Le désistement d'office intervient malgré la confirmation tardive des conclusions au fond

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 19LY02116 – 17 décembre 2019 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 19LY02116

Numéro Légifrance : CETATEXT000039648366

Date de la décision : 17 décembre 2019

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Désistement d’office, Demande de maintien des conclusions, Délai de réponse, R. 612-5-1 du CJA, Délai franc, Bonne administration de la justice

Rubriques

Procédure

Résumé

Désistement d'office d’un requérant n’ayant pas confirmé le maintien de sa requête dans le délai qui lui était imparti (article R. 612-5-2 du code de justice administrative). Délai franc (oui) ; possibilité pour le requérant, informé qu’à défaut de confirmation il serait réputé s’être désisté de sa demande, de confirmer le maintien de la requête après le terme du délai imparti (non)

L'article R. 612-5-2 du code de justice administrative prévoit que : « En cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est exercé contre l’ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation dans un délai d’un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s’être désisté-. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté. ».

Dans ce dossier, il n’est pas contesté que l’information invitant à confirmer sa requête aux fins d'annulation, a été donnée dans le cadre de la notification de l’ordonnance de référé rejetant la demande des intéressés pour absence de moyens sérieux. Le problème vient du fait que les requérants ont maintenu leur demande d’annulation, mais après le délai d’un mois imparti mais avant qu'intervienne l’ordonnance de désistement. La cour administrative d'appel de Lyon décide que dans ces conditions, le permier juge, qui n'a pas fait un usage abusif de la faculté que lui ouvrent les dispositions de l'article R.612-5-2 du code de justice administrative, qui ne saurait résulter de l'absence de prise en compte de la confirmation tardive du maintien des conclusions aux fins d'annulation, devait constater le désistement d'office de la demande.

Voir les jurisprudences du Conseil d'Etat affirmant le principe selon lequel le délai laissé à une partie pour faire une démarche, à peine de constat de désistement d’office, est un délai s’imposant aux parties comme au juge, qui ne peut, passé son expiration, que constater le désistement d’office.

Voir pour l'application de l’article R. 612-5 du code de justice administrative sur l’abstention de produire suite à une mise en demeure de produire un mémoire complémentaire annoncé : CE, 9 mars 2018, N° 402378, aux Tables ... commet une erreur de droit la juridiction qui statue sans donner acte du désistement.

Voir s’agissant de l’obligation de produire un mémoire récapitulatif dans le délai requis, application de l'article R. 611-8-1 Voir CE, 24 juillet 2019, société Crédit Mutuel Pierre I, N° 0423177, B et CE, 25 juin 2018, société Immobilière Groupe Casino, N° 0416720, B

Voir s'agissant d’un délai franc, application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative (mémoire récapitulatif) : CE, 19 mars 2018, société L’immobilière Leroy Merlin France, N° 0416510, aux Tables

Voir s'agissant d'un délai franc, application de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative : CE, 24 octobre 2019, société Prologia, N° 0424812, B

54-05-04-03, Procédure, Désistement d’office, Requérant invité à confirmer le maintien de ses conclusions, Délai à l’issue duquel, faute de réponse, il est réputé s’être désisté de sa requête, R. 612-5-1 du CJA, Caractère franc : existence

Qui ne dit mot à temps, consent parfois involontairement

Léa Murigneux

Doctorante en droit public à l’Université Clermont Auvergne (CMH - EA 4232)

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DOI : 10.35562/alyoda.6569

Le juge qui, à la suite du rejet d’un référé-suspension en l’absence d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, fait application des dispositions de l’article R. 612-5-2 du Code de justice administrative (CJA) relatives à la demande de maintien du recours au fond, doit prononcer le désistement d’office du requérant quand bien même l’intéressé aurait confirmé, tardivement, sa requête.

Dans son iconique chronique « Le Huron au Palais-Royal », Jean Rivero pensait la justice faite pour le justiciable (D. 1962, Chron. VI, p. 37). Si la satisfaction effective de ce dernier est l’objectif du service public de la justice, il semble que l’application des dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA s’inscrive dans une toute autre finalité, tendant à « refonctionnariser » la juridiction administrative.

La Cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 17 décembre 2019, a confirmé une ordonnance de tri rendue par le Tribunal administratif de Lyon, du 2 mai 2019, donnant acte du désistement d’office des requérants. Devant connaître d’une question procédurale nouvelle, qui n’a pas encore été éclairée par le « soleil » jurisprudentiel du Conseil d’État (J. Rivero, « Le Conseil d'Etat, Cour régulatrice », D. 1954, Chron. XXVIII, p. 29), le juge d’appel a retenu une interprétation restrictive des dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA. En effet, le juge des référés, dans une ordonnance du 11 janvier 2019, a rejeté la demande de suspension d’un arrêté municipal accordant un permis de construire, dès lors qu’il n’existait pas, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Conformément au second alinéa de l’article R. 612-5-2 du CJA, le Tribunal a alors formulé dans le courrier de notification de cette ordonnance une demande de confirmation du maintien de la requête au fond. Postérieurement au délai d’un mois qui avait été laissé aux requérants pour se manifester, ces derniers ont produit le 17 avril 2019 – soit plus de deux mois après l’expiration du délai – un mémoire complémentaire, matérialisant ainsi leur volonté de poursuivre le traitement juridictionnel du litige au fond. Pour autant, le juge du premier ressort, deux semaines plus tard, a rendu une ordonnance, sur le fondement des dispositions de l’article R. 222-1 1° du CJA, actant le désistement d’office des intéressés.

Le désistement du requérant, comme première question préalable dans l’instruction, exprimait d’antan la volonté expresse du justiciable de ne plus poursuivre l’affaire qu’il a portée à la connaissance de la juridiction. Toutefois, il peut, depuis quelques années, être prononcé d’office par le juge, procédure qui permet de tirer de l’inertie du requérant la conclusion qu’il se désintéresse du litige, et s’interprète ainsi comme un consentement tacite d’abandonner le recours. Si ce procédé s’est diversifié depuis le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 et son utilisation s’est multipliée au sein des juridictions administratives, la notion de désistement d’office reste une combinaison de termes pouvant apparaître antinomiques.

La Cour administrative d’appel de Lyon, en l’espèce, a eu à connaître de la portée d’une de ces nouvelles procédures, codifiée à l’article R. 612-5-2 du CJA. Issue de l’article 2 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018, ce mécanisme impose au requérant de confirmer le maintien de sa requête au fond dans un délai d’un mois à compter de la notification du rejet de sa demande de suspension introduite sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du CJA au motif qu’il n’était pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. À défaut, il est réputé s’être désisté de sa requête au fond, à la condition que la notification de l’ordonnance de référé ait comporté cet avertissement de manière explicite et qu’aucun recours en cassation n’ait été exercé contre cette ordonnance.

Si, en l’espèce, la Cour administrative d’appel a retenu la même interprétation de ces dispositions que celle du Tribunal administratif, il apparaît pourtant que les juridictions administratives ne sont pas unanimes sur la question. En effet, d’autres ont pu retenir que le requérant, à qui il a été imparti un délai d’un mois, peut toujours confirmer le maintien de sa requête après l’expiration de celui-ci (C.A.A. Marseille, 15 oct. 2018, n° 17MA03276) . Sans dénaturer les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA, un certain tempérament peut être apporté à l’automatisme de la reconnaissance du désistement d’office : la manifestation par l’intéressé de sa volonté de maintenir sa requête, même postérieurement au délai imparti mais avant le prononcé d’une ordonnance de tri, devrait être de nature à faire obstacle à ce qu’il soit pris acte de son désistement d’office. Le délai imparti au requérant peut alors simplement se définir comme celui à l’expiration duquel le juge peut prononcer un désistement d’office dans l’affaire qui lui est soumise.

Si l’intérêt de cet arrêt peut apparaître, de prime abord, relativement restreint, il révèle pourtant un processus plus général qui tend à introduire, au sein des juridictions, des méthodes de traitement des dossiers propres aux administrations : en somme, « refonctionnariser » les juridictions administratives. Inspirée du rapport de Christine Maugüé, « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », cette nouvelle possibilité de désistement d’office tente, dans une perspective de rationalisation du contentieux administratif, d’inverser la croissance continue du nombre des recours portés devant les juridictions administratives et de limiter l’engorgement de ces dernières. Pourtant, si les tribunaux administratifs se sont largement emparés de cette nouvelle procédure, elle interroge sur les limites à apporter au pouvoir inquisitorial du juge. En s’inscrivant dans une recherche d’efficacité de la justice administrative, la mise en œuvre des dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA par le juge révèle en effet un manque d’efficience du traitement de la requête. L’objectif de mener à terme le litige porté à la connaissance de la juridiction est atteint, mais les moyens pour aboutir à ce résultat, selon que la démarche est efficace ou efficiente, sont hétéroclites. La Cour administrative d’appel de Lyon, en retenant une interprétation stricte de ces dispositions législatives, tend en ce sens à déséquilibrer la balance juridictionnelle en valorisant une instruction rapide et efficace des dossiers (I.) au détriment de l’effectivité des droits processuels de l’auteur du recours (II.).

