé qu’un conseil municipal peut à tout moment régulariser, s'il en décide ainsi, une requête en justice que le maire a introduite, sans y être habilité, au nom de la commune (CE, 29 novembre 2000, commune des Ullis, n° 187961, B).

Par ailleurs, l’article L. 2122-26 du même code prévoit que « Dans le cas où les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune, le conseil municipal désigne un autre de ses membres pour représenter la commune, soit en justice, soit dans les contrats ».

En l’espèce, si lors la production du premier mémoire en défense, le maire de la commune de Bourg-Saint-Maurice disposait d’une délégation générale du conseil municipal en date du 28 mai 2015 pour agir en justice, prise sur le fondement de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, la commune a produit une délibération du 25 février 2021 donnant pouvoir à l’adjoint au maire, d’ester en justice pour représenter la commune dans les deux requêtes n° 2000372 et 2000370, compte tenu de la situation de conflit dans laquelle se trouvait désormais M.A.. Dans ces conditions, nous pensons que ce n’est qu’à la suite d’une erreur de plume que le mémoire de la commune du 5 mars 2021, postérieur à la délibération du 25 février 2021, mentionne que la commune est représentée par son maire en exercice qui aurait été dûment habilité par la délibération du 25 février 2021, laquelle délibération - prise sous le précédent mandat - est nécessairement devenue caduque du fait du renouvellement du conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice au printemps 2020 et à l’élection d’un nouveau maire, M.A..

Vous pourrez donc écarter la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de l’irrecevabilité de ce mémoire.

Cependant, la régularité de ce mémoire aux fins d’acquiescement pose alors la question de savoir si un défendeur peut demander à ce que ses précédentes écritures, qui ont été communiquées aux parties, soient écartées des débats.

Si une partie – fut elle défendeur – peut se désister de tout ou partie de ses conclusions en cours d’instance, en revanche, aucune disposition du code ne prévoit qu’elle pourrait demander que ses écritures soient écartées des débats. On peut certes concevoir qu’un défendeur change de stratégie contentieuse en cours d’instance – comme c’est le cas en l’espèce – mais dès lors que ses précédentes écritures ont été communiquées aux parties, et soumis ainsi au contradictoire, cela implique qu’il démontre – pour forger la conviction du juge voire des autres parties – qu’elles étaient erronées en droit ou en fait. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la commune se borne à demander que ses précédentes écritures soient écartées des débats sans aucune précision.

Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande de la commune.

Il convient à présent d’examiner au fond les moyens de la requête.

En premier lieu, M.A. soutient que les délibérations attaquées sont entachées d’un vice de procédure tiré de ce que le droit à l’information des conseillers municipaux aurait été méconnu.

Il fait valoir en particulier que l’une des conditions suspensives du compromis portait sur le fait pour la société d’aménagement de la Savoie de disposer des autorisations administratives pour réaliser la requalification du terrain. Or, il soutient que les élus n’ont pas été informés de l’accomplissement de ces démarches par la SAS.

Le droit à l’information des conseillers municipaux est encadré par les dispositions de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales qui dispose que « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération » ; et par l’article L. 2121-12 du même code qui prévoit : « Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. (…) »

Sur ce fondement, il a été jugé que l’obligation d’information doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, elle doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte, de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. En revanche, ces dispositions n’imposent pas de joindre à la convocation adressée aux conseillers municipaux une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises (CE, 14 novembre 2012, commune de Mandelieu-la-Napoule, n° 342327, B sur ce point).

En l’espèce, par un courrier électronique du 8 novembre 2019, la commune a informé les conseillers municipaux de la date de séance du conseil municipal du 14 novembre 2019 tout en indiquant que l’ordre du jour et les annexes étaient téléchargeables sur une plateforme « we transfer ».

La commune produit la preuve de téléchargement de ces fichiers, dont celles du requérant, lesquels intègrent une note explicative de synthèse sur les affaires mises à l’ordre du jour.

