Un arrêté portant enregistrement d'une unité de méthanisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement devant être regardé comme une décision créatrice de droits non acquis, dans quelle mesure un tiers peut-il en demander l’abrogation en application de l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration dans l’hypothèse où les prescriptions qu’il fixe ne seraient pas ou plus satisfaites ?
Par une demande formée en août 2018 et complétée en décembre 2018 et mars 2019, la société Bio Energie Bressane sollicitait des services de l’Etat l’enregistrement d’une unité de méthanisation et d’une installation de combustion fonctionnant avec du biogaz, situées à Condal et à Varennes-Saint-Sauveur, en Saône-et-Loire. Elle déclarait dans le même temps la présence de gaz inflammable et demandait une autorisation d’épandage du digestat. Par un arrêté du 20 mars 2020, modifié par arrêté du 2 avril suivant quant à la nature et à la quantité des déchets admissibles, le préfet de Saône-et-Loire a enregistré et déclaré ces installations, non sans avoir préalablement soumis le projet à évaluation environnementale compte tenu de la sensibilité du milieu (v. art. L. 512-7-2 du code de l’environnement). L’unité de méthanisation relève de la rubrique 2781-2 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), la combustion de biomasse de la rubrique 2910-B-1 et le stockage de biogaz de la rubrique 4310, alors que l’épandage d’effluents et de boues relève de la rubrique 2.1.4.0 de la nomenclature de la loi sur l’eau eu égard à la quantité d’azote épandue. Outre la conformité au dossier déposé par la société pétitionnaire, l’arrêté comportait également des prescriptions destinées à renforcer celles issues des arrêtés ministériels des 12 août 2010 et 3 août 2018 relatifs respectivement aux unités de méthanisation et aux installations de combustion. Par courrier du 13 juin 2022, réceptionné le 15 juin suivant, l’association de défense de l’environnement bressan (ADEB) sollicita du préfet de Saône-et-Loire l’abrogation de l’arrêté du 20 mars 2020. L’ADEB vous demande d’annuler la décision implicite de rejet de sa demande né du silence gardé par le préfet et d’annuler les arrêtés eux-mêmes.
(…)
Venons-en au cadre juridique principal dans lequel a entendu se placer l’association requérante, laquelle vous demande d’annuler le refus opposé par le préfet à sa demande d’abrogation des arrêtés portant pour l’essentiel enregistrement de l’unité de méthanisation. En vertu de l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, « l'administration ne peut abroger (…) une décision créatrice de droits (…) sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ». Cependant, par dérogation à ces dispositions, l’article L. 242-2 du même code permet à l’administration d’abroger sans condition de délai « une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie ». Les parties en défense font valoir que les moyens sont inopérants compte tenu de l’expiration du délai de 4 mois qu’avait l’association pour contester directement l’arrêté portant enregistrement de l’unité de méthanisation. Cependant, d’une part, l’arrêt de la cour de Marseille sur lequel elles s’appuient (22 décembre 2005, Société nouvelle super casse, n° 02MA02224) a été rendu à une époque où n’avait pas encore été adopté le code des relations entre le public et l'administration et donc les dispositions précitées. D’autre part, si vous acceptiez de juger que le respect des prescriptions fixées par un arrêté portant enregistrement ou autorisation d’une installation classée en conditionne le maintien, les moyens soulevés par l’association requérante seraient susceptibles de s’inscrire, au moins pour partie, dans l’hypothèse posée par l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration qui concerne les décisions créatrices de droits non acquis, souvent qualifiés de « précaires », en d’autres termes les décisions soumises à conditions (à rapprocher, s’agissant de l’autorisation de création d’une installation nucléaire de CE, 11 avril 2019, Greenpeace France, n° 413548, A qui oblige l’administration à vérifier que les conditions initialement posées sont toujours satisfaites et, dans le cas contraire, à modifier l’autorisation, voire à abroger l’autorisation initiale si les modifications ne sont pas à même de prévenir ou de limiter de manière suffisante les risques liés au fonctionnement de l’installation).