1. Le désistement provoqué par le juge dans un objectif de bonne administration de la justice

La définition de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, résultant des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (C.C., 3 déc. 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, n° 2009-595 DC, §. 4), manque, parmi d’autres, de précision, devenu la justification de nombreuses techniques juridictionnelles. Si la finalité est de rendre plus performantes les juridictions, les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA alourdissent inopportunément le lien juridictionnel entre les requêtes de référé-suspension et de fond, donnant une nouvelle orientation à la décision rendue en urgence (A.), tout en construisant un nouvel office pour le juge du principal et un redéploiement de son rôle dans l’instruction des requêtes (B.)

A. La valorisation inadaptée de la décision du juge des référés-suspension

Il n’y avait que peu d’intérêt pour le juge des référés, lorsqu’il rejetait la demande de suspension pour défaut d’urgence, de mentionner également l’absence, en tout état de cause, d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Toutefois, ce désistement d’office donne une nouvelle dynamique à cette seconde condition du référé-suspension, dès lors qu’il ne peut être enclenché que lorsque le rejet est fondé sur cette absence de doute sérieux. Plus précisément, en l’espèce, le juge administratif lyonnais avait à connaître d’un contentieux relatif à l’urbanisme, pour lequel le législateur affiche une volonté de restreindre les possibilités d’annulation des actes qui relèvent de cette matière. Depuis la jurisprudence Commune de Tulle (C.E., 27 juill. 2001, n° 230231, Lebon T. p. 1115), élargie par les dispositions de l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, l’urgence est présumée lors d’un référé-suspension. Un rejet du référé en contentieux d’urbanisme s’appuiera donc nécessairement sur la reconnaissance de l’absence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA seront, par suite, automatiquement mises en œuvre.

Toutefois, l’ordonnance rejetant la demande de suspension de l’exécution d’un acte administratif ne permet pas, en elle-même, de combler les attentes du justiciable. D’une part, la formule utilisée est synthétique, indiquant simplement qu’aucun des moyens invoqués n’est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée (C.E., Sect., 14 mars 2001, n° 230268, Lebon p. 128) . Elle ne permet pas au requérant de comprendre précisément les motifs retenus par le juge pour rejeter son recours et ainsi déterminer, dans le délai d’un mois qui lui sera imparti, l’intérêt de maintenir sa requête au fond.

D’autre part, ce mécanisme de désistement d’office remet en cause la condition de recevabilité du recours au fond et crée un lien direct entre la réponse du juge des référés et l’instruction par le second juge de la requête au fond. Pourtant, l’ordonnance, qui est rendue sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du CJA, n’est dotée que d’un caractère provisoire (article L. 511-1 du CJA) ; elle ne dispose pas de l’autorité de la chose jugée et ne s’impose pas au juge du principal. Le doute n’emporte pas la certitude : la reconnaissance, par le juge des référés, de l’absence d’un doute sérieux n’impose pas au juge du fond de reconnaître l’absence d’illégalité de la décision dont il est dorénavant demandé l’annulation. Aussi, bien que la Cour administrative d’appel de Lyon ait pu indiquer que ces dispositions ne portaient pas atteinte au principe d'indépendance des procédures de référé et de fond (C.A.A. Lyon, 3 déc. 2019, n° 19LY01520), il est indéniable que la décision du juge du référé-suspension se trouve valorisée par ce nouveau lien juridictionnel.

B. L'extension du pouvoir d’instruction du juge

Les instruments procéduraux, tels que celui prévu par les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA, ont mis en place une dynamique nouvelle dans l’instruction du dossier. La place du juge, dans un système qui s’inscrit traditionnellement dans une procédure inquisitoire, se distend avec le mécanisme du désistement d’office. Une nouvelle manière de résoudre le litige se met en place. Mais ce traitement de la requête, qui n’en est en réalité pas véritablement un, est de toute évidence trop expéditif pour être qualifié d’efficient.

Se pose, en effet, la question d’un usage abusif par le juge de la possibilité de formuler une demande de maintien de la requête au fond après le rejet de la requête en référé-suspension. Le Conseil d’État a fixé le cadre du contrôle des décisions juridictionnelles actant un désistement d’office sur le fondement de l’article R. 612-5-1 du CJA. En plus du contrôle du respect des obligations procédurales, consacré par la jurisprudence SAS Roset (C.E., 19 mars 2018, n° 410389, Lebon T. p. 840), il appartient au juge d’appel d’examiner les motifs pour lesquels le signataire de l’ordonnance a estimé que l’état du dossier permettait de s’interroger sur l’intérêt que la requête conservait pour l’intéressé (C.E., 12 fév. 2020, n° 421219, au Lebon T.) et au juge de cassation de déterminer le caractère abusif de l’usage de cette faculté (C.E., 17 juin 2019, n° 419770, Lebon p. 219).