Cette note explicative, qui porte notamment sur les délibérations en litige, intègre en pièce-jointe le projet de convention de portage financier. A sa lecture vous constaterez qu’elle comportait toutes les informations nécessaires permettant aux membres du conseil municipal de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer leurs implications.

Et contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales n’impliquent pas que soient mis à la disposition des membres du conseil municipal les éléments de nature à prouver le bien fondé des motifs de la délibération, et en particulier, de la réalisation de la condition suspensive du compromis de vente.

Aussi, vous écarterez ce premier moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2121-12 et 13 du code général des collectivités territoriales.

En second lieu, M.A. soutient que les délibérations ne sont pas fondées, dès lors que la caducité du compromis n’est pas établie.

A titre liminaire, il convient de relever que ce moyen qui vous conduit à examiner la bonne exécution d’un compromis de vente, soit d’un contrat de droit privé, relève de l’office du juge judiciaire.

Autrement dit, et en principe, il vous appartiendrait de surseoir à statuer et de saisir le juge judiciaire d’une question préjudicielle portant sur la caducité du compromis.

Toutefois, la jurisprudence du Conseil d’Etat admet que, eu égard à l’exigence de bonne administration de la justice et aux principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable, la contestation peut alors être accueillie par le juge saisi au principal notamment lorsqu’elle ne soulève pas de contestation sérieuse (CE, 23 mars 2012, fédération sud santé sociaux, n° 331805, A ; CE, fédération UNSA spectacle et communication, n° 369914, A).

En l’espèce, le moyen qui porte sur la bonne exécution du compromis de vente est inopérant. En effet, la méconnaissance des stipulations d'un contrat, ne peut être utilement invoquée comme moyen de légalité à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé à l'encontre d'une décision administrative » (CE, 8 janvier 1988, ministre chargé du plan et de l'aménagement du territoire c/ Communauté urbaine de Strasbourg, n° 74361, A).

M.A. n’était pas partie au compromis de vente. Et il conteste devant vous la légalité de deux délibérations. Son moyen relatif à l’exécution du compromis de vente est donc inopérant et vous ne pourrez donc que l’écarter.

Aucun des moyens n’étant fondé, vous rejetterez alors la requête de M.A..

Par ces motifs, nous concluons :

- sous la requête n° 2000370, à son rejet au fond ;

- sous la requête n° 2000372, au rejet pour irrecevabilité des conclusions à fin d’annulation et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Note

Lucien Breteau

Avocat au Barreau de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9684

Issu de la Common Law, le principe de l’estoppel, défini comme un principe général en vertu duquel une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d'une autre partie, n'est pas un principe admis en contentieux administratif. En droit administratif, cette situation contraste avec la procédure civile qui l’a en partie consacré.

Cependant, dans le jugement commenté, le tribunal administratif de Grenoble a eu l'occasion de décider que, quand bien même ce principe n'était pas consacré en tant que tel, cela n'autorise pas l'administration défenderesse à obtenir du juge qu’il écarte des débats les mémoires et les pièces produits qui ont été valablement soumis au contradictoire avant qu’elle ne se contredise.

Jusqu’à présent, la seule certitude du lien que pouvait entretenir l’estoppel avec les juridictions administratives françaises venait du fait que même si « nul (…) ne se baigne deux fois dans le même fleuve »1, il n’empêche que le facteur aura bien sonné deux fois2 à la porte du tribunal administratif de Grenoble.

C’est en effet cette juridiction qui a statué en première instance sur l’affaire qui donna lieu à la décision du Conseil d’État considérant « (…) qu’il n'existe pas, dans le contentieux de la légalité, de principe général en vertu duquel une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d'une autre partie ; que, dès lors, c'est également à bon droit que le tribunal administratif de Grenoble a jugé que la fin de non-recevoir opposée par la société requérante sur le fondement d'un tel principe ne pouvait, en tout état de cause, qu'être écartée ». (CE, 4ème / 5ème SSR, 02 juillet 2014, n° 368590, au Lebon.)

