Mme X., salariée de la société KPMG, a été placée en arrêt de travail en raison d’une maladie non professionnelle du 28 août 2017 au 15 septembre 2019.
Par un courrier du 22 décembre 2021, reçu le 24 décembre 2021, elle a sollicité auprès de la ministre en charge du travail l’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi en raison de l’absence de transposition en droit interne de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l’incompatibilité des dispositions de l’article L. 3141-5 du code du travail avec les dispositions précitées de cette directive.
Une décision implicite de rejet est née le 24 février 2022 du silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois sur cette demande.
Mme X. a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l’Etat à lui verser la somme de 11 367,14 euros en réparation du préjudice financier qu’elle estime avoir subi du fait de l’absence de transposition de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.
Par un jugement du 7 mars 2023, ce tribunal a partiellement fait droit à sa demande en condamnant l’Etat à lui verser la somme de 4 000 euros.
Mme X., qui estime que cette somme ne correspond pas au préjudice réellement subi, relève appel de ce jugement.
Elle soutient que le droit français, en particulier l’article L. 3141-5 du code du travail, n’est pas conforme à l’article 7 de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dès lors qu’il ne permet pas d’acquérir des congés payés pendant une période de suspension du contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour origine non professionnelle, alors que cet article 7 accorde au salarié un congé annuel payé de quatre semaines, n'opère aucune distinction selon l'origine de l'absence pour raison de santé.
Elle souligne que l’État a commis une faute en raison de sa carence à transposer cette directive.
Le principe de responsabilité de l’État retenu par le tribunal n’est pas remis en cause, le ministre chargé du travail n’ayant pas formé un appel incident.
Rappelons que la responsabilité de l'État du fait des lois peut être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France (CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, au recueil).
Le régime de responsabilité du fait d’une loi inconventionnelle est un régime de responsabilité ad hoc, qui n’est ni un régime de responsabilité sans faute (notamment fondé sur la rupture d’égalité devant les charges publics), ni un régime de responsabilité pour faute. Il n’est pas d’ordre public et il permet une réparation potentiellement intégrale des préjudices. Il n’est pas nécessaire que le préjudice soit anormal et spécial. Voyez notamment les conclusions de Luc Derepas dans l’affaire CE, Assemblée, 8 février 2007,n° 279522 et de Marie Sirinelli sous CE, 24 décembre 2019, société Paris Clichy, n° 425981. Voir aussi sur le cadre de la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques du fait des lois, CE, Assemblée, 14 janvier 1938, société anonyme des produits laitiers "La Fleurette", n° 51704, p. 25 ; CE, 2 novembre 2005, société coopérative agricole Ax'ion, n° 266564, p. 468.2. Rappr., en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait d'un acte administratif méconnaissant les engagements internationaux de la France, CE, Assemblée, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products et SA Philip Morris France, n° 87753, p. 78. Rappr. CJCE, 19 novembre 1991, F. et B.et autres c/ Italie, aff. C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357 ; CJCE, 5 mars 1996, brasserie du Pêcheur SA c/ Allemagne et Factortame Ltd et autres c/ Royaume-Uni, aff. C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029. Rappr. Cour EDH, 31 octobre 1995, P. et autres c/ Grèce, n° 14556/89, série A n° 330-B, p. 59.
L’absence de transposition, dans les délais, de directives communautaires, peut être constitutive d’une telle méconnaissance (voyez les conclusions de Luc Derepas dans l’affaire CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, au recueil et, CE, 23 juillet 2014, société d'éditions et de protection route, n°354365, au recueil consacrant, parmi les engagements internationaux, ceux qui relèvent du droit de l’Union ; TC, 31 mars 2008, Société Boiron c/ Direction générale des douanes et droits indirects, n° 3631, au recueil, et les conclusions de Frédéric Aladjidi sous CE, 15 février 2016, département de la Guadeloupe c/ société commerciale guadeloupéenne de tabacs et allumettes (SCGTA), n° 378625, page 5).
En principe, la responsabilité de l’Etat à raison d’une méconnaissance du droit de l’Union n’ouvre droit à réparation que si la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, et qu’il existe un lien de causalité directe entre la violation de l’obligation et le dommage subi. Mais le régime issu de la jurisprudence du CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, précitée, apparaît, ainsi que l’indiquait Luc Derepas dans ses conclusions, plus protecteur, en ce qu’il écarte les deux premières conditions. Voyez les conclusions de Alexandre Lallet sous l’affaire « société d’Edition et de Protection Route » précitée.
L’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 prévoit « Congé annuel 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et notamment de ses arrêts du 20 janvier 2009 ( C-350/06 et C-520/06) et du 24 janvier 2012 ( C-282/10), que le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, codifiée par la directive 2003/88/CE.