Le contrôle de cet « abus » est similaire à celui mis en œuvre dans la jurisprudence Société Finamur, relative aux requêtes manifestement dépourvues de fondement rejetées sur la base de l’article R. 222-1 (C.E., Sect., 5 oct. 2018, n° 412560, Lebon p. 310) . La définition de l’usage abusif de la procédure semble être limitée, chronologiquement, à sa seule activation, c’est-à-dire au déclenchement de celle-ci et non à l’enclenchement de la mesure de sanction une fois le délai imparti écoulé. En effet, nombre d’écrits portent sur la justification de la mise en place par le juge de cette procédure, alors que l’existence de ce caractère abusif quant au maintien de la procédure, dès lors que l’inertie du requérant a cessé, fait l’objet de moindres développements. Pourtant, l’analyse herméneutique de la notion d’usage abusif peut être double, ou à tout le moins divisible en ces deux temps distincts.

L’intérêt de l’étude de la notion d’abus dans l’arrêt commenté ne s’impose pas naturellement dès lors que le désistement d’office prévu à l’article R. 612-5-2 du CJA suppose un certain automatisme pour le juge dans son enclenchement. Pourtant, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est attardée à indiquer que le Tribunal n’avait pas fait un usage abusif de la faculté offerte par ces dispositions. Un parallèle peut en ce sens être fait avec le tempérament apporté par la jurisprudence Mme E. (C.E., 9 mars 2018, n° 402378, Lebon T. p. 838), relative à l’application des dispositions de l’article R. 612-5 du CJA et l’obligation qui est faite au juge de constater le désistement d’office : l’absence de réponse à la mise en demeure entraîne le désistement d’office sauf si celle-ci s’avère injustifiée ou irrégulière. Si, en l’espèce, la régularité de la demande de maintien de la requête au fond adressée par le Tribunal administratif ne fait aucun doute, la justification du maintien du désistement, après la production par les intéressés d’un mémoire complémentaire, paraît moins limpide et interroge ainsi sur l’efficience du traitement de leurs attentes juridictionnelles.

2. Le désistement involontaire, restriction du droit à un recours juridictionnel effectif

Le Conseil d’État a déclaré conformes les dispositions de l’article R. 612-5-1 du CJA au droit à un recours juridictionnel effectif (C.E., 13 fév. 2019, Syndicat de la juridiction administrative e. a., s  406606 e. a., inédit), mais il ne s’est pas encore prononcé sur les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA, et notamment l’interprétation qu’ont pu en retenir les juridictions lyonnaises. Si l’application, en l’espèce, de ces dispositions apparaît radicale quant à l’absence de prise en compte de la confirmation du maintien de la requête au fond (A.), le pouvoir réglementaire peut apparaître tout aussi sévère, dès lors que ce mécanisme de désistement d’office n’offre que de très faibles garanties procédurales au principal intéressé, le justiciable (B.).

A. L’inopposabilité de la confirmation tardive de maintien de la requête au fond

L’ordonnance de tri du Tribunal administratif de Lyon ferme aux requérants les portes de la juridiction, alors que leur requête au fond avait a priori franchi le stade de l’examen de sa recevabilité. En des situations similaires, les solutions semblent converger vers un même point. Les autres formes de désistement d’office imposent en effet au juge, sous peine de commettre une erreur de droit, de prononcer celui-ci sans que le requérant ne puisse, à l’expiration du délai imparti, revenir sur ce désistement (v. par ex. : C.E., 23 janv. 1985, n° 46455, Lebon T. p. 733 ; C.E., Sect., 19 nov. 1993, Société Le Noroit, n° 119389, Lebon p. 326) . Il semblerait alors que le désistement d’office soit synonyme d’une réputation irréfragable du désintérêt du requérant. Des tempéraments existent pour autant, notamment lorsque l’ordonnance de tri retenant le désistement d’office de la requête de fond est suivie de l’introduction d’une nouvelle demande de suspension de l’acte attaqué : le dépôt d’une telle demande est de nature à confirmer le maintien de la requête à fin d’annulation (CAA Lyon, 3 déc. 2019, n° 19LY01765) .