Dans le jugement commenté, ce même tribunal a cette fois-ci considéré qu’à l’inverse du considérant précité : « aucun principe général n’imposait au juge administratif, à qui il appartient de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l’examen d’une affaire, d’écarter des débats les mémoires et les pièces produits par cette partie [adverse] et valablement soumis au contradictoire avant qu’elle n’ait l’intention de se contredire. »

Dès lors, le premier mémoire de la partie défenderesse et les pièces qui l’accompagnaient pouvaient être pris en compte par le tribunal pour apprécier la légalité des actes attaqués.

Il est constant qu’ayant essentiellement une source de Common Law, ce principe de l’estoppel n’est pas dénommé en tant que tel, et nécessite une précaution d’usage dans sa compréhension conceptuelle.

À ce titre, l’estoppel s’assimile à un principe d’interdiction, et doit être considéré comme le « principe selon lequel il est interdit de se contredire au détriment d'autrui »3, et non le comportement consistant à se contredire au détriment d’autrui.

C’était d’ailleurs en ce sens que si aucune décision des juridictions administratives n’a jamais stricto sensu parlé d’estoppel, il n’en reste pas moins que c’est bien la non-reconnaissance de ce principe qui a été décidée pour la toute première fois par le Conseil d’État en contentieux fiscal.

Ainsi, dans un avis contentieux du 1er avril 2010, le Conseil d’ État a dû répondre à la question préjudicielle du tribunal administratif de Dijon dans laquelle il était demandé : « (…) de savoir s’il existe, en contentieux fiscal, une règle générale de procédure en vertu de laquelle une partie ne pourrait, après avoir adopté une position claire ou un comportement non ambigu sur sa future conduite à l’égard de l’autre partie, modifier ultérieurement cette position ou ce comportement d’une façon qui affecte les rapports de droit entre les parties et conduise l’autre partie à modifier à son tour sa position ou son comportement, règle relevant dans certains systèmes juridiques du principe dit de l’estoppel, issu à l’origine du droit anglais. ». Une réponse négative a été donnée à cette question (CE, avis cont., 1er avril 2010, SAS Marsadis, n° 334465, au Lebon).

Le présent jugement du tribunal administratif de Grenoble porte en lui l’intérêt considérable de limiter cette autorisation de se contredire, non pas par commission, mais par « soustraction ».

Ainsi, cette décision inaugure un principe d’interdiction a contrario dont le parti pris dans l’intitulé du commentaire consiste à supposer un estoppel inversé. Le Tribunal a en effet empêché la partie défenderesse de retirer des pièces fournies à la juridiction dans la mesure où ces productions se sont avérées défavorables à sa nouvelle volonté consistant à ne plus soutenir ses conclusions en défense.

La problématique principale posée par ce jugement est assimilable au fait que la juridiction qui l’a rendu a décidé de statuer sur un recours en excès de pouvoir contre l’administration défenderesse, et ce contre la volonté même de la commune qui ne souhaitait tout simplement plus voir rejeter la demande d’annulation des actes en litige venant du requérant.

En l’espèce, le requérant avait demandé l’annulation de deux délibérations de la commune de Bourg-Saint-Maurice :

- La première est la délibération n° 5.1 du 14 novembre 2019 par laquelle a été constatée la caducité du compromis de vente du 30 juillet 2015 du fait de l’absence de réalisation des conditions suspensives, en particulier de celle portant sur l’obtention des autorisations administratives définitives nécessaires à la réalisation du projet de construction, et a autorisé le maire à restituer à la Société d’Aménagement de la Savoie les deux acomptes versés d’un montant total de 1 550 000 euros.