Il en résulte également, et en particulier d’un arrêt du 26 juin 2001 (C 173/99 Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union) que la directive doit être interprétée en ce sens, d’une part, qu’elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d’ouverture de ce droit qui aurait pour effet d’exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier et, d’autre part, qu’elle s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence.
Le délai de transposition de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui procède à la codification de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, expirait lui-même le 23 mars 2005.
La Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans l’affaire C 282/10 précitée, Mme .D. contre Centre informatique du Centre Ouest Atlantique, préfet de la région Centre que « la directive 2003/88 n’opérant aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période (voir arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 40), il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État. De telles dispositions sont incompatibles, dans cette mesure, avec les stipulations citées plus haut du paragraphe 1 de l’article 7 de la directive n° 2003/88/CE, qui font obstacle à toute distinction en fonction de l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, dûment prescrit ».
Or, il résulte des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail, en vertu desquelles « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. / La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables », que le droit à congé annuel est subordonnée à du travail effectif et que s’agissant de la suspension de l’exécution du contrat de travail pour raison de santé, l’article L. 3141-5 du même code prévoit que « Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : (…) / 5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle / (…) ». Il en résulte que les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie d’origine non professionnelle ne sont pas considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination du droit à congé annuel.
Le 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail fait ainsi obstacle à ce qu’un salarié bénéficie de congé annuel lors des périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie d’origine non professionnelle, qui ne sont pas considérées comme des périodes de travail effectif pour la détermination du droit à congé annuel.
Ce faisant, le 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail applique une condition d’ouverture du droit au congé payé qui a pour effet d’exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier. Ceci a pour effet de rendre cette disposition incompatible, dans cette mesure, avec les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doivent être interprétées strictement.
Dès lors qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-3, y compris dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle vous statuerez, et L. 3141-5 du code du travail, que ne sont pas considérées comme des périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie d’origine non professionnelle, et qu’elles procèdent ce faisant à une distinction entre les périodes de suspension du contrat du travail selon leur origine professionnelle ou non-professionnelle, le 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail introduit une restriction à la naissance du droit au congé payé pourtant garanti par l’article 7 de la directive 2003/88/CE.
La requérante est donc fondée à soutenir que les dispositions du 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail sont, en tant qu’elles introduisent les restrictions exposées aux points 7 et 8 du présent arrêt, incompatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, à la date du présent arrêt.
Voyez CAA Versailles, Formation plénière, 17 juillet 2023, confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 22VE00442.
Relevons que, concernant les fonctionnaires de l’État, le CE a reconnu l’incompatibilité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, de l'article 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État en tant qu’il ne prévoit pas le report des congés des agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé de maladie et l’indemnisation des congés annuels qu’un agent aurait été, en raison d’un arrêt de maladie, dans l’impossibilité de prendre avant la fin de sa relation de travail (CE, avis, 26 avril 2017, ministre de l’intérieur c/ M. C., n° 406009, au recueil ; CE, 22 juin 2022, ministre de l'intérieur c/ M. X., n° 443053, aux tables).
En l’espèce, le tribunal administratif de Lyon a considéré que « Mme X. peut demander à voir engager la responsabilité de l’État du fait de la non transposition en droit interne de l’article 7 de la directive 2003/88/CE pour obtenir la réparation des préjudices causés directement par cette absence de transposition, laquelle fait obstacle à ce qu’une obligation naisse à l’endroit de son employeur pour l’application de ce texte. Ainsi, Mme X. ne peut exiger de son employeur, la société KPMG, l’indemnisation au titre des jours de congés payés non acquis durant son arrêt maladie conformément à l’article 7 de la directive 2003/88/CE. Dans ces conditions, l’impossibilité de faire valoir ses droits à congés annuels lui crée un préjudice, dont l’absence de transposition de la directive 2003/88/CE est directement à l’origine. Par suite, la requérante, ainsi dépourvue de toute chance sérieuse d’obtenir le rétablissement de son droit à congé annuel par les juridictions judiciaires, est fondée à rechercher la responsabilité de l’État en raison du défaut dans le délai prescrit de transposition en droit interne du paragraphe 1 de l’article 7 de la directive2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. ».
Si l’appel de Mme X. porte uniquement sur l’évaluation du préjudice, vous pourrez vous interroger d’office sur l’existence d’un lien de causalité direct entre l’incompatibilité des dispositions du 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE, et donc la non transposition en droit interne de cette directive, et le préjudice invoqué par l’intéressée consistant dans la non acquisition de congés payés sur l’ensemble de la période pendant laquelle elle était placée en arrêt de travail d’origine non professionnelle, soit du 28 août 2017 au 15 septembre 2019 et la perte de .