La solution retenue apparaît alors excessive : dès lors que le requérant a maintenu sa demande d’annulation, bien qu’après l’écoulement du délai d’un mois, mais avant que n’intervienne l’ordonnance de tri du juge, il devrait être réputé avoir maintenu correctement ses conclusions. Plus précisément, les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA s’appliquent dans une hypothèse particulière : le plus souvent, le référé-suspension est introduit en même temps que la requête au fond. Aussi, déduire de l’inertie d’un requérant son désintérêt pour une affaire qu’il a portée à la connaissance de la juridiction quelques mois auparavant semble relativement sévère.

Dans cet objectif de rationalisation des procédures juridictionnelles, l’introduction d’une certaine souplesse paraît alors envisageable, qui permettrait de demeurer fidèle à la nature réelle de cette forme de désistement. Dans ses conclusions sur l’affaire précitée de la Cour administrative d’appel de Marseille, M. Revert proposait une interprétation magnanime des dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA en indiquant que le délai d’un mois n’est pas impératif à l’égard du requérant mais à l’égard du juge qui, sans confirmation expresse des conclusions par l’intéressé, doit prononcer le désistement d’office (M. Revert, « Peut-on renoncer à son désistement d'office ? », AJDA 2018, p. 2445, concl. sur C.A.A. Marseille, 15 oct. 2018, n° 17MA03276) . Il appuie notamment son analyse sur la terminologie choisie par le Conseil d’État dans sa décision SAS Roset. Le considérant de principe peut être regardé comme construit sur une hypothèse préalable : l’absence de réponse de la part du requérant, pourtant sollicitée par le juge. A contrario, si le requérant n’a pas conservé son silence, pendant le mois qui lui a été imparti ou après ce délai, alors le juge ne peut pas prononcer le désistement d’office de celui-ci ; la tardiveté de la production sollicitée s’éteint dès lors que le requérant a, comme il lui était demandé, produit.

B. Des garanties procédurales incomplètes pour le requérant

Le Conseil d’État considère que le désistement d’office ne peut être prononcé qu’à la condition que la notification de l’ordonnance de référé-suspension comporte expressément l'indication des conséquences pouvant résulter pour le requérant de l'absence de confirmation de ses conclusions à fin d’annulation. En ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme a pu indiquer que le mécanisme du désistement d’office a pour but de réduire le délai d’instruction des recours devant les juridictions administratives (CEDH, 15 janv. 2009, G.c/ France, n° 24488/04, §. 38) . En réalité, ce mécanisme fait obstacle à toute instruction possible de la requête au fond dès lors que le requérant ne répond pas dans le délai imparti. Si l’objectif de désengorgement paraît tout à fait adapté à la réalité des juridictions administratives, il ne doit pas subordonner d’autres finalités toutes aussi importantes.

Un tempérament à l’ineffectivité du droit au recours juridictionnel du justiciable semble pouvoir être apporté : le désistement d’office est un désistement d’instance et non d’action (C.E., 1er oct. 2010, n° 314297, Lebon p. 352). Le requérant peut présenter une requête aux mêmes fins et fondée sur les mêmes moyens que celle dont il a été réputé s’être désisté. Toutefois, au vu de la spécificité des dispositions appliquées et du type de recours dans lequel elles s’inscrivent, les délais de recours seront certainement forclos. En effet, la combinaison du délai laissé au juge des référés pour statuer et du délai imparti au requérant pour confirmer le maintien de sa requête au fond aboutit à l’expiration du délai de recours contentieux ordinaire. Aussi, le désistement d’office peut mettre un terme définitif à toute possibilité d’accès à un juge. Cette procédure, bien que définie comme une procédure de désistement d’instance, devrait être regardée comme étant une procédure de désistement d’action.

D’autres mécanismes auraient permis d’encadrer davantage la procédure, tel que le recours à une mise en demeure préalable. Celle-ci, dans la plupart des mécanismes de désistement d’office, peut régulièrement intervenir sans avoir été précédée d’une invitation à produire dans un délai déterminé (C.E., 17 mai 2006, n° 272327, Lebon T. p. 1022) ; le procédé inverse a pourtant été retenu. Par ailleurs, le pouvoir réglementaire aurait pu retenir une dynamique contraire : préférer une simple invitation du justiciable à se désister, qui aurait permis d’assurer de manière plus efficiente le droit au recours juridictionnel de celui-ci, contrairement à une demande de confirmation de maintien de sa requête au fond. L’équilibre entre l’objectif de bonne administration de la justice, tendant au désengorgement des juridictions, et le droit à un recours juridictionnel effectif du justiciable, tendant à la bonne administration des litiges, aurait alors pu être assuré. Mais en l’état du droit positif, l’acquiescement exprès du requérant semble être une lointaine condition du désistement.

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