- La seconde est la délibération n° 1.9 du 14 novembre 2019. Dans cette décision, le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé la décision modificative n° 3 du budget principal pour l’exercice 2019 afin notamment d’intégrer ce montant de 1 550 000 euros dans les dépenses d’investissement.

La raison de ce changement de stratégie contentieuse n’est pas liée à des considérations objectives, mais en réalité à des considérations totalement subjectives, puisque c’est le requérant qui s’est trouvé avoir été élu maire au cours de l’instruction.

Il est dès lors tout à fait compréhensible que par le biais de ce coup de théâtre, il s’est trouvé être le représentant de la partie censée défendre l’acte qu’il attaquait.

Les développements sur la transcription d’un principe de Common Law en droit français sont discutables. Ils pourraient incontestablement faire appel à un principe moral de bonne foi qui se retrouverait appliqué à des règles procédurales.

Ici, ce principe de l’estoppel inversé se traduit avant tout comme un principe d’interdiction de la renonciation de l’administration à ses conclusions.

Le tribunal administratif de Grenoble a ici instauré une règle concernant exclusivement la partie défenderesse en appliquant un estoppel a contrario (I). Son jugement est d’une singularité profonde dans le fait qu’il renoue en plus avec les critères les plus classiques du contentieux administratif, notamment en donnant un régime spécifique à ladite partie défenderesse en tant qu’administration, dans le cadre de ce contentieux de la légalité (II).

I. L’estoppel inversé : une règle de procédure exclusivement applicable à la partie défenderesse en contentieux administratif

L’administration, en tant que partie défenderesse, ne peut renoncer à sa décision. Cette particularité ne relève que du choix du juge administratif (A). Le contexte casuistique lié au fait que le requérant soit devenu le représentant de l’administration est également à prendre en compte (B).

A. Un refus de l’interdiction de l’estoppel affirmé en contentieux administratif

Contrairement à la procédure contentieuse civile et commerciale, il n’existe pas en droit administratif de règles prohibant un « (…) comportement procédural constitutif d'un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions. » (1ère Civ., 3 février 2010, n° 08-21.288, au Bull.).

D’une telle absence en la matière résulte le postulat selon lequel les parties sont maitresses de leurs stratégies contentieuses, et ce y compris en cours d’instruction, afin de fournir tous moyens, argumentations et pièces à l’appui de ces derniers pour les besoins de leur cause.

Ainsi, indépendamment de toute éventuelle incohérence entre les éléments produits, il est autorisé aux parties de faire feu de tout bois pour faire droit à leurs conclusions.

En dehors de toute réflexion sur l’estoppel qui n’existe pas, on ne peut qu’admettre, dans le cadre du contentieux de la légalité réputé être un contentieux objectif, que rien n’interdit au requérant de se désister de ses conclusions, ce qui entraînera nécessairement la fin de toute instruction sur la requête à l’encontre de l’acte administratif attaqué.

Plus encore, le pouvoir règlementaire, dans un objectif constant de réduction des flux de dossiers, a même créé pour la première fois de l’Histoire une règle permettant à la juridiction administrative de provoquer un désistement d’un requérant mal informé ou mauvais lecteur des ordonnances de référé, de le désister d’office, et ce contre la propre volonté de ce dernier en application de l’article R. 612-5-2 du Code de justice administrative.4

Du côté de la partie de l’administration-défenderesse de ses actes, si cette dernière peut également se désister de toute ou partie de ses conclusions, elle ne peut pas en revanche être autoriser à demander la suppression des éléments produits dans le cadre de la défense de ses actes, et ce quand bien même son représentant légal n’était autre que le requérant lui-même (B.)

B. Une décision casuistique liée à la confusion des parties, limitant la réelle substance de cas d’estoppel inversé

Le requérant est devenu maire et donc représentant légal de la commune défenderesse de l’acte qu’il a lui-même attaqué.