La défense pourrait faire valoir que les prescriptions fixées par l’arrêté du 20 mars 2020 modifié qui, selon l’association requérante, ne seraient pas satisfaites, ne conditionnaient pas à proprement parler le maintien de l’exploitation et, ainsi, celui de la décision créatrice de droits. Comme le faisait remarquer le rapporteur public Stéphane Hoynck dans ses conclusions sur l’arrêt de Conseil d'Etat du 28 décembre 2022, Association Réseau Sortir du nucléaire et autres (nos 444845 et 444846), « la circonstance qu’une décision créatrice de droit puisse faire l’objet d’une demande d’abrogation ne signifie pas que n’importe quelle circonstance de droit ou de fait puisse être invoquée, comme ce serait le cas dans un contentieux d’abrogation classique d’un acte règlementaire, sauf à vider le caractère créateur de droit de la décision de toute substance. Face à une décision créatrice de droit, il faut donc d’abord vérifier si elle est soumise à des conditions de maintien, pour ensuite, et seulement dans l’affirmative, vérifier si ces conditions sont toujours remplies, c’est seulement si ce n’est plus le cas que l’administration doit procéder à l’abrogation, ou à tout le moins compléter l’autorisation de prescriptions complémentaires si cela est suffisant ».
En l’espèce, comme nous le verrons, l’association requérante ne critique pas un changement relatif, par exemple, au capital de la société exploitante (cpr. CE, 21 mars 2022, Association Libre Horizon et autres, nos 451678, 451683 et 451684, B avec les conclusions de Stéphane Hoynck) ; au contraire, son argumentation porte sur des conditions relatives aux risques pour les sols, les eaux souterraines et la faune locale que serait susceptible d’engendrer l’exploitation de l’installation. En d’autres termes, les prescriptions qui seraient, selon l’ADEB, insatisfaites, visent à s’assurer que l’installation fonctionne dans le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement ; ces prescriptions doivent ainsi être regardées, selon nous, comme conditionnant le maintien de l’arrêté d’enregistrement.
Le préfet tente également de contrecarrer la stratégie adoptée par l’association requérante en considérant que si le non-respect d’une prescription peut impliquer la mise en demeure de l’exploitant en application de l’article L. 171-8 du code de l’environnement, il ne pourrait entraîner la remise en cause de l’autorisation. Une telle argumentation fait écho à l’exception de recours parallèle chère au contentieux administratif. Si cette approche n’est pas inintéressante, elle se heurte à la jurisprudence rendue, certes, non pas au sujet d’une installation classée pour la protection de l’environnement, mais dans un domaine régi par des mécanismes tout à fait comparables. En effet, au sujet d’une demande tendant à abroger un arrêté préfectoral autorisant à présenter au public des animaux vivants, lequel est lui-même régi par le code de l’environnement (art. L. 413-3), la cour de Lyon a jugé que nonobstant l’existence d’une procédure permettant à l’administration de mettre en demeure l’exploitant et, le cas échéant, de suspendre le fonctionnement de l’établissement, voire de le fermer (art. R. 413-48 et s. du code de l’environnement), il était loisible à un tiers, en l’espèce l’association One Voice, de demander au préfet d’abroger l’autorisation d’ouverture de l’établissement. La cour a précisément considéré que si les conditions permettant le fonctionnement de l’établissement ne sont plus remplies, « le préfet peut, en application de l’article R. 413-48 du code de l’environnement, mettre en demeure l’exploitant de l’établissement de respecter les prescriptions fixées dans l’arrêté d’autorisation et, en cas d’inexécution par le bénéficiaire, prendre des mesures administratives pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’établissement, ce qui a implicitement mais nécessairement pour effet d’abroger, le cas échéant, l’autorisation d’ouverture » (CAA Lyon, 3 février 2022, Association One Voice, n° 20LY00080).
Pour autant, s’inscrivant dans la logique qui est à la fois celle du code de l’environnement et celle du code des relations entre le public et l’administration, le tiers ne peut alors utilement invoquer que des moyens tirés de l’inobservation des prescriptions imposées à l’exploitant – lesquelles doivent en outre conditionner le maintien de la décision créatrice de droits – et non des moyens qui entacheraient l’arrêté initial portant enregistrement ou autorisation d’exploiter l’établissement incriminé (v. CAA Marseille, 7 juin 2021, Association One Voice, n° 19MA04275 ; v. également les conclusions Stéphane Hoynck sur CE, 28 décembre 2022, nos 444845 et 444846, préc.). Ainsi, bien que les moyens opérants soient, de fait, relativement limités, la démarche initiée par l’ADEB nous parait tout à fait judicieuse.