Vous pouvez relever d’office cette absence de lien de causalité sans soulever d’office un moyen dont vous devriez informer en amont les parties sur le fondement de l’article R. 611-7 du code de justice administrative. En effet, il relève de votre office de relever que l’une des conditions de la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique n'est pas remplie. Voyez CE, 26 mars 2003, n° 244533, au recueil.
Rappelons que vous faites application de la théorie de la causalité adéquate pour laquelle la cause du dommage réside dans le fait qui portait en lui la survenance normale du préjudice. Elle vous conduit à refuser de retenir le caractère direct du lien de causalité dès lors qu’un fait matériel ou juridique s’interpose entre la victime directe de la faute et celui qui en demande réparation. Mais, comme l’explique François Seners dans le fascicule « Préjudice réparable » du Répertoire Dalloz sur la responsabilité de la puissance publique, l’élément juridique ou le fait du tiers qui s’interpose entre la cause initiale et le préjudice ne rompt pas le caractère direct de ce dernier s’il en constitue une conséquence mécanique (voyez les conclusions de Nathalie Escaut sous CE, 3 août 2011, société CRT France International, n° 304838).
Comme nous l’avons déjà indiqué, en première instance, le tribunal a retenu un tel lien de causalité du fait que Mme X. ne pouvait exiger de son employeur, l’indemnisation au titre des jours de congés payés non acquis durant son arrêt maladie conformément à l’article 7 de la directive 2003/88/CE en raison de la non transposition en droit interne de cet article, ce qui faisait obstacle à ce qu’une obligation naisse à l’endroit de son employeur pour l’application de ce texte.
Or, depuis le jugement attaqué du 7 mars 2023, la cour de cassation (chambre sociale) a, dans un arrêt du 13 septembre 2023 (n° 22-17.340, publié au bulletin), après relevé la non-conformité au droit de l’Union, en particulier à l'article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, s'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, a considéré qu’il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application de ces dispositions en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et a jugé que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
Elle a considéré que les salariés acquièrent des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
L'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoyant que « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».
Dans ce même arrêt, la cour de cassation souligne que par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
La prescription du droit à congés payés des salariés dont le contrat de travail étant suspendue en raison d’une maladie ne courant qu’une fois que l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congés payés (voyez Soc. 13 sept. 2023, n° 22-11.106).
De manière générale, en matière de responsabilité de l’État du fait des lois, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et l'existence d'un lien direct de causalité entre la loi en cause et ce préjudice (voyez pour la responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle, CE, Assemblée, 24 décembre 2019, société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983, au recueil, aux conclusions de Marie Sirinelli, étendant aux lois inconstitutionnelles le régime mise en place par la décision du CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522.
La même solution doit prévaloir pour l’inconventionnalité d’une loi.
La jurisprudence précitée du CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, prévoit, comme nous l’avons vu, la réparation de l’ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France.
Dans ses conclusions sur cette affaire, Luc Derepas a souligné que « le régime que nous vous proposons d’instaurer permettrait en effet, conformément à la jurisprudence de la CEDH, de réparer intégralement tout préjudice résultant de la méconnaissance par la loi d’une norme internationale ».
Il a néanmoins relevé que « Lorsque la loi inconventionnelle intervient dans le champ du droit privé, la question est plus délicate mais nous semble appeler une réponse analogue. Si une loi inconventionnelle crée un préjudice dans le chef d’une personne privée dans ses relations avec une autre personne privée, cela signifie dans la plupart des cas que cette loi a mise à la charge de la première une obligation que l’application de la norme internationale lui aurait épargnée : la loi peut ainsi, en contradiction avec une norme internationale, prévoir ou prohiber le paiement d’une somme, ou encore restreindre ou étendre la responsabilité civile en-deçà ou au-delà de ce que cette norme permet. Au regard de la norme internationale, la seconde personne aura donc bénéficié d’un enrichissement sans cause. La façon juridiquement la plus orthodoxe de réparer un tel préjudice, une fois l’inconventionnalité de la loi constatée, est de former une demande devant le juge judiciaire pour que celui-ci rétablisse la situation licite en écartant la loi nationale au profit de la norme internationale, selon la jurisprudence bien connue de la Cour de cassation Société des Cafés Jacques Vabre du 24 mai 1975. Il nous semble que dans un tel cas de figure, la responsabilité de l’Etat ne pourrait être engagée que si les victimes pouvaient prouver qu’elles se trouvent dans l’impossibilité d’obtenir réparation devant le juge judiciaire. Dans le cas contraire, on devrait considérer que leur dommage trouve son origine dans l’absence de saisine de ce juge, et qu’il n’existe pas de lien de causalité direct entre la loi et le dommage. ».