Dans l’esprit du requérant cumulant également la qualité de Maire de la commune auteure de la décision en litige, cette situation parfaitement kafkaïenne pouvait avoir une issue simple, à savoir l’acquiescement à la requête.

Une telle démarche pouvait correspondre à une certaine logique. En effet, la délibération principalement attaquée, à savoir la délibération n° 5.1 du 14 novembre 2019 par laquelle le Conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a autorisé le maire à restituer à la société d'aménagement de la Savoie deux acomptes, correspond en tout point à une décision créatrice de droit.

Cette qualification conditionne la possibilité de faire sortir cette décision de l'ordonnancement juridique, puisque les conditions d'illégalité et de délai ne sont pas remplis.

Pour rappel conformément à l'article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l'administration : « l’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative (…) que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai quatre mois suivant la prise de cette décision ».

La délibération date en 2019 et son illégalité étant bien sûr plus que contestable, le requérant à double facette, véritable Janus dans la procédure, était confronté à cette impossibilité juridique d’abrogation et/ou de retrait.

L’acquiescement n’a cependant pas permis de procéder à l’anéantissement du mémoire en défense des décisions litigieuses de la commune défenderesse.

En statuant qu’ «  qu'aucun principe général n'impose au juge administratif, à qui il appartient de ce prononcer sur les moyens de droit que soulève l'examen d'une affaire, d'écarter des débats les mémoires et les pièces produits par cette partie est valablement soumis aux contradictoires avant qu'elles ne se contredise », le tribunal rappelle le caractère profondément objectif du contentieux concerné. À ce titre le terme de partie également utilisé à l'encontre de l'institution auteure d'une décision contestée ne doit pas prêter à confusion. Le juge statue ici à dans le cadre d'un « procès fait à un acte. » (E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger Levrault, 1896, 2ème édition, t. 2, p. 561).

C'est ce caractère objectif permet le maintien de l'instruction sur toutes les écritures produites, et ce malgré la disparition de toute partialité de la défenderesse. En effet, cette dernière aurait souhaité se contredire au propre détriment de l’administration en raison de la confusion de sa personne en tant que requérant et représentant légal de la défenderesse.

Mais c’est surtout et sans doute encore plus le fait que ce principe d’estoppel inversé puisse être conçu comme une application procédurale des « dérogations en moins » dont est assujettie l’administration qui s’avère être le réel critère de cette interdiction qui peut s’instaurer comme un véritable principe d’interdiction de son désistement en tant que défenderesse, ce qui relève sans doute du pléonasme devant les juridictions administratives. De part sa qualité de défenderesse, l’administration se retrouve ici assujettie aux « sujétions exorbitantes » sur le plan procédural. 5

Par ce jugement le tribunal administratif de Grenoble a bien proclamé une reconnaissance dans un champs limité du principe d’estoppel à l’encontre de l’administration (II.)

II. Une reconnaissance implicite de l’estoppel : le refus de retirer les écritures en défense dans un cadre limité

Le droit fiscal restant une zone d’incertitude dans l’application de ce principe, il est constant qu’en évoquant le principe de légalité, les matières relatives aux contentieux subjectifs et de l’avant dire droit sont exclus (A). Pour autant, une autre exclusion de ce principe reste tout simplement liée à une exclusion procédurale devant les hautes juridictions saisies par la voie de la cassation (B).

A. La seule limitation au contentieux administratif de la légalité imposée par l’estoppel inversé

En premier lieu, ce n’est que dans le cadre du contentieux de la légalité que le juge se restreint pour indiquer que l’estoppel inversé s’applique.

Ce postulat reste discutable mais nécessaire. L’inauguration de cette exception n’a en effet pas eu lieu dans le contentieux fiscal, premier contentieux à avoir eu affaire à ce moyen.

Un doute sur l’application de l’estoppel inversé dans le contentieux fiscal peut subsister en raison de son caractère de plein contentieux. (CE Assemblée, 29 juin 1962, n° 53090, Société des aciéries de Pompey, Lebon p. 438).