Par un premier moyen, l’association soutient que la société pétitionnaire avait défini seulement soixante-deux points de références pour les analyses de sols destinés à l’épandage du digestat. Or, il résulte de l’instruction qu’eu égard à la surface et au nombre d’agriculteurs concernés, ce nombre de points de référence ne serait suffisant que s’il n’existait que deux types de sols. Par conséquent, il est exact que l’article 2.2.13 de l’arrêté conditionnait l’autorisation à la définition par l’exploitant, dans un délai de neuf mois, de zones homogènes d’épandage destinées à justifier du caractère suffisant des soixante-deux points d’analyse. Selon l’association, cette obligation n’aurait pas été respectée. Cependant, vous vous en tenez, en qualité de juge du plein contentieux des installations classées, à la situation telle qu’elle existe à la date de votre jugement. Bien qu’elle ait tardé à satisfaire à cette obligation, l’exploitante établit avoir élaboré, en janvier 2022, un dossier complémentaire qu’elle a transmis à la DREAL en octobre 2022 ; il en résulte que des analyses ont été menées sur cinquante nouvelles parcelles de référence portant ainsi le nombre de parcelles analysées à cent-douze. L’association requérante n’apporte pas d’éléments suffisants tendant à établir que cet échantillon serait toujours insuffisant. En outre, l’argument tiré de ce que le plan d’épandage n’aurait plus vocation à être respecté compte tenu de la réalisation, dans l’intervalle, d’autres méthaniseurs dans le secteur concerné parait inopérant dès lors qu’il est sans rapport avec le non-respect d’une condition posée par l’arrêté initial mais davantage lié à l’exécution de celui-ci.
Par un deuxième moyen, l’ADEB rappelle que les articles 2.2.5 et 2.2.6 imposaient de placer les dispositifs de rétention et de stockage des digestats à plus d’un mètre au-dessus du niveau des plus hautes eaux, renforçant ainsi les prescriptions générales issues de l’article 30 de l’arrêté du 12 août 2010 relatif aux installations classées de méthanisation relevant du régime de l’enregistrement. Si l’étude hydrogéologique exigée par l’arrêté a bien été diligentée en juillet 2021, celle-ci aurait démontré qu’eu égard aux fortes variations du niveau des eaux souterraines au droit du projet, il était impossible de déterminer le niveau des plus hautes eaux, rendant par conséquent impossible le respect de ces prescriptions. Cependant, l’étude hydrogéologique menée par le cabinet Geotec ainsi que les résultats de l’implantation sur le site de trois piézomètres nous paraissent suffire à déterminer le niveau des plus hautes eaux et, surtout, à en déduire que les dispositifs de rétention ont vocation à être implantés à bonne distance afin d’éviter le risque de pollution.
L’association soulève également un moyen tiré du non-respect de la prescription tenant à la réalisation d’une zone tampon avec la mare qui abrite des habitats sensibles, issue de l’article 2.2.12 de l’arrêté relatif à la biodiversité. Cependant, outre que ce moyen tel qu’il est présenté entre difficilement dans le champ de l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu’il porte surtout sur les conséquences potentielles de la prescription et nous parait ainsi inopérant, vous constaterez que cette exigence a été prise en compte par l’exploitante et rien ne permet d’établir que le drainage profond réalisé sur une partie des installations situées plus au nord du terrain serait susceptible d’impacter ce secteur.
Dans ses dernières écritures, l’ADEB soutient que le projet ne respecterait pas le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du schéma de cohérence territoriale (SCOT) qui impose de respecter une distance minimum de 50 mètres entre toute nouvelle construction et les lisières forestières des réservoirs de biodiversité parmi lesquels on trouve le Bois de Charlanche situé à proximité de l’installation en litige. Toutefois, il est de jurisprudence constante que la police des installations classées, régie par les dispositions du code de l’environnement, et celle de l’urbanisme sont en principe indépendantes (CE, 12 juillet 2019, Association Sans nature pas de futur, n° 417177 et pour un exemple récent d’application de l’article L. 142-1 du code de l'urbanisme, qui énumère de façon exhaustive les documents devant être compatibles avec le document d’orientation et d’objectifs des SCOT, v. CAA Marseille, 5 février 2021, Commune de Villeneuve, n° 17MA04453). Le moyen est ainsi inopérant, de même que la seconde branche, soulevée récemment, tirée de la méconnaissance de l’article L. 111-4 du code de l'urbanisme.
Si vous nous suivez, vous rejetterez (…) les conclusions dirigées contre le refus d’abroger les arrêtés des 20 mars et 2 avril 2020.
Par ces motifs nous concluons au rejet de la requête.