Luc Derepas réservait le cas des préjudices de droit privé créés par une loi inconventionnelle, et dont la victime n’avait aucune chance sérieuse d’obtenir réparation devant les tribunaux judiciaires, ce qui était la situation dans l’affaire CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, au recueil, qui, une fois le délai d’appel expiré, n’avait d’autre possibilité que de se tourner vers le juge administratif pour engager la responsabilité de l’État du fait des lois.
Il a proposé « un principe de responsabilité de l’État du fait des lois inconventionnelles sui generis, de nature objective, qui serait mis en œuvre chaque fois que trois éléments sont rassemblés : la méconnaissance d’une disposition internationale par une disposition législative, un préjudice, et l’existence d’un lien direct de causalité entre les deux. » et a souligné que « la mise en œuvre de ce régime de responsabilité restera peu fréquente. Elle ne visera que des situations dans lesquelles les conditions suivantes seront remplies : aucun acte administratif ne sera à l’origine du préjudice subi, il existera un lien direct de causalité entre la loi et ce préjudice, les victimes n’auront pas eu la possibilité d’obtenir réparation sur le terrain de l’enrichissement sans cause devant le juge judiciaire. ». « Ce dernier point pourra être parfois d’appréciation délicate, car il impliquera de tenir compte le cas échéant des innovations ou revirements de jurisprudence. Il s’agit toutefois là de questions que vous pouvez pour l’instant réserver et qu’il vous appartiendra de trancher lors de la mise en œuvre du régime. ».
Rappelons qu’il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance. Il peut toutefois en aller différemment si l'application de la règle nouvelle a pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours. Il peut également être dérogé à l'application rétroactive de la règle jurisprudentielle nouvelle en raison de l'impératif de sécurité juridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours (CE, assemblée, 16 juillet 2007, société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545, au recueil ; CE, Section, 6 juin 2008, conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris, n° 283141, au recueil ; CE, Section, 13 mars 2020, société Hasbro European Trading BV, n° 435634, au recueil).
Relevons que dans sa décision précitée « CGT », la CAA de Versailles a relevé la limitation dans le temps du préjudice invoqué (il s’agissait d’un préjudice moral causé à l’ensemble des salariés par la non transposition de l’article 7 de la directive) et ce « par l’effet des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, qui a interprété les dispositions du code du travail, lorsque c’était possible, dans un sens permettant de donner plein effet à l’article 7 de la directive 2003/88/CE ou les a laissées inappliquées à l’invitation de la Cour de justice de l’Union européenne ».
En l’espèce, l’inconventionalité des dispositions combinées des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail en raison de leur incompatibilité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE tient à la non acquisition de congés payés durant la suspension de l’exécution du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle. Cette inconventionnalité semble a priori en lien direct avec le préjudice invoqué par Mme X. tenant à une telle non acquisition et consistant à réclamer une indemnité compensatrice des congés payés non acquis.
Toutefois, nous l’avons vu, dans l’affaire n° 22-17.340, la cour de cassation a considéré, après avoir relevé l’inconventionnalité de l'article L. 3141-3 du code du travail, que les salariés acquièrent des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
Elle a ainsi mis fin à son ancienne jurisprudence qu’elle rappelait d’ailleurs dans cette affaire, en indiquant que « la Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73). ».
Désormais, sur le fondement de cette jurisprudence n° 22-17.340, Mme X. peut obtenir de son employeur et surtout, en cas, comme en l’espèce, de litige, du juge judiciaire, l’indemnisation des congés payés acquis durant sa maladie.
L’inconventionnalité des dispositions législatives précitées n’apparait plus, dès lors, comme étant la cause déterminante du préjudice invoqué par la requérante, qui ne peut ainsi engager la responsabilité de l’Etat en raison de cette inconventionnalité.
ous pourrez donc juger que Mme X. n’est pas fondée à se plaindre que le tribunal a limité l’indemnisation de son préjudice à la somme de 4 000 euros.
Ce sera, sauf erreur de notre part, la première fois qu’une juridiction écartera l’application de la jurisprudence du CE, Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, en raison d’une modification de la règle jurisprudentielle permettant à la personne intéressée de revendiquer directement devant le juge judiciaire, le droit dont elle a été privée en raison d’une loi inconventionnelle, hypothèse envisagée par Luc Derepas dans ses conclusions sur cette affaire.
Par ces motifs, nous concluons au rejet au fond de la requête.