Cette restriction paraît ici importante dans la mesure où l’on observe que le juge administratif dispose dans certains cas d’une obligation de ne pas soumettre au contradictoire certaines pièces, conformément à la pratique de la double enveloppe telle qu’elle ressort de l’article R. 412-2-1 du Code de justice administrative.

Ce cas de figure expressément prévu par le texte précité empêche l’administration de révéler des informations à son propre détriment ou au détriment du secret des affaires des concurrents en cas de révélation complète d’un rapport d’analyse des offres. Cette règle est notamment applicable en matière de référé précontractuel, où l’on observe que le juge n’exclut pas dans d’autres domaines du contentieux, à l’instar du contentieux de la pleine juridiction, la possibilité de faire droit à une telle hypothèse (B.)

B. Une autre limitation de l’avenir de l’estoppel inversé : le mécanisme de la caducité des moyens non repris dans les conclusions récapitulatives

Contrairement au contentieux civil ou commercial, c’est le juge qui en contentieux administratif opère la synthèse des différentes argumentations sans qu’il y ait lieu de conclure à la renonciation implicite à certains moyens.

En réalité, l’exemple casuistique n’est applicable que devant les juges du fond. En effet, le mécanisme des conclusions récapitulatives est exclu devant les Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel6.

Cette décision casuistique est relative à un cas particulier où le juge du fond a rappelé sa volonté de s’affirmer maître de la procédure. Le contentieux administratif s’illustrant par son caractère inquisitorial qui empêche l’administration de renoncer par principe aux moyens qu’elle a pu soulever du fait de sa qualité de défenderesse dans un dossier.

Notes

1 HERACLITE., « Fragments, 12,» 576 – 480 av. notre ère, trad. Jean-François Pradeau, éditions Garnier-Flammarion, 2018, 384 p. Retour au texte

2 Pour une référence au septième art : RAFELSON B., « Le facteur sonne toujours deux fois », Lorimar productions et Metro Gold Wyn Mayer,1981. Retour au texte

3 GIRARD DE BARROS F. « Application de la théorie de l'estoppel en droit français : le "oui, mais" de la Cour de cassation », Lexbase, 27 mars 2014, disponible en ligne sur https://www.lexbase.fr/revues-juridiques/3211619-application-de-la-theorie-de-l-estoppel-en-droit-francais-le-ioui-mais-i-de-la-cour-de-cassation. Retour au texte

4 MURIGNEUX L., « Le désistement d'office intervient malgré la confirmation tardive des conclusions au fond », Commentaires sous CAA Lyon, 1ère chambre – N° 19LY02116 – 17 décembre 2019 – C+, Revue ALYODA, disponible en ligne sur https://alyoda.eu/index.php?id=5139#6569. Retour au texte

5 RIVERO J. « Existe-t-il un critère du droit administratif  ? », RDP, 1953, p. 18. Retour au texte

6 « Un gentlemen agreement passé entre le Conseil d’Etat et l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation veut que les moyens soulevés dans la requête sommaire sont effacés par le mémoire complémentaire ». Cette règle ne vaut bien-sûr que pour les requêtes rédigées par des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Aussi, l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative donne la possibilité au président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, au président de la chambre chargée de l’instruction, de demander à l’une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l’instance en cours, en lui indiquant que, si elle donne suite à cette invitation – le juge s’excuserait presque ici ! – les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés. En appel, le juge peut également demander des conclusions récapitulatives, non seulement pour l’instance en cours, mais également en ce qui concerne les conclusions et moyens présentés en première instance que la partie entend maintenir. » : CAILLE P., Contentieux administratif français, 2017, Revue générale du Droit,  disponible en ligne sur : https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2017/10/22/contentieux-administratif-deuxieme-partie-titre-i-chapitre-ii/ Retour au texte

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